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Date : 19971230


Dossier : IMM-4274-96

Ottawa (Ontario), le mardi 30 décembre 1997

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE


GORO KOYAMA,


requérant,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


intimé.


ORDONNANCE

     La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La demande que le requérant a présentée en vue d'obtenir le droit d'établissement au Canada est renvoyée à l'intimé pour nouvel examen par un agent différent compte tenu des documents dont l'agent des visas dont la décision est infirmée disposait et de tout autre document donnant des détails au sujet de ces documents et les mettant à jour que le requérant jugera pertinent.

                                        Frederick E. Gibson

                                 Juge

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.


Date : 19971230


Dossier : IMM-4274-96

ENTRE


GORO KOYAMA,


requérant,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


intimé.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]      Les présents motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un agent des visas, au Consulat général du Canada, à New York, a conclu que le requérant ne satisfait pas aux exigences, aux fins de la résidence permanente au Canada. La décision de l'agent des visas est datée du 16 octobre 1996.

[2]      Le requérant est un citoyen japonais. Il est né en mars 1973. Après avoir passé un certain temps au Canada, à la fois comme étudiant et comme travailleur, il a présenté, le 6 février 1996, une demande de résidence permanente à titre de requérant indépendant. Dans sa demande, il demandait qu'il soit tenu compte de trois catégories professionnelles, à savoir celles d'enregistreur de son et de vidéo, d'opérateur d'appareils d'enregistrement vidéo et sonores et de bruiteur. Le procureur du requérant a joint à la demande de son client des pièces justificatives plutôt volumineuses, notamment des offres d'emploi "officieuses" au Canada en tant que bruiteur et un exposé de quatre pages portant sur la "personnalité et faculté d'adaptation" étayant les remarques faites dans l'extrait suivant de la lettre d'accompagnement :

         [TRADUCTION]                 
         Nous avons joint une demande pour que vous exerciez le pouvoir discrétionnaire qui vous est conféré par l'article 11.3 [sic] du Règlement sur l'immigration si, à la suite de votre appréciation préliminaire, vous concluez que M. Koyama a obtenu moins de 70 points. Votre appréciation montre que si le système existant d'attribution des points est utilisé, il s'agit d'un cas limite, qui dépend de la catégorie professionnelle que vous jugez la plus appropriée. M. Koyama est peut-être admissible ou il se peut qu'il se voie attribuer un peu moins des 70 points nécessaires, mais comme le montrent d'une façon plus complète les pièces ci-jointes, nous soutenons que le système existant d'attribution de points ne reflète pas d'une façon exacte la capacité de M. Koyama de s'établir avec succès au Canada1.                 

[3]      Le requérant a été interviewé par l'agent des visas le 16 octobre 1996. La lettre de rejet de l'agent, qui fait ici l'objet d'un examen, est en partie ainsi libellée :

         [TRADUCTION]                 
         J'ai maintenant terminé l'appréciation de votre demande et compte tenu des renseignements que vous avez fournis dans votre demande et lors de l'entrevue, j'ai conclu que vous ne remplissez pas les conditions d'admission au Canada à titre de résident permanent. Votre demande a été appréciée à l'égard de la profession suivante : bruiteur, CCDP 9555-130. Voici comment les points d'appréciation se répartissent :                 
         [La répartition n'est pas incluse étant donné qu'elle n'est pas essentielle aux fins qui nous occupent. Il suffit de dire que le nombre total de points s'élevait à 65.]                 
         Selon le Règlement sur l'immigration du Canada, un agent des visas ne peut pas délivrer un visa d'immigrant à un requérant si ce dernier n'a pas obtenu au moins 70 points d'appréciation. Vous avez obtenu un nombre insuffisant de points d'appréciation pour être admissible à titre d'immigrant au Canada. Je crois que les points d'appréciation reflètent d'une façon exacte les chances que vous avez de vous établir avec succès au Canada. Votre conseiller m'a demandé d'exercer le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration. J'ai examiné la demande et j'ai décidé de ne pas me prévaloir de ce pouvoir dans votre cas.                 

[4]      En l'espèce, il est particulièrement important de noter que dans sa lettre de décision, l'agent des visas parle de l'appréciation du requérant à l'égard d'une seule catégorie professionnelle, et non à l'égard des trois catégories demandées, et qu'aucune explication n'est donnée au sujet de l'omission de recommander que le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration soit exercé d'une façon favorable.

[5]      L'avocate du requérant a soutenu que l'agent des visas avait commis une erreur susceptible de révision en arrivant à la décision qu'il a prise, et ce, pour deux raisons. En premier lieu, l'avocate a soutenu que l'agent des visas avait omis d'examiner la demande du requérant pour chacune des catégories professionnelles désignées par celui-ci. En second lieu, l'avocate a soutenu que l'agent des visas avait commis une erreur en omettant de tenir compte de facteurs pertinents et en tenant compte de facteurs non pertinents lorsqu'il avait conclu que le pouvoir discrétionnaire ne devait pas être exercé d'une façon favorable. L'avocate de l'intimé a soutenu que l'agent des visas avait effectué une appréciation complète et équitable.

[6]      Dans le jugement Dhaliwal v. Minister of Employment and Immigration2, Monsieur le juge Rouleau a dit ceci, à la page 316 :

         En l'espèce, le requérant a indiqué dans sa demande qu'il était prêt et compétent à exercer deux professions :                 
         [...]                 
         L'agent des visas avait donc le devoir d'évaluer le requérant à l'égard de ces deux professions [...]. Dans son évaluation, l'agent des visas avait l'obligation d'étudier les antécédents professionnels du requérant et de déterminer si ceux-ci lui valaient de l'expérience dans les professions qu'il entendait exercer.                 
         [J'ai omis la mention des professions précises et un renvoi.]                 

[7]      À la page 317, le juge a ajouté ceci :

         Je suis également convaincu que [...] l'agent des visas a violé son devoir d'équité envers le requérant en omettant de lui faire part, au cours de l'entrevue, de ses préoccupations à l'égard des compétences du requérant dans les professions qu'il entendait exercer; en conséquence, il n'a pas accordé au requérant la possibilité de présenter une preuve lui permettant de démontrer sa compétence. [J'ai omis le renvoi.]                 

Il existe de nombreux jugements de cette cour en ce sens3.

[8]      Dans l'affidavit qu'il a déposé en l'espèce, l'agent des visas atteste qu'il a "tenu compte" des autres catégories professionnelles désignées par le requérant, mais la preuve présentée devant la Cour, qui comprenait les notes que l'agent des visas avaient entrées à l'ordinateur après l'entrevue qu'il avait eue avec le requérant et la transcription du contre-interrogatoire auquel l'agent des visas avait été soumis à l'égard de son affidavit, établit clairement dans l'ensemble que l'agent n'a pas vraiment "apprécié" ces autres catégories professionnelles d'une façon pertinente. Par conséquent, compte tenu de la preuve dont je dispose dans son ensemble, je conclus que l'agent des visas a commis une erreur susceptible de révision en appréciant les catégories professionnelles désignées par le requérant.

[9]      Je conclus que l'agent des visas a en outre commis une erreur susceptible de révision lorsqu'il a examiné la demande que le requérant avait faite pour qu'on envisage d'exercer le pouvoir discrétionnaire d'une façon favorable. Dans le jugement Singh (Gurmit) v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration)4, Madame le juge Simpson a fait la remarque suivante, à la page 70 :

         Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, l'agente se concentrait sur la capacité du requérant de s'établir avec succès au Canada. Il s'agit d'un exercice prospectif. À mon avis, faire peu de cas de ses offres [les offres d'emploi] parce qu'elles n'ont pas été certifiées par la CEIC revenait à appliquer un facteur peu pertinent. L'agente a reconnu que les offres d'emploi étaient authentiques. En tant que telles, elles démontraient que, une fois établi, le requérant avait de bonnes perspectives d'emploi. Le fait qu'il n'a pu accepter les offres avant son établissement était peu pertinent.                 

Il serait possible de dire exactement la même chose dans ce cas-ci.


[10]      Monsieur le juge Richard a fait une remarque similaire dans le jugement Sugoor Khan c. le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration5 :

         Bien que le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3) soit de portée générale, il ne s'agit pas d'un pouvoir illimité permettant à l'agent des visas de rejeter ou d'accueillir, à sa guise, une demande de résidence permanente. Ce pouvoir doit être exercé de bonne foi et conformément à l'objectif pour lequel il a été conféré. Par ailleurs, la personne qui l'exerce ne peut se fonder sur des considérations non pertinentes ni omettre de tenir compte de considérations pertinentes. En l'espèce, la mauvaise foi n'a pas été alléguée. Cependant, l'agent des visas a manifestement rejeté l'offre d'emploi authentique que la requérante a reçue : il a même considéré qu'aucun poste n'était vraiment vacant. Il ne s'agissait pas d'attribuer du poids à l'offre d'emploi, mais ne pas en tenir compte revenait à méconnaître un facteur important.                 

[11]      Compte tenu des documents dont je dispose, je suis convaincu que, dans ce cas-ci, l'agent des visas a omis de tenir compte d'au moins une considération pertinente dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par le paragraphe 11(3). Je conclus qu'il est inutile d'examiner plus à fond les autres cas dans lesquels il est allégué que l'agent a omis de tenir compte de considérations pertinentes ou qu'il a tenu compte de considérations non pertinentes.

[12]      Pour les motifs susmentionnés, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la demande que le requérant a présentée en vue d'obtenir le droit d'établissement au Canada est renvoyée à l'intimé pour nouvel examen par un agent différent compte tenu des documents dont disposait l'agent des visas dont la décision est infirmée et de tout autre document donnant des


détails sur ces documents ou les mettant à jour que le requérant jugera pertinent. Aucune des deux avocates n'a recommandé la certification d'une question. Aucune question n'est certifiée.

                                        Frederick E. Gibson

                                 Juge

Ottawa (Ontario),

le 30 décembre 1997

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      IMM-4274-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      GORO KOYAMA c.
     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE
     L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 18 DÉCEMBRE 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Gibson en date du 30 décembre 1997

ONT COMPARU :

HELEN TURNER      POUR LE REQUÉRANT

CLAIRE LE RICHE      POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

HELEN TURNER      POUR LE REQUÉRANT

TORONTO (ONTARIO)

GEORGE THOMSON      POUR L'INTIMÉ

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

OTTAWA (ONTARIO)

__________________

1      Le paragraphe 11(3) (et non 11.3) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, se lit comme suit :              (3) L'agent des visas peut              a) délivrer un visa d'immigrant à un immigrant qui n'obtient pas le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10 ou qui ne satisfait pas aux exigences des paragraphes (1) ou (2), ou              b) refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui obtient le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10,              s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de s'établir avec succès au Canada et que ces raisons ont été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont reçu l'approbation de ce dernier.

2      (1992), 52 F.T.R. 311.

3      Voir, par exemple, Saggu v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) (1994), 87 F.T.R. 137, dans lequel Monsieur le juge Muldoon a dit ceci à la page 142 :              [...] L'agent des visas est tenu d'évaluer la demande en tenant compte de l'occupation que le requérant soutient être celle qu'il est prêt à exercer au Canada et pour laquelle il a la compétence voulue. Cette obligation s'applique à chacune de ces occupations.                  Voir également Hajariwala v. Canada, [1989] 2 C.F. 79 (1re inst.).

4      (1995), 106 F.T.R. 66.

5      Dossier du greffe IMM-1132-96, 12 mars 1997 (C.F. 1re inst.), (inédit).

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