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Date : 19971126


Dossier : IMM-992-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 26 NOVEMBRE 1997

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE SUPPLÉANT HEALD

ENTRE


LOUIS DEAN CLARKE,


requérant,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


intimé.




ORDONNANCE



La demande de contrôle judiciaire est rejetée.



                                  Darrel V. Heald

                             Juge suppléant



Traduction certifiée conforme

_____________________________

F. Blais, LL.L.





Date : 19971126


Dossier : IMM-992-96

ENTRE


LOUIS DEAN CLARKE,


requérant,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


intimé.



MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SUPPLÉANT HEALD

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision par laquelle un représentant du ministre a conclu, le 4 mars 1996, que le ministre était d'avis que le requérant constitue un danger pour le public au Canada aux termes du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration (la « Loi » )1. Le requérant sollicite l'annulation de la décision rendue en vertu du paragraphe 70(5), par laquelle le ministre supprimait son droit d'appel, ainsi que le renvoi de l'affaire au ministre pour réexamen.

[2]      Le requérant est né le 12 avril 1966; il est citoyen jamaïcain. Il est venu au Canada avec sa famille lorsqu'il avait 11 ans et est devenu résident permanent le 14 janvier 1978. Entre 1984 et 1994, il a été déclaré coupable d'un certain nombre d'infractions criminelles, notamment de possession de stupéfiants, de manquement à un engagement, d'entrave à un agent de la paix, de méfait, de voies de fait, de possession de biens criminellement obtenus et d'autres infractions.

[3]      Le 7 juin 1995, le statut du requérant a fait l'objet d'un examen et une mesure d'expulsion a été prise pour le motif que le requérant était une personne qui relevait du cas visé à l'alinéa 27(1)d) de la Loi2. Par une lettre datée du 6 décembre 1995, le requérant a été informé que le ministre examinait la question de savoir s'il constituait un danger pour le public au Canada aux termes du paragraphe 70(5) de la Loi. On joignait à la lettre des copies de documents qui seraient présentés au ministre et on invitait le requérant à présenter des observations sur ce point. Par une lettre datée du 4 mars 1996, le requérant a été informé qu'il avait été décidé qu'il constituait un danger pour le public et qu'il ne pouvait donc pas faire appel devant la section d'appel de l'immigration.

LES QUESTIONS EN LITIGE

1.      La procédure par laquelle les décisions sont rendues en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi est-elle arbitraire?
2.      Le ministre a-t-il commis une erreur en décidant que le requérant constituait un danger pour le public au Canada aux termes du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration en se fondant sur des déclarations erronées figurant dans le rapport sur l'avis du ministre et sur des éléments de preuve non pertinents ou en omettant de tenir compte des observations du requérant?

Le caractère arbitraire de la décision

[4]      Compte tenu de la décision rendue par la Cour d'appel dans l'affaire Williams c. le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration3, deux questions principales ont été débattues devant moi. Toutefois, le requérant a soutenu qu'il était possible de faire une distinction entre la présente espèce et l'affaire Williams en ce sens que, contrairement à M. Williams, le présent requérant conteste non seulement le processus par lequel la décision selon laquelle il constitue un danger pour le public a été prise, mais aussi le fond de cette décision.

[5]      En ce qui concerne le processus par lequel une décision selon laquelle il y a danger pour le public est prise, le requérant a soutenu que tous les résidents permanents qui ont été déclarés coupables d'une infraction pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été imposée ou qui peut être punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans tel qu'il est prévu à l'alinéa 27(1)d) de la Loi font l'objet d'une audience devant l'arbitre. S'il conclut que le fondement factuel de l'allégation est exact, l'arbitre doit prendre une mesure de renvoi. Le résident permanent peut alors faire appel de cette décision à moins d'avoir fait l'objet d'une décision portant qu'il constitue un danger pour le public aux termes du paragraphe 70(5) de la Loi. Le requérant a soutenu qu'étant donné que les résidents permanents qui ont été déclarés coupables d'une infraction visée à l'alinéa 27(1)d) de la Loi ne font pas tous l'objet d'une enquête du ministre en vertu du paragraphe 70(5), le processus est arbitraire.

[6]      L'intimé a soutenu que dans l'affaire Williams, ci-dessus, la Cour d'appel avait examiné le processus menant à la décision selon laquelle une personne constitue un danger pour le public au Canada et qu'elle avait conclu que la procédure est équitable et ne viole pas la Charte. Je suis d'accord avec l'intimé. Dans l'affaire Williams, la Cour d'appel a examiné l'économie de la Loi et a conclu que la Loi était valide sur le plan constitutionnel et conforme aux principes de justice naturelle et d'équité. Une décision selon laquelle une personne constitue un danger pour le public est par sa nature une décision discrétionnaire que le ministre doit prendre en se fondant sur un examen de la preuve dont il dispose à juste titre.

La décision selon laquelle il y a danger pour le public

[7]      Sur ce point, le requérant a soutenu que le rapport sur l'avis du ministre, préparé par le groupe de travail chargé de l'examen de l'arriéré des affaires pénales, renferme un certain nombre d'erreurs susceptibles de révision : premièrement, le ministre n'aurait pas dû avoir à sa disposition un rapport de police disant que le requérant est un proxénète. Étant donné que le requérant n'avait jamais été déclaré coupable de l'accusation selon laquelle il vivait des produits de la prostitution, le ministre s'est fondé à tort sur ce document; deuxièmement, le requérant affirme qu'on a fait preuve de mauvaise foi en modifiant le rapport sur l'avis du ministre, comme le montre un espace en blanc figurant au milieu d'une phrase de ce rapport. Troisièmement, les commentaires figurant dans le rapport qui décrivent le requérant comme ayant un « tempérament violent » ne sont pas fondés. Quatrièmement, la déclaration suivante figurant dans le rapport, à savoir : [TRADUCTION] « M. Clarke a été déclaré coupable d'une série d'infractions, dont un bon nombre se rapportent à des stupéfiants [...] » , est trompeuse.

[8]      Dans l'arrêt Williams, ci-dessus aux pages 11 et 12, le juge Strayer examine la norme d'examen qui s'applique à l'avis du ministre. Voici ce qu'il dit.

Il existe une jurisprudence abondante selon laquelle, à moins que toute l'économie de la Loi n'indique le contraire en accordant par exemple un droit d'appel illimité contre un tel avis, ces décisions subjectives ne peuvent pas être examinées par les tribunaux, sauf pour des motifs comme la mauvaise foi du décideur, une erreur de droit ou la prise en considération de facteurs dénués de pertinence.
En outre, lorsque la Cour est saisie du dossier qui, selon une preuve non contestée, a été soumis au décideur, et que rien ne permet de conclure le contraire, celle-ci doit présumer que le décideur a agi de bonne foi en tenant compte de ce dossier.

[9]      Je ne suis pas convaincu que le ministre ait été de mauvaise foi, qu'il ait commis une erreur de droit et qu'il se soit fondé sur des considérations non pertinentes en décidant que le requérant constituait un danger pour le public au Canada. Rien ne montre que le rapport sur l'avis du ministre ait de quelque façon été modifié et rien ne montre qu'il y ait eu mauvaise foi. Même s'il avait de quelque façon été modifié, le document, tel qu'il a été versé au dossier, est celui dont disposait le ministre et ce dernier a eu raison de se fonder sur lui.

[10]      Les commentaires figurant dans le rapport sur l'avis du ministre qui a été présenté au ministre, disant que le requérant a un tempérament violent et qu'il a été déclaré coupable d'un certain nombre d'infractions criminelles se rapportant à des stupéfiants, sont raisonnables au vu du dossier. Le requérant a été déclaré coupable de trafic et de possession de stupéfiants. De plus, il a été déclaré coupable à plusieurs reprises de voies de fait.

[11]      Le requérant a soutenu que le ministre n'aurait pas dû avoir à sa disposition le rapport de police parce que ce rapport n'est pas pertinent et qu'il a indûment influencé le décideur. L'intimé a répondu que lorsquon avait informé le requérant que le ministre examinait la question de savoir s'il y avait danger pour le public, on l'avait en même temps informé que le rapport de police serait mis à la disposition du ministre et on l'avait invité à présenter des observations. Or, le requérant n'a pas présenté d'observations à ce sujet.

[12]      Le rapport de police faisait partie de la liasse de documents dont disposait le ministre.

[13]      Quoi qu'il en soit, la preuve dont disposait le ministre était suffisante pour lui permettre de décider qu'il y avait danger sans qu'il soit fait mention du rapport de police.

[14]      Le requérant a également soutenu que le représentant du ministre avait commis une erreur en omettant de tenir compte, dans sa décision, de toutes les observations qu'il avait présentées. Il a expressément mentionné la preuve selon laquelle il suivait un cours de maîtrise de la colère, qu'il travaillait et qu'il avait fait des efforts en vue de se réadapter.

[15]      Le rapport sur l'avis du ministre ne résume pas toutes les observations que le requérant a présentées. Le juge Gibson faisait face à une question similaire dans l'affaire Moffatt c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)4. Il s'est fondé sur l'arrêt Williams, ci-dessus, dans lequel le juge Strayer avait dit ceci (également aux pages 11 et 12) :

Il est frappant que le paragrahe 70(5) dispose que ne peut faire appel l'intéressé qui constitue un danger « selon le ministre » et non « selon le juge » . Par ailleurs, le législateur n'a pas formulé la disposition de manière objective, c'est-à-dire en prescrivant qu'une attestation interdisant un autre appel peut uniquement être délivrée s'il est « établi » ou « décidé » que l'appelant constitue un danger pour le public au Canada. Le législateur a plutôt eu recours à une formulation subjective pour énoncer le pouvoir de tirer une telle conclusion : le critère n'est pas celui de savoir si le résident permanent constitue un danger pour le public, mais celui de savoir si, « selon le ministre » , il constitue un tel danger. Il existe une jurisprudence abondante selon laquelle, à moins que toute l'économie de la Loi n'indique le contraire en accordant par exemple un droit d'appel illimité contre un tel avis, ces décisions subjectives ne peuvent pas être examinées par les tribunaux, sauf pour des motifs comme la mauvaise foi du décideur, une erreur de droit ou la prise en considération de facteurs dénués de pertinence. En outre, lorsque la Cour est saisie du dossier qui, selon une preuve non contestée, a été soumis au décideur, et que rien ne permet de conclure le contraire, celle-ci doit présumer que le décideur a agi de bonne foi en tenant compte de ce dossier.

[16]      Le juge Gibson a conclu que, même si les documents résumés ne renfermaient pas toutes les observations présentées par le requérant, la Cour devrait conclure en l'absence d'une preuve contraire que, parce qu'il avait de fait les observations à sa disposition, le ministre avait agi de bonne foi et en tenant compte des documents versés au dossier.

Si j'étais en mesure de conclure que le représentant de l'intimée s'est fondé sur les documents qui lui ont été remis par le ministère de l'intimée pour fins de considération, je conclurais que l'intimée a commis une erreur susceptible de faire l'objet d'un contrôle en émettant l'avis formé pour son compte. Cependant, je ne puis tirer une telle conclusion. Compte tenu de la dernière phrase du passage tiré de l'arrêt Williams, ci-haut, il appert que je suis saisi d'un dossier qui, selon une preuve non contestée, a été remis au représentant de la ministre. Vu l'absence de preuve contraire, je dois présumer que le représentant de la ministre a agi de bonne foi en tenant compte de ce dossier. À mon avis, cela veut dire [TRADUCTION] « en tenant compte de l'ensemble de ce dossier » . Aucune preuve établissant que le représentant de l'intimée n'a pas tenu compte de l'ensemble des documents dont il disposait ne m'a été présentée. Je dois donc tenir pour acquis que, malgré les documents insatisfaisants qui lui ont été remis, le représentant de la ministre a tenu compte de l'ensemble des documents, dont tous les documents tendant à démontrer que le requérant ne constitue pas un danger présent ou futur pour le public au Canada.

[17]      De même, en l'espèce, rien ne laisse entendre que le représentant du ministre ne disposait pas du dossier complet. Les observations du requérant figurent dans ce rapport et, en l'absence d'une preuve contraire, je suppose que le représentant a agi de bonne foi en tenant compte de ce dossier. Compte tenu de la preuve dans son ensemble, l'avis selon lequel le requérant constitue un danger pour le public au Canada est raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[18]      Ni l'une ni l'autre des parties n'a proposé la certification d'une question grave de portée générale aux termes de l'article 83 de la Loi. Je suis d'accord pour dire qu'en l'espèce, la certification de pareille question n'est pas justifiée.




                         Darrel V. Heald

                             Juge suppléant

OTTAWA (ONTARIO),

le 26 novembre 1997


Traduction certifiée conforme

_________________________________

F. Blais, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :      IMM-992-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      LOUIS DEAN CLARKE

     c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 28 OCTOBRE 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge suppléant Heald en date du 26 novembre 1997



ONT COMPARU :

Colin Campbell      POUR LE REQUÉRANT

Bridget O'Leary      POUR L'INTIMÉ



PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Colin L. Campbell      POUR LE REQUÉRANT

Toronto (Ontario)

George Thomson      POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

__________________

1           Le paragraphe 70(5) est ainsi libellé :
Ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a) ou b), qui, selon la décision d'un arbitre :          [...] c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada.

2      Cette disposition se lit comme suit :
27. (1)      L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas :
d)      a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale, autre qu'une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions :
(i) soit pour laquelle une peine d'emprisonnement de plus de six mois a été imposée, (ii) soit qui peut être punissable d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à cinq ans;

3      A-855-96, 11 avril 1997, autorisation de se pourvoir en appel devant la Cour suprême du Canada refusée, 16 octobre 1997.

4      IMM-705-96, 21 juillet 1997.

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