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Date : 20051011

Dossier : IMM-7054-04

Référence : 2005 CF 1378

Ottawa (Ontario), le 11 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

YUAN CHEN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         Le demandeur, M. Yuan Chen, un ressortissant de la Chine, a demandé un permis de travail temporaire afin d'entrer au Canada et d'y rester pendant un an. Le demandeur, qui est âgé de 60 ans, parle le chinois, mais non l'anglais. Il s'est vu offrir un poste de gérant d'entrepôt par une société chinoise dont le propriétaire-exploitant est son neveu et qui se spécialise dans les produits fins. Cette société, dont l'établissement se trouve à Markham, en Ontario, importe, emmagasine et vend des produits exotiques. Le demandeur a été interrogé par l'agent des visas Fraser Mark (l'agent des visas) le 28 mai 2004, avec l'aide d'un interprète. Le 31 mai 2004, l'agent des visas a refusé de délivrer un permis de travail au demandeur pour les raisons suivantes :

      [TRADUCTION]

  • « Vous ne m'avez pas convaincu que vous quitterez le Canada à la fin de la période visée par votre autorisation de séjour. »

  • « Vous ne m'avez pas convaincu que vous avez les qualités et l'expérience voulues pour l'emploi visé par votre demande de permis de travail. »

[2]         Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l'agent des visas.

Les questions en litige

[3]         Les questions à trancher dans la présente demande sont les suivantes :

  1. Pour conclure que le demandeur ne serait pas en mesure d'exercer l'emploi pour lequel le permis de travail est demandé, l'agent des visas a-t-il commis une erreur en se fondant sur des facteurs non pertinents ou en ignorant les éléments de preuve liés à la nécessité de parler l'anglais comme exigence de l'emploi au Canada?

  1. L'agent des visas a-t-il commis une erreur lorsqu'il a conclu que le demandeur ne quitterait pas le Canada à l'expiration de son permis de travail en omettant de faire part de ses préoccupations au demandeur, en se fondant sur des facteurs non pertinents ou en omettant de tenir compte de facteurs pertinents?

Les faits à l'origine du litige

[4]         L'étranger qui veut travailler au Canada doit obtenir un permis de travail. La délivrance des permis de travail est régie par le paragraphe 200(1) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) (le Règlement), qui prévoit qu'un permis de travail est délivré si, à l'issue d'un contrôle, l'agent des visas est convaincu que l'étranger satisfera à toutes les exigences prévues à cet article. Dans la présente affaire, le demandeur devait établir à la satisfaction de l'agent qu'il « quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable » (alinéa 200(1)b)). De plus, l'alinéa 200(3)a) énonce que le permis de travail ne peut être délivré à l'étranger lorsque l'agent « a des motifs raisonnables de croire que l'étranger est incapable d'exercer l'emploi pour lequel le permis de travail est demandé » . Les deux exigences doivent être respectées et si l'une ou l'autre ne l'est pas, l'agent rejettera la demande de permis de travail. Il s'ensuit que, pour avoir gain de cause dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur doit obtenir une réponse favorable aux deux questions susmentionnées.

[5]         Les démarches du demandeur pour venir au Canada ont débuté par une offre d'emploi de Cheong Hing Dry Seafood Ltd. Dans la correspondance échangée avec Développement des ressources humaines Canada (DRHC), les tâches du demandeur ont été décrites comme suit :

            [TRADUCTION]

·          Planifier, organiser, diriger et contrôler l'exploitation d'un entrepôt.

·          Préparer des rapports et statistiques liés à ses domaines de responsabilité.

·          Assurer la liaison avec le service des achats, le service des ventes et la direction.

·          Planifier, organiser et diriger les services administratifs comme le nettoyage, la maintenance et les inspections de sécurité.

·          Surveiller la maintenance et la réparation de la machinerie, de l'équipement et des systèmes électriques.

·          Diriger et conseiller le personnel.

. . .

                Les fonctions du poste consistent à planifier, à organiser, à diriger et à contrôler l'exploitation d'un entrepôt de produits de la mer et autres produits fins chinois déshydratés. Le travailleur étranger doit posséder des aptitudes d'apprentissage générales pour planifier et organiser l'exploitation d'installations commerciales ainsi que des aptitudes verbales et des aptitudes à la numération pour assurer et surveiller la préparation de rapports et statistiques.

. . .

. . . L'employeur a l'intention de former des résidents canadiens et des résidents permanents pour le poste qui sera comblé par des travailleurs étrangers. Le travailleur devra transférer les connaissances spécialisées qu'il possède en matière d'exploitation d'entrepôt et de produits de la mer chinois déshydratés... Le travailleur étranger formera le nouveau personnel.

Analyse

a)          La norme de contrôle

[6]         La décision discrétionnaire que prend l'agent des visas dans l'exercice des fonctions que la loi lui attribue appelle un degré élevé de retenue. Comme l'a dit le juge MacIntyre dans l'arrêt que la Cour suprême du Canada a rendu dans Maple Lodge Farms c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8 :

C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

b)          La question n ° 1 : exigence de la connaissance de l'anglais

[7]         L'agent des visas a interrogé le demandeur le 28 mai 2004 et a consigné le même jour ses notes dans le Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (le SITCI) en y mentionnant ses préoccupations et conclusions, résumées comme suit :

[TRADUCTION]

  • Le demandeur « a eu beaucoup de mal à dire exactement ce qu'il ferait et je ne crois pas qu'il le sache vraiment » .

  • La méthode de gestion du demandeur consistait à confier le travail à des employés plus spécialisés et il n'a pas démontré qu'il avait les connaissances voulues pour exercer personnellement ses fonctions de gestion.

  • La connaissance de l'anglais est une « exigence logique » liée à sa fonction de former un remplaçant à ce poste.

  • Même si l'employeur n'a pas exigé la connaissance de l'anglais, DRHC a inscrit la connaissance de l'anglais comme exigence liée au poste.

  • Le demandeur n'a « aucune connaissance informatique » .

  • Le demandeur possède une expérience limitée dans un entrepôt, où il n'y avait « que du cuir brut et des machines de coupe du cuir » .

Bref, l'agent a conclu que le demandeur [TRADUCTION] « est manifestement incapable de superviser un entrepôt moderne » .

[8]         M. Chen soutient que l'agent s'est fondé à tort sur l'incapacité du demandeur de parler l'anglais, alors que ni l'employeur ni DRHC n'ont précisé que la connaissance de l'anglais était une exigence du poste.

[9]         Le demandeur a raison de dire que l'employeur n'a pas précisé que la connaissance de l'anglais était obligatoire. Dans la lettre adressée à DRHC le 18 novembre 2003 pour le compte du demandeur, il n'est nullement question de la langue. Voici ce qui est écrit dans la demande de permis de travail du demandeur jointe à la lettre envoyée le 24 février 2005 à la Section de l'immigration du Consulat général du Canada à Hong Kong :

[TRADUCTION]

Il ne parle pas l'anglais. Cependant, son employeur, tous ses collègues, les fournisseurs et les clients sont Chinois. Son manque de maîtrise de la langue anglaise n'est pas un handicap pour ce poste.

[10]       La preuve présentée en l'espèce prête à confusion quant aux exigences linguistiques formulées par DRHC. Dans la lettre qu'il a fait parvenir le 19 janvier 2004 au demandeur, DRHC a confirmé l'offre d'emploi et informé celui-ci qu'il avait transmis à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) un avis positif concernant l'impact sur le marché du travail. Il n'est nullement question des exigences linguistiques dans la lettre. Cependant, dans les notes de validation des renseignements consignés le 11 mars 2004 dans le SITCI, les commentaires généraux suivants sont formulés :

[TRADUCTION]

Sur la demande de permis temporaire du travailleur étranger... l'employeur a mentionné que le [travailleur étranger] doit connaître uniquement le chinois. Le CRHC de Newmarket a communiqué avec l'employeur pour obtenir des éclaircissements et l'employeur a répondu que tous les employés parlent le chinois, de sorte que la connaissance de l'anglais n'est pas obligatoire.

Des indications contraires figurent dans les mêmes commentaires lorsqu'il est question des tâches du poste :

[TRADUCTION]

Doit parler l'anglais et le chinois, planifier, organiser, diriger et contrôler l'exploitation d'un entrepôt, préparer des rapports et statistiques liés aux domaines de responsabilité, assurer la liaison avec le service des achats, le service des ventes et [fin de cette partie des notes].

[11]       Comme le montrent ces notes, l'agent des visas estimait que DRHC avait imposé une connaissance de l'anglais relativement au poste et c'est l'une des raisons pour lesquelles il a rejeté la demande. À la lumière de la contradiction que comportent apparemment les notes de validation de DRHC, il aurait été préférable que l'agent des visas fasse des recherches plus poussées pour savoir si la connaissance de l'anglais était ou non une exigence du point de vue de DRHC. Cependant, même s'il a eu tort de dire que l'anglais était une exigence imposée par DRHC, cette erreur doit être examinée dans le contexte du devoir que la loi impose à l'agent des visas et des motifs de sa décision.

[12]       Dans toutes les demandes dont il est saisi, l'agent des visas est tenu d'examiner l'ensemble des éléments de preuve pertinents qui sont portés à sa connaissance afin de décider lui-même s'il existe des motifs raisonnable de croire que le demandeur est incapable d'exercer l'emploi (alinéa 200(3)a) du Règlement). L'agent ne peut être lié par une déclaration de DRHC selon laquelle la connaissance de l'anglais est exigée ou ne l'est pas; il ne peut déléguer sa fonction décisionnelle à une tierce partie comme DRHC. À l'inverse, la déclaration d'un demandeur ou d'un employeur selon laquelle la connaissance de l'anglais n'est pas obligatoire ne lie pas l'agent des visas, qui doit faire sa propre évaluation en soupesant l'ensemble des éléments de preuve dont il est saisi.

[13]       Dans la présente affaire, l'agent des visas n'a pas simplement dit que la connaissance de l'anglais était une exigence imposée par DRHC. Il a plutôt expliqué, comme le montrent les notes du SITCI, qu'il est incapable de voir comment le demandeur formerait son remplaçant, comme il est tenu de le faire dans le cadre de ses fonctions. En d'autres termes, l'agent des visas a perçu l'aptitude à communiquer en anglais comme une aptitude pertinente quant à l'évaluation de la capacité du demandeur d'exercer les fonctions du poste. Les conclusions de l'agent à cet égard sont logiques et ne sont pas fondées sur des facteurs non pertinents. Même si l'agent a peut-être commis une erreur en disant que la connaissance de l'anglais était une exigence imposée par DRHC et qu'il s'est même fondé jusqu'à un certain point sur cette erreur, il a également examiné la nécessité de la connaissance de l'anglais sans tenir compte de la validation de DRHC.

[14]       De plus, il appert des notes du SITCI que l'agent des visas a examiné un certain nombre de facteurs et s'est fondé sur ceux-ci et non seulement sur le profil linguistique du demandeur. Sauf peut-être en ce qui a trait à l'exigence linguistique de DRHC, chacune des conclusions de l'agent des visas est amplement étayée par la preuve. Même si le demandeur soutient qu'aucune compétence en informatique n'est nécessaire, il n'était pas déraisonnable de la part de l'agent de considérer cette compétence comme un atout important pour la gestion d'un entrepôt moderne et pour la préparation de rapports statistiques. L'agent décrit de façon suffisamment détaillée (quoique non sous forme de questions et réponses) les types de questions qu'il a posées au demandeur et souligne les lacunes touchant les connaissances et aptitudes de celui-ci. La conclusion de l'agent selon laquelle [TRADUCTION] « il est manifestement incapable de superviser un entrepôt moderne » découle des constatations qu'il a formulées dans les notes. Il n'y a aucune erreur susceptible de révision.

c)          La question n ° 2 : retour au Canada

[15]       Étant donné que le demandeur devait prouver qu'il respectait tant les exigences de l'alinéa 200(3)a) que celles de l'alinéa 200(1)b) du Règlement, une erreur touchant une seule de ces décisions n'aurait aucune importance pour le résultat de la présente demande de contrôle judiciaire. En conséquence, la réponse à la première question scelle l'issue de la présente demande et il n'est pas nécessaire d'examiner la seconde question en litige.

Conclusion

[16]       Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande sera rejetée. Aucune partie n'a proposé de question aux fins de la certification et aucune question ne sera certifiée.

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE :

            1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

            2. Aucune question de portée générale n'est certifiée.

« Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-7054-04

INTITULÉ :                                        YUAN CHEN

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 3 OCTOBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                       LE 11 OCTOBRE 2005

COMPARUTIONS:

Cecil L. Rotenberg, c.r.                                     POUR LE DEMANDEUR

John Loncar                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Cecil L. Rotenberg, c.r.                                     POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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