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Date : 20000824


Dossier : IMM-4019-99


ENTRE



BALAKRISHNAN RAMACHANDRAN


demandeur


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS D'ORDONNANCE


LE JUGE GIBSON

[1]      Les présents motifs font suite à une décision, datée du 29 juillet 1999, dans laquelle une agente de révision des revendications refusées (l'agente) a conclu que le demandeur n'appartenait pas à la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (la CDNRSRC) que définit le paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 19781.

[2]      En ce qui concerne son application à la présente affaire, la personne qui appartient à la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada est définie comme étant un immigrant au Canada qui, selon la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, n'est pas un réfugié au sens de la Convention, et qui, s'il était renvoyé vers un pays auquel il peut l'être, en l'occurrence le Sri Lanka, courrait un risque objectivement identifiable partout dans ce pays, risque auquel les autres individus de ou dans ce pays ne sont pas exposés de façon générale; il peut s'agir d'un risque de mort, ou encore de subir des sanctions extrêmes ou un traitement inhumain.

[3]      Le demandeur est un jeune Tamoul qui est un citoyen du Sri Lanka. À la date de l'audition qui fait l'objet du présent contrôle, il était âgé de 27 ans. Il se distingue de nombreux Tamouls du fait qu'il n'est pas né dans la partie nord ou est du Sri Lanka ni à Colombo, mais plutôt dans la partie centre du pays, que l'on décrit parfois comme étant la « partie montagneuse » du Sri Lanka. Il soutient qu'il risquerait d'être tué ou encore de subir des sanctions extrêmes ou un traitement inhumain s'il devait retourner au Sri Lanka, et ce en raison de son âge et son origine ethnique, de même qu'en raison d'allégations de sévices qu'il aurait subis avant de quitter le Sri Lanka pour se rendre au Canada, le 21 février 1999. À son arrivée au pays, il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Il a été débouté par la Section du statut de réfugié le 24 février 1999, essentiellement sur la base d'une conclusion selon laquelle il manquait de crédibilité.

[4]      L'agente a écrit, dans les « Notes au dossier » , sous les rubriques intitulées « Évaluation des risques de retour » et « Risque(s) identifié(s) par le(s) requérant(s) » :

M. Ramachandran allègue des risques de retour advenant un retour dans son pays d'origine le Sri Lanka. Il dit craindre pour sa vie, d'être torturé ou de subir des sanctions excessives de la part des militants du LTTE et des forces de sécurité sri-lankaises en raison de sa nationalité tamoule et de son appartenance à un groupe social minoritaire.

[5]      Voici ce que l'agente a écrit sous la rubrique intitulée « Analyse » :

Dans la décision du tribunal de la Section du statut (SSR), le panel a conclu que le demandeur n'était pas crédible et que son témoignage était évasif, inconsistant et rempli de contradictions.
Nonobstant la décision de la SSR, je me dois d'évaluer si M. Ramachandran court un risque réglementaire qui lui est personnel tel : Menace pour sa vie, imposition de sanctions excessives et traitements inhumains advenant son retour au Sri-Lanka.

[6]      L'avocate du demandeur a souligné que l'agente avait reconnu qu'elle était tenue d'évaluer le risque auquel le demandeur serait exposé s'il retournait au Sri Lanka, mais qu'elle n'avait pas mentionné qu'elle avait l'obligation d'apprécier les allégations factuelles du demandeur. Cela dit, l'agente a noté :

J'ai pris connaissance de toutes les notes au dossier du demandeur à savoir : Sa déclaration au point d'entrée, sa FRP, la décision de la SSR datée du 2 mars 1999 ainsi que ses représentations datées du 1er avril 1999. À la lumière des informations recueillies et après avoir consulté la documentation récente sur le pays mise à ma disposition, le demandeur ne m'a pas convaincue du bien-fondé des craintes formulées. Je n'ai pas trouvé dans la preuve soumise, des raisons me permettant de croire que sa vie serait menacée, qu'il subirait des traitements inhumains ou des sanctions sévères de la part des forces de sécurité sri-lankaises ou de la part des militants du LTTE advenant un retour dans son pays. De plus, à l'instar de la SSR j'ai relevé de nombreuses contradictions dans ses déclarations.

[7]      L'avocate du demandeur a soutenu que l'agente avait commis une erreur susceptible de contrôle à trois égards. Premièrement, elle a fait valoir que l'agente avait commis une erreur de droit en appréciant la preuve du fait qu'elle a négligé de tenir compte de certains éléments de preuve et qu'elle en a dénaturés certains autres; deuxièmement, elle a soutenu que l'agente était parvenue à une conclusion qu'elle ne pouvait pas raisonnablement tirer, selon laquelle le demandeur ne risquerait pas d'être tué ou encore de subir des sanctions extrêmes ou un traitement inhumain s'il devait retourner au Sri Lanka, et ce en raison des erreurs de droit qu'elle aurait commises; troisièmement, elle a avancé que l'agente avait violé les principes d'équité lorsqu'elle avait omis de communiquer au demandeur des éléments de preuve documentaire publique que le demandeur n'avait pas présentés et qui ne faisaient pas partie du dossier d'immigration de ce dernier, et lorsqu'elle a omis d'attirer l'attention du demandeur à ces éléments de preuve documentaire particuliers et de lui donner l'occasion d'y répondre.

[8]      Par contraste, l'avocat du défendeur a soutenu que l'agente n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle lorsqu'elle est parvenue à la conclusion qu'elle a tirée.

[9]      Dans Bagri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)2, mon collègue M. le juge Campbell a écrit, aux paragraphes 9 et 10 :

Dans l'arrêt Maldonado c. Canada (MEI), [...] la Cour d'appel fédérale a statué que lorsqu'un demandeur jure que certaines allégations sont vraies, ces allégations sont présumées vraies à moins qu'il existe des raisons de douter de leur véracité. La Cour a statué qu'un office agit de manière arbitraire en choisissant de ne pas ajouter foi au témoignage d'une demandeur lorsqu'il n'existe aucune raison valable de douter de sa véracité. Ainsi, bien qu'il soit loisible à la CISR, en tant qu'arbitre des faits, d'évaluer et d'apprécier la preuve, toute contradiction que la CISR découvre doit être appuyée par la preuve.
Dans l'arrêt Ahortor c. Canada (MEI), [...] le juge Teitelbaum a statué que la CISR avait commis une erreur en jugeant un demandeur non crédible parce qu'il n'était pas en mesure de fournir des preuves documentaires pour corroborer ses dires. Ainsi, bien que le défaut de soumettre des documents puisse constituer une conclusion de fait valable, ce fait ne peut servir à se prononcer sur la crédibilité du demandeur faute de preuve contredisant les allégations. [citations omises]

[10]      L'avocate du demandeur a soutenu que l'agente a commis une erreur en doutant de la crédibilité du demandeur au motif qu'il a omis de produire des éléments de preuve médicale ou photographique qui auraient étayé sa prétention selon laquelle il aurait subi des sévices qui l'auraient blessé alors qu'il était détenu à Colombo. L'agente a écrit :

En guise de preuve de torture, monsieur déclare avoir été blessé à un bras avec un couteau tranchant cependant, il n'en fournit pas la preuve, pas de photos, pas de certificat médical. Il n'a subi aucun traitement médical après sa présumée détention. Devant la SSR, il a déclaré avoir soigné sa blessure avec un onguent que son père a obtenu pour lui et il n'a pas eu besoin de se présenter à l'hôpital. À la lumière des informations recueillies ses allégations de torture m'apparaissent douteuses.

En outre, l'avocate a fait valoir que l'agente avait négligé de tenir compte de documents importants dont elle disposait, qui établissaient que des personnes qui, comme le demandeur, résident à Colombo, étaient assujetties à des descentes policières, même en leur lieu de résidence, et ce même si elles se cachaient la plupart du temps dans leur résidence, et que ces descentes donnaient lieu à des arrestations, des détentions, et de la torture.

[11]      Enfin, en ce qui concerne la première question, l'avocate du demandeur a soutenu que l'agente avait commis une erreur de droit lorsqu'elle a omis de tenir compte des allégations du demandeurs, qui soutenait qu'il n'avait pas de carte d'identité nationale, et de la preuve documentaire dont elle disposait, qui indiquait que la possession d'une carte d'identité nationale était essentielle, en particulier pour un jeune Tamoul, afin d'éviter d'être arrêté, détenu et battu de façon arbitraire à Colombo, et que l'obtention d'une telle carte était, pour une personne comme le demandeur, un processus « parsemé d'embûches » .

[12]      L'avocate du demandeur a soutenu que compte tenu des erreurs de droit susmentionnées que l'agente aurait commises, celle-ci ne pouvait tout simplement pas tirer la conclusion à laquelle elle est parvenue, surtout étant donné la nature prospective du critère qu'elle devait appliquer; en d'autres termes, la décision était abusive ou arbitraire.

[13]      Enfin, l'avocate du demandeur a soutenu que l'agente avait violé l'obligation d'agir équitablement qui lui incombait à l'égard du demandeur lorsqu'elle a abusé de son pouvoir discrétionnaire en adoptant, sans analyse, les conclusions de fait que la Section du statut de réfugié avait tirées, en particulier les conclusions relatives à la crédibilité du demandeur, et en se fondant sur des renseignements documentaires publics « nébuleux » pour étayer sa décision, sans avoir préalablement communiqué ces renseignements au demandeur et lui avoir fourni l'occasion d'y répondre. L'avocate a soutenu que si je tirais une telle conclusion en ce qui concerne la preuve documentaire, cela constituerait une extension raisonnable des principes que la Cour d'appel fédérale a adoptés dans l'arrêt Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)3.

[14]      Malgré l'habile plaidoirie de l'avocate du demandeur, je conclus que l'agente n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle lorsqu'elle a pris sa décision. Ses « Notes au dossier » concernant l' « Évaluation des risques de retour » sont très détaillées. Comme je l'ai déjà mentionné, l'agente a reconnu l'obligation qui lui incombait d'évaluer le risque auquel le demandeur serait exposé s'il devait retourner au Sri Lanka. Même s'il aurait été préférable qu'elle aille plus loin et reconnaisse qu'elle avait l'obligation d'apprécier la preuve dont elle disposait, quoiqu'en tenant compte de l'appréciation de la même preuve ou d'une preuve similaire dont disposait la Section du statut de réfugié, et qu'elle adopte cette appréciation, si elle la jugeait convenable, en fournissant des explications appropriées, l'omission de reconnaître expressément cette obligation ne constituait pas, en soi, une erreur susceptible de contrôle. Après avoir soigneusement examiné les « Notes au dossier » , j'ai conclu que l'agente avait, en fait, rempli cette obligation. Le seul fait que l'agente a décidé d'adopter plusieurs des conclusions de fait de la SSR ne permet pas, à mon avis, de conclure que l'agente a abusé de son pouvoir discrétionnaire.

[15]      Je suis convaincu que l'agente n'a pas violé les principes, susmentionnés, que mon collègue M. le juge Campbell a énoncés dans la décision Bagri.

[16]      Même si l'agente disposait certainement de nombreux éléments de preuve établissant que des personnes comme le demandeur, soit les jeunes Tamouls, peu importe où ils sont nés au Sri Lanka, courent le risque d'être arrêtées et détenues dans des descentes à Colombo, et, dans une moindre mesure, sont susceptibles de subir des sévices au cours de leur détention, je suis convaincu, compte tenu des réserves que l'agente avait au sujet de la crédibilité du demandeur, et malgré la nature prospective du critère que cette dernière devait appliquer, qu'elle pouvait raisonnablement tirer la conclusion à laquelle elle est parvenue, encore une fois malgré le fait que le demandeur n'a pas présentement une carte d'identité nationale en sa possession.

[17]      Enfin, je ne suis pas disposé, compte tenu des faits de l'affaire, à étendre les principes que la Cour d'appel fédérale a énoncés dans l'arrêt Haghighi, précité, de façon à reconnaître qu'une agente comme celle dont la décision est en cause dans la présente affaire a l'obligation de communiquer au demandeur les renseignements documentaires publics sur lesquels elle entend se fonder, et de donner au demandeur l'occasion de répondre à ces renseignements. Je ne suis pas convaincu, encore une fois sur la base des faits de l'affaire, que les principes que la Cour suprême du Canada a énoncés dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)4 concernant l'obligation d'agir de façon équitable ont une telle portée.

[18]      En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[19]      L'avocate du demandeur disposera d'un délai de sept (7) jours, depuis la date des présents motifs, pour faire des observations sur la certification d'une question, après avoir d'abord signifié ces observations à l'avocat du défendeur. Celui-ci disposera alors d'un délai de sept (7) jours pour signifier et déposer des observations en guise de réponse. L'avocate du demandeur pourra, dans un délai de trois (3) jours ouvrables à partir de la date de la signification de la réponse du défendeur, déposer une réplique, le cas échéant. Par la suite, une ordonnance sera rendue.

                                 « Frederick E. Gibson »

                                     J.C.F.C.


Ottawa (Ontario)

Le 24 août 2000






Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :              IMM-4019-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          BALAKRISHNAN RAMACHANDRAN c. MCI


LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 16 AOÛT 2000

MOTIFS DE JUGEMENT EXPOSÉS PAR M. LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :              24 AOÛT 2000


ONT COMPARU :         

F. XAVIER ET B. JACKMAN                      POUR LE DEMANDEUR

K. LUNNEY                                  POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

F. XAVIER

TORONTO                                  POUR LE DEMANDEUR

MORRIS ROSENBERG

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA              POUR LE DÉFENDEUR

__________________

1      DORS/78-172.

2      (1999), 168 F.T.R. 283.

3      [2000] A.C.F. no 854 (Q.L.) (C.A.F.).

4      [1999] 2 R.C.S. 817.

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