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Date : 20040421

Dossier : T-1568-03

Référence : 2004 CF 585

Ottawa (Ontario), le 21 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

                                                          ALI TAHMOURPOUR

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                       LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                           défendeur

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT


[1]                M. Ali Tahmourpour est un ancien cadet de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) qui a été renvoyé avant la fin de sa formation en octobre 1999. Il a soutenu avoir été victime de discrimination personnelle et systémique fondée sur sa religion et sur son origine nationale et ethnique et a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (Commission). Un enquêteur a examiné la preuve à l'appui de la plainte de M. Tahmourpour et a interrogé des témoins importants. Il a conclu que M. Tahmourpour avait été renvoyé en raison de son faible rendement au travail et non pour des motifs discriminatoires et a recommandé à la Commission de rejeter la plainte du demandeur, ce qu'elle a fait. M. Tahmourpour soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a accepté le rapport de l'enquêteur et me demande d'ordonner à la Commission de réexaminer le fondement de la plainte qu'il a déposée.

[2]                Je ne puis trouver aucun motif me permettant d'infirmer la décision de la Commission et je dois, par conséquent, rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

I. Questions en litige

[3]                M. Tahmourpour soulève deux grandes questions :

1.    La Commission a-t-elle omis de tenir compte de la preuve relative à la discrimination systémique dont la GRC aurait fait montre à l'endroit du demandeur?

2.    La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que M. Tahmourpour n'avait pas démontré que son allégation de discrimination était fondée?

II. Analyse

[4]                Je ne puis accorder la réparation que M. Tahmourpour demande que si j'en arrive à la conclusion que la Commission a rendu une décision déraisonnable en rejetant la plainte qu'il a déposée. Je suis d'avis que la décision de la Commission n'était pas déraisonnable en ce qui a trait aux deux questions que M. Tahmourpour a soulevées.


[5]                Je souligne d'abord que M. Tahmourpour a désigné à tort la GRC et le ministère du Solliciteur général à titre de défendeurs dans la présente instance. La seule partie désignée en bonne et due forme à titre de défendeur est le solliciteur général : Enniss c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1995] A.C.F. n ° 1593 (C.F. 1re inst.) (QL). L'intitulé de la cause a été modifié en conséquence.

A. La Commission a-t-elle omis de tenir compte de la preuve relative à la discrimination systémique dont la GRC aurait fait montre à l'endroit du demandeur?

[6]                M. Tahmourpour a soutenu que la GRC avait fait montre de discrimination systémique à son endroit. Il n'a pas invoqué explicitement l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6, qui interdit à l'employeur de faire montre de discrimination au moyen de ses lignes de conduite. Pourtant, il a présenté à l'enquêteur des statistiques qui, selon lui, démontraient que le taux d'attrition était beaucoup plus élevé chez les cadets appartenant à des minorités visibles que chez d'autres personnes. Selon M. Tahmourpour, l'enquêteur a ignoré ces statistiques et, par conséquent, n'a pas examiné un aspect important de l'allégation qu'il avait formulée.

[7]                En fait, l'enquêteur a examiné quelques-uns des chiffres que M. Tahmourpour a fournis. Cependant, il ne s'est pas attardé au nombre de cadets qui ont démissionné ou qui ont été renvoyés au cours des dernières années ni à l'analyse que M. Tahmourpour a faite de ces données.


[8]                J'ai examiné les statistiques que M. Tahmourpour a fournies. Elles indiquent, d'une part, le nombre de cadets qui ont quitté la GRC et, d'autre part, le nombre de personnes que la GRC a recrutées et embauchées. Les données sont réparties en différentes catégories, soit les minorités visibles, les autochtones et les femmes. De l'avis de M. Tahmourpour, il est significatif que la GRC évalue à 7 p. 100 le taux d'attrition global alors que, selon ses calculs, le taux d'attrition relatif aux minorités visibles est beaucoup plus élevé, soit 23 p. 100.

[9]                Un examen des données sur lesquelles M. Tahmourpour s'est fondé révèle que la dernière année pour laquelle les statistiques sont complètes est l'année 2000. Dans l'ensemble, de 1996 à l'année 2000, la GRC a attiré 3 121 recrues et embauché 2 196 personnes. La différence, soit 425 personnes, semble représenter le nombre de recrues qui n'ont pas été embauchées pour une raison ou pour une autre. Au cours de la même période, la GRC a recruté 377 personnes appartenant à une minorité visible et un nombre maximal de 60 d'entre elles ont démissionné ou ont été renvoyées. À mon avis, ces statistiques n'appuient nullement l'allégation de discrimination systémique de M. Tahmourpour. Le taux de recrutement des personnes appartenant à une minorité visible semble comparable à celui de l'ensemble des cadets. J'hésite à tirer une conclusion définitive sur ce point, parce que les données sont restreintes. Cependant, il suffit de dire que les chiffres en soi n'établissent aucun cas de discrimination systémique ni ne fournissent une preuve circonstancielle appuyant la plainte personnelle du demandeur, Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social) (re Chopra), [1998] A.C.F. n ° 432 (C.F. 1re inst.) (QL).


[10]            Après avoir examiné l'ensemble des statistiques fournies par M. Tahmourpour, l'enquêteur a conclu à l'absence de preuve de discrimination systémique en 1999, soit l'année au cours de laquelle M. Tahmourpour a été renvoyé. Je ne puis voir aucune omission importante qui entacherait le rapport de l'enquêteur ni aucune erreur que la Commission aurait commise lorsqu'elle a accepté la conclusion de celui-ci.

B. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que M. Tahmourpour n'avait pas démontré que son allégation de discrimination était fondée?

[11]            M. Tahmourpour a allégué que la Commission avait eu tort de conclure que sa plainte n'était pas appuyée par la preuve. Il a cité un certain nombre d'incidents qui, à son avis, étaient discriminatoires. D'abord, le sergent de la section dont le demandeur faisait partie a annoncé aux autres membres de ladite section que M. Tahmourpour était autorisé à porter un pendentif religieux. En deuxième lieu, un caporal lui a demandé dans quelle langue il avait signé son nom. En troisième lieu, le même caporal a dit de lui-même qu'il n'était pas une personne « politiquement correcte » . M. Tahmourpour a compris que cette déclaration signifiait que le caporal était hostile à l'endroit des minorités. En quatrième lieu, une autre caporale lui a demandé quelle était son origine nationale. De plus, M. Tahmourpour soutient qu'il a fait l'objet de propos abusifs, de critiques injustifiées et de mauvaises évaluations également injustifiées.

[12]            L'enquêteur a examiné toutes ces questions et a commenté les éléments de preuve suivants :

·      Habituellement, les cadets ne sont pas autorisés à porter des bijoux au cours de leur entraînement physique. Une exception est permise dans le cas des bijoux religieux ou des bracelets « Medic Alert » . Le sergent a expliqué que les cadets se font demander s'ils portent des bijoux visés par les exceptions et, pour des raisons de sécurité, les autres membres de la section sont informés en conséquence.


·      Par curiosité, un caporal a interrogé M. Tahmourpour au sujet de la signature unique de celui-ci.

·      Le caporal était un moniteur de tir. Lorsqu'il a mentionné qu'il n'était pas une personne « politiquement correcte _, il voulait dire qu'il devait parfois parler fort et de façon brusque afin de se faire entendre et comprendre dans un environnement dangereux.

·      L'autre caporale a dit qu'il était possible qu'elle se soit enquise des origines de M. Tahmourpour simplement parce qu'elle voulait en apprendre davantage au sujet de celui-ci.

·      Aucun élément de preuve n'indique que les supérieurs de M. Tahmourpour se sont adressés à lui en utilisant des propos injurieux ou l'ont isolé en raison de son origine nationale ou de sa religion.

·      M. Tahmourpour a fait l'objet d'évaluations négatives en ce qui concerne le maniement qu'il faisait des armes à feu. Son rendement a fait l'objet d'évaluations bien documentées et approfondies. M. Tahmourpour a été renvoyé en raison de son piètre rendement au travail.


[13]            M. Tahmourpour affirme à juste titre que la GRC doit respecter des normes de comportement très élevées ainsi que les principes fondamentaux sous-jacents aux lois antidiscriminatoires. Cependant, une plainte de discrimination est une accusation sérieuse. La Commission doit rejeter les plaintes qui ne sont pas appuyées par la preuve afin que les défendeurs ne soient pas tenus de répondre à des accusations qui sont sans fondement. Si la Commission décide après enquête que la plainte n'est pas appuyée par la preuve, la Cour n'interviendra que lorsque la décision de la Commission n'est pas raisonnable : Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] A.C.F. n ° 181 (C.F. 1re inst.) (QL).

[14]            Dans la présente affaire, l'enquêteur n'a trouvé aucun élément de preuve appuyant les différentes allégations de discrimination que M. Tahmourpour a formulées à l'endroit de ses supérieurs. Il est vrai que quelques-uns des événements qu'il a décrits se sont produits, mais l'enquêteur a jugé que ces événements étaient anodins et avaient été expliqués de façon satisfaisante par les personnes qu'il a interrogées. Il n'y avait pas la moindre indication de traitement ou d'intention discriminatoire. L'enquêteur a fourni une analyse écrite approfondie de l'ensemble des allégations de M. Tahmourpour et des éléments de preuve pertinents. À mon avis, l'enquêteur n'a commis aucune erreur et, par conséquent, je ne puis conclure que la Commission a agi de façon déraisonnable lorsqu'elle s'est fondée sur le rapport qu'il a remis.

III. Conclusion

[15]            M. Tahmourpour ne m'a pas convaincu que la décision par laquelle la Commission a rejeté sa plainte était déraisonnable. En conséquence, je dois rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune ordonnance ne sera rendue au sujet des dépens.


                                                                   JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2. Aucune ordonnance n'est rendue au sujet des dépens.

                                                                                                                          _ James W. O'Reilly _               

                                                                                                                                                     Juge                              

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.



Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6

Lignes de conduite discriminatoires

10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale ou l'organisation syndicale :

a) de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite;

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.

Canadian Human Rights Act, R.S.C. 1985, c. H-6

Discriminatory policy or practice

10. It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization

(a) to establish or pursue a policy or practice, or

(b) to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment,

that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.



                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               T-1568-03

INTITULÉ :                                              ALI TAHMOURPOUR c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                        TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE MARDI 6 AVRIL 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                                      LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                             LE 21 AVRIL 2004

COMPARUTIONS:

Ali Tahmourpour                                                        POUR LE DEMANDEUR

Sogie Sabeta                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Ali Tahmourpour                                                        POUR LE DEMANDEUR

(comparaissant pour son propre compte)

Morris Rosenberg                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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