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Date : 20050913

Dossier : IMM-9346-04

Référence : 2005 CF 1245

ENTRE :

                                                      HENRY MBUGUA KAMAU

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

GIBSON J.

INTRODUCTION

[1]                Les présents motifs font suite à l'audition d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, dans laquelle la SPR a décidé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne qui est par ailleurs à protéger. La décision faisant l'objet du contrôle est datée du 22 novembre 2004.


LE CONTEXTE

[2]                Le demandeur est citoyen du Kenya. Il fonde sa demande de statut de réfugié ou de protection semblable sur son orientation sexuelle. Il allègue être homosexuel.

[3]                Le demandeur a témoigné qu'il n'a pris conscience de son orientation sexuelle qu'à l'âge de 20 ans. Il a ajouté que le Kenya était un pays très homophobe et qu'il était conscient que les hommes homosexuels devraient vivre dans l'anonymat et le secret. Néanmoins, lors de sa première rencontre avec une autre personne qu'il a identifié comme étant un homosexuel, il a témoigné qu'ils s'étaient collés et embrassés dans une boîte de nuit ouverte au public, quoique dans un endroit retiré.

[4]                Le demandeur a ajouté que, bien que prenant ce qu'il considérait comme étant des précautions appropriées, lui et son conjoint, la même personne qu'il avait rencontrée dans le club de nuit, ont vécu ensemble dans un village pendant une période de dix (10) ans sans incident de harcèlement.

[5]                Le demandeur a témoigné que, au début du mois de janvier 2003, lui et son conjoint avaient été arrêtés et accusés. La preuve documentaire qui a été présentée à la SSR démontre que le demandeur a été, très peu de temps après son arrestation,


[traduction]

[...] déclaré coupable, à la suite de son plaidoyer après le procès tenu devant moi, de l'infraction d'être un membre et un chef d'une association d'hommes homosexuels (ayant des rapports sexuels avec une autre personne du même sexe [...])[1]

Le même document mentionne que le demandeur a été condamné à une peine d'emprisonnement de seize (16) mois. Il affirme que lui et son conjoint, lequel a apparemment été également déclaré coupable et condamné à l'emprisonnement, ont fait l'objet de brutalité durant leur incarcération.

[6]                Le demandeur a témoigné que, quelque temps après que lui et son conjoint ont été remis en liberté, on a incendié le logement qu'ils occupaient. Son conjoint est mort dans l'incendie. Cela a entraîné la fuite du demandeur au Canada où il a présenté sa demande d'asile.

LA DÉCISION FAISANT L'OBJET DU CONTRÔLE

[7]                Dans sa décision, la SPR a écrit :

La question déterminante en l'espèce est la crédibilité. Le tribunal ne croit pas en fait que vous êtes gai.

[...] le tribunal est d'avis que la description de votre vie, en tant que gai au Kenya, n'est ni plausible ni crédible[2].

Cela étant dit, la SPR a accepté l'identité du demandeur et le fait qu'il était citoyen du Kenya.


[8]                La SPR a noté le témoignage du demandeur concernant sa conduite lors de sa première rencontre avec un autre homosexuel. Elle a écrit :

[...] Le tribunal estime que s'afficher de la sorte est [...] un acte peu plausible étant donné que vous avez déclaré qu'il s'agissait de la première fois que vous rencontriez un homme gai au Kenya. [...]

Pareil acte en plein public ne cadre pas avec l'information lue sur les gens qui commencent à accepter leur orientation sexuelle, lorsque celle-ci est condamnée par la société en général[3].

Avec déférence, dans les énoncés qui précèdent, la SPR démontre une attitude stéréotypée envers les hommes homosexuels, que ce soit au Kenya ou ailleurs, sans citer aucun document à l'appui de cette attitude.

[9]                La SPR laisser planer un doute sur le fait que le demandeur et son conjoint auraient pu vivre ensemble dans [traduction] « le village » pendant environ dix (10) ans sans incident de harcèlement ou d'autres problèmes.


[10]            La SPR a été critique à l'égard de la description que le demandeur a faite de lui-même en tant que « chef » d'une association d'homosexuels, malgré les explications du demandeur et le fait qu'il ait employé ce mot dans la langue anglaise, laquelle n'est pas sa langue maternelle. De même, elle a été critique à l'égard de l'emploi par le demandeur des mots « secte » et « culte » relativement à la communauté homosexuelle. La SPR a conclu que cela serait « invraisemblable » que des gens qui mènent un mode de vie interdit se donnent un nom, en l'occurrence la Gay Association of men, qui les identifieraient comme faisant partie d'un groupe interdit.

[11]            La SPR a écrit :

Le tribunal est d'avis que votre témoignage au sujet de votre arrestation et de votre procès n'est pas crédible. Le document carcéral semble un document-type où il faut remplir les blancs et qui peut facilement être reproduit. Il ne s'agit pas du genre de document officiel auquel on serait en droit de s'attendre de la part d'autorités qui condamnent un homme à une peine d'emprisonnement de 16 ans. Vous ne faites aucunement mention de votre procès dans votre formulaire sur les renseignements personnels. Selon votre témoignage aujourd'hui, vous auriez été arrêté le vendredi, puis auriez subi votre procès et été reconnu coupable trois jours plus tard, soit le lundi[4].

[12]            Comme je l'ai déjà fait remarquer, le demandeur n'a pas été condamné à seize (16) ans d'emprisonnement, mais plutôt à seize (16) mois. La SPR a conclu que le témoignage du demandeur à cet égard n'était pas crédible, surtout à la lumière de la preuve documentaire mentionnant que les tribunaux du Kenya ont beaucoup de dossiers en suspens et que, par conséquent, un procès et une déclaration de culpabilité dans un délai d'environ trois jours, lorsqu'une sentence aussi sérieuse a été imposée, étaient improbables. La SPR a ajouté :

La preuve documentaire révèle donc qu'il est impossible que vous ayez, en deux jours, été déclaré coupable et condamné à une peine d'emprisonnement de 16 ans[5].

[13]            La SPR a écrit cela malgré l'échange suivant, enregistré dans la transcription de l'audience du demandeur :

[traducteur]


DEMANDEUR : Au regard de ce que je faisais, j'ai été condamné à un an et quatre mois, ainsi que mon ami.

COMMISSAIRE : Vous avez été condamné à un an et quatre mois?

DEMANDEUR : Oui[6].

[14]            Enfin, la SPR a conclu :

En somme, le tribunal est d'avis qu'il n'y a pas assez d'éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour conclure que vous êtes effectivement homosexuel et que vous craignez pour cette raison la persécution ou autre forme de mauvais traitement au Kenya[7].

LA QUESTION EN LITIGE

[15]            De l'avis de la Cour, l'unique question en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la SPR pouvait tirer sa conclusion relative à la crédibilité et à la fiabilité du demandeur selon la norme de contrôle de la décision manifestement déraisonnable.

ANALYSE


[16]            Je suis convaincu que la confusion de la SPR entre une sentence de seize (16) mois et une autre de seize (16) ans ainsi que sa réluctance à accepter la preuve documentaire concernant l'arrestation du demandeur, sa déclaration de culpabilité et sa sentence ont été des éléments fondamentaux dans sa décision.

[17]            Dans la décision Gyimah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[8], j'ai écris ce qui suit, aux paragraphes 9 et 10 de mes motifs :

[...] Les conclusions de la SSR quant à la forme et à la précision d'une citation obligeant une personne à comparaître devant un tribunal public au Ghana n'étaient tout simplement pas étayées par la preuve documentaire, par aucune preuve quant à cela, qui lui avait été soumise.

Je suis d'avis que les conclusions d'invraisemblances que la SSR a tirées dans cette affaire, ainsi que sa conclusion relative au manque d'authenticité de la citation qui lui a été soumise, sont intimement liées. En fin de compte, j'estime que la conclusion relative à la citation qui, j'en suis persuadé, n'est pas recevable est un élément fondamental dans la décision de la SSR. [...]

J'en arrive à la même conclusion en l'espèce concernant les commentaires de la SPR relativement au présumé formulaire de cour apparaissant à la page 174 du dossier du tribunal, au caractère fondamental de ce document dans sa décision comme il y est mentionné et à son erreur lorsqu'elle a manifestement dénaturé la peine d'emprisonnement à laquelle le demandeur avait été condamné.

[18]            Dans la décision Rahnema c. Canada (Solliciteur général)[9], j'ai écrit au paragraphe 12 :

[...] J'estime que la SSR a examiné à la loupe certains éléments du témoignage rendu devant elle, et elle a conjecturé et spéculé de façon inopportune pour conclure au manque de crédibilité du requérant [...]


Encore une fois, j'en arrive à la même conclusion en l'espèce relativement à la décision de la SPR. Eu égard aux circonstances de la présente affaire, j'ajouterais à la référence, dans la citation précédente, au fait qu'elle a conjecturé et spéculé de façon inopportune, le fait qu'elle a véhiculé de façon inopportune, et sans que cela ne soit étayé, des stéréotypes sur le comportement des homosexuels.

[19]            Enfin, dans l'arrêt Xu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[10], dans des motifs très succincts écrits au nom de la Cour, le juge Mahoney a déclaré :

[...] La conclusion selon laquelle le récit du père n'était pas digne de foi était entièrement fondée sur l'impression de plusieurs invraisemblances, dont une partie seulement sont apparentes dans la transcription et dont certaines ont, à notre avis, été raisonnablement expliquées.

Je suis convaincu qu'on pourrait dire la même chose relativement à la présente affaire, en substituant la référence au récit du père une référence au récit du demandeur.

CONCLUSION

[20]            Compte tenu de ce qui précède, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Cela ne veut pas dire que la SPR ne pouvait pas tirer la conclusion qu'elle a tirée, mais simplement que les motifs fournis par la SPR relativement à la décision faisant l'objet du contrôle n'étayent simplement pas de manière adéquate la décision, eu égard à la totalité de la preuve dont elle disposait.


[21]            Les avocats ont été informés du résultat à la fin de l'audition de la présente affaire. Après consultation, aucun d'eux n'a recommandé la certification d'une question. Je suis convaincu qu'aucune question grave de portée générale ne découle de la présente affaire et, par conséquent, aucune ne sera certifiée.

                                                                        « Frederick E. Gibson »           

   Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                 IMM-9346-04

INTITULÉ :                                                                HENRY MBUGUA KAMAU

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 7 SEPTEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                           LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 13 SEPTEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

David B. Olson                                                             POUR LE DEMANDEUR

Ladan Shahrooz                                                            POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

David B. Olson                                                             POUR LE DEMANDEUR

Jordan Battista LLP, avocats

160, rue Bloor E.

Bureau 1000

Toronto (Ontario)

M4W 1B9

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Bureau régional de l'Ontario

130, rue King O.

Bureau 3400, B.P. 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6




[1]Dossier du tribunal, page 174.

[2]Dossier du tribunal, page 5.

[3]Dossier du tribunal, page 6.

[4]Dossier du tribunal, page 4.

[5]Dossier du tribunal, page 9.

[6]Dossier du tribunal, page 198.

[7]Dossier du tribunal, page 9.

[8][1995] A.C.F. no 1519 (C.F. 1re inst.) (Q.L.).

[9][1993] A.C.F. no 1431 (C.F. 1re inst.) (Q.L.).

[10][1992] A.C.F. no 810 (C.A.F.) (Q.L.).

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