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Date : 19990421


Dossier : IMM-3698-98

ENTRE:     

     GURMUKH SINGH BAINS

     Demandeur

     - et -

     LE MINISTRE

     Défendeur

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié rendue le 15 juin 1998, selon laquelle le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

FAITS

[2]      Le demandeur est citoyen de l'Inde, né au Punjab en 1966. Il est arrivé au Canada le 1er mars 1997 et a revendiqué le statut de réfugié le 4 mars 1997. Le demandeur est Sikh par nationalité et par religion. Il allègue une crainte bien fondée de persécution dans son pays en raison de sa nationalité, de ses opinions politiques, de sa religion et de son appartenance à un groupe social particulier.

[3]      L'histoire du demandeur se résume comme suit:

     En janvier 1985, alors qu'il était spectateur lors d'une manifestation de l'AISSF (All India Sikh Students Federation), il fut arrêté par la police.

[4]      Il fut arrêté une seconde fois en juillet 1986 après la visite de deux amis d'école. Les policiers l'ont accusé d'aider les terroristes et d'en être un lui-même. Il fut battu et torturé.

[5]      En 1987, après avoir fini ses études, il travaille à la ferme et aide sa famille dans l'entreprise de transport. En revenant de faire une livraison avec son camion, deux hommes lui demandent s'ils peuvent monter avec lui. Ils rencontrent un barrage policier en chemin et les deux hommes lui disent de ne pas arrêter, sinon ils le tuent.

[6]      Ayant peur pour sa vie, il obéit aux deux hommes et n'arrête pas son camion. Des coups de feu sont tirés par les policiers et les deux hommes. Près du village de Dhadan, ils lui ordonnent d'arrêter et de ne dire à personne ce qui venait de se passer.

[7]      Le lendemain, des policiers sont venus chez lui et l'ont arrêté. Ils l'ont amené au poste de police et il fut questionné sur les deux terroristes, battu et torturé. Il fut relâché sur paiement de 50 000 rupees.

[8]      En septembre 1988, son camion fut volé. Un rapport fut fait à la police. Le lendemain matin, il fut arrêté encore une fois et détenu au poste de police. Il fut battu et torturé.

[9]      En juin 1989, ayant peur de la police, il décida de fuir chez sa soeur dans la province de Madhpradesh. Il fut informé par des gens de son village que la police venait souvent chez sa famille pour le voir.

[10]      Il est resté quatre mois chez sa soeur et ensuite, il est parti chez un ami à Assam. Il fut informé que la police était venue chez sa soeur. Ils sont aussi venus à Assam mais le demandeur n'était pas là.

[11]      Il est ensuite parti pour Maharastra. Il fut arrêté par la police de Maharastra. Après une semaine de détention, la police du Punjab est venue le chercher pour le ramener au Punjab. Il fut encore une fois battu et torturé. On le relâcha après plusieurs jours et un paiement de 100 000 rupees.

[12]      Ayant peur pour sa vie, il fut décidé qu'il devait s'enfuir de l'Inde. Il est arrivé en Angleterre en 1991 et a demandé le refuge politique, mais après une attente de 5-6 ans et n'ayant toujours pas de réponse, il est venu au Canada.

DÉCISION DE LA COMMISSION

[13]      La Commission a conclu à l'absence d'une crainte bien fondée de persécution pour les motifs suivants:

     Lors de la première audience, le demandeur a expliqué qu'il n'avait jamais eu de décision concernant sa demande de refuge politique en Angleterre et qu'il a quitté l'Angleterre parce qu'il a entendu dire que l'on déportait les revendicateurs de statut de réfugié.

[14]      La Commission a demandé au demandeur de produire des papiers de sa demande de refuge en Angleterre mais le demandeur a répondu qu'il les avait laissés en Angleterre. Il a ajouté qu'il avait un permis de travail et un permis de conduire valide jusqu'en juin 2035.

[15]      Le revendicateur a maintenu qu'il est venu au Canada parce qu'il était fatigué d'attendre pour le résultat de sa demande de refuge politique et qu'on lui avait dit qu'au Canada les demandes étaient traitées plus rapidement.

[16]      La Commission a alloué trois semaines au demandeur pour produire des documents concernant sa situation en Angleterre. Le 3 mars, la Commission recevait la pièce P-14. Il s"agit d"une lettre en date du 24 février 1998 dans laquelle son procureur en Angleterre confirme que le demandeur a fait une demande de refuge politique en 1991, qu'une entrevue a eu lieu le 21 mai 1992 et que jusqu'à présent, aucune décision n'a été rendue. Son procureur en Angleterre ajoute que le demandeur avait obtenu un numéro d'assurance national qui lui a permis de travailler.

[17]      Par conséquent, le demandeur en quittant le Royaume-Uni avant de connaître l'issue de sa réclamation n'a pas démontré une volonté de poursuivre sa réclamation. Cela indique clairement à la Commission que le demandeur n'a pas de crainte subjective. De plus, il n'a pas produit de preuve à l'effet que les revendicateurs de refuge sont déportés par les autorités du Royaume-Uni.

[18]      De plus, il n'existe pas, à la date de l"audition en 1998, de motif valable pour sa revendication. Selon plusieurs sources crédibles, la preuve documentaire indique clairement que la paix est revenue au Punjab depuis 1993, même des familles hautement soupçonnées ne sont plus harcelées par la police et le demandeur ne peut certainement pas être considéré comme un de ceux-là, considérant ses allégations.

[19]      Pour ces motifs, la Commission a conclu que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

ARGUMENTATION DU DEMANDEUR

[20]      Le demandeur soutient qu'il n'a pas à démontrer qu'il pouvait être déporté par l'Angleterre. Une crainte subjective n'a qu'à être crue, elle n'a pas à être basée sur des faits réels, elle peut être basée sur des rumeurs ou des fausses croyances. Contrairement à la crainte objective, seule la crainte doit être prouvée, son fondement n'a pas à l'être.

[21]      Le demandeur soumet que la preuve ne permet pas de conclure qu'il est clair qu'il n'y a plus de fondement objectif à la crainte de retourner au Punjab. Il est également déraisonnable de conclure, suite à la preuve documentaire, qu'il est clair que la paix est retournée au Punjab.

[22]      Le demandeur suggère que le tribunal n'a sûrement pas apprécié tous les documents qu'il lui avait été soumis à titre de preuve documentaire. En effet, si le tribunal avait tenu compte de toute la preuve documentaire, il n'aurait pu conclure comme il l'a fait. Il aurait dû dire également pourquoi il ignorait les autres documents et pourquoi ces autres documents ne constituent pas un fondement objectif à une crainte raisonnable de persécution.

ARGUMENTATION DU DÉFENDEUR

[23]      Le défendeur soutient que les autorités britanniques du "Immigration and Nationality Department" ont avisé le procureur du demandeur, en 1991, que le demandeur pouvait résider en Angleterre jusqu'à ce que sa demande de refuge soit tranchée et qu'il ne serait pas déporté.

[24]      Le défendeur soutient que la Commission pouvait certainement ne pas s'estimer satisfaite des explications du demandeur, à savoir qu'il aurait entendu dire que les autorités britanniques renvoyaient les revendicateurs en attente de statut, ce qui contredisait l'engagement formel par écrit de ne pas le déporter.

[25]      Le défendeur suggère que le fardeau de démontrer une crainte bien fondée de persécution ne repose que sur les épaules du revendicateur; à défaut pour un revendicateur de démontrer selon la prépondérance des probabilités qu'il entretient une crainte sérieuse de persécution, le statut de réfugié ne saurait lui être reconnu.

[26]      Quant au changement de circonstances, le défendeur suggère que le demandeur avait le fardeau de démontrer que la conclusion du changement de circonstances qui a été tirée par la Commission, en l'espèce, était manifestement déraisonnable, s'il souhaitait que la présente Cour intervienne.

[27]      Or, les prétentions du demandeur à ce sujet concernent l'appréciation de la preuve faite par la Section du statut, référant à certains extraits de cette preuve à l'effet que certaines personnes pouvaient encore aujourd'hui être persécutées au Punjab.

[28]      Le défendeur suggère que rien dans la preuve apportée par le demandeur ne permet de croire que le demandeur pourrait être qualifié de militant par les autorités indiennes et qu'il pourrait être victime de persécution et à cet effet, le demandeur n'a pas démontré que la conclusion à l'effet que la crainte du demandeur ne comportait plus de fondement objectif était arbitraire ou déraisonnable.

ANALYSE

[29]      Concernant la raison du départ d'Angleterre du demandeur, il semble que le procureur se méprenne dans son argumentation en suggérant qu'une crainte subjective suffit à justifier le départ du demandeur d'Angleterre.

[30]      La crainte à laquelle la Convention fait référence est associée à la persécution; il n'y avait aucune crainte de persécution en Angleterre qui ait été alléguée et conséquemment, la Commission était justifiée de s'assurer des motifs allégués par le demandeur pour son départ de l'Angleterre.

[31]      Le demandeur a fui son pays par crainte de persécution et il décide par la suite de quitter le pays où il a trouvé refuge alors qu'il est en attente d'une décision quant à son statut de réfugié; cela ne démontre pas le bien-fondé de sa crainte d'être retourné dans son pays puisque l'Angleterre avait mentionné clairement, au demandeur, qu'il ne serait pas déporté tant qu'une décision ne serait pas rendue sur son statut.

[32]      Dans l'affaire Kante c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] F.C.J., No. 525, monsieur le juge Nadon a écrit ceci:

         Il est clair en droit que le fardeau de la preuve incombe au requérant, c'est-à-dire qu'il doit convaincre la section du statut de réfugié que sa revendication satisfait, à la fois, aux critères subjectifs et objectifs nécessaires à la justification d'une crainte de persécution. Le requérant doit donc se présenter à une audience muni de tous les éléments de preuve qu'il est en mesure d'offrir et qu'il juge nécessaires aux fins d'établir sa revendication.                 

[33]      Il semble plutôt invraisemblable que le revendicateur ait décidé de quitter l'Angleterre pour venir au Canada parce qu'il souhaitait qu'une demande de statut de réfugié au Canada puisse procéder plus rapidement et plus efficacement qu'en Angleterre. À mon avis, la conclusion de la Commission à l'effet que le demandeur n'a pas de crainte subjective n"est aucunement déraisonnable en l'espèce et ne saurait justifier l'intervention de cette Cour.

[34]      Quant au deuxième motif, le demandeur considère que la conclusion à laquelle en arrive la Commission est déraisonnable compte tenu de la preuve documentaire qu'elle devait considérer.

[35]      Il est important de se rappeler que le fardeau de démontrer une crainte bien fondée de persécution ne repose que sur les épaules du revendicateur; à défaut pour ce dernier de démontrer selon la prépondérance des probabilités qu'il entretient une crainte sérieuse de persécution, le statut de réfugié ne saurait lui être reconnu.

[36]      Quant au changement de circonstances, il revient à la Commission d'en faire l'évaluation à la lumière de la preuve qui lui est présentée. Le demandeur se devait de démontrer que la conclusion de changement de circonstances tirée en l'espèce par la Commission était manifestement déraisonnable s'il voulait justifier l'intervention de cette Cour à cet égard.

[37]      À cet effet, le demandeur a référé à de nombreuses parties de la preuve documentaire déposée devant la Commission. Il m'apparaît utile de citer le jugement de l'Honorable juge J.E. Dubé, Gurvinder Singh Sandhu c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration du Canada, IMM-923-97:

     La preuve volumineuse considérée par le tribunal relativement à la situation politique et sociale au Punjab ne fait pas l'unanimité et peut se prêter à des interprétations différentes. Le tribunal est en droit de puiser à même la preuve documentaire celle qui, à son point de vue, se conjugue le mieux à la réalité. La question du changement de circonstances est une pure question de fait, tel que le soulignait la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Yusuf1. Il n'y a pas de critère légal prescrit pour déterminer s'il y a changement de circonstances dans un pays. Il revient au tribunal, à partir des documents qui lui sont présentés, de déterminer s'il y a vraiment changement de circonstances.         

[38]      Il est intéressant également de rappeler une décision du juge Lutfy dans Sukhraj Singh c. M.C.I., IMM-2803-95:

     The Tribunal, in my opinion, received sufficient evidence to support its decision concerning the changed circumstances in India. The record also establishes some contrary evidence on the same issue, including family correspondence warning the applicant not to return to India. However, it is not the function of this Court to determine whether a different view could have been reached from an analysis of the same evidence. In my view, there is no reviewable error in the manner in which the Tribunal reached its decision.         

[39]      Il n'était pas nécessaire non plus pour la Commission de référer à tous et chacun des documents de la volumineuse preuve documentaire; la Commission en a fait une évaluation et plusieurs références supportent sa décision.

[40]      À mon avis, le demandeur n'a pas réussi à établir que la Commission aurait erré en droit ou fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées ou arbitraires ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait et ne peut par conséquent justifier l'intervention de la présente Cour.

[41]      Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[42]      Le procureur du demandeur a soumis deux questions à être certifiées:

     1.      Relativement à la crainte subjective:                 
         L'abandon d'une revendication, afin d'en présenter une ailleurs où on croit avoir plus de chances de succès, suggère-t-il l'absence de crainte subjective?                 

     2.      Relativement à l'appréciation des conditions prévalant dans le pays:

         A crédibilité égale, y a-t-il présomption que le tribunal a considéré une preuve, quand cette preuve est contraire à ce qu'il a retenu, et qu'il ne la mentionne pas?                 
         Qu'en est-il quand, en plus, cette preuve est plus récente?                 
[43]      Le procureur du défendeur a soumis des commentaires écrits relativement à ces deux questions proposées.

[44]      La Cour considère qu'il ne s'agit pas de questions sérieuses et d"importance générale à être certifiées. En conséquence, aucune question ne sera certifiée.

                             Pierre Blais

                             Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 21 avril 1999

__________________

1 (1995), 179 N.R. (C.A.F.) 11 à la p. 12.

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