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Date : 20041012

Dossiers : IMM-1457-04

IMM-5633-03

Référence :2004 CF 1395

Ottawa (Ontario), le mardi 12 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

                                                         JANI MROSHAJ

                                                                                                                               demandeur

                                                                    - et -

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                 défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON


[1]                M. Mroshaj est un ressortissant albanais âgé de 26 ans qui a demandé l'asile en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la « Loi » ) en affirmant qu'il était traqué en Albanie. Sa revendication a été instruite le 13 janvier 2003 par un membre unique de la Section de la protection des réfugiés (la « SPR » ) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la « CISR » ). Lors de cette procédure, M. Mroshaj a obtenu l'autorisation de présenter à la SPR, dans un délai d'un mois, des documents additionnels, et c'est ce qu'il a fait.

[2]                M. Mroshaj jure avoir été informé par la Clinique des réfugiés de Halifax (qui, par l'entremise d'un avocat bénévole, le représente dans la présente instance) que la CISR avait informé la Clinique que, « quelques semaines après l'audition de [son] affaire » , le membre de la SPR qui avait présidé l'audience (la « présidente d'audience » ) s'était « absentée pour un congé de maladie prolongé » .

[3]                Le 23 juin 2003 (semble-t-il après avoir reçu cet avis), l'avocat de M. Mroshaj a écrit à la présidente d'audience. Cette lettre ne figure pas dans la preuve. Par une lettre datée du 27 juin 2003, le membre coordonnateur de la SPR pour le district Ottawa-Atlantique (le « membre coordonnateur » ) a répondu à l'avocat de M. Mroshaj que la présidente d'audience était en congé de maladie prolongé et qu'elle ne reviendrait pas avant l'automne de 2003. Le membre coordonnateur écrivait : « Je communique de temps à autre avec [la présidente d'audience] et je lui demanderai si elle est en mesure de statuer sur ces affaires » .


[4]                Le 9 juillet 2003, la présidente d'audience signait des motifs qui rejetaient la demande d'asile de M. Mroshaj au motif que sa demande n'était pas crédible et que M. Mroshaj avait, pour fonder sa demande d'asile, fabriqué une série d'arrestations et de passages à tabac.

[5]                Le 5 novembre 2003, M. Mroshaj demandait que son dossier soit rouvert devant la SPR parce que la présidente d'audience était en congé de maladie prolongé lorsqu'elle avait rendu sa décision et que [traduction] « il n'est pas raisonnable, ni acceptable, que celui ou celle qui a été jugé inapte à l'exercice de ses fonctions statue sur une affaire. Dans un tel cas, une nouvelle audience doit être convoquée » . Cette demande a été rejetée par le membre coordonnateur le 3 février 2004.

[6]                Ces deux demandes de contrôle judiciaire contestent respectivement la décision du 9 juillet 2003 de la présidente d'audience qui rejetait la demande d'asile de M. Mroshaj, et la décision du 3 février 2004 du membre coordonnateur qui refusait la réouverture du dossier. Par ordre de la Cour, les deux demandes ont été jointes pour être instruites ensemble.

POINTS LITIGIEUX

[7]                S'agissant de la première décision, les points soulevés au nom de M. Mroshaj sont les suivants :


1.          La présidente d'audience a-t-elle outrepassé sa compétence parce qu'elle a rendu une décision à une époque où elle n'était pas en mesure de se conformer à son obligation selon l'alinéa 153(1)h) de la Loi?

2.          La présidente d'audience a-t-elle outrepassé son pouvoir parce qu'elle a rendu une décision plus de huit semaines après s'être absentée pour un congé de maladie prolongé?

[8]                S'agissant de la deuxième décision, les points soulevés sont les suivants :

3.          Le membre coordonnateur a-t-il commis une erreur parce qu'il aurait évalué la demande de réouverture du dossier en appliquant la « mauvaise norme pour les principes de justice naturelle » ?

4.          Le membre coordonnateur a-t-il fondé sa décision sur des conclusions factuelles déraisonnables?

5.          Le membre coordonnateur a-t-il commis une erreur dans la manière dont il a interprété l'alinéa 153(1)h) de la Loi?


6.          Le membre coordonnateur a-t-il commis une erreur parce qu'il a revu sa propre décision?

[9]                M. Mroshaj a aussi soulevé deux nouveaux points dans sa réplique :

7.          Lors de l'audience, la présidente d'audience a-t-elle commis une erreur parce qu'elle a admis dans la preuve un document intitulé « Rapport sur l'Albanie » ?

8.          Y a-t-il eu manquement aux principes de l'équité procédurale parce que la CISR n'a pas soumis toute la preuve à la présidente d'audience?

Dispositions législatives applicables

[10]            M. Mroshaj invoque l'alinéa 153(1)h) et l'article 154 de la Loi. À mon avis, les dispositions suivantes de la Loi sont également applicables : les alinéas 153(1)a), d) et f), le paragraphe 153(3) et l'article 176.

[11]            Les dispositions mentionnées sont les suivantes :



153(1) Pour ce qui est du président et des commissaires de la Section de la protection des réfugiés, de la Section d'appel des réfugiés et de la Section d'appel de l'immigration :a) ils sont nommés à la Commission à titre inamovible pour un mandat maximal de sept ans par le gouverneur en conseil, sous réserve de révocation motivée de sa part, à tel de ses bureaux régionaux ou de district;

b) ils prêtent le serment professionnel ou la déclaration dont le texte figure aux règles de la Commission;

c) ils peuvent recevoir un nouveau mandat, à des fonctions identiques ou non;

d) ils reçoivent le traitement fixé par le gouverneur en conseil;

e) ils ont droit aux frais de déplacement et de séjour entraînés par l'accomplissement de leurs fonctions hors de leur lieu habituel de travail, s'ils sont nommés à temps plein, ou de résidence, s'ils le sont à temps partiel;

f) ils sont réputés appartenir à l'administration publique fédérale pour l'application de la Loi sur la pension de la fonction publique, de la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État et des règlements pris en vertu de l'article 9 de la Loi sur l'aéronautique;

g) ils ne détiennent ni n'acceptent de charge ou d'emploi - ni n'exercent d'activité - incompatibles avec leurs fonctions;

h) ceux nommés à temps plein se consacrent exclusivement à l'exécution des fonctions qui leur sont conférées par la présente loi.

[...]

153(1) The Chairperson and members of the Refugee Protection Division, Refugee Appeal Division and Immigration Appeal Division

(a) are appointed to the Board by the Governor in Council, to hold office during good behaviour for a term not exceeding seven years, subject to removal by the Governor in Council at any time for cause, to serve in a regional or district office of the Board;

(b) shall swear the oath or give the solemn affirmation of office set out in the rules of the Board;

(c) are eligible for reappointment in the same or another capacity;

(d) shall receive the remuneration that may be fixed by the Governor in Council;

(e) are entitled to be paid reasonable travel and living expenses incurred while absent in the course of their duties, in the case of a full-time member, from their ordinary place of work or, in the case of a part-time member, while absent from their ordinary place of residence;

(f) are deemed to be employed in the public service of Canada for the purposes of the Public Service Superannuation Act, the Government Employees Compensation Act and any regulations made under section 9 of the Aeronautics Act;

(g) may not accept or hold any office or employment or carry on any activity inconsistent with their duties and functions under this Act; and

(h) if appointed as full-time members, must devote the whole of their time to the performance of their duties under this Act.

[...]

153(3) Le président, les vice-présidents et les vice-présidents adjoints exercent leurs fonctions à temps plein et les autres commissaires visés au paragraphe (1), à temps plein ou à temps partiel.

[...]

153(3) The Chairperson and the Deputy Chairpersons and Assistant Deputy Chairpersons of the Divisions referred to in subsection (1) are appointed on a full-time basis and the other members are appointed on a full-time or part-time basis.

[...]


154. Le président peut demander à l'ancien commissaire de participer, dans les huit semaines suivant la cessation de ses fonctions, aux décisions à rendre sur les affaires qu'il avait entendues; il conserve alors sa qualité.

[...]

154. A former member of the Board, within eight weeks after ceasing to be a member, may make or take part in a decision on a matter that they heard as a member, if the Chairperson so requests. For that purpose, the former member is deemed to be a member.

[...]176. (1) Le président peut demander au ministre de décider si des mesures correctives ou disciplinaires s'imposent à l'égard d'un commissaire non rattaché à la Section de l'immigration.

176(1) The Chairperson may request the Minister to decide whether any member, except a member of the Immigration Division, should be subject to remedial or disciplinary measures for a reason set out in subsection (2).

176(2) La demande est fondée sur le fait que le commissaire n'est plus en état de s'acquitter efficacement de ses fonctions pour cause d'invalidité, s'est rendu coupable de manquement à l'honneur ou à la dignité, a manqué aux devoirs de sa charge ou s'est placé en situation d'incompatibilité, par sa propre faute ou pour toute autre cause.

176(2) The request is to be based on the reason that the member has become incapacitated from the proper execution of that office by reason of infirmity, has been guilty of misconduct, has failed in the proper execution of that office or has been placed, by conduct or otherwise, in a position that is incompatible with due execution of that office.


ANALYSE

1. La présidente d'audience a-t-elle outrepassé sa compétence parce qu'elle a rendu sa décision relative à M. Mroshaj « à une époque où elle n'était pas en mesure de se conformer à son obligation selon l'alinéa 153(1)h) de la Loi » ?

[12]            M. Mroshaj affirme que, pendant qu'elle était en congé de maladie, la présidente d'audience n'était pas en mesure de consacrer tout son temps à l'exercice de ses fonctions. Selon lui, le fait que la présidente d'audience ait pris un congé de maladie est le signe qu'elle n'était pas en mesure de continuer son emploi à temps plein auprès de la CISR. Il s'ensuit, affirme-t-il, qu'un membre qui ne peut pas se conformer à l'alinéa 153(1)h) de la Loi n'a pas le pouvoir de statuer sur une demande d'asile.

[13]            Je rejette cet argument, pour les motifs suivants.


[14]            D'abord, le paragraphe 153(3) de la Loi prévoit que les membres de la SPR peuvent être nommés à temps plein ou à temps partiel. L'obligation pour un membre de consacrer tout son temps à l'exercice de ses fonctions selon ce que prévoit la Loi ne s'applique qu'aux membres à temps plein. M. Mroshaj jure que, lors de l'instruction de son cas, il croyait que la présidente d'audience était un membre à temps plein de la SPR, mais il n'explique pas pourquoi il avait cette conviction. Il n'est donc pas établi d'une manière convaincante que la présidente d'audience était un membre à temps plein de la SPR, de telle sorte qu'elle eût été obligée de consacrer tout son temps à ses fonctions selon la Loi.

[15]            Deuxièmement, et aspect plus important, l'alinéa 153(1)h) de la Loi n'empêche pas à mon avis un membre de la SPR de prendre un congé, que ce soit pour des raisons de santé, de maternité ou autres. Ce que dit cette disposition, c'est que, pour qu'une personne qui est nommée membre à temps plein de la SPR reçoive la rémunération fixée pour ce poste et soit réputée un employé de la fonction publique du Canada, elle doit agir en tant que membre à temps plein et ne pas occuper un autre emploi ni fournir d'autres services.


2. La présidente d'audience a-t-elle outrepassé son pouvoir parce qu'elle a pris la décision en cause plus de huit semaines après s'être absentée pour un congé de maladie prolongé?

[16]            L'article 154 de la Loi permet à un ancien membre de la CISR de rendre une décision sur une affaire qu'il a instruite comme membre, au cours des huit semaines après qu'il a cessé d'être membre de la CISR. M. Mroshaj dit qu'un employé qui est en congé devrait être considéré comme un ancien membre de la CISR jusqu'à ce qu'il revienne travailler pour la CISR. Il dit que la situation d'un employé en congé de maladie prolongé s'apparente davantage à celle d'un membre en retraite qu'à celle d'un membre actif, parce qu'un employé en congé de maladie n'exerce pas de fonctions liées à son poste ni ne reçoit un traitement. Il s'ensuit, d'affirmer M. Mroshaj, que la présidente d'audience a rendu la décision au-delà du délai de huit semaines et qu'elle n'avait donc pas le pouvoir de le faire.

[17]            Je rejette cet argument, parce que je n'accepte pas le postulat selon lequel un « employé » de la CISR qui est en congé de maladie devrait être considéré comme un ancien employé de la CISR.


[18]            L'alinéa 153(1)a) de la Loi prévoit expressément qu'un membre de la CISR occupe sa charge pour la durée de sa nomination, sous réserve uniquement d'une révocation motivée décidée par le gouverneur en conseil. L'absence pour raisons de santé ne met pas fin à la nomination.

[19]            L'argument de M. Mroshaj ne s'accorde pas non plus avec l'article 176 de la Loi, qui prévoit qu'un membre peut se voir imposer des mesures correctives ou disciplinaires, notamment s'il n'est plus en état de s'acquitter efficacement de ses fonctions pour cause d'invalidité. Une telle disposition ne serait pas nécessaire si, n'étant plus en état de s'acquitter efficacement de ses fonctions pour cause d'invalidité, un membre cessait d'être membre de la CISR.

[20]            Avant de laisser là cette question, je relève qu'aucune preuve n'indique depuis combien de temps la présidente d'audience était en congé de maladie lorsqu'elle a décidé de rejeter la demande d'asile de M. Mroshaj.

3. Le membre coordonnateur a-t-il commis une erreur parce qu'il aurait évalué la demande de réouverture du dossier en appliquant « la mauvaise norme pour les principes de justice naturelle » ?


[21]            M. Mroshaj fait observer que, lorsque le membre coordonnateur a étudié sa demande de réouverture du dossier, il s'est demandé si la réouverture du dossier était justifiée par un possible manquement à un principe de justice naturelle, comme le prévoit le paragraphe 55(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228. M. Mroshaj reproche au membre coordonnateur d'avoir considéré la justice naturelle comme une « liste de provisions » en donnant une énumération très restreinte de ce qu'étaient, selon lui, les principes de justice naturelle. Selon M. Mroshaj, le membre coordonnateur n'a considéré que l'absence d'avis, la compétence de l'avocat, le droit de témoigner sans menaces ni contrainte et le point de savoir si l'audience avait été entachée d'irrégularités.

[22]            Je suis d'avis que le membre coordonnateur n'a pas commis l'erreur alléguée.

[23]            Dans sa demande de réouverture du dossier, M. Mroshaj ne faisait pas état de ses doutes sur tel ou tel principe de justice naturelle. Il s'est plutôt limité à dire que la présidente d'audience était en congé de maladie lorsque la décision avait été signée. Dans sa décision de ne pas rouvrir le dossier, le membre coordonnateur a examiné certaines situations qui pouvaient entraîner un manquement aux principes de justice naturelle, puis il a conclu par le sommaire général suivant :

14.            Finalement, rien ne me porte à croire qu'il y a eu durant l'audience des irrégularités telles qu'il en résulterait un manquement à un principe de justice naturelle.

15.            Le membre était en congé de maladie lorsqu'elle a signé la décision concernant la revendication du demandeur, mais, en l'absence d'une preuve dénotant un désordre ou un trouble mental, cela ne permet pas d'affirmer que, durant son congé de maladie, le membre était inhabile ou inapte à rendre des décisions raisonnées et motivées.

16.            Je n'ai pas non plus la preuve que, lorsqu'elle a autorisé le congé de maladie du membre, la CISR était d'avis que le membre Noseworthy était inhabile ou inapte à rendre des décisions, et rien ne permet d'affirmer qu'elle était tenue pour inapte ou inhabile.


[24]            À mon avis, le membre coordonnateur a validement et consciencieusement disposé de la demande de réouverture qui lui a été présentée.

4. Le membre coordonnateur a-t-il fondé sa décision sur des conclusions factuelles déraisonnables?

[25]            Comme on l'a vu ci-dessus, le membre coordonnateur est arrivé à la conclusion, au paragraphe 15 de sa décision, que, même si la présidente d'audience était en congé de maladie lorsqu'elle a rendu sa décision, cela ne suffisait pas à établir qu'elle était médicalement inhabile à rendre une décision.

[26]            M. Mroshaj reproche à la CISR d'avoir choisi de ne présenter aucune preuve en réponse à sa demande de contrôle judiciaire, et au membre coordonnateur de ne pas avoir motivé sa conclusion. M. Mroshaj dit que l'unique preuve qu'avait le membre coordonnateur était que la présidente d'audience était en congé de maladie prolongé. M. Mroshaj dit que, vu cette circonstance, la seule conclusion raisonnable à laquelle pouvait arriver le membre coordonnateur était que la présidente d'audience était médicalement inhabile à accomplir ses fonctions de membre de la Commission.


[27]            Encore une fois, je rejette le postulat à l'origine de l'argument de M. Mroshaj. Il dit que, parce que la présidente d'audience était en congé de maladie prolongé, la seule conclusion raisonnable est qu'elle était médicalement inhabile à statuer sur son cas. Puisqu'il n'existe aucune indication de la nature de l'affection médicale qui a conduit au congé de maladie, il est à mon avis tout aussi juste de conclure que le congé résultait d'un état de santé qui ne mettrait pas en péril ni ne réduirait l'aptitude d'un membre à se donner un temps de réflexion et à rédiger des motifs concernant une affaire déjà instruite. Par exemple, le fait d'être enceinte, parmi d'autres états, pourra certes empêcher la personne concernée de tenir séance durant quelque temps, mais sans que cela nuise aux aptitudes cognitives requises pour rendre validement une décision. Il est utile de noter ici que, jusqu'au dépôt de sa réplique, M. Mroshaj n'a avancé aucun grief fondamental à l'encontre de la décision de la présidente d'audience.

5. Le membre coordonnateur a-t-il commis une erreur dans la manière dont il a interprété l'alinéa 153(1)h) de la Loi?

[28]            Le membre coordonnateur est arrivé à la conclusion que le mot « exclusivement » , employé dans l'alinéa 153(1)h) de la Loi, ne signifie pas que les attributions d'un membre de la Commission deviennent caduques ou sont suspendues lorsque le membre est en congé de maladie. Pour les motifs exposés dans la première sous-rubrique ci-dessus, je suis d'avis que le membre coordonnateur a interprété validement l'alinéa 153(1)h) de la Loi.


6. Le membre coordonnateur a-t-il commis une erreur parce qu'il a revu sa propre décision?

[29]            M. Mroshaj dit que le membre coordonnateur a décidé de demander à la présidente d'audience de rendre sa décision alors qu'elle était en congé de maladie, de telle sorte que la demande de réouverture du dossier de M. Mroshaj « est une mise en question de la décision [du membre coordonnateur] d'inviter la [présidente d'audience] à rendre une décision alors qu'elle était en congé de maladie » . Il s'ensuit, de l'avis de M. Mroshaj, que le membre coordonnateur s'est fourvoyé en examinant sa propre décision et que l'affaire aurait dû être examinée par quelqu'un d'autre.

[30]            La preuve à l'appui de cet argument ne repose à mon avis sur aucun fondement. Le dossier ne fait état d'aucune décision du membre coordonnateur de demander à la présidente d'audience de rendre sa décision. La preuve invoquée par M. Mroshaj est la lettre du membre coordonnateur, citée plus haut au paragraphe 3. M. Mroshaj jure que, compte tenu de la lettre, « j'ai la conviction que [le membre coordonnateur] a demandé [à la présidente d'audience] de rendre une décision dans cette affaire » .

[31]            Il faut se rappeler que la lettre précise que le membre coordonnateur demandera à la présidente d'audience si elle est en état de rendre une décision. On pourrait tout aussi bien dire que c'est la présidente d'audience qui a résolu de rendre sa décision dans le dossier alors qu'elle était en congé de maladie.


7. La présidente d'audience a-t-elle commis une erreur en admettant dans la preuve le document intitulé « Rapport sur l'Albanie » ?

[32]            Le document en cause était un rapport préparé par un agent de contrôle de l'immigration. Le texte du rapport n'indiquait pas les sources des renseignements qu'il contenait. Les sources étaient énumérées dans un appendice qui n'était pas annexé au rapport lorsque le rapport a été déposé comme pièce. En acceptant le document dans la preuve, la présidente d'audience s'était exprimée ainsi :

[traduction]

En général, lorsque nous demandons qu'une recherche soit faite, par exemple par notre Direction de la recherche, encore qu'elle ne soit pas faite par la Direction de la recherche -- elle est faite par un agent de contrôle de l'immigration -- nous ne révélons pas habituellement nos contacts parce que... eh bien nous voulons pouvoir y revenir pour y trouver des renseignements, et, si nos contacts sont constamment appelés par les avocats, nous finissons par les perdre très rapidement.

Je ne sais pas si c'est la raison pour laquelle je n'ai pas une liste de contacts dans ce document particulier, qui vient de...

L'AVOCAT (à la présidente d'audience)

-                Notre ambassade, à Rome.

LA PRÉSIDENTE D'AUDIENCE (à l'avocat)

-                Je ne dirais pas que je...

L'AVOCAT (à la présidente d'audience)

-                Je crois savoir que ce document a en fait été établi à la demande de la CISR.

LA PRÉSIDENTE D'AUDIENCE (à l'avocat)

-                Où voyez-vous cela?

L'AVOCAT (à la présidente d'audience)

-                C'est le premier paragraphe. Il dit que le rapport vise à répondre à certaines des questions posées à la mission par les membres de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qui statuent sur les demandes d'asile présentées par les Albanais au Canada.


LA PRÉSIDENTE D'AUDIENCE (à l'avocat)

-                D'accord. Je veux dire, je ne sais pas comment le rapport est apparu après cela. Je ne suis intervenue d'aucune façon. J'ai donc décidé d'admettre en preuve le document parce que je crois -- eh bien, c'est le document le plus récent que je connaisse à propos de la situation du Parti démocratique en Albanie, et il renferme une bonne quantité de renseignements. Celui qui a préparé le document a parlé à des hauts représentants de divers partis politiques, d'ambassades, d'organisations internationales, d'ONG, de médias, de la police nationale, de la magistrature et autres institutions publiques. C'est un rapport de terrain, qui est très utile également pour la Section, parce que plusieurs emplacements ont été visités sur le terrain en Albanie. C'est donc vraiment un document très utile pour la Section. Il est très détaillé, très récent, et sa préparation semble avoir été précédée de nombreuses consultations. Le fait que les noms ne soient pas mentionnés ne constitue pas à mon avis une raison suffisante pour ne pas le consigner dans la preuve. Je vais donc consigner le document dans la preuve. [C'est moi qui souligne]

[33]            Les alinéas 170g) et h) de la Loi prévoient ce qui suit :


170. Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section de la protection des réfugiés :

[...]

170. The Refugee Protection Division, in any proceeding before it,

[...]

g) n'est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve;

(g) is not bound by any legal or technical rules of evidence;

h) peut recevoir les éléments qu'elle juge crédibles ou dignes de foi en l'occurrence et fonder sur eux sa décision;

(h) may receive and base a decision on evidence that is adduced in the proceedings and considered credible or trustworthy in the circumstances;


[34]            La présidente d'audience n'était donc pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve et elle pouvait recevoir les éléments qu'elle jugeait crédibles ou dignes de foi en l'occurrence et fonder sur eux sa décision. Le fait que le rapport désignait généralement par le poste et non par le nom les sources de renseignements était un facteur dont la présidente d'audience pouvait tenir compte lorsqu'elle a décidé du poids à accorder au rapport.


[35]            M. Mroshaj n'a pas prouvé que la présidente d'audience a commis une erreur sujette à révision lorsqu'elle a admis le rapport dans la preuve.

8. Y a-t-il eu manquement aux principes de l'équité procédurale parce que la CISR n'a pas soumis toute la preuve à la présidente d'audience?

[36]            Le document additionnel produit après l'audience par M. Mroshaj ne figure pas dans le dossier du tribunal remis à la Cour et il n'est pas mentionné non plus dans la décision de la présidente d'audience. M. Mroshaj en conclut que son document postérieur à l'audience ne se trouvait pas devant la présidente d'audience.

[37]            Cet argument soulève à mon avis deux points. Voici le premier : lorsque le dossier certifié du tribunal ne contient pas le document et lorsque la présidente d'audience ne fait pas état du document dans ses motifs, peut-on en déduire que la présidente d'audience n'avait pas devant elle le document? Puisque le document était mentionné par le membre coordonnateur dans sa décision, il est clair qu'il a été reçu par la CISR. Étant donné aussi que la SPR n'est pas tenue de faire état dans ses motifs de chacun des documents qu'elle avait devant elle, il se peut fort bien que la présidente d'audience avait le document devant elle lorsqu'elle a rendu sa décision, mais qu'elle a pensé qu'il était trop peu important pour mériter d'être mentionné.


[38]            Le deuxième point est lié au premier. Il découle du fait que M. Mroshaj n'a pas déposé comme preuve devant la Cour le rapport sur l'Albanie, ou qu'il n'a pas demandé une autorisation en ce sens. La Cour n'a donc pas connaissance de la nature et du contenu des conclusions postérieures à l'audience.

[39]            Cela constitue pour la Cour un obstacle significatif. Comme la Cour n'est pas à même de mesurer l'intérêt que peut présenter la preuve, il lui est impossible de dire si la présidente d'audience aurait dû faire état de cette preuve dans ses motifs, et il lui est impossible également de dire si les conclusions postérieures à l'audience auraient pu modifier la décision à laquelle est arrivée la SPR.

[40]            Cette lacune de la preuve, qu'il était dans le pouvoir de M. Mroshaj de corriger ou qu'il pouvait demander l'autorisation de corriger, fait qu'il est impossible pour la Cour de dire qu'il y a eu manquement aux principes de justice naturelle, parce que le document a fort bien pu se trouver devant la présidente d'audience lorsqu'elle a rendu sa décision, si ce n'est qu'il présentait si peu d'intérêt qu'elle n'a pas jugé utile d'en faire état. D'ailleurs, même si la présidente d'audience n'avait pas le document devant elle, il est fort possible que le renvoi de l'affaire à la SPR ne se justifiait pas puisque M. Mroshaj n'avait pas été jugé crédible. Voir l'arrêt Yassine c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 172 N.R. 308 (C.A.F.).


[41]            Il appartenait à M. Mroshaj de prouver un manquement aux principes de justice naturelle et de présenter comme preuve le document postérieur à l'audience.

DISPOSITIF

[42]            Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[43]            M. Mroshaj a proposé que la question suivante soit certifiée :

Un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié peut-il rendre une décision alors qu'il est en congé de maladie prolongé?

[44]            M. Mroshaj ne m'a pas convaincue que la question proposée est une question grave de portée générale ou que, le fût-elle, elle est appuyée par une preuve adéquate dans le dossier. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

ORDONNANCE

[45]            LA COUR ORDONNE :

1.          Chacune des demandes de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Aucune question n'est certifiée.

                                                                                                             _ Eleanor R. Dawson _          

                                                                                                                                         Juge                         

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                             IMM-1457-04 et IMM-5633-03

INTITULÉ :                                              JANI MROSHAJ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                        HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 14 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                              LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                             LE 12 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Joshua J. Judah                                                                          POUR LE DEMANDEUR

Melissa R. Cameron                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Clinique des réfugiés de Halifax

Halifax (Nouvelle-Écosse)                                                         POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                            POUR LE DÉFENDEUR


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