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                                                                                                                                       T-1390-96

 

Dans l'affaire d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale;

 

Et dans l'affaire d'une décision rendue relativement à un appel interjeté en vertu du paragraphe 251.11(1) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2; par l'intimée Autocar Connaisseur Inc.

 

ENTRE :

 

                                                  Le procureur général du Canada

 

                                                                                                                                       Requérant

 

                                                                        - et -

 

                                                       Autocar Connaisseur Inc.

 

                                                                                                                                           Intimée

 

                                                                        - et -

 

                                                                Michel Guérin

 

                                                                                                                                   Mis en cause

 

                                                                        - et -

 

                                          Denis Germain Simard ès qualité d'arbitre

                                              nommé aux termes du par. 251.12(1)

                                                     du Code canadien du travail

 

                                                                                                                                   Mis en cause

 

 

 

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

LE JUGE PINARD

 

                        Cette demande de contrôle judiciaire vise la décision rendue le 8 mai 1996 par un arbitre nommé en vertu du paragraphe 251.12(1)[1] du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), c. L-2 (le Code).

 

                                                          * * * * * * * * * * * *

 

                        Michel Guérin (l'employé) a été à l'emploi de l'intimée, Autocar Connaisseur Inc. (l'employeur), pendant une période de dix mois, du 2 juin 1993 au 4 avril 1994, à titre de répartiteur de nuit à l'Aéroport international de Mirabel.  Les heures de travail de l'employé étaient de 19 h à 7 h, soit 12 heures par jour.  Il travaillait habituellement cinq jours par semaine, soit un total de 60 heures; occasionnellement, il travaillait six jours par semaine, soit un total de 72 heures.  L'employé n'était pas rémunéré sur une base strictement horaire, recevant l'équivalent de 270 $ (vers la fin, 300 $) pour une semaine de cinq jours comportant 60 heures de travail.  L'employé se voyait en outre payé une commission de 5% de ses ventes brutes de billets, chaque semaine.

 

                        Le 22 juin 1995, l'employé a déposé une plainte auprès de Travail Canada alléguant essentiellement ce qui suit:

Pendant les 10 mois à l'emploi de Autocar Connaisseur inc., aucun surtemps ni jour férié ne furent rémunérés pour le travail que j'ai effectué.  J'aimerais qu'une enquête soit faite à ce sujet et que des poursuites en mon nom soient engagées (si nécessaire) le plus tôt possible.

 

 

 

                        Après enquête sur cette plainte, l'inspecteur Mario Desrosiers, nommé en vertu du paragraphe 249(1)[2] du Code, a, le 30 août 1995, ordonné à l'employeur de remettre au Receveur général du Canada la somme de 3 454,91 $, moins les retenues autorisées sous le régime de l'article 254.1 du Code, le tout selon le paragraphe 251.1(1)[3] du Code.  Au sujet de ce montant, l'inspecteur a notamment précisé ce qui suit:

Ce montant représente les sommes impayées à l'égard de ce que prescrit la partie III du Code canadien du travail.  La réclamation datée du 22 juin 1995 donne les détails des calculs effectués (Annexe A).

 

                        Le 7 septembre 1995, l'employeur a interjeté appel de cette décision auprès de Travail Canada, en vertu du paragraphe 251.11(1)[4] du Code.  Par la même occasion, l'employeur a fait parvenir au Receveur général du Canada un chèque visé au montant de 3 454,91 $ correspondant à l'ordre de paiement, conformément au paragraphe 251.11(2)[5] du Code.  Il importe de reproduire cet avis d'appel:

Entête : Autocar Connaisseur inc.

 

                                                                                       AVIS D'APPEL

 

Conformément aux dispositions de l'article 251.11 du Code canadien du travail, Autocar Connaisseur inc. désire en appeler de la décision de l'inspecteur M. Mario Desrosiers de Développement des ressources humaines Canada, Direction Travail, rendue le 30 août 1995, où un ordre de paiement de 3 454,91 $ a été transmis à l'appelante.  Cet ordre de paiement est incorrect en ce que l'inspecteur fait fi des dispositions de l'article 178, paragraphe 1b) du Code canadien du travail, l'employé M. Michel Guérin n'ayant jamais été payé sur une base horaire.

 

Conformément aux dispositions de l'article ci-dessus mentionné, l'employeur remet au Ministre du Travail un chèque visé libellé à l'ordre du Receveur général du Canada pour la somme indiquée à l'ordre de paiement, soit de 3 454,91 et inclut également un relevé de retenues autorisées sous l'empire de l'article 254.1 du Code.  Le présent avis d'appel est adressé au Ministre du Travail conformément aux dispositions du Code canadien du travail.

 

EN FOI DE QUOI nous avons signé, à Montréal, ce 7è jour du mois de septembre 1995.

 

 

 

(signature)                             

 

Lorenzo Calce

Président

 

 

 

                        L'arbitre nommé par le ministre du Travail a entendu cet appel le 12 janvier 1996.  Dans sa décision datée du 8 mai 1996, l'arbitre, s'appuyant sur le paragraphe 251.12(4)[6] du Code, a déclaré l'ordre de paiement invalide et ordonné le versement à l'employeur de la somme consignée auprès du Receveur général du Canada dans les 30 jours suivant sa décision.  Il importe de reproduire la section "Décision et Motifs" de cette décision arbitrale qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire:

La preuve révèle l'absence de directive précise utile à la bonne compréhension de l'article 178.1 b) [sic] du Code canadien du travail.  L'objet de cette décision n'est pas de combler cette lacune au sein du ministère du développement des ressources humaines du Canada.

 

Ce cas d'espèce révèle que le but visé par l'article 178 et suivants, c'est de déterminer le salaire minimum payable pour les employés âgés d'au moins 17 ans et aussi d'établir que lorsqu'un employé n'est pas payé sur une base horaire, ce même employé doit recevoir l'équivalent de ce taux en fonction du temps travaillé.  Le minimum auquel un employé dont sa rémunération n'est pas "à l'heure" est celui fixé par l'article 178.1 b). [sic] et qui est l'équivalent de l'article 178.1 a) [sic].

 

Après une analyse détaillée du dossier, je viens à la conclusion que l'appelante respecte la lettre et l'esprit du code canadien du Travail et il n'appartient pas à l'arbitre de proposer une ou des modifications législatives utiles à une meilleure compréhension en pratique de ce même code.

 

Un arbitre nommé aux termes du paragraphe 251.12(1) du Code Canadien du Travail doit entendre et trancher l'appel en regard de l'ordre de paiement qui a été préalablement émis.

 

En vertu du paragraphe 251.12 (4) du Code Canadien du travail, l'arbitre possède le pouvoir de décider de la validité de l'ordre de paiement :

 

<Décision de l'arbitre>.  L'arbitre peut rendre toutes les ordonnances nécessaires à la mise en oeuvre de sa décision et peut notamment par ordonnance :

 

Confirmer, annuler ou modifier en totalité ou en partie un ordre de paiement ou un avis de plainte non fondée;

<...>

 

Pour tous les motifs ci-haut mentionnés;

 

Je déclare l'ordre de paiement invalide.

 

[. . .]

 

                                                (Souligné dans l'original.)

 

 

 

                                                           * * * * * * * * * * * *

 

                        Il faut d'abord déterminer si la décision arbitrale est susceptible de révision judiciaire, vu la clause privative complète édictée aux paragraphes 251.12(6) et (7) du Code qui se lisent comme suit:

  251.12 (6) Les ordonnances de l'arbitre sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.

 

  (7) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire - notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto - visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre du présent article.

 

 

 

                        Dans l'affaire Société canadienne des postes c. Pollard, [1994] 1 C.F. 652, le juge Décary, pour la Cour d'appel fédérale, a révisé la jurisprudence applicable en matière de contrôle judiciaire d'une décision protégée par une clause privative aux pages 663 à 666:

                Depuis l'arrêt déterminant de la Cour suprême du Canada, U.E.S., Local 298 c. Bibeault [...], il y a eu une telle avalanche de décisions portant sur le critère à appliquer en matière de contrôle judiciaire qu'il est facile de perdre de vue le sens de l'arrêt Bibeault. L'application qui fut faite par la suite, de "l'approche fonctionnelle et pragmatique" exposée dans l'arrêt Bibeault par le juge Beetz, ne doit pas nous faire perdre de vue le principe essentiel de cette décision, qui est qu'au tout début de la procédure visant l'examen judiciaire, la Cour ne devrait se poser qu'une seule question: le législateur a‑t‑il eu l'intention, expresse ou implicite, de confier la question en cause à la compétence du tribunal? . . .

 

                Je m'empresse d'ajouter qu'à cette étape première de la procédure, il n'y a pas lieu de faire preuve de retenue à l'endroit du tribunal administratif ayant prononcé la décision, les cours de justice étant éminemment aptes à décider si le tribunal a excédé la compétence que lui confère sa loi habilitante (AFPC (1993), à la page 963, le juge Cory).

 

                Si l'on conclut que le législateur n'a pas voulu que la question relève de la compétence d'un tribunal administratif donné, ce tribunal aura tout de même le pouvoir de répondre à la question, mais la moindre erreur d'interprétation de la disposition en cause sera constitutive de ce qu'on appelle une erreur de compétence qui entraînera un désaisissement du tribunal, même en présence d'une clause privative (Université du Québec, à la page 494, le juge L'Heureux‑Dubé). Le critère applicable est celui de l'absence d'erreur.

 

                Mais, si l'on estime que le législateur a effectivement voulu que la question relève du tribunal, celui‑ci sera réputé avoir agi dans les limites de sa compétence en interprétant la disposition en cause et la Cour,  même en présence d'une clause privative [...], n'interviendra pas, à moins que le tribunal ait commis une erreur manifestement déraisonnable (Bibeault, à la page 1086, le juge Beetz; Paccar, à la page 1003, le juge La Forest; AFPC (1993), à la page 962, le juge Cory). Le critère du caractère manifestement déraisonnable est un critère sévère (Paccar, à la page 1003, le juge La Forest), un critère très strict (AFPC (1993), à la page 964, le juge Cory). Il établit, en matière de contrôle judiciaire, une norme sévère: il ne suffit pas que la décision du tribunal soit erronée aux yeux de la cour de justice; pour qu'elle soit manifestement déraisonnable, cette cour doit la juger clairement irrationnelle, c'est‑à‑dire, de toute évidence, non conforme à la raison (AFPC (1993), à la page 963, le juge Cory; Domtar, à la page 775, le juge L'Heureux‑Dubé) ou insoutenable au regard d'une interprétation raisonnable des faits ou du droit (National Corn Growers Assn., à la page 1369, le juge Gonthier). La sévérité du critère oblige les cours de justice à adopter une attitude de retenue à l'égard des décisions d'un tribunal administratif (Paccar, aux pages 1003 et 1004, le juge La Forest). La déférence judiciaire s'impose particulièrement dans les conflits du travail (Bibeault, à la page 1089, le juge Beetz; Paccar, aux pages 1004 et 1005, le juge La Forest), mais le degré de déférence dépendra d'où le tribunal administratif en cause se situe sur l'échelle des organismes chargés de procéder à des délibérations de principe auxquelles les cours de justice devraient s'en remettre (Dayco, à la page 266, le juge La Forest; Mossop, à la page 585, le juge La Forest; Bradco, aux pages 336 et 337, le juge Sopinka).

 

 

 

                        Appliquant ces principes au présent cas, la compétence de l'arbitre n'étant pas en cause, il s'agit simplement de déterminer si celui-ci a commis une erreur manifestement déraisonnable.  Pour ce faire, il faut considérer notamment les dispositions pertinentes suivantes du Code et du Règlement du Canada sur les normes de travail, C.R.C. 1978, c. 986 (le Règlement):

                        Code canadien du travail:

  169. (1) Sauf disposition contraire prévue sous le régime de la présente section:

a) la durée normale du travail est de huit heures par jour et de quarante heures par semaine;

b) il est interdit à l'employeur de faire ou laisser travailler un employé au-delà de cette durée.

 

 

  171. (1) L'employé peut être employé au-delà de la durée normale du travail.  Toutefois, sous réserve des articles 172, 176 et 177 et des règlements d'application de l'article 175, le nombre d'heures qu'il peut travailler au cours d'une semaine ne doit pas dépasser quarante-huit ou le nombre inférieur fixé par règlement pour l'établissement où il est employé.

 

 

  174. Sous réserve des règlements d'application de l'article 175, les heures supplémentaires effectuées par l'employé, sur demande ou autorisation, donnent lieu à une majoration de salaire d'au moins cinquante pour cent.

 

 

  178. (1) Sauf disposition contraire de la présente section, l'employeur doit payer à chaque employé âgé d'au moins dix-sept ans :

a) soit un salaire d'au moins quatre dollars l'heure;

b) soit l'équivalent de ce taux en fonction du temps travaillé, quand la base de calcul du salaire n'est pas l'heure.

 

 

 

                        Règlement du Canada sur les normes de travail:

 

                                           Détermination du taux horaire de salaire

 

  20. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), aux fins du calcul et de la détermination du taux horaire régulier de salaire des employés payés au temps, sur une autre base que l'heure, l'employeur doit diviser le salaire versé pour le travail effectué par le nombre d'heures requis pour exécuter le travail.

 

 

 

                        Il importe de préciser que celles de ces dispositions qui émanent du Code se retrouvent toutes dans la Partie III du Code, sur laquelle l'inspecteur, avant l'arbitre, s'est expressément appuyé, les trois premières se retrouvant dans la Section I, intitulée Durée du travail, et la quatrième, dans la Section II, intitulée Salaire minimum.


 

                        L'alinéa 178(1)b) du Code prescrit simplement et clairement le salaire minimum à payer à un employé d'au moins 17 ans qui n'est pas rémunéré à l'heure.  L'arbitre, lui, a appliqué la disposition comme si, du seul fait qu'un employé d'au moins 17 ans n'est pas rémunéré sur une base horaire, l'employeur n'était alors tenu de lui payer que ce salaire minimum, sans tenir compte des obligations salariales additionnelles de l'employeur résultant des autres dispositions statutaires et réglementaires applicables, notamment l'article 174 du Code et le paragraphe 20(1) du Règlement.  Vu le présent contexte factuel et statutaire, une détermination aussi étroite des obligations salariales de l'employeur défie le bon sens.  Il m'apparaît évident que l'arbitre a vu "une lacune" là où il n'y en a pas et sa mauvaise application de l'alinéa 178(1)b) du Code constitue, dans les circonstances, une erreur de droit manifestement déraisonnable qui, à toute fin pratique, l'a empêché de trancher, à la lumière de toutes les dispositions statutaires et réglementaires applicables, la véritable question soulevée par la plainte à l'origine du litige qui a abouti devant lui.  En effet, la question que l'arbitre devait résoudre n'était pas celle de savoir si l'employé avait reçu le salaire minimum prescrit par le paragraphe 178(1) du Code, ce qui n'était pas contesté, mais bien celle de savoir si l'employé avait droit d'être rémunéré pour son travail effectué en surtemps et à l'occasion des jours fériés, ce qui devait nécessairement trouver réponse ailleurs qu'au paragraphe 178(1) du Code.

 

                        Afin de permettre que la vraie question soit considérée et tranchée en conformité avec les présents motifs, la décision arbitrale du 8 mai 1996 doit être rescindée et l'affaire, renvoyée à un arbitre différent qui devra être nommé conformément au paragraphe 251.12(1) du Code.

OTTAWA (Ontario)

Ce 2e jour d'octobre 1997

 

 

 

                                                                                                                                          

                                                                                                                        JUGE



[1]  251.12 (1) Le ministre, saisi d'un appel, désigne en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'appel et lui transmet l'ordre de paiement ou l'avis de plainte non fondée ainsi que le document que l'appelant a fait parvenir au ministre en vertu du paragraphe 251.11(1).

[2]  249. (1) Le ministre peut désigner quiconque à titre d'inspecteur pour l'application de la présente partie.

[3]  251.1 (1) L'inspecteur qui constate que l'employeur n'a pas versé à l'employé le salaire ou une autre indemnité auxquels celui-ci a droit sous le régime de la présente partie peut ordonner par écrit à l'employeur ou, sous réserve de l'article 251.18, à un administrateur d'une personne morale visé à cet article de verser le salaire ou l'indemnité en question; il est alors tenu de faire parvenir une copie de l'ordre de paiement à l'employé à la dernière adresse connue de celui-ci.

[4]  251.11 (1) Toute personne concernée par un ordre de paiement ou un avis de plainte non fondée peut, par écrit, interjeter appel de la décision de l'inspecteur auprès du ministre dans les quinze jours suivant la signification de l'ordre ou de sa copie, ou de l'avis.

[5]  251.11 (2) L'employeur et l'administrateur de personne morale ne peuvent interjeter appel d'un ordre de paiement qu'à la condition de remettre au ministre la somme visée par l'ordre, sous réserve, dans le cas de l'administrateur, du montant maximal visé à l'article 251.18.

[6]  251.12 (4) L'arbitre peut rendre toutes les ordonnances nécessaires à la mise en oeuvre de sa décision et peut notamment, par ordonnance:

a) confirmer, annuler ou modifier - en totalité ou en partie - un ordre de paiement ou un avis de plainte non fondée;

b) ordonner le versement, à la personne qu'il désigne, de la somme consignée auprès du receveur général du Canada;

c) adjuger les dépens.

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