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Date : 20041020

Dossier : IMM-7575-03

Référence : 2004 CF 1458

Toronto (Ontario), le 20 octobre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

ENTRE :

                                                  AMER JAVED, JAMILA AMER

ISBAH JAVAID, AHMAD JAVAID

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée sur le fondement du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR), L.C. 2001, ch. 27, qui vise la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 11 septembre 2003 par laquelle la requête des demandeurs visant la réouverture de leur demande d'asile a été rejetée.

[2]                Les demandeurs sollicitent :

1.          Une ordonnance annulant la décision de la Commission datée du 11 septembre 2003;

2.          Une ordonnance portant renvoi de la revendication du statut de réfugié des demandeurs devant la Commission pour réexamen.

Contexte

[3]                Le demandeur, Amer Javed (le demandeur principal), est arrivé aux États-Unis le 15 juillet 2000 avec un visa d'affaires délivré par les autorités américaines. Les membres de sa famille, également demandeurs dans la présente instance, sont arrivés aux États-Unis deux mois plus tard. Un consultant devait obtenir la prorogation du visa d'affaires du demandeur principal, mais il a omis de le faire.

[4]                Les demandeurs sont arrivés au Canada le 6 mars 2003. Le même jour, leur demande d'asile a été renvoyée à la Section de la protection des réfugiés et le demandeur principal a reçu son formulaire de renseignements personnels (FRP). Le 11 mars 2003, le demandeur principal a retenu les services d'un conseil, qui le jour même a demandé une copie des notes prises au point d'entrée (les notes) en vue de remplir le FRP.

[5]                Entre-temps, les deux enfants du demandeur principal sont tombés malades et il les a accompagnés chez le médecin les 17 et 24 mars ainsi que le 2 avril 2003.

[6]                Le 31 mars 2003, la secrétaire du conseil du demandeur principal a de nouveau demandé une copie des notes.

[7]                Le demandeur principal craignait que son FRP ne soit pas déposé dans les 28 jours de la date où il lui avait été remis, soit le 6 mars 2003. Son avocat lui a indiqué que les demandes ne risquaient pas d'être considérées comme abandonnées pour autant que le FRP soit produit avant la tenue d'une audience relative au désistement, le cas échéant.

[8]                Le 25 mars 2003, le conseil des demandeurs a écrit à la Commission pour demander la prorogation du délai prévu pour remplir le FRP. Il n'a pas reçu de réponse.

[9]                Le 8 avril 2003, les demandeurs ont été convoqués à l'audience relative au désistement de leur demande d'asile étant donné que le FRP n'avait pas été versé au dossier dans les 28 jours de sa réception. L'audience relative au désistement devait avoir lieu le 7 mai 2003.

[10]            Après réception des notes, le FRP a été rempli et envoyé par la poste à la Commission le 24 avril 2003.

[11]            Le demandeur principal était accompagné d'un technicien juridique lors de l'audience relative au désistement. Pendant celle-ci, il a déclaré que le FRP avait été soumis en retard parce qu'il avait mis du temps à trouver un conseil et qu'on avait tardé à lui transmettre les notes. La Commission a toutefois prononcé le désistement des demandes d'asile.

[12]            Le 21 juillet 2003, le conseil des demandeurs a fait parvenir à la Commission une demande en vue de faire rouvrir les demandes d'asile des demandeurs sur le fondement des articles 44 et 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés.

[13]            Le 11 septembre 2003, la demande de réouverture a été rejetée.

[14]            Les demandeurs ont affirmé avoir toujours eu l'intention de donner suite à leurs demandes d'asile.

[15]            Il s'agit du contrôle judiciaire de la décision du 11 septembre 2003 par laquelle la Commission a refusé de rouvrir les demandes d'asile des demandeurs.

Question en litige

[16]            La Commission a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en refusant de rouvrir les demandes d'asile des demandeurs ayant fait l'objet d'un désistement?


Dispositions pertinentes

[17]            L'article 55 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, applicable en l'espèce, énonce ce qui suit :

55. (1) Le demandeur d'asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir toute demande d'asile qui a fait l'objet d'une décision ou d'un désistement.

55. (1) A claimant or the Minister may make an application to the Division to reopen a claim for refugee protection that has been decided or abandoned.

(2) La demande est faite selon la règle 44.

(3) Si la demande est faite par le demandeur d'asile, celui-ci y indique ses coordonnées et en transmet une copie au ministre.

(4) La Section accueille la demande sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle.

(2) The application must be made under rule 44.

(3) A claimant who makes an application must include the claimant's contact information in the application and provide a copy of the application to the Minister.

(4) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.


[18]            Les demandeurs ont invoqué plusieurs arguments relatifs aux principes de justice naturelle. Je souhaite, toutefois, examiner la question de savoir si les motifs de la Commission sont adéquats. Les demandeurs ont demandé qu'on leur fasse connaître les motifs de la décision de la Commission étant donné que l'avis de décision était ainsi libellé [traduction] « Votre demande est rejetée » . Voici le contenu des motifs de la décision de la Commission qu'ont, par la suite, reçus les demandeurs :

[traduction] Les demandeurs et leur conseiller ne sont peut-être pas d'accord avec la décision de la SPR, mais j'estime qu'ils n'ont pas démontré que la décision, par laquelle le désistement de leurs demandes a été prononcé, a été rendue en contravention aux règles de justice naturelle.

[19]            Les parties ont convenu que la décision de rejeter la demande de réouverture était une décision interlocutoire et que la loi n'exige pas qu'une telle décision soit motivée par écrit. Toutefois, je ne crois pas que cette admission met fin au débat. La décision de rejeter la demande visant à faire rouvrir leur demande d'asile met fin à la demande d'asile des demandeurs. Peut-être que d'autres solutions s'offraient à eux, mais il reste que le prononcé du désistement a mis fin à leurs revendications. Par conséquent la décision revêt une grande importance pour les demandeurs. Dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, la juge L'Heureux-Dubé énonce ce qui suit à la page 848 :

À mon avis, il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l'obligation d'équité procédurale requerra une explication écrite de la décision. Les solides arguments démontrant les avantages de motifs écrits indiquent que, dans des cas comme en l'espèce où la décision revêt une grande importance pour l'individu, dans des cas où il existe un droit d'appel prévu par la loi, ou dans d'autres circonstances, une forme quelconque de motifs écrits est requise. Cette exigence est apparue dans la common law ailleurs. Les circonstances de l'espèce, à mon avis, constituent l'une de ces situations où des motifs écrits sont nécessaires. L'importance cruciale d'une décision d'ordre humanitaire pour les personnes visées, comme celles dont il est question dans les arrêts Orlowski, Cunningham et Doody, milite en faveur de l'obligation de donner des motifs. Il serait injuste à l'égard d'une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise.

[20]            Je suis d'avis, compte tenu de la très grande importance qu'elle revêt pour les demandeurs, que la décision de la Commission portant qu'il y a eu désistement doit être adéquatement motivée.

[21]            Ayant examiné les motifs de la Commission, je conclus qu'ils ne sont pas éclairants ou, autrement dit, qu'il sont inadéquats. À la lecture de ceux-ci, je suis incapable de déterminer pourquoi la Commission en a ainsi décidé. En effet la Commission s'en tient à dire que les demandeurs n'ont pas démontré que la décision, par laquelle le désistement de leurs demandes d'asile a été prononcé, a été rendue en contravention aux règles de justice naturelle. Il m'est impossible, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, de déterminer si la Commission a à juste titre conclu comme elle l'a fait étant donné que sa décision ne fait pas état de ses motifs.

[22]            Le défaut de fournir des motifs éclairants ou adéquats constitue un manquement à l'obligation d'équité et, par conséquent, la décision de la Commission doit être annulée et l'affaire renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour réexamen.

[23]            Les demandeurs ont proposé la question suivante, qu'ils estiment être une question grave de portée générale, aux fins de certification :

La Commission a-t-elle fait défaut de respecter les règles de justice naturelle en prononçant le désistement de la demande d'asile du demandeur sans l'avoir au préalable avisé de la date exacte à compter de laquelle il serait exigé que le délai de 28 jours, prévu pour le dépôt du formulaire de renseignements personnels, soit scrupuleusement observé, et ce, compte tenu du fait que depuis maintenant 14 ans la Commission fait preuve de tolérance dans l'application de la règle des 28 jours?

[24]            Je ne suis pas prêt à certifier la question proposée. Le défendeur, quant à lui, n'a pas soumis de question pour certification.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.          La demande soit accueillie et l'affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié pour qu'il statue à nouveau sur l'affaire.

2.          Il n'y a aucune question à certifier.

                                                                            « John A. O'Keefe »                     

                                                                                                     Juge                               

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-7575-03

INTITULÉ :               AMER JAVED, JAMILA AMER, ISBAH JAVAID,

AHMAD JAVAID

                                                                                          demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 22 SEPTEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 20 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Max Berger

POUR LES DEMANDEURS

Jamie Todd                  POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Max Berger & Associates

Toronto (Ontario)        POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)        POUR LE DÉFENDEUR


                             

             COUR FÉDÉRALE

                             

Date : 20041020

Dossier : IMM-7575-03

ENTRE :

AMER JAVED, JAMILA AMER

ISBAH JAVAID, AHMAD JAVAID

                                        demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

                                                                                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                                                


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