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                                                                                                                                 Date : 20040123

                                                                                                                             Dossier : T-384-03

                                                                                                                  Référence : 2004 CF 106

Ottawa (Ontario), le 23 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

                                                        KEYHAN DERAKHSHAN

                                                                                                                                           demandeur

                                                                          - et -

                                                        LE COMMISSAIRE DE LA

                                            GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale[1] et du paragraphe 32(1) de la Loi sur la gendarmerie royale du Canada[2] contre la décision rendue par un inspecteur (ci-après l'arbitre) le 21 janvier 2003 de rejeter le grief du demandeur au motif qu'il n'avait pas qualité pour le déposer.


[2]                Le demandeur a comparu lui-même et a expliqué dans ses représentations orales que ses observations écrites reflétaient son manque de connaissances juridiques. Il ne demande plus que la révocation de la décision de l'arbitre qui rejetait sa « Demande d'intervention » . Il a éliminé tout le reste de ses actes de procédure.

[3]                Le demandeur affirme qu'il s'est trompé en ce qui concerne la compétence relativement à sa demande de promotion. Il se rétracte donc sur cette question.

[4]                Le seul point qui reste donc à débattre est la question de la qualité pour agir.

[5]                Le défendeur demande à la Cour de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire.

LES FAITS

[6]                Les membres de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) doivent avoir terminé au moins sept années de service et avoir réussi l'exercice de simulation des fonctions de caporal (l'ESFC) pour être promus du grade de gendarme au grade de caporal[3].

[7]                Le demandeur est membre de la GRC depuis 1992. En avril 2000, voulant être promu du grade de gendarme au grade de caporal, le demandeur s'est soumis à l'ESFC[4].

[8]                À la même période où le demandeur s'est soumis à l'examen, un ESFC a été déclaré manquant ou volé du détachement de la GRC Toronto Ouest. Le demandeur a été informé de cela et que la GRC menait une enquête interne pour identifier les auteurs du présumé vol[5].

[9]                Le 9 janvier 2001, le centre de politique en matière de dotation a diffusé un message à tous les membres intéressés à participer à l'ESFC de 2001, selon lequel l'examen n'avait pas été changé depuis la séance de 2000 et que la note de passage était encore la même. Le message informait les candidats qu'ils pouvaient garder leurs dernières notes pendant une période maximale de quatre ans, ou se qualifier à nouveau en passant l'examen[6]. Le plaignant ne s'est pas soumis à nouveau à l'examen et a par conséquent conservé les notes qu'il avait obtenues lors de l'examen de 2000[7].


[10]            Le 1er août 2001, le demandeur a cherché à savoir du représentant divisionnaire des relations fonctionnelles (le RDRF) où en était l'enquête. Le RDRF lui a répondu qu'à sa connaissance l'enquête n'avait pas encore permis de trouver des suspects. Le 3 août 2001, le demandeur a présenté une demande officielle pour obtenir les résultats de l'enquête. Il a reçu comme réponse que le détachement de la GRC de Toronto Ouest n'avait pas été informé des résultats, mais que l'enquête n'avait pas permis de trouver des suspects[8].

[11]            La GRC a continué d'utiliser l'ESFC dont la copie avait été volée en 2001, aux fins de décerner des promotions du grade de gendarme à caporal[9].

[12]            Le 20 septembre 2001, le demandeur a déposé une « Présentation d'un grief » . Le grief a reçu le numéro dossier APB-487-10-1085. Dans son grief, le demandeur a soutenu que, par suite de la perte de l'ESFC en avril 2000 et de l'utilisation que l'on a continué d'en faire comme examen aux fins de la promotion de gendarme à caporal, il avait été désavantagé. Le demandeur voulait que les résultats à l'examen soient invalidés et qu'un nouvel examen soit créé[10]. Subsidiairement, il a demandé qu'on applique une sorte de facteur de correction de ses notes pour compenser[11]. L'arbitre a rejeté son grief le 21 janvier 2003.


[13]            Le 26 février 2002, le demandeur a déposé sa « Demande d'intervention » , à laquelle a été donné le numéro de dossier APB 525-4-1528. Le demandeur a affirmé qu'il avait subi un préjudice parce qu'une copie de l'ESFC était disparue en avril 2000 et que, en raison de cela, certaines personnes avaient peut-être profité d'un avantage à l'examen sur d'autres candidats dans le processus de promotion des années 2001 et 2002. Bien que le demandeur ne se soit pas présenté à un ESFC en 2001, il se trouvait désavantagé parce que ses résultats de 2000 étaient encore valides et qu'il se trouvait donc à être en concurrence avec les candidats qui s'étaient présentés à l'examen de 2001. Il était donc possible que certaines personnes qui avaient tiré avantage du vol de l'examen ait eu de meilleurs résultats que lui et avaient été promues au grade de caporal à sa place[12].

LA DÉCISION CONTESTÉE

[14]            Le grief portant le numéro APB 487-10-1085 ne fait pas l'objet du contrôle. Le 21 janvier 2003, l'arbitre a rejeté le grief portant le numéro APB 525-4-1528.

[15]            L'arbitre a conclu que le demandeur n'avait pas qualité pour déposer son grief. Il n'existait aucune preuve que le document manquant avait été utilisé par qui que ce soit et que cette utilisation aurait désavantagé le demandeur ou d'autres membres de la GRC. La preuve démontrait plutôt qu'aucun changement perceptible n'était survenu dans les résultats à l'examen depuis que le document avait disparu[13].


[16]            L'arbitre a rejeté le grief.

LA QUESTION EN LITIGE

[17]            L'arbitre a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire lorsqu'il a décidé que le demandeur n'avait pas qualité pour déposer son grief?

LA NORME DE CONTRÔLE

[18]            La décision correcte est la norme de contrôle qu'il faut appliquer, selon la décision Flood c. Canada (Procureur général)[14].

[19]            Bien que le demandeur dit convenir entièrement du principe de la décision Flood en ce qui concerne la « qualité pour agir » , il a affirmé que cette décision n'était pas pertinente en l'espèce. Il en serait ainsi parce qu'il n'aurait pas eu l'occasion de participer au processus de promotion en raison de circonstances découlant du vol de l'examen, alors que dans la décision Flood, il s'agissait d'un membre de la G.R.C. qui avait été victime d'une erreur du système.

[20]            Il n'en demeure pas moins que la décision Flood s'applique au demandeur en ce qui concerne sa qualité pour agir.

LE MANQUE D'ÉLÉMENTS DE PREUVE

[21]            Dans la décision Flood, la juge Reed a affirmé que, pour qu'un plaignant ait qualité pour déposer un grief, il doit préciser de quelle façon l'erreur qu'il invoque avoir été commise dans le processus de promotion a eu une incidence sur lui. La décision de la juge Reed a été essentiellement codifiée dans les Consignes du commissaire (règlement des différends en matière de promotions et d'exigences de postes, DORS/2000-141 (les consignes). L'article 9 prévoit, entre autres, que le plaignant doit préciser « en quoi la décision, l'acte ou l'omission [contesté] a causé le préjudice » . Dans la présente affaire, le demandeur devait produire des éléments de preuve précis démontrant à la fois que quelqu'un avait tiré avantage de la décision du défendeur et que cette décision lui avait causé un préjudice.

[22]            L'arbitre a eu raison de conclure que le demandeur n'avait pas présenté d'éléments de preuve qui démontraient qu'il avait subi personnellement un préjudice[15]. Contrairement à ce que le demandeur a prétendu, c'était à lui, et non au commissaire, de prouver ses allégations. Il manquait dans la plainte du demandeur l'élément prouvant qu'il avait qualité pour la déposer.


ANALYSE

[23]            Aucune disposition des consignes ne prévoit expressément le cas où le commissaire refuse de communiquer des éléments de preuve au plaignant. Par conséquent, lorsqu'il est dans cette situation, le plaignant doit tirer des autres dispositions des consignes la procédure qu'il doit suivre. Le plaignant dépose sa plainte au moyen du formulaire « Demande d'intervention » . L'article 9 des consignes édicte quel doit être le contenu de la plainte pour être valide. La Demande d'intervention est le reflet des dispositions de l'article 9. Ainsi, l'alinéa 9a) prévoit que la demande d'intervention doit préciser la décision, l'acte ou l'omission qui a donné lieu au différend. La Demande d'intervention, dans la partie A, dit : « Indiquez clairement la décision, l'acte ou l'omission à la source de cette demande d'intervention » [16]. Le formulaire suit le libellé de l'article 9 mot à mot. Par conséquent, la demande d'intervention doit contenir l'objet du grief du plaignant.

[24]            Le formulaire de Demande d'intervention a aussi une section où le plaignant doit dire s'il a besoin de renseignements qui sont en la possession du défendeur[17]. Étant donné que le formulaire contient l'objet de la plainte et qu'une demande de communication de documents fait partie du formulaire, la demande de communication contenue dans la Demande d'intervention fait donc partie de l'objet de la plainte.


[25]            En l'espèce, le plaignant a demandé, dans sa Demande d'intervention, que le défendeur lui communique les éléments de preuve suivants :

[traduction]

1. Une copie du dossier d'enquête concernant l'ESFC perdu ou volé au détachement de Toronto Ouest.

2. Une lettre de la direction nationale des politiques en matière de dotation attestant que l'ESFC en question a été utilisé pour les cycles de promotion 2000, 2001 et 2002.

3. La liste complète de tous les gendarmes promus au grade de caporal par suite des résultats obtenus aux ESFC des années 2000, 2001 et 2002[18].

[26]            Aux termes de l'alinéa 11(2)b) des consignes, le défendeur doit « répondre à chacun des points soulevés par le demandeur » . En l'espèce, le défendeur a affirmé qu'une copie du dossier d'enquête se rapportant à l'ESFC manquant et la liste complète des gendarmes promus au grade de caporal par suite des résultats obtenus aux ESFC des années 2000, 2001 et 2002 n'étaient d'aucune valeur pour la plainte[19]. Par conséquent, le défendeur a répondu à la demande de communication de documents présentée par le demandeur. Le demandeur n'a pas fait mention de cette question dans sa réplique au défendeur[20].

[27]            L'arbitre, conformément au paragraphe 21(1) des consignes, a la compétence pour connaître de la question et trancher toute « question préliminaire ou incidente » telle que la communication de documents. Qui plus est, la compétence de l'arbitre ressort encore plus clairement de la version anglaise de la disposition : l'arbitre « shall decide » .

[28]            Finalement, l'erreur commise par l'arbitre en ne résolvant pas la question est sans importance étant donné qu'il a eu raison de décider que le demandeur n'avait pas qualité pour agir.

CONCLUSION

[29]            La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


                                                                ORDONNANCE

Compte tenu que le demandeur a modifié ses actes de procédure à l'audience et qu'il ne reste plus qu'une question à trancher, soit la qualité pour agir;

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

    « Michel M.J. Shore »

                                                                                ______________________________________

       Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-384-03

INTITULÉ :                                                    KEYHAN DERAKHSHAN

c.

COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 14 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 23 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Keyhan Derakhshan                                          POUR LE DEMANDEUR

Sharon McGovern                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Keyhan Derakhshan                                          POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice



[1]L.R.C. 1985, ch. F-7

[2]L.R.C. 1985, ch. R-10

[3]Dossier de demande du demandeur, affidavit du demandeur en date du 3 avril 2003, p. 1, par. 1 (l'affidavit du demandeur).

[4]Supra, p. 1, par. 1 et 2.

[5]Supra, p. 1, par. 2.

[6]Dossier de demande du demandeur, onglet 2(E); observations du défendeur, dossier : APB-487-10-1085, p. 2 (observations du défendeur, dossier : APB-487-10-1085).

[7]Supra.

[8]Affidavit du demandeur, supra, p. 1 et 2, par. 5.

[9]Observations du défendeur, dossier APB-487-10-1085, supra, p. 2.

[10]Au moment de l'audience, le demandeur a informé la Cour qu'un nouvel examen était dorénavant utilisé.

[11]Affidavit du demandeur, supra, p. 2, par. 6.

[12]Affidavit du demandeur, supra, p. 2, par. 8.

[13]Dossier de demande du demandeur, décision de l'arbitre, dossier APB 525-4-1528, onglet 2(K), p. 2. (_ décision de l'arbitre, dossier APB 525-4-1528 _).

[14]Flood c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 878 (1re inst.), [2001] A.C.F. no 1249 (QL).

[15]Décision de l'arbitre, supra, p. 2.

[16]Dossier de demande du demandeur, Demande d'intervention en date du 26 février 2002, onglet (ii)(H), à la p. 1 (la Demande d'intervention).

[17]Supra.

[18]Supra, p. 2.

[19]Dossier de demande du demandeur, _ La réponse du défendeur _ en date du 27 mars 2002, onglet (ii)(I), p. 2 (la réponse du défendeur).

[20]Dossier de demande du demandeur, _ La réplique du demandeur _ en date du 22 avril 2002, onglet (ii)(J), p. 1 (la réplique du demandeur).

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