Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20010208

Dossier : T-142-99

Référence neutre : 2001 CFPI 38

Ottawa (Ontario), le jeudi 8 février 2001

EN PRÉSENCE DE Madame le juge Dawson

ENTRE :

                               NELES CONTROLS LTD.,

                                                                                      demanderesse,

                                                  - et -

                                SA MAJESTÉ LA REINE,

                                                                                       défenderesse.

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]                Dans la présente action, la demanderesse souhaite obtenir une déclaration voulant qu'elle ait droit à un remboursement d'environ 400 000 $ au titre de droits de douane payés relativement à certaines valves importées pendant la période allant de février 1988 à octobre 1990. La demanderesse prétend que la Couronne a bénéficié d'un enrichissement sans cause en raison du paiement de ces droits de douane. La présente affaire consiste en une des seize actions intentées par un groupe d'importateurs en février et en mars 1999; chaque affaire soulève les mêmes questions et découle de faits analogues. La somme totale en litige s'élève à environ 2 000 000 $, si on ne tient pas compte de l'intérêt et des dépens.

[2]                La Cour, conformément à l'ordonnance rendue par le protonotaire Aronovitch, est actuellement saisie d'une requête qui vise à obtenir une décision tranchant les questions de droit suivantes à la lumière de faits et de documents non contestés :

[TRADUCTION]

i)               Le défaut de la demanderesse de se prévaloir de ses autres recours a-t-il eu pour effet de rendre tout ou partie de sa réclamation irrecevable?

ii)              La doctrine de l'inertie a-t-elle pour effet de rendre tout ou partie de la réclamation de la demanderesse irrecevable?

iii)             L'adoption avec effet rétroactif des dispositions pertinentes du Programme de la machinerie a-t-elle une incidence sur le recouvrement fondé sur l'enrichissement sans cause demandé en l'espèce?

iv)            Pour établir qu'elle a subi un préjudice, la demanderesse peut-elle se contenter de prouver que les prix qu'elle exige pour les marchandises visées ont été fixés dans un environnement concurrentiel en fonction de marchandises assujetties à des taux de droit de douane moindres que ceux applicables aux marchandises en cause?

LES FAITS

[3]                Voici ce qui ressort des faits et des documents non contestés.


[4]                La section III du Tarif des douanes, L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 41, modifié par L.C. 1997, ch. 36 (la Loi), prévoit l'exonération du paiement des droits de douane exigibles relativement aux marchandises classées en application de numéro tarifaire permettant de bénéficier d'une exonération des droits de douane, lorsque ces marchandises ne sont pas produites au Canada.

[5]                Selon ce qui est connu sous le nom de Programme de la machinerie, le ministre du Revenu national (le Ministre) peut accorder une exonération de droits de douane pour les « machines et appareils » qui, à son avis, ne sont pas produits au Canada. L'article 73 de la Loi définit l'expression « machines et appareils » de la façon suivante : « [...] marchandises classées à un numéro tarifaire inscrit à l'annexe VI et, le cas échéant, à un code afférent à ce numéro tarifaire inscrit à cette annexe » .


[6]                Le Programme de la machinerie permet l'exonération des droits de douane dans deux situations. Premièrement, selon l'article 74 de la Loi, aucun droit de douane n'est exigible à l'égard des marchandises importées qui sont inscrites sur la liste de machines et appareils (liste du Ministre) établie par le Ministre en application de l'article 75 de la Loi. Deuxièmement, l'article 76 de la Loi prévoit la possibilité d'accorder une remise de droits de douane à des importateurs particuliers relativement à certaines marchandises données. À tous les moments pertinents au regard de la présente action, on pouvait demander une remise préalablement à l'importation de marchandises, et les pouvoirs de remise étaient habituellement accordés avec effet rétroactif jusqu'au 90e jour précédant la date de la demande. On pouvait en outre obtenir, sur demande, que les pouvoirs de remise aient un effet rétroactif pour toute la période pendant laquelle il était possible de présenter des demandes de remboursement en application de l'article 77 de la Loi, soit cinq ans.

[7]                La liste établie par le Ministre est continuellement révisée et les modifications sont périodiquement publiées dans la Gazette du Canada. Pour décider s'il y a lieu d'ajouter un élément particulier sur sa liste, le Ministre doit, selon la Loi, juger que, compte tenu de critères donnés, l'élément en question n'est pas produit au Canada.

[8]                Aucune marche à suivre précise n'est fixée par la Loi pour permettre aux importateurs de demander au Ministre d'inscrire un élément sur sa liste et il n'existe aucun mécanisme d'appel prévu par la loi à l'égard des décisions visant à ajouter ou à supprimer des éléments de cette liste. La décision du Ministre est toutefois susceptible de contrôle judiciaire en application de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7.

[9]                Tous les importateurs qui importent des marchandises figurant sur la liste du Ministre peuvent demander une exonération de droits de douane en application de l'article 74 de la Loi.


[10]            Les pouvoirs de remise conférés par l'article 76 de la Loi entrent en jeu lorsque des importateurs particuliers présentent une demande visant des marchandises précises qu'ils importent ou projettent d'importer. Au moment d'examiner une demande de cette nature, le Ministre doit, suivant les mêmes critères que ceux applicables à la liste du Ministre, déterminer si les marchandises sont produites au Canada. Bien que les pouvoirs de remise prévus à l'article 76 soient délivrés à un demandeur précis, il arrive dans certains cas qu'ils soient cédés à un autre importateur.

[11]            Il n'existe aucun appel prévu par la loi en ce qui concerne les décisions rendues par le Ministre en application de l'article 76 de la Loi, mais elles sont également susceptibles de contrôle judiciaire suivant l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

[12]            Le refus de faire droit à une demande de remboursement fondée sur la liste du Ministre n'écarte pas la possibilité de présenter une demande de remise en application de l'article 76, et vice versa. De plus, selon l'ancien article 101 de la Loi (maintenant l'article 115), tant le Ministre que le ministre des Finances peuvent recommander au gouverneur en conseil de procéder à une remise de droits de douane.


[13]            Les marchandises de la demanderesse consistent en des composants de valves et des valves complètes que les documents d'importation qualifient de [TRADUCTION] « vannes papillons » ( « butterfly valves » ) et de [TRADUCTION] « clapets à bille » ( « ball valves » ). Au moment de l'importation (entre février 1988 et octobre 1990), les marchandises étaient classées en application des numéros tarifaires 8481.80.91, 8481.80.92, 8481.80.99, 8481.90.10 ou 8481.90.40 de l'époque, et la demanderesse a payé des droits de douane à des taux allant de 5,4 p. 100 à 10,2 p. 100 de la valeur au débarquement des marchandises visées (en fonction du classement tarifaire des marchandises données et du moment de l'importation).

[14]            Une fois importées, les marchandises en cause étaient vendues par la demanderesse en concurrence avec d'autres marchandises analogues offertes en vente par d'autres fournisseurs. Les importateurs concurrents de la demanderesse ont payé des droits de douane sur des marchandises similaires à un tarif identique ou moindre que celui payé par la demanderesse ou encore à un tarif égal à zéro (en fonction du pays d'origine et de l'admissibilité à des taux de droit de douane préférentiels). La demanderesse et ses importateurs concurrents prenaient en compte le montant des droits de douane versés par chacun pour fixer les prix respectifs de leurs marchandises, qu'ils vendaient ensuite en se faisant concurrence l'un à l'autre.

[15]            Au moment de l'importation, la liste du Ministre ne permettait pas de remboursement pour les [TRADUCTION] « valves rotatives » ( « rotary valves » ). Certains, mais non la totalité, des numéros tarifaires en application desquels les marchandises visées ont initialement été importées étaient admissibles au Programme de la machinerie parce qu'il s'agissait de numéros tarifaires prévus à l'annexe VI.


[16]            Le 26 avril 1990, on a pris le décret C.P. 1990-755, lequel, notamment, modifiait l'annexe I du Tarif des douanes par la révocation des numéros tarifaires 8481.80.91, 8481.80.92, 8481.80.99, 8481.90.40 et 8481.90.10 en vigueur à l'époque et par l'édiction de divers nouveaux numéros tarifaires, dont les numéros tarifaires 8481.80.99 et 8481.90.10. Le décret modifiait également l'annexe VI par la révocation du numéro tarifaire 8481.80.91 et l'ajout du numéro tarifaire 8481.80.99. On a donné au décret un effet rétroactif de sorte qu'il vise l'ensemble des importations depuis le 1er janvier 1988.

[17]            En juillet 1990, la liste du Ministre a été modifiée afin d'y ajouter les [TRADUCTION] « valves rotatives » du numéro tarifaire 8481.80.90. Ce dernier figurait dans l'annexe VI et la modification susmentionnée avait également un effet rétroactif de manière à englober toutes les importations effectuées depuis le 1er janvier 1988.

[18]            Avant cette modification, la liste du Ministre ne comportait pas de numéro tarifaire concernant les « valves rotatives » .

[19]            À la suite de ces modifications, la demanderesse a présenté une demande de révision afin d'obtenir que les marchandises en cause soient plutôt classées sous les numéros tarifaires 8481.80.99 et 8481.90.10 modifiés, ce qui rendait les marchandises admissibles à un examen en vue d'une remise et (ou) d'un remboursement dans le cadre du Programme de la machinerie.


[20]            Comme on a fait droit à cette demande de révision, les marchandises en cause étaient réputées avoir été importées en application du nouveau numéro tarifaire 8481.80.99 ou 8481.90.10, avec effet rétroactif à la date de l'importation. Ces nouveaux numéros tarifaires prévoyaient des taux de droit de douane moins élevés que ceux fixés par les numéros tarifaires en application desquels on avait initialement pu faire entrer les marchandises au pays. Par conséquent, le taux de droit de douane a été réduit et un remboursement partiel des droits de douane a été versé à la demanderesse.

[21]            Par la suite, soit à compter de 1991, la demanderesse a commencé à présenter des demandes de remboursement pour des marchandises importées désignées comme des [TRADUCTION] « clapets de retenue à bille » ( « ball check valves » ), des [TRADUCTION] « clapets à bille » et des [TRADUCTION] « vannes papillons » en invoquant un pouvoir de remise cédé accordé à une autre personne morale conformément à l'article 76 de la Loi. Comme on a considéré que la cession du pouvoir de remise était invalide, aucune de ces demandes n'a été approuvée.

[22]            À partir de décembre 1992, la demanderesse a commencé à présenter des demandes de remboursement fondées sur l'article 100 de la Loi en faisant valoir que les marchandises visées consistaient en des valves rotatives ou des composants de valves rotatives (également mentionnés sur la liste du Ministre). La demanderesse a présenté 138 demandes de remboursement relatives à chaque importation des marchandises en cause.


[23]            Conformément à la Loi, toutes les demandes de remboursement ont été présentées dans les cinq ans suivant l'importation visée par chacune d'elles.

[24]            La défenderesse a rejeté les réclamations de la demanderesse par voie de relevés détaillés de réajustement délivrés de février 1993 à juillet 1993.

[25]            La présente action intéresse donc l'exercice d'un pouvoir de remise postérieurement à l'importation. La demanderesse prétend qu'elle est autorisée à obtenir le remboursement demandé parce que les valves importées sont des [TRADUCTION] « valves rotatives » au sens où s'entend ce terme figurant dans la liste du Ministre, tandis que la défenderesse soutient que cette expression ne vise pas les marchandises en cause.

[26]            Il n'existe aucun mécanisme d'appel prévu par la loi en ce qui a trait au refus du Ministre d'accorder un remboursement. Cette décision peut toutefois faire l'objet d'un contrôle judiciaire en application de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Or, la demanderesse n'a pas demandé le contrôle judiciaire du rejet de ses demandes de remboursement. En outre, après le rejet de ces demandes, la demanderesse n'a pas réclamé, en application de l'article 76 de la Loi, un pouvoir de remise touchant les marchandises en cause (il est admis que la demanderesse connaissait l'existence de ce recours). Elle ne s'est pas non plus prévalue des dispositions de l'ancien article 101 de la Loi qui lui offraient la possibilité de demander un réexamen ministériel de la décision relative à la remise.


[27]            La demanderesse savait que Cameron Iron Works Canada Ltd. avait introduit une action devant la Cour fédérale en septembre 1993 pour réclamer des dommages-intérêts fondés sur l'enrichissement sans cause découlant du refus de la défenderesse de faire droit à des demandes de remboursement. Ces réclamations ont été faites au titre des mêmes modifications rétroactives apportées au Programme de la machinerie que celles pertinentes en l'espèce. Il y a eu désistement de cette action en janvier 1999.

[28]            À l'heure actuelle, il y a déjà eu destruction, par la défenderesse, de certaines des demandes initiales de transaction et de remboursement, ainsi que de certains documents portant sur la façon dont les divers codes, y compris celui des [TRADUCTION] « valves rotatives » , ont été ajoutés à la liste du Ministre.

[29]            On a détruit ces documents conformément à la politique gouvernementale sur la conservation des documents selon laquelle les dossiers relatifs au Programme de la machinerie sont conservés pour une période de cinq à vingt ans selon le genre de document visé.

[30]            La demanderesse a conservé des doubles originaux des demandes de remboursement et en a offert des copies à la défenderesse.


DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[31]            Voici le texte des dispositions de la Loi qui s'appliquent à la présente action, telles qu'elles étaient rédigées à l'époque pertinente :



74.(1) Aucun droit de douane n'est exigible sur les machines et appareils qui, à la date de leur déclaration en détail en application de l'article 32 de la Loi sur les douanes, sont inscrits sur la liste de machines et appareils établie par le ministre en application du paragraphe 75(1).

...

75.(1) Le ministre peut établir, compte tenu des critères visés au paragraphe (3), une liste de machines et appareils qui ne sont pas produits au Canada.

...

76.(1) Sur demande présentée conformément au paragraphe (4), le ministre peut, s'il juge, compte tenu des critères prévus au paragraphe 75(3), que les machines et appareils qui font l'objet de la demande ne sont pas produits au Canada, remettre sur ces machines ou appareils :

a) la fraction des droits de douane qui, sans le présent paragraphe, serait payable sur les machines et appareils et constituée par l'excédent de sa valeur en douane sur cinq cents dollars;

...

77.(1) Est accordé un remboursement de la fraction des droits de douane ou des taxes d'accise visée aux alinéas 76(1)a) ou b) si, à la fois :

a) remise de la fraction est accordée en vertu du paragraphe 76(1);

b) la fraction des droits a été payée;

c) une demande est présentée conformément au paragraphe (2).

(2) Pour l'application de l'alinéa (1)c), les demandes sont :

a) assorties des justificatifs exigés par le ministre;

b) présentées, selon les modalités réglementaires et établies en la forme, ainsi qu'avec les renseignements, déterminés par le ministre, dans les cinq ans ou, le cas échéant, dans le délai prévu par règlement suivant la déclaration en détail, en application de l'article 32 de la Loi sur les douanes, des machines ou appareils qui en font l'objet.

...

100.(1) Est accordé un remboursement de la totalité ou d'une fraction des droits, autres que la taxe sur les produits et services, si, à la fois :

a) en application des sections III, III.1, IV ou V, il y a obligation d'accorder une exonération du paiement de la totalité ou d'une fraction des droits, autres que la taxe sur les produits et services, ou si les droits, autres que cette taxe, n'étaient pas exigibles en application des articles 74 ou 75.1;

b) la totalité ou la fraction des droits, autres que la taxe sur les produits et services, a été payée;

c) une demande est présentée conformément au paragraphe (2) et à l'article 104.

(2) Pour l'application du paragraphe (1), les demandes sont :

a) assorties des justificatifs exigés par le ministre;

b) présentées selon les modalités réglementaires et établies en la forme, ainsi qu'avec les renseignements, déterminés par le ministre dans les cinq ans ou, le cas échéant, dans le délai prévu par règlement, suivant la déclaration en détail en application de l'article 32 de la Loi sur les douanes ou le dédouanement en application de l'article 86 de la présente loi, des marchandises ou des matières et matériels qui en font l'objet;

c) présentées avant l'exportation des marchandises avec la déclaration du numéro indiqué sur un certificat délivré en vertu du paragraphe 82(1), dans les cas où l'exonération devait être accordée en vertu de l'article 80.

74.(1) No customs duties are payable in respect of machinery and equipment that, at the time the machinery and equipment is accounted for under section 32 of the Customs Act, is included on the list of machinery and equipment established by the Minister pursuant to subsection 75(1).

...

75.(1) The Minister may establish a list of machinery and equipment that, in the opinion of the Minister, having regard to the criteria mentioned in subsection (3), is not available from production in Canada.

...

76.(1) Where an application for remission is made in accordance with subsection (4) in respect of machinery and equipment not included on this list established pursuant to subsection 75(1) and the Minister is of the opinion, having regard to the criteria mentioned in subsection 75(3), that the machinery and equipment is not available from production in Canada, the Minister may remit in respect of the machinery and equipment

(a) that portion of the customs duties that, but for this subsection, would be payable in respect of the machinery and equipment that is attributable to the excess of its value for duty over five hundred dollars; and

...

77.(1) A refund shall be granted of the portion of the customs duties or excise taxes described in paragraph 76(1)(a) or (b) if:

(a) a remission of the portion is made under subsection 76(1);

(b) the portion of the duties was paid; and

(c) an application for refund is made in accordance with subsection (2).

(2) For the purposes of paragraph (1)(c), an application for refund must be

(a) supported by such evidence as the Minister may require; and

(b) made in the prescribed manner and in the prescribed form containing the prescribed information within five years, or, where another time is prescribed, within that other time, after the machinery and equipment in respect of which it is made is accounted for under section 32 of the Customs Act.

...

100.(1) A refund shall be granted of the whole or a portion of duties, other than the goods and services tax, if

(a) relief from the payment of the whole or the portion of duties, other than the goods and services tax, is required to be granted by Division III, III.1, IV or V or the duties, other than the goods and services tax, were not payable under section 74 or 75.1;

(b) the whole or the portion of the duties, other than the goods and services tax, was paid; and

(c) an application is made in accordance with subsection (2) and section 104.

(2) For the purposes of subsection (1), an application must

(a) be supported by such evidence as the Minister may require;

(b) be made in the prescribed manner and in the prescribed form containing the prescribed information within five years, or, where another time is prescribed, within that other time, after the goods or materials in respect of which it is made are accounted for under section 32 of the Customs Act or released under section 86 of this Act; and

(c) be made before the exportation of the goods and disclose the number mentioned in the certificate issued under subsection 82(1), where relief was required to be granted by section 80.


ANALYSE

(i)          Le défaut de la demanderesse de se prévaloir de ses autres recours a-t-il eu pour effet de rendre tout ou partie de sa réclamation irrecevable?

[32]            La défenderesse prétend que la réclamation de la demanderesse est irrecevable pour deux raisons.


[33]            Premièrement, la défenderesse soutient à la lumière de l'arrêt Cie Immobilière Viger c. Lauréat Giguère Inc., [1977] 2 R.C.S. 67 (C.S.C.), de la Cour suprême du Canada, qu'il faut remplir six exigences pour qu'une action fondée sur l'enrichissement sans cause soit accueillie. Selon la défenderesse, une de ces exigences oblige la demanderesse à établir l'absence de tout autre recours. La défenderesse affirme donc que l'omission de la demanderesse de solliciter le contrôle judiciaire des décisions du Ministre ou de demander, en application de l'article 76 de la Loi, une remise des droits de douane versés a pour effet d'empêcher la demanderesse de recourir à la réparation de nature équitable et discrétionnaire fondée sur l'enrichissement sans cause.

[34]            Deuxièmement, la défenderesse fait valoir que les dispositions législatives applicables comprennent un code exhaustif en matière d'imposition de droits de douane sur les marchandises importées au Canada et de résolution des différends occasionnés par l'imposition de ces droits. Selon la défenderesse, le défaut de la demanderesse de se prévaloir des recours prévus par la Loi l'empêche de s'appuyer sur la doctrine de l'enrichissement sans cause pour s'adresser à la Cour.

[35]            Quant au premier moyen invoqué par la défenderesse, j'accepte la prétention de la demanderesse voulant que, selon la jurisprudence de la Cour, l'absence d'autres recours ne soit pas une condition obligatoire pour obtenir gain de cause dans une action fondée sur l'enrichissement injuste. Le demandeur doit plutôt prouver, d'abord, l'enrichissement du défendeur, puis un appauvrissement corrélatif du demandeur et, enfin, l'absence de fondement juridique de l'enrichissement, et ce dans un contexte où il serait injuste que le bénéfice ainsi obtenu puisse être conservé. Voir les affaires : Forest Oil Corp. c. Canada, [1997] 1 C.F. 624 (C.F. 1re inst.); Michelin Tires (Canada) Ltd. c. Ministre du Revenu national (Douanes et Accise) (1998), 158 F.T.R. 101 (C.F. 1re inst.); Federated Co-operatives Ltd. c. Ministre du Revenu national (Douanes et Accise) (1999), 165 F.T.R. 135 (C.F. 1re inst.).


[36]            Comme la défenderesse s'est appuyée sur l'arrêt Cie Immobilière Viger, précité, il importe de signaler que la Cour suprême du Canada avait alors à s'interroger sur la mesure dans laquelle la doctrine de l'enrichissement sans cause a été incorporée au droit civil. De même, la Cour suprême a fait remarquer dans cet arrêt, mais sans trancher la question, qu'une certaine jurisprudence met en doute le fait que l'absence de tout autre recours soit un élément nécessaire de cette cause d'action. J'arrive donc à la conclusion que cet arrêt n'est pas déterminant pour décider de la nécessité d'établir l'absence d'autres recours.

[37]            En ce qui a trait au second moyen avancé par la défenderesse, la Cour suprême, dans l'arrêt Air Canada c. Colombie-Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1161, a confirmé que les principes de l'enrichissement sans cause peuvent s'appliquer contre une autorité gouvernementale pour étayer un recours fondé sur la restitution. Voici ce qu'elle a déclaré à la page 1207 :

Donc, dans un cas où l'on applique à tort une loi ou un règlement par ailleurs constitutionnels ou valides à une personne à laquelle cette loi ou ce règlement, selon leur sens véritable, ne s'appliquent pas, les principes généraux régissant la restitution de fonds versés par suite d'une erreur devraient être appliqués et, sous réserve des moyens de défense et des considérations d'équité évoqués plus haut, la règle générale devrait permettre le recouvrement.

[38]            Selon un principe d'interprétation des lois, lorsqu'un texte législatif et les règles de l'equity se chevauchent, le législateur est présumé ne pas s'écarter du droit existant sauf s'il exprime sans équivoque son intention de le faire en réglementant d'une façon exhaustive la question en litige. Voir l'arrêt Glaxo Wellcome PLC c. Le ministre du Revenu national, [1998] 4 C.F. 439 (C.A.F.), à la page 467.


[39]            En conséquence, dans les cas où il y a un versement excédentaire de droits et qu'on demande un remboursement par voie d'une réclamation fondée sur l'enrichissement sans cause, la Cour procède à un examen des dispositions d'assujettissement afin de déterminer si elles prévoient un code exhaustif régissant le remboursement de la somme payée par erreur. Dans l'affirmative, on ne peut recourir à une demande de redressement d'equity. Dans ce genre de situation, les dispositions législatives et le code exhaustif qu'elles établissent offrent une justification juridique à l'enrichissement.

[40]            Quant à savoir si les dispositions législatives comprennent effectivement un code exhaustif applicable au remboursement des sommes versées, le Mémorandum D8-5-1 (document produit devant la Cour par voie du cahier conjoint de documents), publié par ce qui était alors Revenu Canada Douanes et Accise, mentionne que l'objet du Programme de la machinerie vise à offrir une exonération du paiement de droits de douane par ailleurs exigibles lorsque les marchandises en cause ne sont pas produites au Canada. Aucun droit de douane n'est donc payable à l'égard des machines et appareils figurant sur la liste du Ministre. Lorsqu'un importateur estime que des machines ou appareils non inscrits sur la liste du Ministre ne sont néanmoins pas produits au Canada, il peut présenter au Ministre une demande de remise des droits ou, si les droits ont déjà été versés, une demande de remboursement. Cette dernière peut avoir un effet rétroactif pour toute la période de cinq ans. Enfin, dans certaines situations, des intérêts peuvent s'ajouter au remboursement.


[41]            Les décisions rendues par le Ministre sur la question de savoir si des marchandises données figurent sur sa liste ou s'il est opportun d'accorder une remise ou un remboursement au titre de l'article 76 sont toutes susceptibles de contrôle judiciaire.

[42]            En outre, l'article 74 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 1, prévoit le remboursement, sous réserve de certaines conditions précises, de la totalité ou d'une partie des droits de douane payés lorsque ces droits ont été versés en trop ou par erreur sur des marchandises, peu importe la raison, sauf s'il s'agit d'une erreur touchant le classement tarifaire ou la valeur en douane (ou, pour une partie de la période pertinente, d'une détermination erronée quant à l'origine de marchandises importées des États-Unis).

[43]            À mon sens, les faits allégués en l'espèce sont donc visés par les situations qu'envisageait le législateur au moment d'édicter les articles 74, 76, 77 et 100 de la Loi ainsi que l'article 74 de la Loi sur les douanes. Les dispositions législatives offrent tout un éventail d'options à l'importateur qui prétend que les marchandises importées ne sont pas produites au Canada et qui souhaite obtenir une décision à cet égard. Si on reconnaît le bien-fondé de sa prétention, il peut alors obtenir réparation sous forme de remise, de remboursement ou d'intérêt.


[44]            De plus, les dispositions législatives applicables prévoient des délais de prescription dans chaque cas. Les demandes de contrôle judiciaire visant une décision du Ministre doivent être introduites dans le délai fixé à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. La demande de remboursement fondée sur l'article 77 ou 100 de la Loi doit être présentée dans les cinq ans suivant la date où les marchandises ont fait l'objet d'une déclaration en détail en application de l'article 32 de la Loi sur les douanes. Quant aux demandes visées à l'article 74 de la Loi sur les douanes, elles se prescrivent par deux ans suivant la date de l'établissement d'une déclaration en détail relative aux marchandises.

[45]            Compte tenu de la portée exhaustive des situations envisagées par les dispositions législatives et susceptibles de donner lieu à une réparation, d'une part, ainsi que des dispositions prévoyant les recours et des délais afférents à ces demandes de réparation, d'autre part, j'arrive à la conclusion que les dispositions législatives pertinentes constituent un code complet régissant le remboursement de sommes payées par erreur ou à la suite d'une application erronée de la Loi.

[46]            La demanderesse prétend qu'il est plus pratique d'agir par voie d'action puisque ce recours permet d'examiner l'ensemble des 138 demandes de remboursement dans le cadre d'une même poursuite, et de trancher toutes les questions de fait à la lumière de témoignages rendus de vive voix. Malgré l'exactitude de ce qui précède, cela ne peut suffire à justifier la non-application du régime législatif.

[47]            Pour ces raisons, je réponds par l'affirmative à la première question.


(ii)         La doctrine de l'inertie a-t-elle pour effet de rendre tout ou partie de la réclamation de la demanderesse irrecevable?

[48]            Lorsqu'un défendeur invoque la doctrine de l'inertie, il doit établir que le demandeur, en retardant l'institution ou la poursuite de la réclamation, a :

a)          soit acquiescé à la conduite du défendeur;

b)          soit incité le défendeur à modifier sa position parce qu'il avait des motifs raisonnables de se fier à l'inaction du demandeur.

Le simple retard est insuffisant pour fonder ce moyen de défense et, dans tous les cas, il faut se demander si la balance de la justice joue en faveur de l'octroi ou du refus de la réparation réclamée. Il y a acquiescement lorsqu'une personne qui est parfaitement consciente de ses droits et qui sait qu'elle en est privée tarde à intenter une action, ce qui amène à conclure qu'elle a renoncé à ses droits. Voir l'arrêt M.(K.) c. M.(H.), [1992] 3 R.C.S. 6.

[49]            Comme il est nécessaire, en equity, d'apprécier tous les faits pour décider ce que commande l'intérêt de la justice, ce moyen de défense se prête mal aux examens préliminaires qui se fondent sur des éléments de preuve restreints. En règle générale, j'estime qu'on ne doit pas encourager les parties à demander, à un stade préliminaire, une décision sur la recevabilité de ce moyen de défense.


[50]            Ayant fait part de cette préoccupation d'ordre général, je suis disposée, dans les circonstances particulières de l'affaire dont je suis saisie et à la demande conjointe des avocats, de répondre à la question telle qu'elle a été posée.

[51]            Lorsqu'elle a prétendu que la réclamation de la demanderesse était irrecevable en raison de la doctrine de l'inertie, la défenderesse a fait valoir les points suivants :

i)           Au plus tard en juillet 1993, la demanderesse connaissait les faits donnant lieu à la présente cause d'action en equity, mais elle a tardé à intenter la présente poursuite pendant environ six ans et n'a pris aucune mesure dans l'intervalle pour faire respecter ses présumés droits. Selon la défenderesse, cette conduite équivaudrait à un acquiescement;

ii)          En raison du retard à intenter l'action, la défenderesse a détruit des documents qui auraient pu l'aider dans sa défense et elle a employé les droits de douane perçus pour s'acquitter de diverses obligations financières complexes. La défenderesse soutient que du fait de ces circonstances, il serait injuste d'accorder le recouvrement pour le moment.


[52]            En réponse à l'argument relatif à l'acquiescement, la demanderesse avance qu'en l'absence de jurisprudence sur le Programme de la machinerie, il n'était pas déraisonnable de sa part d'avoir attendu l'issu de l'action intentée par Cameron Iron Works. Elle signale que la présente poursuite a été introduite dans les deux mois suivant le désistement de cette action.

[53]            Je ne suis pas convaincue qu'il était prudent pour la demanderesse de ne prendre aucune mesure en vue d'informer la défenderesse du fait qu'elle réservait ses droits en attendant qu'un jugement soit rendu dans l'affaire Cameron Iron Works. Néanmoins, compte tenu de cette explication possible du retard et des éléments de preuve restreints dont je suis saisie, je ne crois pas que je doive en inférer que la demanderesse a, dans les faits, renoncé à son droit d'intenter une action fondée sur l'enrichissement sans cause.

[54]            Quant à l'assertion touchant le préjudice, la réponse de la demanderesse comporte deux volets. Premièrement, la demanderesse affirme que tout préjudice causé par la destruction de documents demeure le fait de la défenderesse puisque ceux-ci ont été détruits en application d'une politique ministérielle et non en raison d'un acte précis ou de l'inactivité de la demanderesse. Elle soulève aussi l'existence des doubles de ses demandes de remboursement et la présumée non-pertinence des documents relatifs à l'établissement de la liste du Ministre. Deuxièmement, la demanderesse fait valoir qu'en principe, la doctrine de l'inertie ne s'applique pas aux affaires où on demande le recouvrement de taxes payées à la suite d'une erreur ou de l'application erronée des dispositions d'assujettissement.


[55]            J'accepte l'argument de la demanderesse selon lequel la défenderesse a omis d'établir l'existence d'un préjudice découlant de la conduite de la demanderesse. Les documents ont été détruits en application d'une politique ministérielle. Suivant cette politique, les documents peuvent être détruits dès 1992 dans les cas où la Loi autorise la demanderesse à réclamer un remboursement au plus tard en 1993 pour des articles importés en 1988. La destruction subséquente à 1992 s'est produite à un moment où la défenderesse contestait l'action de Cameron Iron Works, action qui aurait intéressé à tout le moins certains des mêmes documents de politique. La demanderesse aurait pu déposer une demande de remboursement relative aux importations de 1990 jusqu'en 1995.

[56]            En ce qui concerne le fait que les sommes en litige ont été dépensées, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Air Canada c. Colombie-Britannique, précité,à la page 1207, a signalé que, malgré les préoccupations en matière de politique, lorsque des taxes sont payées par erreur, les principes généraux régissant la restitution des sommes ainsi versées devraient être appliqués, sous réserve des moyens de défense et des raisons d'équité qui permettraient de refuser le recouvrement. La règle générale devrait favoriser celui-ci. Par conséquent, j'estime que le simple fait que les sommes perçues ont été dépensées ne suffit pas à rendre injuste l'autorisation de donner suite à la réclamation.


[57]            Pour ces raisons, dans l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, je ne suis pas convaincue que la balance de la justice joue en faveur du refus d'accorder la réparation demandée. Je réponds donc par la négative à la deuxième question.

(iii)        L'adoption avec effet rétroactif des dispositions pertinentes du Programme de la machinerie a-t-elle une incidence sur le recouvrement fondé sur l'enrichissement sans cause demandé en l'espèce?

[58]            La demanderesse soutient que, comme les dispositions applicables du Programme de la machinerie ont été adoptées avec effet rétroactif, il serait injuste d'exiger de la demanderesse qu'elle établisse, à titre d'éléments de la réclamation fondée sur l'enrichissement sans cause, que la charge fiscale n'a pas été reportée sur d'autres personnes. La demanderesse fait remarquer que la Loi n'a jamais assujetti les demandeurs qui souhaitent obtenir un remboursement à l'obligation de prouver qu'ils n'ont pas reporté la charge fiscale. D'après la demanderesse, lorsque le législateur a donné un effet rétroactif aux dispositions législatives, il doit avoir supposé qu'au moins une partie des demandeurs de remboursement auraient déjà vendu les marchandises visées par la demande de remboursement et que, comme ils ne se seraient pas alors attendus à pouvoir ultérieurement demander un remboursement, un grand nombre de ces demandeurs auraient choisi de reporter tout ou partie de leur fardeau fiscal. Par conséquent, la demanderesse affirme que le législateur a sans équivoque montré son intention d'autoriser le recouvrement peu importe que ce dernier se soit traduit par un gain fortuit pour un importateur donné.


[59]            Je rejette cet argument pour les raisons suivantes.

[60]            En l'espèce, la demanderesse a décidé de ne pas se prévaloir du régime législatif. Elle a plutôt choisi d'intenter des poursuites en invoquant la compétence d'equity de la Cour d'accorder une réparation dans les cas où, à défaut de ce redressement, il y aurait un présumé enrichissement sans cause. Un des éléments nécessaires à la cause d'action invoquée par la demanderesse est l'obligation de prouver une perte ou un préjudice corrélatif à l'enrichissement de la défenderesse. Comme elle a préféré exercer ce recours, la demanderesse doit maintenant établir les éléments constitutifs de la cause d'action choisie.

[61]            Cela ne signifie pas que le fait d'avoir donné un effet rétroactif aux modifications législatives soit sans pertinence. Toutefois, à mon avis, il ne s'agit que d'un facteur à prendre en compte avec d'autres considérations d'équité pour décider s'il y a lieu d'accorder la restitution. Ce facteur peut se révéler convaincant ou non. Il n'écarte pas la nécessité de prouver que le fardeau fiscal a été reporté sur d'autres personnes.

[62]            Je réponds donc à cette question par la négative.


(iv)        Pour établir qu'elle a subi un préjudice, la demanderesse peut-elle se contenter de prouver que les prix qu'elle exige pour les marchandises visées ont été fixés dans un environnement concurrentiel en fonction de marchandises assujetties à des taux de droit de douane moindres que ceux applicables aux marchandises en cause?

[63]            Selon les éléments de preuve convenus entre les parties, les marchandises visées ont été vendues par la demanderesse dans un marché où elles sont en concurrence avec des marchandises analogues vendues par d'autres fournisseurs. Les importateurs concurrents de la demanderesse ont payé des droits sur des marchandises similaires à un tarif identique ou moindre que celui payé par la demanderesse ou encore à un tarif égal à zéro (en fonction du pays d'origine et de l'admissibilité à des taux de droit de douane préférentiels). La demanderesse et ses importateurs concurrents prenaient en compte le montant des droits de douane versés par chacun pour fixer les prix respectifs de leurs marchandises qu'ils vendaient ensuite en se faisant concurrence l'un à l'autre.

[64]            De plus, à la suite de la révision du classement tarifaire, le taux de droit de douane payé par la demanderesse a été réduit et cette dernière a obtenu un remboursement partiel des droits qu'elle a versés. L'avocat de la demanderesse a admis lors des plaidoiries que sa cliente s'était fondée sur la somme non réduite des droits de douane pour fixer ses prix.


[65]            Dans ce contexte factuel, les parties reconnaissent de manière générale que la demanderesse est tenue de montrer qu'elle a subi un préjudice, mais elles ne s'entendent pas sur ce que signifie subir un préjudice. Essentiellement, la demanderesse prétend qu'en droit, il lui suffit d'établir que le fait de l'autoriser à recouvrer les droits de douane payés ne se traduirait pas par un gain fortuit en sa faveur. Selon la défenderesse, la demanderesse doit prouver qu'elle a [TRADUCTION] « assumé la charge fiscale » .

[66]            Voici comment la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Air Canada c. Colombie-Britannique, précité, aux pages 1202 et 1203, a énoncé le principe général applicable à cet égard :

Le droit en matière de restitution n'a pas pour objet de donner des profits fortuits à des demandeurs qui n'ont subi aucune perte. Il sert plutôt à garantir que, dans le cas où un demandeur a été privé d'une richesse qu'il avait en sa possession ou qui lui revenait, cette richesse lui sera rendue. En l'espèce, le recouvrement pour fins de restitution est égal au gain réalisé par la province aux dépens des lignes aériennes. Si ces dernières ne sont pas parvenues à démontrer qu'elles ont supporté la charge de la taxe, alors elles n'ont pas établi le bien-fondé de leur demande.

Dans cette affaire, la Cour suprême a estimé que cette seule raison justifiait le refus d'accorder le recouvrement à la demanderesse puisqu'il ressortait de la preuve que cette dernière avait reporté la charge de la taxe sur ses clients.

[67]            Même si elle reconnaît ce principe général, la demanderesse affirme que, selon la jurisprudence, elle devrait réussir à prouver qu'elle n'a pas reporté la charge fiscale sur d'autres personnes si elle est en mesure d'établir l'un ou l'autre des faits suivants :


[TRADUCTION]

a.              Les marchandises à l'égard desquelles il y a eu paiement de droits ont été vendues à perte ou à un moment où la demanderesse perdait de l'argent;

b.              Les marchandises à l'égard desquelles il y a eu paiement de droits ont été vendues dans des conditions de concurrence où les prix étaient fixés indépendamment des taxes;

c.              Les marchandises à l'égard desquelles il y a eu paiement de droits étaient des biens d'équipement;

d.              Les marchandises de la demanderesse étaient en concurrence avec des biens assujettis à un taux de droit moindre ou nul;

e.              Il lui est possible d'établir qu'elle a perdu des ventes au titre des marchandises frappées de droits à raison de marges de prix moindres que le montant de ces droits.

[68]            La demanderesse fait valoir qu'il lui suffit donc de prouver qu'elle a vendu des marchandises en faisant concurrence à des tiers assujettis à des droits moindres ou nuls.

[69]            La demanderesse s'est appuyée sur les arrêts Air Canada c. Ontario (Régie des alcools), [1997] 2 R.C.S. 581, et Lignes aériennes Canadien Pacifique Limitée c. Colombie-Britannique, [1989] 1 R.C.S. 1133, pour prétendre que l'obligation de prouver l'existence d'un préjudice est remplie lorsque les marchandises à l'égard desquelles il y a eu paiement de droits sont vendues à perte ou à un moment où la demanderesse perdait de l'argent. Or, à mon sens, aucune de ces affaires n'étaye l'exception invoquée par la demanderesse.


[70]            Dans l'arrêt Air Canada c. Ontario (Régie des alcools), précité, l'appelante a admis devant la Cour suprême que l'ordonnance, en ce qui concernait la restitution des droits payés après le 1er janvier 1984, était bien fondée. La seule question en litige consistait à décider si on aurait également dû ordonner la restitution des droits versés avant cette date, alors que la Régie des alcools ignorait encore que les dispositions d'assujettissement ne s'appliquaient pas à la demanderesse. Selon moi, la décision attaquée, qui permettait la restitution, se fondait non pas sur une exception au principe général, mais bien sur un contexte factuel (voir la décision de la Cour d'appel de l'Ontario (1995), 24 O.R. (3d) 403 (C.A.), à la page 432). Dans cette affaire, on avait mis en preuve que les droits sur le nombre de gallons imposés à l'égard des boissons alcoolisées n'avaient pas été reportés sur les passagers de la ligne aérienne puisque le prix des billets et les frais liés à l'alcool étaient fixés en fonction des conditions de concurrence et n'avaient rien à voir avec le coût de l'alcool.

[71]            L'arrêt de la Cour suprême du Canada invoqué par la demanderesse, Lignes aériennes Canadien Pacifique, précité, a été publié à l'occasion d'une trilogie d'affaires comprenant l'arrêt Air Canada c. Colombie-Britannique, précité. À mon avis, les motifs prononcés par la Cour suprême dans l'arrêt Lignes aériennes Canadien Pacifique ne permettent aucunement de s'écarter du principe général relatif au report de la charge fiscale qui est énoncé dans l'arrêt Air Canada c. Colombie-Britannique et reproduit plus haut.


[72]            La demanderesse invoque également l'arrêt Air Canada c. Ontario (Régie des alcools), précité, pour faire valoir qu'il suffit de prouver que les marchandises ont été vendues dans des conditions de concurrence où les prix étaient fixés sans tenir compte des droits applicables. Or, j'estime que la Cour a fondé sa décision sur les éléments de preuve dont elle était saisie, et non sur un principe de droit général. Le mode de fixation des prix constituait simplement un des éléments de preuve que la Cour a examinés afin de décider s'il y avait eu report des droits par le truchement du prix des billets ou du coût des boissons.

[73]            La demanderesse s'appuie sur les arrêts Lignes aériennes Canadien Pacifique et Allied Air Conditioning Inc. v. British Columbia (1994), 109 D.L.R. (4th) 463 (C.A.C.-B.), pour avancer que le principe général ne s'applique pas lorsque des droits sont payés sur des biens d'équipement. Comme je l'ai déjà mentionné, rien dans l'arrêt Lignes aériennes Canadien Pacifique ne me permet d'écarter le principe général énoncé dans l'arrêt Air Canada c. Colombie-Britannique, précité.

[74]            De même, à mon sens, l'arrêt Allied Air Conditioning Inc., précité, de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique ne peut servir à étayer un principe différent applicable aux biens d'équipement. Les motifs prononcés par le juge Legg, auxquels ont souscrit les juges Taylor et Proudfoot, ne font aucunement état de l'existence d'un principe de ce genre. Même si les motifs donnés par le juge Taylor renvoient à l'arrêt Lignes aériennes Canadien Pacifique, les droits étaient imposés à l'égard d'immobilisations acquises pour un usage continu, et comme on n'a pas allégué dans cette affaire que le recouvrement des coûts d'acquisition au fil du temps établissait que les droits avaient été reportés sur d'autres personnes, j'estime que ces observations visaient plutôt le subséquent renvoi au régime législatif qui permettait l'augmentation du prix des billets en fonction des coûts d'exploitation.


[75]            La demanderesse fait en outre état des observations finales du juge Taylor dans l'arrêt Allied Air Conditioning Inc. pour étayer sa prétention voulant que l'appauvrissement soit mis en preuve lorsqu'un demandeur fait concurrence à un tiers dont les marchandises sont vendues à un taux d'imposition moindre ou nul. Selon moi, cette observation constitue une remarque incidente et ne peut donc suffire à établir le principe invoqué par la demanderesse.

[76]            Enfin, la demanderesse renvoie à la décision rendue par la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse dans l'arrêt Cherubini Metal Works Ltd. v. Nova Scotia (Attorney General) (1995), 137 N.S.R. (2d) 197 (C.A.N.-É.), pour soutenir qu'il est suffisant de prouver qu'elle a perdu des ventes au titre des marchandises frappées de droits à raison de marges de prix moindres que le montant de ces droits.


[77]            Dans l'affaire Cherubini, précitée, un entrepreneur a tenté de recouvrer un versement excédentaire de taxe de vente. L'entrepreneur a présenté une preuve détaillée établissant qu'il avait perdu du travail à raison d'une somme moindre que celle qu'il avait erronément calculée au moment de préparer sa soumission et que ses prix offerts avaient été fixés de manière « intuitive » plutôt que par la simple addition de divers éléments. Dans certains cas, il avait réduit le montant du profit inclus dans sa soumission pour faire en sorte d'être le soumissionnaire le moins disant. Le recouvrement des taxes payées en trop a été autorisé parce que la preuve étayait la conclusion selon laquelle l'entrepreneur [TRADUCTION] « avait subi le fardeau économique de ses erreurs » . La Cour d'appel a conclu que l'enrichissement de la province était [TRADUCTION] « directement lié à l'appauvrissement de l'intimé » . Elle a d'ailleurs insisté, à la page 208, sur le fait que [TRADUCTION] « le point de savoir si la taxe avait été reportée sur les clients était une question de fait » .

[78]            En l'occurrence, je ne crois pas qu'il soit exact d'affirmer que cet arrêt énonce un principe général voulant que [TRADUCTION] « l'appauvrissement requis soit établi lorsqu'un demandeur est en mesure de prouver qu'il a perdu des ventes au titre des marchandises frappées de taxe à raison de marges de prix moindres que le montant de cette taxe » . Ce fait constitue plutôt une façon pour un demandeur de montrer, à la lumière de l'ensemble de la preuve pertinente, qu'il n'a pas reporté la charge fiscale sur d'autres personnes. Il y aurait alors recouvrement à la condition que le préjudice ait un lien direct avec l'enrichissement du défendeur.

[79]            Après avoir examiné tous les arguments présentés par la demanderesse, il m'est impossible de conclure qu'il suffit à cette dernière de prouver que les prix qu'elle exige pour les marchandises en cause ont été fixés dans un environnement concurrentiel en fonction de marchandises assujetties à des taux de droit de douane moindres que ceux applicables aux marchandises en cause pour établir qu'elle a subi un préjudice. De multiples raisons peuvent influer sur le processus de fixation des prix.

[80]            Par conséquent, je réponds par la négative à la quatrième question.


ORDONNANCE

[81]            Pour les raisons susmentionnées, la Cour ordonne que les questions qui lui ont été soumises soient tranchées de la façon suivante :

i)           Le défaut de la demanderesse de se prévaloir de ses autres recours a-t-il eu pour effet de rendre tout ou partie de sa réclamation irrecevable?

Réponse : oui.

ii)          La doctrine de l'inertie a-t-elle pour effet de rendre tout ou partie de la réclamation de la demanderesse irrecevable?

Réponse : non.

iii)          L'adoption avec effet rétroactif des dispositions pertinentes du Programme de la machinerie a-t-elle une incidence sur le recouvrement fondé sur l'enrichissement sans cause demandé en l'espèce?

Réponse : non.


iv)         Pour établir qu'elle a subi un préjudice, la demanderesse peut-elle se contenter de prouver que les prix qu'elle exige pour les marchandises visées ont été fixés dans un environnement concurrentiel en fonction de marchandises assujetties à des taux de droit de douane moindres que ceux applicables aux marchandises en cause?

Réponse : non.

            « Eleanor R. Dawson »

                                                                                                                             Juge                         

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                      AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-142-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :            Neles Controls Ltd.

c.

Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 8 novembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PRONONCÉS LE 8 FÉVRIER 2001 PAR MADAME LE JUGE DAWSON.

ONT COMPARU :

Bryan Barr                                                                    POUR LA DEMANDERESSE

Elizabeth Richards                                                           POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Maclaren Corlett                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Barristers and Solicitors

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                                           POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.