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Date : 20040506

Dossier : T-697-03

Référence : 2004 CF 670

                                    ACTION RÉELLE EN MATIÈRE D'AMIRAUTÉ

ENTRE :

                                                            FISH MAKER L.L.C.

                                                                                                                                demanderesse

                                                                            et

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES

AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE « ZODIAK »

et MAGADAN SCIENCE AND RESEARCH INSTITUTE FOR

FISHERIES AND OCEANOGRAPHY

                                                                                                                                      défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE


[1]                 La demanderesse a conclu un contrat en vue de réparer et de remettre en état le Zodiak, un navire de recherche russe de 44 mètres de long, et de le transformer en un bateau de pêche permettant de récolter et de transformer divers types de fruits de mer. Elle a également convenu d'équiper et d'approvisionner le Zodiak. Pour un certain nombre de raisons, qui sont complexes et qui, pour qu'un examen approfondi puisse être effectué, exigeraient la présentation d'éléments de preuve et de contre-interrogatoires dans le cadre d'une instruction, le projet n'a pas donné de bons résultats. Les défendeurs sollicitent maintenant la mainlevée de la saisie du Zodiak sans qu'aucune garantie ne soit fournie ou ils demandent que le montant de la garantie soit fixé; ils cherchent également à obtenir un cautionnement pour les dépens.

[2]                 Les actions qui découlent d'un différend concernant la réparation, la remise à neuf ou la transformation de navires et la détermination du montant de la garantie à fournir aux fins de la mainlevée de la saisie de pareils navires sont souvent complexes et difficiles. Les parties ont habituellement des vues divergentes fermes au sujet de leurs droits. Tel est ici le cas.

[3]                 En se fondant sur diverses interprétations des documents contractuels, sur les faits tels qu'ils les considèrent et sur ce qu'ils estiment être l'absence vraisemblable de motifs à l'appui d'une demande ainsi que l'absence probable de responsabilité de la demanderesse envers les fournisseurs et les sous-traitants, les défendeurs affirment que le Zodiak devrait faire l'objet d'une mainlevée de saisie de la part de la demanderesse, et ce, sans qu'une garantie soit fournie. Selon la meilleure preuve raisonnablement soutenable de la demanderesse, le montant en cause, en chiffres ronds, s'élève à 500 000 $US, les intérêts, au taux de 5 p. 100, sur une période de trois ans, étant de 75 000 $ et les dépens d'un montant de 60 000 $; ces montants sont tous libellés en argent américain et s'élèvent en tout à 635 000 $US.


ANALYSE

Mainlevée de la saisie du navire et garantie


[4]                 D'une part, et d'une façon à vrai dire fort simplifiée, car les défendeurs ont produit un grand nombre de documents, les défendeurs soutiennent que les contrats de réparation et de transformation stipulent un prix fixe et que le solde impayé est d'environ 300 000 $US seulement. Ce montant de 300 000 $US représenterait apparemment les sommes dues par la demanderesse à Allied Shipbuilders et à un tiers qui a fourni du matériel. Les défendeurs affirment qu'Allied Shipbuilders, un entrepreneur de la demanderesse, à qui le navire avait été confié aux fins de la réparation et de la transformation, et chez qui le navire se trouve encore, bénéficie d'une garantie acceptable en raison du privilège qu'il peut faire valoir à l'encontre du Zodiak. Quant à la réclamation que le tiers qui a fourni du matériel a présentée à l'encontre de la demanderesse, les défendeurs affirment que la réclamation devrait être réglée au moyen de la vente du matériel fourni par ce tiers. Il y a ici beaucoup de questions non réglées; en effet, si le Zodiak n'était pas disponible aux fins de l'exécution, il se pourrait bien qu'Allied Shipbuilders s'adresse en fin de compte à sa cliente, la demanderesse. En outre, la question de l'emplacement, du contrôle, de la propriété et de la valeur du matériel fort spécialisé fourni par le tiers qui a fabriqué le matériel est vague et contestable. Il existe trop d'incertitudes pour qu'il soit possible de conclure, en l'absence d'un examen complet de la preuve soumise dans le cadre d'une instruction, que les défendeurs ne doivent rien à la demanderesse et que le Zodiak devrait faire l'objet d'une mainlevée de saisie sans qu'une garantie soit maintenant fournie.

[5]                 D'autre part, de nombreux éléments permettent de fixer à 500 000 $US le montant exigible selon la meilleure preuve raisonnablement soutenable de la demanderesse. Toutefois, ni l'une ni l'autre partie n'a fourni d'éléments de preuve irréfutables à l'appui de sa position. Je dois donc faire de mon mieux, sans statuer sur l'affaire, pour déterminer le montant de la garantie en me fondant sur la meilleure preuve raisonnablement soutenable. J'examinerai d'abord le droit qui s'applique à la mainlevée de saisie d'un navire lorsqu'aucune garantie n'est fournie.

[6]                 Il n'arrive que rarement, lorsque les circonstances sortent de l'ordinaire ou qu'une cause est indubitablement vouée à l'échec, qu'un navire fasse l'objet d'une mainlevée de saisie sans remise d'une garantie. En l'espèce, les décisions pertinentes sont : Argosy Seafoods Ltd. c. Atlantic Bounty (Le) (1991), 45 F.T.R. 114 (C.F. 1re inst.), page 120, décision rendue par le juge MacKay, Amican Navigation Inc. c. Densan Shipping Co. (1997), 137 F.T.R. 132 (C.F. 1re inst.), pages 135 et 136, décision rendue par le juge Lutfy (tel était alors son titre) et Pictou Industries Ltd. c. Secunda Marine Services Ltd. (1994), 78 F.T.R. 78 (C.F. 1re inst.), pages 79 et 80, décision rendue par le juge en chef adjoint Jerome.


[7]                 Il y a certes des cas dans lesquels le montant demandé au titre de la garantie a été modifié, comme dans la décision NHM International Inc. c. F.C. Yachts Ltd. (2003), 227 F.T.R. 42 (C.F. 1re inst.). Dans la décision NHM International, le montant fixé au titre de la garantie ne représentait qu'une partie du montant demandé; il ne s'agit toutefois pas d'un cas dans lequel l'affaire a été tranchée prématurément lorsque le montant de la garantie a été fixé, mais plutôt d'un cas dans lequel il a été reconnu qu'une partie qui cherche à obtenir une garantie ne doit pas abuser de la situation; en effet, la partie qui avait demandé une garantie dans cette affaire-là maintenait que, si le montant de la garantie était élevé, la chose aurait un effet salutaire sur le règlement puisque la partie qui devrait fournir la garantie se verrait obligée de régler l'affaire; il s'agissait clairement d'un abus. Dans la décision NHM International, le montant qui a été fixé au titre de la garantie était fondé sur la meilleure preuve raisonnablement soutenable, compte tenu de l'équilibre qui doit exister, une garantie suffisante devant être accordée sans toutefois aller jusqu'à utiliser cette garantie pour opprimer une partie ou pour imposer un règlement.


[8]                 En ce qui concerne l'équilibre à établir, une garantie suffisante devant être accordée sans pour autant trancher l'affaire d'avance, tout en évitant un abus de la part du demandeur saisissant, qui tient le haut du pavé, j'aimerais signaler qu'il existe également des protections additionnelles. Premièrement, si la garantie demandée est en bonne partie accordée et qu'elle est fixée à un montant trop élevé, le demandeur qui procède à la saisie peut être pénalisé sur le plan des dépens. Deuxièmement, si, comme l'a soutenu l'avocate des défendeurs, le montant de la garantie excède la valeur du navire, et je reconnais ici que les perspectives d'avenir dans l'industrie de la pêche en général ne sont pas bonnes, et même si je ne dispose d'aucun élément de preuve au sujet de la valeur réelle du Zodiak, la présente cour a parfois, comme dans la décision Algobay (Le), [1980] 2 C.F. 366 (C.F. 1re inst.), page 367, entendu des requêtes visant à faire fixer la garantie à un montant raisonnable compte tenu de la valeur du navire.

[9]                 Dans ce cas-ci, les défendeurs ont soumis une grande quantité de documents, dont certains sont contradictoires. Ici et là, les défendeurs ont gonflé leur preuve. Dans un cas, ils ont mal interprété la preuve de la demanderesse en ce qui concerne la production de documents et ils lui ont attribué un sens injustifié, tactique qui laisse planer un doute sur leur crédibilité générale. Le plaideur qui allègue ou même donne à entendre que l'on se livre à des activités criminelles ou à une enquête criminelle, sans avoir de preuves ou sans avoir une connaissance directe en faveur ou à l'encontre de l'autre partie, doit veiller d'une façon toute particulière à avancer des faits exacts et même des faits qui sont incontestablement corrects. Il ressort de tout cela que la crédibilité des défendeurs laisse à désirer : si je dois choisir entre une preuve par affidavit contradictoire ou entre les opinions contradictoires des avocats, j'accorde la préférence à la preuve ou aux opinions avancées pour le compte de la demanderesse.


[10]            La preuve des défendeurs comporte des lacunes en ce sens que ceux-ci ne tiennent pas compte de la possibilité que les modifications apportées et les interprétations données aux documents contractuels favorisent la demanderesse, qui s'attendait à ce que le bateau, un bateau passablement neuf puisqu'il avait été construit en 1997, soit en relativement bon état, alors que le bateau remis par les défendeurs était en piètre état et qu'il fallait notamment souder de nouveau la coque, que l'on avait négligée, en vue d'empêcher la corrosion de la partie immergée. Je ferai ici remarquer qu'indépendamment de la possibilité que des modifications non écrites soient apportées aux diverses versions courantes des contrats de transformation et de réparation, les contrats écrits eux-mêmes sont difficiles à interpréter et, de fait, qu'on ne devrait pas les interpréter sans procéder à une instruction complète.

[11]            L'efficacité et la sobriété des membres de l'équipage des défendeurs qui devaient exécuter certains travaux de réparation et de transformation nécessaires étaient en litige. On réclame certains montants pour de nombreux autres éléments qui seraient clairement nécessaires et que la demanderesse aurait censément pris à sa charge, notamment des frais d'obsèques, les frais de déplacement du capitaine, qui a assisté à la crémation, les frais d'hébergement des membres de l'équipage des défendeurs dans un hôtel, ceux-ci ayant refusé de vivre à bord du navire, les salaires de l'équipage à un nouveau taux plus élevé négocié entre l'équipage et les propriétaires ainsi que les frais de repas, le cuisinier, qui abusait de l'alcool, n'ayant censément pas été en mesure de s'acquitter de sa tâche. Tous ces facteurs ont également eu pour effet de compliquer le travail et de prolonger la durée des travaux et ont entraîné une augmentation des coûts.


[12]            Aucun litige n'est certain, mais j'accepte, en abaissant légèrement le montant, les calculs effectués par la demanderesse, le montant de 500 000 $US étant conforme à la meilleure preuve raisonnablement soutenable. La demanderesse sollicite les intérêts, qui ont maintenant couru pendant près d'un an et qui peuvent bien courir pendant une période additionnelle de deux ans avant le règlement de l'affaire. J'ai donc accordé des intérêts, pour une période de trois ans, au taux simple de 5 p. 100, ce qui représente la meilleure estimation de ce qu'il en coûterait à la demanderesse pour emprunter une somme de 75 000 $US en tout. En ce qui concerne les coûts des défendeurs, ces derniers estiment qu'ils s'élèvent à 100 000 $US. C'est peut-être bien le cas, mais je crois que les coûts de la demanderesse seront inférieurs à ce montant et je les fixe à 60 000 $US. Un montant de 635 000 $US sera donc accordé au titre de la garantie.

Cautionnement pour les dépens

[13]            Les défendeurs sollicitent un cautionnement pour les dépens en se fondant sur le fait que la demanderesse est une société américaine, de sorte qu'elle est assujettie à l'alinéa 416(1)a) des Règles en sa qualité de demanderesse résidant habituellement hors du Canada, la Cour possédant donc le pouvoir discrétionnaire voulu pour accorder un cautionnement pour les dépens. Le montant du cautionnement pour les dépens accordé aux défendeurs collectivement sera de 100 000 $US, payable en deux versements. Le premier versement devra être effectué dans un délai de 45 jours et s'appliquera jusqu'à la fin des interrogatoires préalables, y compris les réponses données par suite des engagements qui auront été pris. Le deuxième versement, d'un montant de 65 000 $US, sera effectué lorsque l'on demandera la tenue de la conférence préparatoire.


[14]            Compte tenu des circonstances dans leur ensemble, les frais de la présente requête suivront l'issue de la cause. Je prends cette décision en reconnaissant que la demanderesse a eu gain de cause lorsqu'il s'est agi d'obtenir une garantie qui était généralement conforme à la preuve qu'elle avait soumise et que les défendeurs ont réussi à obtenir un montant élevé au titre du cautionnement pour les dépens.

     « John A. Hargrave »    

Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 6 mai 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                T-697-03

INTITULÉ :                                                                FISH MAKER L.L.C.

c.

LE NAVIRE ZODIAK ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                         VANCOUVER

(COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                                      LE 3 MAI 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                          LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

DATE DES MOTIFS :                                              LE 6 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Peter G. Bernard, c.r.                                                                        POUR LA DEMANDERESSE

Ellen Bond                                                                              POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bernard et associés                                                              POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

Rankin et Bond                                                                       POUR LES DÉFENDEURS

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

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