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Date : 20000724


Dossier : IMM-3457-99

Ottawa (Ontario), le lundi 24 juillet 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON



ENTRE :

     THAYAPARAN MYLVAGANAM

                                     demandeur

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                     défendeur


     ORDONNANCE


     La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la section du statut de réfugié visée par cette demande est annulée. La demande de statut de réfugié au sens de la Convention présentée par le demandeur est renvoyée à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour nouvel examen et nouvelle décision par un tribunal composé de membres différents.

     Pour les motifs que j'ai exposés, le défendeur a droit aux dépens contre le demandeur, qui sont fixés à 750 $, ce qui comprend les débours.

     Aucune question n'a été certifiée.


                             Frederic Gibson

                                 J.C.F.C.


Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.







Date : 20000724


Dossier : IMM-3457-99



ENTRE :

     THAYAPARAN MYLVAGANAM

                                     demandeur

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                     défendeur


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE GIBSON :


[1]          Les présents motifs font suite à la demande de contrôle judiciaire d'une décision de la section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, dans laquelle la SSR a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention selon la définition qu'en donne le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration1. La décision de la SSR est datée du 15 juin 1999.

[2]          Le demandeur est un jeune Tamoul originaire du nord du Sri Lanka. Il soutient craindre d'être persécuté s'il est obligé de retourner au Sri Lanka en raison d'opinions politiques qui lui sont imputées et de son appartenance à un groupe social particulier, à savoir les jeunes Tamouls du nord du Sri Lanka qui ont été la cible des Tigres tamouls et de l'armée sri lankaise.

[3]          Mon collègue le juge Muldoon, qui a accordé l'autorisation de présenter cette demande de contrôle judiciaire, a décrit dans ses motifs les antécédents du demandeur qui concernent sa demande et a formulé des commentaires sur la façon dont la SSR a traité certains éléments de preuve qui lui ont été soumis. Il a écrit :

         [TRADUCTION]

Entre 1989 et juin 1998, le demandeur a été harcelé et persécuté tant par les Tigres tamouls rebelles que par l'armée srilankaise et ses alliés. Pendant la plus grande partie de cette période, il essayait d'exploiter, avec l'aide de sa femme, une épicerie dans la péninsule de Jaffna.
Il a été arrêté et gravement battu et menacé par les parties en lutte de façon fréquente ou plutôt pratiquement constante, chaque côté l'accusant d'aider son ennemi et le menaçant de représailles. Après son audience devant la SSR, avant que celle-ci ne rende la décision contestée le 18 [sic] juin 1999, le demandeur a été examiné par un psychiatre, le Dr Richard J. Stall, du St. Joseph's Health Centre de Toronto. Le diagnostic du Dr Stall n'est pas surprenant, compte tenu de la situation terrible qu'a vécu le demandeur de 1989 à 1998 au Sri Lanka : trouble de stress post-traumatique, « crainte intense, terreur et sentiment d'impuissance » , « revit à nouveau les événements traumatisants » et perte de mémoire due au stress. Malheureusement, la SSR a tout simplement écarté le rapport et le diagnostic posé par le psychiatre qui constituaient des éléments de preuve valablement présentés à la SSR.

Mon collègue a omis de souligner que le demandeur a été examiné par le psychiatre après l'audience devant la SSR et que dans les motifs de sa décision, la SSR fait état du rapport et du diagnostic du psychiatre, mais conclut néanmoins que le demandeur n'est pas crédible. La SSR a écrit :

[TRADUCTION] À la fin de l'audience, l'avocat du revendicateur a demandé un sursis d'une semaine pour présenter un rapport psychiatrique. Cette requête a été accordée. Dans son rapport psychiatrique, le Dr R.J. Stall tient pour acquis les actes de persécution qu'allègue le revendicateur et conclut que ce dernier souffre d'un trouble de stress post-traumatique. Le tribunal croit que la corroboration par le Dr Stall des actes de persécution dépasse son mandat. Le tribunal ne conteste pas la conclusion de l'expert à l'effet que le revendicateur souffre du trouble de stress susmentionné. Cependant, le tribunal n'accorde aucune importance à son opinion, car elle se fonde sur les prétentions d'un témoin non crédible.

[4]          Pour l'essentiel, la SSR accepte le diagnostic du Dr Stall. Elle n'accepte pas sa conclusion implicite selon laquelle la source du trouble de stress post-traumatique dont souffre le demandeur est les actes de persécution que celui-ci aurait subis dans le nord du Sri Lanka. Elle n'accepte pas cette conclusion implicite, compte tenu des éléments de preuve présentés, y compris le témoignage du demandeur, compte tenu du comportement du demandeur au cours de son témoignage et après avoir eu la possibilité d'interroger le demandeur au sujet des difficultés que soulevait, d'après elle, son témoignage, notamment sur les contradictions, les réponses évasives et peu plausibles qu'il a donnés, parce que finalement elle n'a pas cru au récit du demandeur. Là encore, de façon implicite au moins, le Dr Stall attribue les difficultés que la SSR a constatées aux troubles de stress post-traumatique du demandeur et aux rapports existant entre ce trouble et les événements qui constituent l'histoire des persécutions qu'a subies le demandeur. Tout cela crée un cercle vicieux qu'il est impossible de briser.

[5]          L'avocat du demandeur soutient que la SSR a commis une erreur susceptible de contrôle sur deux points : premièrement, en refusant d'accorder un poids suffisant au rapport psychiatrique qui lui a été soumis, et deuxièmement, malgré sa conclusion sur la crédibilité du demandeur, en omettant d'analyser la base objective sur laquelle repose la crainte du demandeur de retourner au Sri Lanka, en tant que jeune Tamoul venant du nord de ce pays.

[6]          Dans Khawaja c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)2, le juge Denault a écrit, au paragraphe 8 :

À mon avis, le tribunal a eu tort de conclure à la non-crédibilité du demandeur principal sans tenir compte et sans se prononcer sur le contenu du rapport psychologique faisant état d'un désordre de stress post-traumatique sévère et de difficultés du demandeur à relater les événements traumatisants auxquels il a été soumis, si ce n'est, de façon négative, pour y puiser des faits qu'il n'avait pas indiqués dans sa fiche de renseignements personnels.

L'avocat du demandeur m'invite à en arriver à la même conclusion à partir des faits de l'espèce.

[7]          Par contre, le juge MacKay a écrit dans Al-Kahtani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)3, au paragraphe 14 :

Bien que je n'accepte pas la norme proposée par l'intimé, savoir que la décision du tribunal doit être manifestement déraisonnable pour justifier l'intention de la cour, je ne pense pas que la suite réservée par le tribunal au rapport soit déraisonnable. Mais à supposer même qu'elle le soit, ce rapport indique tout au plus que le requérant souffrait de syndrome de stress post-traumatique, mais ne corrobore par [sic] les faits mêmes dont il dit qu'ils justifient sa crainte d'être persécuté. À mon avis, tel est le sens de la conclusion du tribunal au sujet du rapport, et on ne peut dire que cette conclusion soit déraisonnable ou erronée sur le plan juridique.

[8]          Avec égards, compte tenu des faits de la présente affaire, je dois dire que je préfère cette dernière analyse. Comme dans Al Kahtani, le rapport psychiatrique a pour principal effet de confirmer les difficultés qu'éprouve le demandeur en raison d'un trouble de stress post-traumatique. Il ne vient pas étayer les faits précis sur lesquels le demandeur s'appuie pour prétendre que sa crainte d'être persécuté est fondée. Là encore, comme dans Al Khatani, l'essentiel de la conclusion de la SSR à l'égard du rapport psychiatrique est qu'elle reconnaît le diagnostic posé par l'expert, mais n'accepte pas les déductions que l'on y trouve au sujet des faits particuliers à l'origine du trouble de stress post-traumatique du demandeur. Comme l'a fait le juge MacKay, je conclus, d'après les faits de la présente espèce, que la conclusion de la SSR sur ce point ne peut être qualifiée de déraisonnable ou d'erronée sur le plan juridique.

[9]          Dans Seevaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)4, Madame le juge Tremlay-Lamer a écrit, aux paragraphes 11 et 13 :

À mon avis, la Commission a omis d'examiner toute la preuve soumise. Elle a simplement rejeté la demande de la demanderesse principale parce qu'elle a jugé qu'elle n'était pas crédible. Dans les circonstances de l'espèce, il existait d'autres éléments de preuve susceptibles d'influer sur l'appréciation de la demande. Ces autres éléments de preuve auraient donc dû être appréciés expressément.
...
... La Commission... n'a pas tenu compte de la preuve qui émanait d'autres sources que le témoignage de la demanderesse principale et qui confirmait le risque que courent les jeunes femmes tamoules au Sri Lanka. Étant donné ces faits, la conclusion de la Commission selon laquelle « aucune preuve crédible ou digne de foi » [présumément à l'appui de la demande de la demanderesse] ne lui a été soumise ne peut être maintenue.

[10]          La SSR disposait de preuves documentaires nombreuses démontrant les difficultés auxquelles font face tous les jeunes Tamouls, en particulier ceux qui viennent du nord du Sri Lanka. Même en écartant carrément, comme elle l'a fait, les actes de persécution que le demandeur prétend avoir subis, elle ne paraît pas avoir, dans le raisonnement sur lequel elle appuie sa décision en l'espèce, nié le fait que le demandeur était bien un jeune Tamoul originaire du nord du Sri Lanka. La SSR a accepté ce fait et ensuite écarté les preuves matérielles dont elle disposait selon lesquelles une personne comme ce demandeur risquait de faire l'objet de persécution s'il était obligé de retourner au Sri Lanka, qu'il pourrait donc fort bien avoir une crainte subjective d'être persécuté et que cette crainte reposait aussi sur une base objective réelle. La SSR n'a même pas envisagé cette possibilité et je suis convaincu qu'elle a pris sa décision sans tenir compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait. En fait, elle s'est tellement axée sur la crédibilité du demandeur et sur le rapport existant entre cet aspect et le rapport psychiatrique qui lui a été soumis qu'elle semble avoir écarté tous les autres éléments de preuve susceptibles d'être qualifiés de pertinents à la demande présentée par le demandeur. En conséquence, sur ce fondement, je suis convaincu que la SSR a commis une erreur susceptible de contrôle. Pour ce seul motif, je conclus que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, la décision de la SSR, annulée, et l'affaire renvoyée pour nouvelle audience et nouvelle décision.

[11]          L'avocat du défendeur soutient que quel que soit le résultat de la demande de contrôle judiciaire, il existe des raisons particulières pour accorder les dépens au défendeur. Les raisons particulières alléguées peuvent se résumer brièvement de la façon suivante : la présente demande de contrôle judiciaire devait être entendue le 11 juillet 2000, en vertu d'une ordonnance datée du 2 mai 2000. Dans une demande déposée le 30 juin 2000, le demandeur sollicitait l'ajournement de l'audience concernant la présente affaire, soit sine die, soit à une date ultérieure. Cette demande se fondait sur le fait que le demandeur espérait vivement que la demande d'établissement à titre de réfugié au sens de la Convention déposée au Canada par sa femme et qui le concernait également serait acceptée et que le fait de procéder à l'audition de la présente demande à ce moment-ci lui occasionnerait des difficultés financières. Cette demande a été rejetée.

[12]          La veille du jour prévu de l'audition de la présente affaire, l'avocat du demandeur a informé l'avocat du défendeur qu'il se désistait de la demande. Lorsque l'affaire a été appelée à l'audience le 11 juillet, l'avocat du demandeur a reconnu que les instructions concernant le désistement n'étaient pas encore officialisées, mais qu'il s'attendait à les recevoir très prochainement. C'est ainsi que le demandeur a obtenu l'ajournement demandé antérieurement, mais à certaines conditions. Au cas où le désistement serait déposé avant 14 heures le 13 juillet, cela mettrait fin à l'affaire, le demandeur devant toutefois verser au défendeur un montant de 500 $ pour les dépens. Au cas où le désistement ne serait pas déposé, l'affaire serait entendue à 14 heures le 13 juillet. Le matin du 13 juillet, l'avocat du demandeur a informé l'avocat du défendeur et la Cour que l'audience prévue aurait lieu.

[13]          Je suis convaincu que le demandeur a manoeuvré de cette manière pour poursuivre l'affaire sans avoir à assumer les frais de comparution de son avocat à l'audition, ce qui a non seulement causé des inconvénients graves à l'avocat du défendeur mais constitue un abus du processus judiciaire. Par conséquent, même si la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur est accueillie, celui-ci devra payer des dépens au défendeur pour un montant de 750 $, ce qui comprend les débours.

[14]          Aucun des avocats n'a proposé en temps utile une question susceptible d'être certifiée. Aucune question ne sera donc certifiée.

Ottawa (Ontario)                      Frederic Gibson

Le 24 juillet 2000                          J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-3457-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      THAYAPARAN MYLVAGANAM c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :          LE 13 JUILLET 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :              24 JUILLET 2000

ONT COMPARU :             
M. BERGER              POUR LE DEMANDEUR
M. LAROUCHE              POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

MAX BERGER ET ASSOCIÉS      POUR LE DEMANDEUR

MORRIS ROSENBERG          POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


__________________

1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

2      [1999] A.C.F. no 1213 (Q.L.) (C.F. 1re inst.).

3      [1996] A.C.F. no 335 (Q.L.) (C.F. 1re inst.).

4      [1999] A.C.F. no 694 (Q.L.)(C.F. 1re inst.).

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