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Date : 20191231


Dossier : T-1795-18

Référence : 2019 CF 1661

Ottawa (Ontario), le 31 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

ANDRÉE GAGNON

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  L’aperçu

[1]  La demanderesse, Mme Andrée Gagnon, a participé à un processus de dotation mené par son employeur, l’Agence de revenu du Canada [ARC], pour un poste de conseiller technique. Sa candidature n’a pas été retenue. Mme Gagnon a alors demandé de consulter les résultats et le contenu des évaluations de la candidate choisie, ce que l’ARC lui a refusé. Elle a donc intenté un recours en vertu des Procédures sur le recours en matière de dotation (Programme de dotation) mises en place par l’ARC [Procédures], pour avoir accès à ces informations. Dans une décision rendue le 1er juin 2018, un réviseur indépendant, Me Jean Alain Corbeil [Réviseur], a déterminé que le refus par l’ARC de divulguer les renseignements demandés par Mme Gagnon portait atteinte aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle, et a recommandé que l’erreur soit corrigée.

[2]  À la suite de la décision du Réviseur, l’ARC a nommé une nouvelle gestionnaire, Mme Danielle Hébert [Gestionnaire], pour réexaminer la demande de divulgation de Mme Gagnon. Après son analyse, la Gestionnaire a accepté de divulguer au représentant syndical de Mme Gagnon les résultats et le contenu des examens écrits de la candidate retenue, mais elle n’a remis que les résultats à Mme Gagnon. La Gestionnaire a informé Mme Gagnon de sa décision oralement le 18 juin 2018, puis par écrit le 6 août 2018.

[3]  Insatisfaite de la seule divulgation des résultats et la jugeant non conforme à la décision du Réviseur, Mme Gagnon soumet la présente demande de contrôle judiciaire à la Cour. Elle soutient que le contenu des évaluations de la candidate retenue est pertinent et doit lui être divulgué pour répondre à ses préoccupations et lui permettre de déterminer si, comme elle le croit, elle a été traitée de façon arbitraire lors du processus de dotation. Mme Gagnon considère que l’ARC n’a pas corrigé son erreur comme le lui ordonnait le Réviseur. Elle demande à la Cour d’ordonner l’émission d’un bref de mandamus afin de contraindre l’ARC à lui divulguer le contenu des évaluations de la candidate retenue.

[4]  Le procureur général du Canada [PGC], à titre de défendeur, s’objecte à la demande de Mme Gagnon. Il note d’abord que le recours logé par Mme Gagnon confond la décision du Réviseur de janvier 2018 et la décision subséquente de la Gestionnaire visant à y donner suite. Le PGC soutient que la demande de contrôle judiciaire de Mme Gagnon est tardive, n’ayant été logée que le 10 octobre 2018, largement au-delà du délai de 30 jours prescrit par l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 [Loi] pour présenter une telle demande. Au surplus, le PGC soumet que, vu les démarches entreprises par la Gestionnaire, l’ARC s’est déjà conformée aux exigences de la décision du Réviseur et que les conditions pour l’émission d’un bref de mandamus ne sont pas satisfaites. Le remède souhaité par Mme Gagnon, ajoute le PGC, ne fait pas partie de l’ordonnance émise par le Réviseur et outrepasserait les pouvoirs dont il disposait.

[5]  Le recours de Mme Gagnon soulève deux questions. D’une part, la demande de contrôle judiciaire de Mme Gagnon est-elle tardive et, si tel est le cas, la Cour devrait-elle prolonger le délai pour le dépôt de sa demande? D’autre part, le recours intenté par Mme Gagnon satisfait-il les critères applicables pour la délivrance d’un bref de mandamus?

[6]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire déposée par Mme Gagnon doit être rejetée. Après avoir examiné la preuve présentée par Mme Gagnon et les décisions du Réviseur et de la Gestionnaire, je ne suis pas en mesure de conclure que Mme Gagnon a satisfait aux exigences pour obtenir une prorogation de délai ou que, dans les circonstances de la présente espèce, il serait dans l’intérêt de la justice d’exercer mon pouvoir discrétionnaire de lui accorder une telle prorogation. Par ailleurs, même en présumant que la demande de Mme Gagnon ne serait pas tardive, elle ne rencontre pas les critères bien établis par la jurisprudence pour l’émission d’un bref de mandamus. L’ordonnance que Mme Gagnon souhaite obtenir de la Cour n’est pas nécessaire, car l’ARC s’est déjà conformée à la décision et a donné suite aux conclusions du Réviseur.

II.  Le contexte

A.  Les faits

[7]  La présente demande s’inscrit dans le contexte d’un processus de dotation de l’ARC. En vertu du paragraphe 54(1) de la Loi sur l’Agence du revenu du Canada, LC 1999, c 17, l’ARC a le pouvoir de développer son propre programme de dotation et d’établir ses politiques et procédures internes pour l’encadrer. Ainsi, l’ARC a élaboré un programme de dotation comprenant quatre étapes distinctes : la planification, l’examen des préalables, l’évaluation et la nomination. Les Procédures adoptées par l’ARC offrent notamment aux employés de l’ARC trois types de recours possibles à l’encontre des décisions prises dans le cadre d’un processus de dotation, soit la rétroaction individuelle [RI], la révision de la décision [RD] et la révision par un tiers indépendant [RTI] (article 5.2 des Procédures).

[8]  Ces recours permettent aux candidats insatisfaits du processus de dotation d’en contester certaines étapes s’ils estiment avoir faire l’objet d’un traitement arbitraire, et de demander la divulgation de renseignements ayant mené à la décision les affectant (articles 5.5 et 5.6 des Procédures). À l’étape de la RD, un employé peut obtenir des renseignements sur lui-même et sur les autres candidats impliqués, à la condition que ces renseignements aient été utilisés par l’ARC dans sa prise de décision. Dans le cadre d’une RTI, un réviseur indépendant peut tirer une conclusion défavorable à l’encontre de l’ARC et recommander de corriger l’erreur commise s’il considère qu’il y a eu un traitement arbitraire. Cela dit, le pouvoir d’un réviseur indépendant comporte des limites, et ce dernier ne peut ordonner la production de documents ni déterminer la manière précise pour corriger une erreur.

[9]  En mars 2017, Mme Gagnon pose sa candidature dans le cadre d’un processus de dotation pour un poste de conseiller technique, examen des comptes en fiducie/observation des comptes en fiducie, au sein de l’ARC. Mme Gagnon réussit l’étape de l’examen des préalables, ainsi que l’étape de l’évaluation. À la suite de cette étape de l’évaluation, seules Mme Gagnon et la candidate éventuellement retenue, Mme Annie McLean, demeurent en liste et figurent dans le répertoire pour le poste en question. Elles sont donc les seules candidates pouvant être considérées à l’étape finale de la nomination. Le 4 mai 2017, Mme Gagnon est ainsi informée du fait qu’elle est l’une des candidates retenues et des recours qui lui sont disponibles à cette étape du processus de dotation. Mme Gagnon ne fait toutefois aucune demande de recours à l’étape de l’évaluation ni ne demande de consulter ses propres évaluations.

[10]  Le 3 octobre 2017, après l’étape de la nomination, Mme Gagnon reçoit un avis de recours de l’ARC, lequel mentionne notamment sa moyenne obtenue suite aux évaluations, soit 77.4 %. L’avis de recours rappelle également que la sélection est basée sur le critère de la meilleure moyenne et que, pour cette raison, Mme Gagnon n’est pas retenue pour le poste. L’ARC nomme en effet Mme McLean, soit la candidate ayant obtenu la meilleure moyenne des notes décernées dans l’évaluation des quatre compétences pertinentes pour le poste. Suite à la réception de cet avis, Mme Gagnon participe d’abord à une RI avec la gestionnaire d’embauche chargée du processus de dotation, qui lui explique alors que l’exigence de dotation à l’étape de la nomination est la moyenne des évaluations des candidats. Mécontente du résultat de cette rétroaction individuelle, Mme Gagnon formule ensuite une demande de RTI, conformément aux Procédures. Mme Gagnon ne demande cependant pas une RD.

[11]  Au soutien de sa demande de RTI, Mme Gagnon indique qu’elle désire consulter les résultats et le contenu des examens de la candidate retenue, Mme McLean, pour savoir si elle a effectivement subi un traitement arbitraire dans le processus de nomination. Selon Mme Gagnon, la consultation de ces renseignements est essentielle pour vérifier si Mme McLean a réellement obtenu la moyenne la plus élevée à la suite d’une correction non arbitraire des évaluations par l’ARC, comme cette dernière le prétend.

[12]  Pour faire suite à sa demande de RTI, Mme Gagnon achemine à l’ARC une liste de renseignements qu’elle désire obtenir afin de déterminer s’il y a eu traitement arbitraire dans la nomination de la candidate retenue. Le 22 décembre 2017, n’ayant toujours pas reçu les renseignements demandés, Mme Gagnon envoie ses allégations à l’ARC. En réponse, l’ARC transmet une partie des renseignements demandés par Mme Gagnon, sans toutefois divulguer les résultats de la candidate retenue pour les quatre évaluations sur lesquelles l’ARC s’est fondée pour prendre sa décision au stade de la nomination. L’ARC envoie également une copie des évaluations afin que Mme Gagnon puisse confirmer que lesdits résultats ont été correctement comptabilisés.

[13]  Après plusieurs tentatives par Mme Gagnon pour obtenir la totalité des renseignements demandés, elle reçoit un courriel de l’ARC en date du 8 janvier 2018, dans lequel l’agence justifie son refus de fournir les renseignements supplémentaires demandés au motif que le répertoire ne contient que deux candidates admissibles à l’étape finale. De ce fait, affirme l’ARC, il lui est impossible de fournir les renseignements demandés sans contrevenir aux obligations prévues à la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21.

[14]  Dans sa demande de RTI, Mme Gagnon soumet les allégations finales suivantes au Réviseur :

1. Nous alléguons que la moyenne des notes obtenues par la partie demanderesse dans le cadre des évaluations utilisées au stade de la nomination est plus élevée que celle de la candidate qui a été sélectionnée par l’ARC, ce qui fait preuve d’un traitement arbitraire de la part de l’ARC envers la partie demanderesse. Nous demandons au réviseur ou à la réviseure de nous donner gain de cause sur la base du principe de la conclusion défavorable, mentionné à l’article 5.6.11 des Procédures.

2. Nous alléguons que les réponses aux questions comprises dans les évaluations utilisées au stade de la nomination ont été évaluées et/ou comptabilisées de façon arbitraire par l’ARC. Nous demandons au réviseur ou à la réviseure de nous donner gain de cause sur la base du principe de la conclusion défavorable, mentionné à l’article 5.6.11 des Procédures.

[15]  En février 2018, Me Corbeil est assigné à titre de Réviseur pour revoir le dossier de Mme Gagnon. Le 1er juin 2018, le Réviseur rend une conclusion défavorable à l’encontre de l’ARC aux termes de l’article 5.6.11 des Procédures, déclarant que Mme Gagnon a fait l’objet d’un traitement arbitraire. Il mentionne notamment qu’à son avis, le refus de l’ARC de divulguer l’information demandée enfreint les principes d’équité procédurale et de justice naturelle. Ainsi, le Réviseur ordonne à l’ARC de corriger l’erreur commise dans les plus brefs délais, soit le traitement arbitraire subi par Mme Gagnon en raison du refus de lui divulguer tous les renseignements demandés. Le Réviseur recommande également qu’un nouveau gestionnaire soit chargé de mettre en œuvre ladite correction, et que la nomination de la candidate retenue soit révoquée dans l’éventualité où la moyenne de ses résultats serait inférieure à celle de Mme Gagnon. Dans la décision, le Réviseur reconnaît toutefois ne pas disposer du pouvoir d’ordonner la divulgation des renseignements souhaités par Mme Gagnon.

B.  La décision contestée

[16]  À la suite de la décision du Réviseur, l’ARC nomme une nouvelle gestionnaire, Mme Hébert, pour mettre en œuvre les mesures correctives. Je souligne que Mme Gagnon ne conteste pas la décision du Réviseur comme telle, mais considère plutôt que la mise en œuvre des mesures correctives par l’ARC ne respecte pas l’ordonnance du Réviseur. En d’autres mots, elle conteste la décision de la Gestionnaire qui devait y donner suite.

[17]  Au terme de son analyse, la Gestionnaire accepte de transférer tous les renseignements demandés par Mme Gagnon à M. Mathieu Juneau, le représentant syndical de Mme Gagnon, avec une déclaration de confidentialité empêchant M. Juneau de partager ces renseignements avec Mme Gagnon. Ces renseignements incluent à la fois les résultats et le contenu des évaluations de la candidate retenue. Lors d’une rencontre subséquente entre la Gestionnaire et Mme Gagnon tenue le 18 juin 2018, seuls les résultats des évaluations de la candidate retenue sont partagés avec Mme Gagnon, et non le contenu complet des évaluations.

[18]  Le 6 août 2018, la Gestionnaire explique par écrit à Mme Gagnon que la divulgation des résultats confirme que la candidate retenue avait effectivement une meilleure moyenne que Mme Gagnon, et avait donc obtenu les meilleurs résultats à l’étape de l’évaluation. La Gestionnaire déclare également que la divulgation du contenu des évaluations de la candidate retenue n’est pas nécessaire puisque la divulgation des résultats suffit à démontrer l’équité du processus de nomination et de dotation. Dans son courriel du 6 août, la Gestionnaire fournit notamment les explications suivantes à l’appui de sa décision de divulguer uniquement les résultats de la candidate retenue à Mme Gagnon : 1) seuls les résultats des évaluations étaient pertinents et ont effectivement été utilisés à l’étape de la nomination, et non le contenu de ces évaluations; 2) les allégations de Mme Gagnon ne contiennent aucun élément de preuve permettant de conclure à un traitement arbitraire; et 3) Mme Gagnon aurait pu, et aurait dû déposer un recours à l’étape de l’évaluation (plutôt qu’à l’étape de la nomination) si elle souhaitait obtenir le contenu des évaluations, puisqu’elle aurait dû savoir que les notes obtenues à l’étape de l’évaluation pourraient s’avérer déterminantes à l’étape de la nomination.

[19]  À l’appui de sa décision de ne pas divulguer le contenu des évaluations et de ne fournir que les résultats, la Gestionnaire cite la position de la juge Kane dans Qui c Canada (Agence du Revenu), 2018 CF 392 [Qui]. Dans cette décision, la partie demanderesse contestait la conclusion d’une réviseure à l’effet qu’elle n’avait pas la compétence pour ordonner la divulgation des renseignements à l’étape de la nomination. La réviseure avait tiré cette conclusion au motif que : 1) la partie demanderesse avait un recours pertinent qu’elle aurait dû poursuivre avant d’initier la RTI; et 2) la partie demanderesse a décidé de ne pas profiter de tous les recours disponibles lors de l’étape de l’évaluation. Madame la juge Kane a déterminé que cette décision de la réviseure de décliner compétence était raisonnable et suffisamment intelligible. Plus particulièrement, la juge Kane s’est dite d’accord avec la réviseure à l’effet que les recours intentés en vertu des Procédures doivent être utilisés au moment opportun (Qui au para 87).

[20]   S’appuyant sur la décision Qui, la Gestionnaire considère donc que Mme Gagnon n’a pas utilisé tous les recours qui lui étaient disponibles suivant l’étape de l’évaluation. De plus, elle ajoute que Mme Gagnon aurait dû savoir, à la lecture de l’avis d’emploi, que les notes obtenues à la suite des évaluations pourraient être déterminantes à l’étape de la nomination. Enfin, puisque le Réviseur n’avait pas ordonné la production du contenu des évaluations, il lui incombait maintenant, à titre de Gestionnaire mandatée pour déterminer quels renseignements pouvaient être divulgués, de décréter ce qui devait faire l’objet de la divulgation.

III.  L’analyse

A.  La prorogation de délai

[21]  Le PGC soumet que la demande de Mme Gagnon est tardive et que le délai de 30 jours prévu par la Loi pour déposer sa demande en contrôle judiciaire ne devrait pas être prorogé.

[22]  En l’espèce, Mme Gagnon a déposé sa demande en contrôle judiciaire le 10 octobre 2018, soit 114 jours après avoir reçu verbalement les résultats d’examens de la candidate retenue le 18 juin 2018, et 65 jours suivant la réception des motifs écrits de la Gestionnaire le 6 août 2018, lesquels justifiaient la non-divulgation du contenu des évaluations de Mme McLean. Le paragraphe 18.1(2) de la Loi prévoit que le délai de 30 jours pour le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire commence à courir à la date à laquelle un demandeur a pris connaissance de la décision à l’origine de la demande. Il ne fait donc aucun doute que Mme Gagnon n’a pas respecté le délai de dépôt de 30 jours prescrit par le paragraphe 18.1(2) de la Loi. Reste à déterminer s’il y a lieu d’accorder une prorogation de délai.

[23]  Pour avoir gain de cause sur une prolongation de délai, Mme Gagnon doit satisfaire aux quatre critères bien établis par la Cour d’appel fédérale [CAF] pour accorder une prorogation de délai (Thompson c Canada (Procureur général), 2018 CAF 212 [Thompson] au para 5; Chan c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CAF 130 au para 4; Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204 [Larkman] au para 61; Canada (Procureur général) c Hennelly, 244 NR 399, 1999 CanLII 8190 (CAF) au para 3). Ces quatre facteurs sont les suivants : (i) Mme Gagnon a-t-elle eu une intention constante de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire; (ii) y a-t-il un bien‑fondé éventuel à sa demande; (iii) le PGC ou l’ARC subissent-ils un préjudice en raison du délai; et (iv) existe-t-il une explication raisonnable justifiant le délai? Il incombe à Mme Gagnon de prouver ces éléments (Virdi c Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CAF 38 [Virdi] au para 2).

[24]  Cela dit, le pouvoir d’octroyer une prorogation de délai demeure discrétionnaire et les quatre critères établis par la jurisprudence, s’ils en encadrent l’exercice, n’ont par ailleurs pas pour effet de restreindre cette discrétion. En fait, il n’est pas nécessaire que les quatre critères qui régissent l’exercice de la discrétion soient tous tranchés en faveur de Mme Gagnon. En fin de compte, la considération primordiale dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour est « l’intérêt de la justice » (Larkman aux para 62, 85). Dans Larkman, la CAF a ainsi clarifié qu’au-delà des critères développés par la jurisprudence, « [l]a considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation de délai serait dans l'intérêt de la justice » (Larkman au para 62). La Cour doit donc examiner chacun des critères avec souplesse pour veiller à ce que justice soit rendue et décider s’il serait dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation du délai (Thompson au para 6; Larkman au para 62; MacDonald c Canada (Procureur général), 2017 CF 2 au para 11).

[25]  Le PGC concède que le délai n’a fait subir aucun préjudice à l’ARC. Le PGC soutient toutefois que Mme Gagnon ne s’est pas acquittée de son fardeau de présenter des éléments de preuve appuyant les trois autres facteurs énoncés dans la jurisprudence, à savoir qu’elle avait une intention constante de contester la décision de la Gestionnaire, qu’un contrôle judiciaire de cette décision avait une chance raisonnable de succès, et qu’elle avait des explications raisonnables pour justifier le délai écoulé entre la décision de la Gestionnaire et son avis de requête.

[26]  Je suis d’accord avec le PGC. En l'espèce, je ne suis pas convaincu qu’il s’agit d’une situation où je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire en faveur de Mme Gagnon et où il est dans l’intérêt de la justice d’octroyer une prorogation du délai, car la preuve est tout à fait insuffisante pour satisfaire à au moins deux des facteurs qui régissent l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire. Plus particulièrement, dans son avis de requête, Mme Gagnon reste tout à fait muette quant à son intention de contester la décision de la Gestionnaire, et elle ne fournit aucune explication pour justifier le retard dans la présentation de sa demande. En fait, nulle part dans ses soumissions écrites Mme Gagnon ne fait état de son retard ni ne sollicite de la Cour une prolongation de délai. Au surplus, comme j’en traiterai plus loin dans la seconde partie de l’analyse, Mme Gagnon ne présente pas de motif ou d’argument convaincants démontrant la probabilité de succès de sa demande de contrôle judiciaire.

[27]  Je souligne que Mme Gagnon n’a pas soumis son propre affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, mais seulement un affidavit provenant de son représentant syndical, M. Juneau. Lors de l’audience devant cette Cour, l’avocate de Mme Gagnon a suggéré que l’intention de Mme Gagnon peut être déduite des paragraphes 20 à 24 de l’affidavit de M. Juneau. Ces paragraphes portent sur les échanges intervenus avec l’ARC entre le 29 juin 2018 et le 6 août 2018. J’y reviendrai. Cependant, il ne s’agit pas d’un affidavit de Mme Gagnon, la demanderesse. Or, la CAF a clairement indiqué que, lorsqu’un requérant demande une prorogation de délai, cela devrait se faire au moyen de son propre affidavit (Virdi aux para 2-3) :

Il incombait à l'appelant, puisqu'il est le requérant, de prouver les éléments nécessaires pour obtenir la prorogation de délai. En règle générale, cela se fait au moyen d'une déposition par affidavit signée par le requérant lui-même, pouvant faire l'objet d'un contre-interrogatoire.

Dans la présente affaire, l'appelant n'a pas cru bon de signer son propre affidavit. Il a plutôt demandé à la Cour de conclure qu'il avait une explication raisonnable justifiant son retard, une intention constante de poursuivre le contrôle judiciaire ainsi qu'une cause défendable, et ce, sur l'unique fondement d'un affidavit signé par la secrétaire de son avocat. Cette omission de fournir sa propre déposition à la Cour a, en l'espèce, porté un coup fatal à sa requête.

[Je souligne.]

[28]  Une prorogation de délai exigeait que Mme Gagnon démontre une intention constante de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire pendant toute la période écoulée depuis la décision de la Gestionnaire, avant et après le délai prescrit de 30 jours. Cette intention de déposer une demande de contrôle judiciaire est celle de Mme Gagnon, et il lui appartenait de faire la preuve de cette intention au moyen d’un affidavit de sa part permettant à la Cour de jauger l’existence et la continuité de cette intention. Elle ne l’a pas fait. Par ailleurs, je note que, lorsqu’une partie demanderesse fait défaut de demander la prolongation du délai pour déposer une demande de contrôle judiciaire, comme c’est le cas ici, il n’est pas contre l’intérêt de la justice de tenir cette partie responsable de ce choix, peu importe le fond de la cause (Première Nation Thunderchild c Weekusk, 2015 CAF 284 aux para 29-30).

[29]  Dans le présent dossier, Mme Gagnon ne présente ni argument ni élément de preuve quant à son intention de contester la décision de la Gestionnaire, que ce soit avant ou après le délai prescrit. La seule mention indirecte de cet élément provient des propos de son représentant syndical. Toutefois, même en acceptant que cet affidavit du représentant syndical puisse faire état de l’intention de Mme Gagnon, je note qu’il n’y a à l’affidavit de M. Juneau aucun élément de preuve sur la poursuite d’une intention constante de déposer une demande de contrôle judiciaire après le mois d’août 2018. En d’autres termes, même si je faisais une interprétation généreuse des arguments de Mme Gagnon et de la preuve soumise, je ne relève aucune indication suffisante qu’elle avait l’intention constante requise de contester la décision de la Gestionnaire.

[30]  Dans son affidavit, le représentant syndical M. Juneau mentionne qu’en date du 29 juin 2018, le syndicat représentant Mme Gagnon avait l’intention de déposer une demande de mandamus auprès de la Cour pour enjoindre l’ARC de mettre en œuvre l’ordonnance du Réviseur. Mme Gagnon en a été informée le jour même. L’affidavit de M. Juneau précise aussi que, le 5 juillet 2018, la conseillère juridique du syndicat a réitéré à un représentant de l’ARC que le syndicat considérait toutes les options juridiques possibles, y compris une demande de mandamus. À la lecture de ces paragraphes, je reconnais que la possibilité de poursuivre un recours en mandamus devant la Cour a été mentionnée pour la première fois le 29 juin 2018 et répétée au début de juillet. Toutefois, ces affirmations d’intention précédaient la décision écrite de la Gestionnaire éventuellement rendue le 6 août 2018, qui a alors expliqué en détail les raisons à la source du refus de fournir le contenu des évaluations de la candidate retenue. L’affidavit de M. Juneau ne contient aucune information quant à une intention de Mme Gagnon ou du syndicat de poursuivre une demande de contrôle judiciaire après la réception de la décision écrite de la Gestionnaire le 6 août 2018. Or, c’est cette décision écrite qui déclenche le délai de 30 jours prescrit à la Loi.

[31]  Aussi dois-je constater que rien dans la preuve ne permet d’établir que Mme Gagnon ait manifesté son intention de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire dans les 30 jours suivant l’envoi des motifs écrits de la Gestionnaire, ou ne démontre que son intention se soit poursuivie jusqu’à la date du dépôt effectif de sa demande. Puisque Mme Gagnon s’était déjà déclarée insatisfaite de ne pas avoir accès au contenu des évaluations lors de sa rencontre avec la Gestionnaire à la mi-juin 2018, et que cette même décision de l’ARC avait ensuite été confirmée par écrit par la Gestionnaire au début août 2018, avec motifs à l’appui, il lui appartenait de déposer sa demande de contrôle judiciaire dans le délai imparti, ou d’expliquer pourquoi elle ne pouvait le faire.

[32]  Je passe au dernier critère établi par la jurisprudence, à savoir une explication raisonnable justifiant le délai. Sur cette question, je ne peux encore une fois que constater le silence absolu de Mme Gagnon : il n’existe pas d’explication raisonnable pour justifier le délai de Mme Gagnon dans le dépôt de sa demande de contrôle judiciaire, que ce soit dans ses soumissions ou par l’entremise de l’affidavit de M. Juneau. En fait, Mme Gagnon n’en fournit strictement aucune et ignore complètement la question. Nulle part Mme Gagnon n’explique pourquoi elle a attendu jusqu’au 10 octobre pour déposer sa demande de contrôle judiciaire.

[33]  En l’absence d’une explication raisonnable sur le retard de la procédure, retard qui représente plus du double du délai de 30 jours prévu à la Loi, et en l’absence d’une preuve de l’intention constante de Mme Gagnon de déposer sa demande, je ne peux identifier aucune raison qui pourrait me permettre de proroger le délai imparti pour le dépôt de sa demande.

[34]  Il a été reconnu de façon répétée que le fait d’entreprendre un contrôle judiciaire des décisions des tribunaux administratifs à l’intérieur des délais relativement brefs prescrits par la Loi reflète l’intérêt public à l’égard du caractère définitif des décisions administratives (Canada c Berhad, 2005 CAF 267 [Berhad] au para 60, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 31166 (25 mai 2006); Canada (Ministre du Développement des Ressources Humaines) c Hogervorst, 2007 CAF 41 au para 24). Ce délai « n’est pas capricieux » et existe « dans l’intérêt public, afin que les décisions administratives acquièrent leur caractère définitif et puissent aussi être exécutées sans délai » (Berhad au para 60).

[35]  Je reconnais que l’intérêt de la justice demeure la considération primordiale dans l’octroi d’une prorogation de délai. Mais l’intérêt de la justice n’existe pas dans un vacuum et n’absout pas un demandeur du devoir de satisfaire le fardeau de preuve qui est le sien. Ici, exercer mon pouvoir discrétionnaire en faveur de Mme Gagnon m’obligerait à ignorer les critères établis par la CAF relativement à une prorogation de délai et à fermer les yeux sur l’absence totale d’éléments de preuve à l’appui des facteurs énoncés dans la jurisprudence pour considérer l’octroi d’une telle prorogation. Je ne peux pas le faire. La règle de la primauté du droit repose sur les principes fondamentaux de certitude et de prévisibilité. L’exercice d’un pouvoir discrétionnaire doit avoir son origine dans la loi. L’exercice d’un tel pouvoir ne saurait être adéquat ou judicieux, et s’inscrire dans l’intérêt de la justice, s’il cautionne un comportement qui fait fi des exigences minimales de la loi applicable.

[36]  Ceci suffirait pour rejeter la demande de Mme Gagnon. À tout événement, puisque les arguments de fond avancés par Mme Gagnon sont également dépourvus de fondement, sa demande serait de toute façon rejetée, même si elle avait été déposée à l’intérieur du délai de 30 jours.

B.  La demande de mandamus

[37]  Mme Gagnon soumet que sa demande rencontre les critères pour obtenir un bref de mandamus, tels qu’énoncés dans l’arrêt Apotex Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 [Apotex], conf par [1994] 3 RCS 110. Il est bien établi que ces conditions sont cumulatives et doivent toutes être respectées pour que la Cour puisse envisager de délivrer un bref de mandamus (Rocky Mountain Ecosystem Coalition c Canada (Office national de l’énergie) (1999), 174 FTR 17 au para 30 (CF)). Ces conditions ont été décrites comme suit dans Apotex, aux pages 766 à 769 :

1.  Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public.

2.  L’obligation doit exister envers le requérant.

3.  Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

a)  le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b)  il y a eu (i) une demande d’exécution de l’obligation, (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n’ait été rejetée sur-le-champ, et (iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable;

4.  Lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, les règles suivantes s’appliquent :

a)  le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire ne doit pas agir d’une manière qui puisse être qualifiée d’« injuste », d’« oppressive » ou qui dénote une « irrégularité flagrante » ou la « mauvaise foi »;

b)  un mandamus ne peut être accordé si le pouvoir discrétionnaire du décideur est « illimité », « absolu » ou « facultatif »;

c)  le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire « limité » doit agir en se fondant sur des considérations « pertinentes » par opposition à des considérations « non pertinentes »;

d)  un mandamus ne peut être accordé pour orienter l’exercice d’un « pouvoir discrétionnaire limité » dans un sens donné;

e)  un mandamus ne peut être accordé que lorsque le pouvoir discrétionnaire du décideur est « épuisé », c’est‑à‑dire que le requérant a un droit acquis à l’exécution de l’obligation.

5.  Le requérant n’a aucun autre recours.

6.  L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique.

7.  Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l’équité, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé.

8.  Compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

[Citations omises.]

(Voir également Canada (Santé) c The Winning Combination Inc., 2017 CAF 101 au para 60; Lukács c Canada (Office des transports), 2016 CAF 202 au para 29; Complexe Enviro Progressive Ltée c Canada (Transports), 2018 CF 1299 aux para 68-70.)

[38]  Mme Gagnon soutient qu’il existe envers elle une obligation légale à caractère public puisque l’ARC est une personne morale ayant une obligation d’élaborer un programme de dotation régissant les nominations, y compris les recours offerts aux employés. Elle avance que, puisque le programme de dotation de l’ARC a été adopté en vertu d’une loi et que les décisions prises dans le cadre d’un processus de dotation sont de nature « judiciaire », il en découle une obligation légale à caractère public (Burstyn c Canada (Agence du revenu du Canada), 2007 CF 822 aux para 26-29).

[39]  Mme Gagnon allègue aussi avoir le droit d’obtenir l’exécution de l’obligation. Elle soutient que la décision du Réviseur était une décision exécutoire et que le défaut par l’ARC de mettre en œuvre la décision équivaut à un refus d’agir puisque le contenu des évaluations de la candidate retenue n’a pas été divulgué. Mme Gagnon soutient que le Réviseur a rejeté le raisonnement de l’ARC voulant que le contenu des évaluations ne soit pas pertinent à son recours. Mme Gagnon affirme que le Réviseur a conclu que les principes d’équité procédurale et de justice naturelle s’imposent à l’ARC et qu’un employé doit pouvoir obtenir les informations pouvant lui permettre de démontrer un traitement arbitraire.

[40]  Mme Gagnon maintient que le contenu des évaluations est nécessaire pour déterminer si les normes d’évaluation ont été appliquées de façon équitable par l’ARC. Au soutien de son argument, Mme Gagnon cite l’affaire Sargeant c Canada (Procureur Général), 2002 FCT 1043 [Sargeant], où la Cour a jugé déraisonnable le fait qu’un réviseur indépendant ait déclaré ne pas avoir compétence pour tirer une conclusion défavorable envers l’employeur, en raison d’une barrière institutionnelle empêchant l’employé d’obtenir les informations pertinentes. Mme Gagnon ajoute que, contrairement à la situation dans Qui, elle n’avait aucune raison d’agir avant l’étape de la nomination et que le raisonnement du PGC obligerait tous les candidats placés dans un répertoire de candidats qualifiés à poursuivre un recours à l’étape de l’évaluation, sans savoir si et comment les évaluations seront utilisées à l’étape de la nomination.

[41]  Mme Gagnon prétend enfin que tous les autres critères pour la délivrance d’un bref de mandamus sont rencontrés : 1) elle ne dispose d’aucun autre recours; 2) l’ordonnance aura un effet pratique; 3) en vertu de l’équité, rien n’empêche la Cour d’ordonner le redressement demandé puisqu’elle se présente devant la Cour avec les « mains propres »; 4) la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi d’un bref de mandamus puisque l’ARC a une obligation de divulguer en vertu des Procédures; et 5) puisque la divulgation des informations est compatible avec les fins pour lesquelles ces informations ont été recueillies, l’ARC ne violerait pas la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[42]  Je ne partage pas l’avis et l’analyse de Mme Gagnon. Non seulement les critères du mandamus ne sont-ils pas rencontrés, mais l’ARC s’est déjà conformée à la décision du Réviseur.

[43]  Le mandamus est un recours extraordinaire qui comporte son propre ensemble de conditions. Les principales conditions fondamentales justifiant la délivrance d’un bref de mandamus sont bien établies et ont été énoncées par la CAF dans l’arrêt Apotex. Ces conditions sont cumulatives et toutes doivent être réunies avant que la Cour ne puisse envisager de délivrer un bref de mandamus. Elles incluent notamment : 1) l’existence d’une obligation légale d’agir à caractère public; 2) le fait que cette obligation doit exister envers le demandeur; et 3) l’existence d’un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment en ce que : a) le demandeur ait rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation et b) il y a eu : (i) une demande d’exécution de l’obligation, (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n’ait été rejetée sur-le-champ, et (iii) un refus ultérieur, exprès ou implicite.

[44]  Compte tenu du caractère cumulatif de ces conditions, il suffit, pour disposer des conclusions de mandamus contenues dans la demande de contrôle judiciaire de Mme Gagnon, de traiter de l’existence « d’un droit clair d’obtenir l’exécution d’une obligation ». En l’espèce, il ne fait aucun doute qu’il n’existait aucune obligation légale pour l’ARC de divulguer les renseignements précis demandés par Mme Gagnon, à savoir le contenu des évaluations de Mme McLean.

[45]  En divulguant les résultats utilisés par le gestionnaire d’embauche et en fournissant ses raisons pour le refus de divulguer le contenu des évaluations, la Gestionnaire a corrigé le traitement arbitraire identifié par le Réviseur et subi par Mme Gagnon à l’étape de nomination du processus de dotation. Mme Gagnon aurait souhaité que cette correction mène à la divulgation du contenu des évaluations. Toutefois, un bref de mandamus ne peut servir à forcer un décideur à agir d’une certaine manière. Il est en effet bien établi qu’une ordonnance de mandamus ne peut contraindre une autorité publique à exercer un pouvoir discrétionnaire d’une manière particulière et ne peut dicter un résultat spécifique à atteindre (Canada (Directeur général des élections) c Callaghan, 2011 CAF 74 au para 126; Albatal c Canada (Gendarmerie royale), 2016 CF 371 au para 15). Or, le pouvoir sous-jacent de l’ARC de décider de la mise en œuvre de la décision est discrétionnaire en vertu de la loi, et la Cour ne peut elle-même imposer le résultat de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’ARC. Mme Gagnon n’a pas de droit acquis à l’exécution de l’obligation positive spécifique qu’elle cherche à imposer à l’ARC, à savoir d’obliger la divulgation du contenu des évaluations qu’elle souhaite obtenir.

[46]  L’interprétation des procédures par les réviseurs et par la Cour dans Sargeant et Qui suggère qu’un réviseur indépendant n’a pas le pouvoir d’ordonner comment la divulgation doit être effectuée lors d’un recours exercé par l’employé suivant l’étape de nomination. C’est plutôt l’ARC qui détient ce pouvoir discrétionnaire et qui peut déterminer comment la divulgation doit être effectuée. D’ailleurs, le Réviseur reconnaît expressément dans sa décision qu’il n’a pas le pouvoir d’ordonner directement de fournir les renseignements demandés à Mme Gagnon, et ce, malgré sa conclusion à l’effet que Mme Gagnon avait le droit d’obtenir tant les résultats des évaluations de la candidate retenue que le contenu de ces évaluations.

[47]  Par ailleurs, le PGC souligne à juste titre que l’ARC a déjà remis les résultats de la candidate retenue à Mme Gagnon. Comme l’a fait valoir le PGC lors de ses représentations devant la Cour, le fait d’avoir refusé l’accès au contenu de l’évaluation n’équivaut pas à un défaut d’agir. L’ARC a nommé une nouvelle gestionnaire, Mme Hébert, qui a estimé que la divulgation des résultats de la candidate retenue était suffisante pour démontrer l’équité de la nomination, le fait que la candidate retenue avait effectivement obtenu la meilleure moyenne, et l’absence de traitement arbitraire. Mme Hébert a fourni des justifications quant à cette décision, notamment le fait que : 1) seulement les résultats de l’évaluation sont pertinents à l’étape de la nomination et non le contenu; 2) la demande de Mme Gagnon ne contient aucun élément de traitement arbitraire au soutien de ses allégations; et 3) Mme Gagnon aurait pu obtenir le contenu de l’évaluation si elle avait exercé un recours suivant l’étape de l’évaluation, mais elle ne l’a pas fait. Ainsi, une décision a été prise, soit celle de répondre aux préoccupations de Mme Gagnon sur la moyenne des résultats, et cette moyenne confirmait le bien-fondé du choix de la candidate retenue et l’absence de traitement arbitraire à l’étape de la nomination. Compte tenu du caractère discrétionnaire de l’obligation d’agir de l’ARC, l’émission d’un bref de mandamus dans ces circonstances serait inapproprié, car il équivaudrait non pas à forcer l’exécution d’une obligation qui n’a pas encore été remplie, mais plutôt à orienter l’exercice d’un « pouvoir discrétionnaire limité » dans un sens donné.

[48]  L’ARC s’est déjà conformée à l’ordonnance du Réviseur, et la Cour ne peut ordonner l’exécution d’une obligation d’agir dont l’ARC s’est déjà acquittée (Hong c Canada (Procureur général), 2018 CF 1208 au para 34).

IV.  Conclusion

[49]  Pour les raisons qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de Mme Gagnon est rejetée.

[50]  Le PGC a droit à ses dépens.


JUGEMENT au dossier T-1795-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1795-18

 

INTITULÉ :

ANDRÉE GAGNON c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 septembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 31 DÉCEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Kim Patenaude

 

Pour lA DEMANDERESSE

 

Marc Séguin

 

Pour LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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