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Date : 20040623

Dossier : T-535-03

Référence : 2004 CF 882

Ottawa, (Ontario), le 23ième jour de juin 2004

Présent(e) : L'honorable juge François Lemieux

ENTRE :

                                                               STEVE GIRARD

                                                                                                                                      Demandeur

                                                                            et

                                       LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                        Défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Cette demande de contrôle judiciaire est à l'encontre de la décision de la Commission de l'assurance-emploi (la « Commission » ) du 10 mars 2003, refusant, aux termes de l'article 56 du Règlement sur l'assurance-emploi (le « Règlement » ), de défalquer le trop-payé d'un montant de 7 236 $ de prestations d'assurance-emploi reçues par le demandeur.

[2]                L'article 56 du Règlement se lit:




56. (1) La Commission peut défalquer une pénalité payable en application des articles 38, 39 ou 65.1 de la Loi ou une somme due aux termes des articles 43, 45, 46, 46.1 ou 65 de la Loi si, selon le cas :

a) le total des pénalités et des sommes dues par le débiteur ne dépasse pas 5 $ et aucune période de prestations n'est en cours pour celui-ci;

b) le débiteur est décédé;

c) le débiteur est un failli libéré;

d) le débiteur est un failli non libéré à l'égard duquel le dernier dividende a été payé et le syndic a été libéré;

e) le versement excédentaire ne résulte pas d'une erreur du débiteur ni d'une déclaration fausse ou trompeuse de celui-ci, qu'il ait ou non su que la déclaration était fausse ou trompeuse, mais découle :

(i) soit d'une décision rétrospective rendue en vertu de la partie IV de la Loi,

(ii) soit d'une décision rétrospective rendue en vertu des parties I ou IV de la Loi à l'égard des prestations versées selon l'article 25 de la Loi;

f) elle estime, compte tenu des circonstances :

(i) soit que la pénalité ou la somme est irrécouvrable,

(ii) soit que le remboursement de la pénalité ou de la somme imposerait au débiteur un préjudice abusif.

56(2)

(2) La Commission peut défalquer la partie de toute somme due aux termes des articles 47 ou 65 de la Loi qui se rapporte à des prestations reçues plus de 12 mois avant qu'elle avise le débiteur du versement excédentaire, si les conditions suivantes sont réunies :

a) le versement excédentaire ne résulte pas d'une erreur du débiteur ni d'une déclaration fausse ou trompeuse de celui-ci, qu'il ait ou non su que la déclaration était fausse ou trompeuse;

b) le versement excédentaire est attribuable à l'un des facteurs suivants :

(i) un retard ou une erreur de la part de la Commission dans le traitement d'une demande de prestations,

(ii) des mesures de contrôle rétrospectives ou un examen rétrospectif entrepris par la Commission,

(iii) une erreur dans le relevé d'emploi établi par l'employeur,(iv) une erreur dans le calcul, par l'employeur, de la rémunération assurable ou du nombre d'heures d'emploi assurable du débiteur,

(v) le fait d'avoir assuré par erreur l'emploi ou une autre activité du débiteur. DORS/2002-236, art. 2.

56. (1) A penalty owing under section 38, 39 or 65.1 of the Act or an amount payable under section 43, 45, 46, 46.1 or 65 of the Act, may be written off by the Commission if

(a) the total of the penalties and amounts owing by the debtor $5, a benefit period is not currently running in respect of the debtor;

(b) the debtor is deceased;

(c) the debtor is a discharged bankrupt;

(d) the debtor is an undischarged bankrupt in respect of whom the final dividend has been paid and the trustee has been discharged;

(e) the overpayment does not arise from an error made by the debtor or as a result of a false or misleading declaration or representation made by the debtor, whether the debtor knew it to be false or misleading or not, but arises from

(i) a retrospective decision or ruling made under Part IV of the Act, or

(ii) a retrospective decision made under Part I or IV of the Act in relation to benefits paid under section 25 of the Act; or

(f) the Commission considers that, having regard to all the circumstances,

(i) the penalty or amount, or the interest accrued on it, is uncollectable, or

(ii) the repayment of the penalty or amount would result in undue hardship to the debtor.

56(2)

(2) The portion of an amount owing under section 47 or 65 of the Act in respect of benefits received more than 12 months before the Commission notifies the debtor of the overpayment may be written off by the Commission if

(a) the overpayment does not arise from an error made by the debtor or as a result of a false or misleading declaration or representation made by the debtor, whether the debtor knew it to be false or misleading or not; and

(b) the overpayment arises as a result of

(i) a delay or error made by the Commission in processing a claim for benefits,

(ii) retrospective control procedures or a retrospective review initiated by the Commission,

(iii) an error made on the record of employment by the employer,

(iv) an incorrect calculation by the employer of the debtor's insurable earnings or hours of insurable employment, or

(v) an error in insuring the employment or other activity of the debtor. SOR/2002-236, s. 2.

                                   


[3]                Le 14 décembre 2000, le demandeur a formulé une demande de prestations d'assurance-emploi y indiquant avoir cessé de travailler le 25 novembre 2000 à la Maison Marc Leclerc ( « l'employeur » ) à titre de technicien-ambulancier. Il a également indiqué sur sa demande qu'il avait travaillé 80 heures durant sa dernière semaine de travail et que sa rémunération brute pour celle-ci était de 1 618,51 $.

[4]                Une période de prestations fut établie à son profit à compter du 26 novembre 2000 et des prestations d'assurance-emploi lui furent payées.

[5]                Le demandeur, à titre de technicien-ambulancier, travaillait 80 heures sur une période de sept jours et était, par la suite, en congé pour une période de 7 jours que M. Girard qualifie dans son affidavit déposé au soutien de sa demande de contrôle judiciaire non pas comme une période de congé mais plutôt une période de récupération telle qu'indiquée dans un article de la convention collective en vigueur.

[6]                Suite à un réexamen, le 1er octobre 2001, la Commission décide que le demandeur n'avait pas droit aux bénéfices des prestations à compter du 26 novembre 2000 au motif qu'il recevait son salaire habituel pendant sa période de congé.


[7]                C'est cette décision de la Commission qui a entraîné le trop-payé de prestations de 7 236 $. M. Girard porte appel devant le conseil arbitral qui, le 11 juillet 2002, rejette l'appel du demandeur mais recommande fortement que la Commission considère la possibilité d'une défalcation intégrale du trop-payé.

[8]                Le conseil arbitral note que le demandeur, lorsqu'il s'est présenté à l'assurance-emploi, avait expliqué la situation des techniciens-ambulanciers et particulièrement la sienne à une agente de la Commission. Cette agente lui a répondu qu'il avait droit aux prestations. Le conseil arbitral, à l'unanimité, écrit:

Les renseignements reçus ont amené un trop-payé ce qui fait que le prestataire se retrouve dans une situation financière précaire.

• Compte tenu que le prestataire a toujours agi de bonne foi.

• Compte tenu qu'il a toujours déclaré ses heures travaillées.

• Compte tenu que l'assurance-emploi revient après plusieurs mois (ce qui lui occasionne un montant considérable à rembourser).

• Compte tenu que la dette cause un préjudice considérable au prestataire.

• Compte tenu que le conseil arbitral ne peut changer la décision de la Commission sur son état de chômage.

Le Conseil arbitral en vient à la même conclusion que le CUB 52575 sur l'objectif du programme sur l'assurance-emploi.

En conséquence, le conseil arbitral, à l'unanimité, rejette l'appel du prestataire et recommande fortement que la Commission reconsidère la possibilité d'une défalcation intégrale du trop-payé.

[9]                Le 13 février 2003, M. Girard demande à la Commission de défalquer le trop-payé. Quelques jours auparavant, il avait rempli le formulaire de la Commission intitulé « Évaluation de la situation financière du débiteur » .

[10]            Il évalue son revenu mensuel brut à 1 795 $ avec un point d'interrogation à côté des mots « assurance-emploi » qu'il ajoute au formulaire. Il inscrit 3 338,04 $ comme étant le total de ses dépenses mensuelles.

[11]            Le 10 mars 2003, Doris Morissette, agent de recouvrement chez Développement des ressources humaines Canada, refuse la défalcation demandée. Il se fonde sur la notion de la privation injustifiable. Il écrit:

PRIVATION: "Privation injustifiable signifie que la situation financière dans laquelle se trouve le prestataire ne lui permet de rembourser aucune portion de la dette, si minime qu'elle soit, à moins de se priver des choses nécessaires à la vie telles que la nourriture, le vêtement, le logement, les soins médicaux, les services publics (tels que l'eau, l'électricité et le chauffage) et de ne pouvoir faire face aux modalités de remboursement de prêts à court et long terme pour des articles tels qu'une automobile, une maison, du mobilier et des appareils ménagers."

Voici les principaux éléments ayant permis de retenir cette position:

1.             Vous recevez des prestations d'assurance-emploi. Il ne peut donc y avoir d'annulation de la dette.

2.             De plus, vous occupez un emploi.

3.             Vous arrivez à rembourser la plupart de vos créanciers à plus ou moyen terme.

Dans les circonstances notre ministère DRHC ne peut que vous offrir le remboursement échelonné sur une plus longue période à raison de $100 par mois à compter du 30 mars 2003 par chèques postdatés... .

[12]            Au paragraphe 17 de son affidavit à l'appui de sa demande de contrôle judiciaire, M. Girard écrit: (dossier du demandeur, page 011)

17.-           Le 10 mars 2003, la Commission, ne tenant pas compte de ma situation financière immédiate et restreignant la notion de privation injustifiable au risque imminent d'indigence, refuse de défalquer mon trop-perçu,... .

[13]            M. Morissette a déposé un affidavit au soutien de la position du défendeur. Il décrit le fondement de sa décision au paragraphe 7 de son affidavit (dossier du demandeur, page 63):

7-             Afin de rendre ma décision, j'ai pris connaissance du dossier du demandeur, notamment du formulaire Évaluation de la situation financière du débiteur... . Les informations suivantes ressortent du dossier du demandeur.

• Il recevait des prestations d'assurance-emploi au moment de l'étude du dossier;

• Il avait également des revenus d'emploi puisqu'il travaillait sur appel;

• Il travaillait actuellement à temps partiel et devait obtenir un poste permanent en 2003 ou 2004;

• Le demandeur remboursait tous ses autres créanciers sur une base régulière;

• Le trop-payé de prestations faisant l'objet d'une recommandation de la part du conseil arbitral est de 7 236 $ et sera prescrit à compter du 10 août 2008.

8-             Afin de rendre ma décision, j'ai également considéré les lignes directrices de DRHC servant à évaluer le bien-fondé d'une demande de défalcation dont... .

9-             Après étude du dossier du demandeur, j'ai conclu que le remboursement du trop-payé ne lui imposerait pas un préjudice abusif et que la somme n'était pas irrécouvrable.

[14]            Le demandeur invoque les moyens suivants au soutien de sa demande de contrôle judiciaire.

[15]            Premièrement, M. Girard a toujours été de bonne foi et le trop-payé résulte de mauvais renseignements reçus. Ces deux faits ont dicté la recommandation du conseil arbitral que la Commission défalque le trop-payé, recommandation que la Commission a ignorée parce qu'elle s'est basée uniquement sur la situation financière du demandeur.

[16]            Deuxièmement, la Commission tant dans sa décision que dans les lignes directrices sur lesquelles elle s'est basée a assimilé préjudice abusif à la notion de privation injustifiable ayant comme résultat que la Commission n'a pas tenu compte de sa situation financière immédiate.

[17]            Selon le défendeur, la Commission n'a commis aucune erreur.

[18]            Il soumet que l'alinéa 56(1) du Règlement confère à la Commission une discrétion de défalquer ou non mais l'assujetti à une condition préalable dont l'existence est déterminée objectivement dans chacun de ses paragraphes (a) à (f).

[19]            En l'espèce, d'après le défendeur, ce n'est seulement si le demandeur démontre l'existence d'un préjudice abusif que l'ouverture est créée pour l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission.

[20]            Il conclut dans ce contexte réglementaire que les facteurs de la bonne foi du demandeur, de la cause du trop-payé, et de la recommandation du conseil arbitral, étaient pertinents pour l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission mais ne le sont pas pour la présence du préjudice abusif, notion de fait qui se constate objectivement.

[21]            Le défendeur cite l'arrêt Côté c. Canada (Développement des ressources humaines), [2001] CFPI 924, à l'appui de sa proposition que la notion de privation injustifiable a la même étendue que celle de préjudice abusif.

[22]            Je souscris aux prétentions du défendeur pour les motifs suivants essentiellement fondés sur la décision que j'ai rendue dans Allard c. Canada (Procureur général), [2001] CFPI 789.

Conclusions


[23]            La norme de contrôle au mérite de l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission de défalquer ou non est la norme de raisonnabilité simpliciter mais la décision de la Commission sur l'existence ou non d'un préjudice abusif est une question de faits révisable selon les dispositions de l'article 18.1(4)(d) de la Loi sur la Cour fédérale dont les éléments composants reflètent la norme de manifestement déraisonnable (voir Allard, précité, paragraphes 36 à 47 et la décision de la Cour fédérale d'appel dans Canada (Procureur général) c. Dunham, [1997] 1 F.C. 462).

[24]            La structure de l'article 56 du Règlement donne ouverture à l'exercice par la Commission de son pouvoir discrétionnaire de défalquer ou non seulement si l'existence de la condition préalable, en l'espèce, le préjudice abusif, a été démontré (Allard, précité, paragraphes 30 à 32).

[25]            Durant l'audition, le demandeur a abandonné sa prétention que la décision de la Commission sur l'existence de la condition préalable, le préjudice abusif, était manifestement déraisonnable.

[26]            Les facteurs que la Commission a omis de prendre en considération, soit la bonne foi du demandeur, les causes du trop-payé et la recommandation du conseil arbitral, ne sont pas pertinents à l'étape de l'évaluation de l'existence de la condition préalable.

[27]            La notion de privation injustifiable s'assimile à la notion de préjudice abusif. C'est la conclusion de la juge Tremblay-Lamer dans Côté, précité. Elle écrit ceci aux paragraphes 7 à 11 de sa décision:

¶ 7       En premier lieu, le demandeur soutient que la Commission a interprété de façon erronée le sous-alinéa 56(1)f)(ii) du Règlement, qui prévoit que la Commission peut défalquer une somme due lorsque "le remboursement de la pénalité ou de la somme imposerait au débiteur un préjudice abusif", en exigeant qu'il établisse que le remboursement de la somme due allait lui causer beaucoup plus qu'un préjudice abusif.

¶ 8       Selon le demandeur, le fait que le législateur ait choisi de changer les termes "privation injustifiable" par les termes "préjudice abusif" indique clairement que le législateur voulait adoucir la portée de l'application de ce sous-alinéa. Le demandeur soutient donc qu'un débiteur n'a pas besoin de prouver qu'il sera amené à subir de graves privations afin de pouvoir bénéficier de la défalcation d'une somme due.

¶ 9       Pour sa part, le défendeur soutient que le changement par le législateur des termes "privation injustifiable" utilisés au sous-alinéa 60(1)f)ii) du Règlement de l'assurance-chômage par les termes "préjudice abusif" au sous-alinéa 56(1)f)(ii) du Règlement ne visait qu'à reformuler le droit et non pas à le réformer. Je suis de cet avis.

¶ 10       Tel que mentionné par le défendeur, le paragraphe 44(f) de la Loi concernant l'interprétation des lois et des règlements prévoit que:

44. En cas d'abrogation et de remplacement, les règles suivantes s'appliquent:

                [...]

f) sauf dans la mesure ou les deux textes diffèrent au fond, le nouveau texte n'est pas réputé de droit nouveau, sa teneur étant censé constituer une refonte et une clarification des règles de droit du texte antérieur; [...].

* * *

44. Where an enactment, in this section called the "former enactment", is repealed and another enactment, in this section called the "new enactment", is substituted therefor,

[...]


f) except to the extent that the provisions of the new enactment are not in substance the same as those of the former enactment, the new enactment shall not be held to operate as new law, but shall be construed and have effect as a consolidation and as declaratory of the law as contained in the former enactment; [...]

¶ 11       Je ne considère pas que le nouveau texte du sous-alinéa 56(1)f)ii) du Règlement diffère quant au fond du texte antérieur du sous-alinéa 60(1)f)ii) du Règlement de l'assurance-chômage, compte tenu du fait que les termes "undue hardship" utilisés dans la version anglaise sont demeurés les mêmes depuis 1971. Je conclue donc que la Commission a interprété le sous-alinéa 56(1)f)(ii) du Règlement correctement.

                                        ORDONNANCE

Pour tous ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée mais dans les circonstances, sans frais.

« François Lemieux »

                                                                                                                                                                           

                                                                                                J U G E                   


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-535-03

INTITULÉ :              

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal, Québec

DATE DE L'AUDIENCE :                            25 mai 2004

MOTIFS :                 L'Honorable juge Lemieux

DATE DES MOTIFS :                                   le 23 juin 2004

COMPARUTIONS :

Me Gilbert Nadon                                             POUR LE DEMANDEUR

Me Paul Deschênes                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ouellet, Nadon & Associés Avocats

Montréal, Québec                                             POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenbert

Sous-Procureur général du Canada

Montréal, Québec                                             POUR LE DÉFENDEUR


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