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Date : 20191220


Dossier : T-1499-16

Référence : 2019 CF 1653

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

BRUCE WENHAM

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une requête par laquelle le procureur général du Canada (le PGC) lui demande de confirmer son droit de présenter des observations concernant la requête intentée par l’avocat du groupe pour faire entériner ses honoraires.

[2]  En l’espèce, le PGC ne contribue ni ne propose de contribuer aux frais juridiques du demandeur [des membres du groupe]. Il fonde l’exercice de son « droit de participation » sur un certain nombre de motifs politiques, sans faire valoir d’intérêts financiers dans le règlement des honoraires.

II.  Contexte

[3]  En 1990, le gouvernement du Canada a instauré un programme d’indemnisation des victimes canadiennes de la thalidomide. Nombreux étaient ceux qui jugeaient ce programme de 1991 inadéquat. Pour cette raison et d’autres, un nouveau programme prévoyant des fonds connexes a été établi en 2015 – le Programme de contribution pour les survivants de la thalidomide (le PCST). Ce programme a été qualifié d’injuste en raison de critères d’admissibilité contraignants et de lourdes exigences en matière de preuve.

[4]  La demande de contrôle judiciaire sous jacente a été intentée sous la forme d’un recours collectif par ceux dont les demandes au titre du PCST ont été refusées.

[5]  Le demandeur représentant a conclu, au nom du groupe, une entente d’honoraires conditionnels avec l’avocat du groupe, de chez Koskie Minsky LLP, prévoyant des honoraires conditionnels de 25 %.

[6]  Le contrôle judiciaire contestant le PCST a été certifié en recours collectif par la Cour d’appel fédérale le 1er novembre 2018.

[7]  En janvier 2019, le défendeur a annoncé qu’il apporterait des corrections au PCST sous la forme du Programme canadien de soutien aux survivants de la thalidomide (le PCSST). Ces corrections étaient destinées à régler les problèmes soulevés par les recours collectifs en question.

[8]  En avril 2019, l’avis de certification a été rendu public et transmis en particulier aux membres du groupe.

[9]  Le 22 octobre 2019, les parties ont exécuté une entente à l’amiable sans se mettre d’accord sur la question des honoraires. L’entente à l’amiable réservait simplement au PGC le droit de solliciter l’autorisation de présenter des observations.

[10]  Le PGC n’a pas convenu de verser des honoraires, de contribuer à leur paiement et n’a pas non plus donné d’indication sur leur nature.

[11]  Enfin, le demandeur a l’intention de solliciter des dépens contre le PGC lorsqu’il s’agira de faire entériner l’entente.

[12]  En résumé, le PGC affirme avoir le droit de présenter des observations concernant la requête présentée par l’avocat du groupe pour faire entériner les honoraires ou subsidiairement, que la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire et autoriser de telles observations. Comme prévu, le demandeur s’oppose à la requête du PGC.

III.  Analyse

[13]  Les questions à trancher sont donc les suivantes :

  • Le défendeur a-t-il le droit de présenter des observations concernant les honoraires de l’avocat du groupe, qu’il ait ou non un intérêt financier dans ces honoraires?

  • En l’absence d’un tel droit, la Cour a-t-elle le pouvoir discrétionnaire d’autoriser la présentation d’observations?

  • Si la Cour jouit de ce pouvoir discrétionnaire, doit-elle l’exercer dans les circonstances et selon quelles modalités?

A.  Le droit de présenter des observations

[14]  Bien que les Règles des Cours fédérales, DORS/98 106, n’excluent pas la participation d’un défendeur ou d’un intimé aux requêtes visant à faire entériner des honoraires, elles ne l’autorisent ni explicitement ni implicitement.

[15]  Il est difficile d’envisager que le défendeur/l’intimé ayant perdu un recours collectif aurait néanmoins le droit d’influer sur la rémunération versée à l’avocat de la partie adverse qui a obtenu gain de cause.

[16]  Le PGC fait valoir son droit en invoquant la décision Manuge c R, 2013 CF 341, ce qui est malavisé. Dans cette affaire, le PGC avait contribué à fixer les honoraires des avocats, car la Cour avait, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, permis qu’un point de vue opposé soit plaidé.

[17]  Le droit de participer doit découler des Règles, qui sont muettes; de l’entente à l’amiable, qui ne reconnaît même pas un intérêt juridique à la participation du PGC; ou d’un intérêt juridiquement reconnu découlant par exemple du versement des honoraires ou d’une contribution à leur paiement, qui est inexistant.

[18]  Le PGC affirme avoir un rôle à jouer, étant donné qu’il est responsable de l’administration de la justice, y compris des recours collectifs – ce qui renvoie à une forme de supervision générale.

[19]  Toutefois, en l’espèce, le PGC n’est qu’une partie qui a vigoureusement contesté le droit du groupe à exister et à solliciter des mesures de réparation. Contrairement à ce qu’il prétend, il ne remplit pas un rôle objectif de supervision générale de la justice. En fait, dans d’autres affaires, le PGC a fait valoir que les honoraires concernaient uniquement les membres du groupe et leurs avocats.

[149]  La défenderesse soutient que la convention d’honoraires concerne les membres du groupe et les avocats du groupe. Elle ne prend pas position au sujet des honoraires visés par la demande d’approbation, sauf pour souligner que ceux ci, qui correspondent à 17 % du montant total du règlement, se situent dans la fourchette établie par la jurisprudence et qu’ils tiennent compte de la complexité de l’affaire et des risques assumés par les avocats du groupe.

Toth c Canada, 2019 CF 125

[20]  Même lorsque le défendeur a un « intérêt » dans l’affaire, il est établi que cet intérêt ne lui confère pas le « droit » de participer à la requête visant à faire entériner les honoraires.

[21]  Dans Wilson c Servier Canada Inc, [2005] OJ No 1039 (CS), Servier (la défenderesse) avait un intérêt résiduel dans les fonds de règlement et a été autorisée pour cette raison à présenter des observations à l’égard des honoraires. La Cour supérieure de l’Ontario a résumé en ces termes la question des « droits » – et je souscris à ce raisonnement :

[traduction]

23  La Cour accueille les arguments des défendeurs sur cette question comme une contribution utile et une critique constructive, mais elle ne considère pas que leur intervention procède d’un « droit ». Les défendeurs ont un « intérêt » évident dans l’issue de la requête visant à faire entériner les honoraires des avocats du groupe. Pour ces motifs, ils sont autorisés à présenter des observations. Mais à mon avis, ils n’ont pas le « droit » d’intervenir dans la détermination des honoraires en question.

[22]  Les seules personnes ayant le droit de faire des observations à l’égard des honoraires sont les membres du groupe, comme le prévoient l’entente à l’amiable et les avis approuvés par la Cour. À ce moment ci, la position des membres du groupe n’est pas connue.

[23]  Par conséquent, je conclus que le PGC n’a pas le droit de présenter des observations concernant la requête visant à faire entériner les honoraires et débours de l’avocat du groupe.

B.  Pouvoir discrétionnaire de la Cour

[24]  En l’absence d’un tel droit, la question est de savoir si le PGC devrait participer et, le cas échéant, selon quelles modalités.

[25]  En cas de règlement d’un recours collectif, la Cour a un rôle unique de supervision du règlement et des requêtes connexes. La Cour suprême du Canada a récemment reconnu que les tribunaux étaient soumis à cette obligation : voir J.W. c Canada (Procureur général), 2019 CSC 20.

[26]  Lorsqu’il s’agit de faire entériner des honoraires, l’avocat du groupe est dans la position difficile de devoir faire passer son propre intérêt avant celui du client. En l’absence de la tension habituelle entre les parties, la Cour se trouve dans une position délicate puisqu’elle doit trancher l’affaire, mais aussi participer activement au volet investigation de la requête.

[27]  Les cours de justice jouissent d’un large pouvoir discrétionnaire quant à la manière de remplir cette fonction et peuvent notamment nommer des amicus à même d’équilibrer les intérêts concurrents. Ce ne sont pas toutes les affaires qui se prêtent à la nomination d’un tel amicus ou d’un avocat appelé à plaider tous les arguments ou des points précis. L’économie et l’efficacité entrent en ligne de compte au moment de déterminer de quels outils la Cour devrait se servir.

[28]  En l’espèce, le groupe est de petite taille, la somme d’argent en cause n’est pas connue avec certitude, mais elle n’est pas de l’ordre des « recours collectifs faramineux ». À ce titre, l’assistance dont la Cour pourrait avoir besoin doit être adaptée aux réalités de l’affaire.

[29]  La Cour n’a pas besoin de recevoir des observations sur l’importance générale du contrôle judiciaire, ses caractéristiques uniques et les mesures de réparation qu’il suppose – arguments qui, à ce que prétend le PGC, justifient sa participation.

[30]  Cependant, le PGC a une certaine perspective des programmes et des circonstances dans lesquelles ils ont vu le jour, ce qui renvoie à la question du « succès » ou de l’« issue du litige ».

[31]  À ce stade, et avant que les membres du groupe ne déposent leurs objections, la Cour peut envisager que cette perspective pourrait lui être utile pour déterminer des honoraires « justes et raisonnables » qui serviront l’intérêt supérieur du groupe.

[32]  Par conséquent, le PGC sera autorisé à présenter des observations uniquement sur cette question. Il déposera ses observations dans les 10 jours suivant le dépôt de la requête de l’avocat du groupe visant à faire entériner ses honoraires.

 


ORDONNANCE dans le dossier T 1499 16

LA COUR STATUE que le procureur général est autorisé à présenter des observations conformément aux présents motifs.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour de décembre 2019

Mélanie Vézina, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T 1499 16

 

INTITULÉ :

BRUCE WENHAM c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 NOVEMBRE 2019

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 20 DÉCEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

David Rosenfeld

Nathalie Gondek

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Christine Mohr

Melanie Toolsie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Koskie Minsky LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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