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Date : 19990331


Dossier : IMM-2054-98

Ottawa (Ontario), le 31 mars 1999.

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SHARLOW

ENTRE :


MARIA DEL ROCIO HERNANDEZ DURAN et

PAOLA PENALOZA HERNANDEZ,


demanderesses,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision faisant l"objet du présent contrôle est annulée et l"affaire est renvoyée à la Section du statut de réfugié pour qu"une autre formation statue de nouveau sur celle-ci.


Karen R. Sharlow

                                         juge

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.


Date : 19990331


Dossier : IMM-2054-98

ENTRE :


MARIA DEL ROCIO HERNANDEZ DURAN et

PAOLA PENALOZA HERNANDEZ,


demanderesses,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE SHARLOW

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié (la SSR) selon laquelle la demanderesse Maria Del Rocio Hernandez Duran et sa fille, Paola Penaloza Hernandez, ne sont pas des réfugiées au sens de la Convention.

[2]      Madame Duran a témoigné avoir été maltraitée à plusieurs occasions entre 1993 et 1996 par M. Pedro Penaloza Perez. Il était son conjoint de fait depuis 1992 et il est le père de son enfant, née en 1993. Madame Duran a par ailleurs soutenu que M. Perez la traquait et que celui-ci a attaqué des membres de sa famille chez lesquels elle s"était réfugiée. Elle a dit avoir demandé à plusieurs reprises aux autorités policières de l"aider, mais que celles-ci n"avaient rien fait. Elle pense que M. Perez a des liens avec les autorités policières qui lui permettent d"exercer une certaine influence sur ces dernières, et elle se demande s"il a pu verser des pots-de-vin à des policiers. Tous ces événements sont survenus à México. Madame Duran s"est enfuie au Canada en 1996 en compagnie de sa fille.

[3]      J"ai conclu, à la lecture des motifs de décision de la SSR, que les membres de la formation ont cru la plupart, voire l"ensemble des allégations de Mme Duran concernant les mauvais traitements que lui aurait fait subir M. Perez. Néanmoins, ils ont tiré une conclusion défavorable à la demanderesse en ce qui concerne sa crédibilité et ont finalement conclu qu"elle n"était pas parvenue à établir que l"État ne l"avait pas protégée et qu"aucune possibilité de refuge intérieur ne s"offrait à elle.

[4]      Les motifs de la SSR contiennent de nombreuses erreurs concernant les faits et erreurs de logique. La plupart de ces erreurs se rapportent à la question de la crédibilité de Mme Duran et elles sont inextricablement liées aux conclusions de fait tirées par la SSR sur des questions d"une importance cruciale. Après avoir examiné ces motifs de même que l"ensemble du dossier, j"ai conclu que la SSR n"a pas compris ou n"a pas apprécié de façon équitable l"ensemble de la preuve et qu"elle a tiré des conclusions qui sont manifestement déraisonnables. Pour cette raison, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

[5]      Je n"ai pas l"intention d"énumérer en détail toutes les erreurs que la SSR a commises : je ne mentionnerai que les erreurs les plus importantes.

Le recurso de amparo

[6]      Les membres de la formation de la SSR ont accordé une grande importance à un document qualifié de recurso de amparo, que Mme Duran aurait obtenu en décembre 1995. Ils ont estimé qu"il s"agissait d"une ordonnance de non-communication à durée indéterminée et que ce document établissait que Mme Duran bénéficiait de la protection effective de l"État. Madame Duran a témoigné qu"elle croyait qu"il s"agissait d"un instrument juridique valable pour une période de 30 jours, ou une période de 90 jours par l"entremise de renouvellements successifs, qui empêcherait et qui a effectivement empêché M. Perez de s"approcher d"elle pendant qu"il était en vigueur. Elle croyait que l"instrument ne pouvait être renouvelé après une période de 90 jours, mais le dossier contient une preuve matérielle qui établit qu"un recurso de amparo est valable pour une période de durée indéterminée.

[7]      Outre la question de la durée, la preuve documentaire produite pour expliquer l"effet juridique d"un recurso de amparo est remarquablement dénuée d"intérêt. Par contre, le dossier contient de nombreux éléments de preuve établissant que le droit mexicain ne prévoit pas que des ordonnances de non-communication soient rendues dans des affaires de violence familiale. Si c"est bien le cas, c"est à tort que la SSR a conclu qu"un recurso de amparo est une ordonnance de non-communication valable pour une période de durée indéterminée.

[8]      La situation est d"autant plus confuse qu"il semble que le document que la SSR considérait comme le recurso de amparo de décembre 1995 est, à première vue, un dossier écrit de la plainte que Mme Duran avait déposée aux autorités policières en août 1996 (le paragraphe 22 du récit que contient le FRP de la demanderesse y renvoie). À mon avis, la SSR a agi de façon manifestement déraisonnable en tirant une conclusion défavorable à Mme Duran en matière de crédibilité sur le fondement d"une explication erronée, fournie par cette dernière, de l"effet juridique d"un recurso de amparo.

L"omission de consulter un organisme de défense des droits de la personne ou un ONG

[9]      La SSR n"a pas cru Mme Duran lorsqu"elle a dit qu"elle n"avait pas cherché à obtenir l"aide d"un ONG ou d"un organisme de défense des droits de la personne mexicain parce qu"elle croyait devoir faire un paiement avant d"obtenir de l"aide. La SSR a estimé qu"il s"agissait d"une remarque intéressée et non plausible vu qu"aucun élément de preuve documentaire n"établissait qu"une telle pratique avait cours parmi de tels organismes. Aucun élément du dossier ne laisse entendre qu"un organisme de défense des droits de la personne ou un ONG quelconque aurait pu lui fournir une protection effective contre son agresseur dans le cas où les autorités policières ne pouvaient ou ne voulaient pas lui fournir une telle protection. La raison que Mme Duran a fournie pour expliquer pourquoi elle n"a pas cherché à obtenir l"aide d"un tel organisme me semble non pertinente.

L"omission de chercher à obtenir des soins médicaux

[10]      La SSR a également eu peine à croire que Mme Duran n"a pas cherché à obtenir des soins médicaux après avoir été agressée et violée d"une façon particulièrement violente par M. Perez, surtout vu que cet incident a incité l"employeur de cette dernière à intervenir, ce qui a mené à l"intervention des autorités policières et d"un avocat dans le dossier. Compte tenu de cela, les membres de la formation de la SSR ont douté que Mme Duran a été violée.

[11]      À mon avis, cette conclusion n"est pas logique. Le fait que l"employeur de Mme Duran a aidé celle-ci à obtenir la protection des autorités policières et des conseils juridiques après cet incident n"est pas incompatible avec le fait qu"elle n"a pas cherché à obtenir des soins médicaux. On sait que parfois, les victimes de viol ne cherchent pas à obtenir des soins médicaux lorsqu"elles ont raison de croire que leur plainte ne sera pas prise au sérieux ou que l"enquête leur occasionnera encore plus de honte et d"embarras. Madame Duran a été invitée, à l"audition, à expliquer les raisons pour lesquelles elle n"a pas cherché à obtenir des soins médicaux. Il ressort de son témoignage qu"elle ressentait de la honte par suite de l"incident et qu"elle était découragée du fait que les plaintes qu"elles avaient déjà faites au sujet de M. Perez n"avaient donné aucun résultat. Le dossier contient de nombreux éléments de preuve qui fournissent un fondement objectif à un tel comportement de sa part.

La disponibilité de la protection de l"État

[12]      Madame Duran a également témoigné qu"elle a tenté, en vain, d"obtenir de l"aide des autorités policières, et ce à plusieurs reprises. Cela est compatible avec les éléments de preuve documentaire du dossier qui établissent que les femmes faisant l"objet de violence familiale au Mexique ont peu de recours en justice. La SSR a choisi de citer d"autres éléments de preuve documentaire, qui laissent entendre que les autorités mexicaines " ne négligent pas de tenir compte des incidents de violence familiale " et que des actions civiles et des poursuites criminelles pouvaient être intentées par les victimes de violence conjugale au Mexique. Il incombait exclusivement à la SSR, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, de déterminer le poids relatif qu"il convenait d"accorder au témoignage de Mme Duran à cet égard et aux autres éléments de preuve du dossier. Cependant, vu l"appréciation erronée de la SSR en ce qui concerne la crédibilité de Mme Duran, je ne peux conclure qu"elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable.

[13]      Il ressort également du dossier que Mme Duran a obtenu un certain droit de garde de sa fille au terme d"une instance dans laquelle M. Perez n"est pas intervenu, bien qu"il en ait été dûment avisé. La SSR a souligné à bon droit que le dossier ne précise pas qu"elle a obtenu la garde exclusive de l"enfant ni que M. Perez a un droit de visite. Cependant, la SSR a dit que le fait que Mme Duran a obtenu un certain droit de garde de sa fille en s"adressant au système juridique mexicain étayait sa conclusion que Mme Duran bénéficiait de la protection de l"État et qu"elle pouvait obtenir une réparation à la suite du préjudice qu"elle avait subi, au Mexique. Il me semble qu"un tel raisonnement soit erroné. Même si on suppose que le droit mexicain en matière de garde des enfants offre une certaine protection à la fille de Mme Duran, cela ne permet pas de conclure que Mme Duran peut s"attendre à obtenir une protection effective de l"État contre les mauvais traitements qu"elle prétend avoir subis.

La possibilité de refuge intérieur -- le rapport du psychologue

[14]      En ce qui concerne la question de la possibilité d"un refuge intérieur, la SSR disposait d"un rapport d"un psychologue qui, dans une certaine mesure, faisait état du préjudice que Mme Duran risquerait de subir si on l"obligeait à retourner au Mexique. L"avocat de Mme Duran a soutenu que la SSR était tenue d"accepter ce rapport et d"en tenir compte dans le contexte de la possibilité d"un refuge intérieur. Je ne suis pas d"accord. La SSR était tenue de considérer le rapport, ce qu"elle a fait. La conclusion d"un psychologue qu"aucune possibilité de refuge intérieur ne s"offre à une personne ne saurait lier la SSR.

[15]      Encore une fois, cependant, Mme Duran a témoigné qu"elle croyait que M. Perez disposait des ressources nécessaires pour la retrouver peu importe où elle retournerait au Mexique et qu"il la chercherait probablement. Ce témoignage pourrait mener à la conclusion qu"aucune possibilité de refuge intérieur ne s"offre à Mme Duran au Mexique. Or, comme la crédibilité de cette dernière n"a pas été convenablement appréciée, cet aspect de sa revendication n"a pas été traité de manière équitable.

La conclusion

[16]      À mon avis, la présente affaire ne soulève pas de question grave de portée générale.

[17]      La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision faisant l"objet du présent contrôle est annulée et l"affaire est renvoyée à la Section du statut de réfugié pour qu"une autre formation statue de nouveau sur celle-ci.


" Karen R. Sharlow "

JUGE

Ottawa (Ontario)

Le 31 mars 1999.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  IMM-2054-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Maria del Rocio Hernandez Duran c. MCI

LIEU DE L"AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L"AUDIENCE :              le 4 mars 1999

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE SHARLOW

EN DATE DU :                  31 mars 1999

ONT COMPARU :

M. Daniel M. Fine                          POUR LA DEMANDERESSE

Mme Sally Thomas                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

Daniel M. Fine                          POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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