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     Date : 19990303

     Dossier : T-894-98

     INSTANCE relative à la Loi sur la citoyenneté,

     L.R.C. (1985), ch. C-29

     ET à l'appel formé contre la décision

     d'un juge de la citoyenneté

Entre

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     appelant,

     - et -

     JONG KEE LEE,

     intimé

     MOTIFS DU JUGEMENT

Le juge SHARLOW

[1]      La Cour est saisie de l'appel formé par le ministre contre la décision en date du 23 mars 1998 par laquelle le juge de la citoyenneté R. Meagher a fait droit à la demande de citoyenneté de Jong Kee Lee. Celui-ci a comparu à l'audience mais n'était pas assisté d'avocat. Le sous-procureur général du Canada n'a pas désigné un intervenant bénévole à cette occasion. Les éléments de preuve nécessaires proviennent des dépositions faites par M. Lee en réponse à l'avocate du ministre.

[2]      M. Lee a été admis au Canada le 10 janvier 1990 à titre d'immigrant, en compagnie de son épouse et de leurs deux enfants. Sa mère, sa soeur et les membres de la famille de cette dernière vivaient déjà dans la région torontoise et étaient citoyens canadiens. Son frère et d'autres membres de sa famille étaient en Corée, ainsi que la famille de sa femme. M. Lee, sa femme et leurs enfants habitaient la région torontoise. Il a commencé par travailler au restaurant de sa soeur, puis dans un lave-autos, et pendant quelques mois, à mi-temps dans une compagnie d'alimentation. Il fut sans travail d'août 1992 à mars 1993.

[3]      Durant cette période, la désintégration de son mariage lui a causé une grande détresse et il en est tombé malade. En mars 1993, il partit pour la Corée, en partie pour chercher le réconfort dans sa famille pendant sa maladie, en partie pour prendre soin de sa belle-mère, qui souffrait d'un cancer à l'estomac. Ce séjour en Corée prit fin en novembre, lorsqu'il revint au Canada. Il a donc été absent 260 jours à cette occasion.

[4]      À son retour au Canada, M. Lee a essayé de se réconcilier avec sa femme, mais en vain. Les deux ont divorcé en mai 1994, après quoi M. Lee habitait chez sa soeur, au Canada. Il a aussi cherché du travail mais n'a pas pu en trouver dans ce pays.

[5]      Le 30 juillet 1994, il revint en Corée. Depuis cette date jusqu'en novembre 1996, il s'est souvent absenté du Canada pour séjourner en Corée et au Japon. Voici les périodes où il a été absent du Canada, ainsi qu'il les a déclarées dans le questionnaire soumis au juge de la citoyenneté : du 30 juillet au 30 décembre 1994 (153 jours), du 26 juin au 23 août 1995 (58 jours), du 11 mai au 9 novembre 1996 (182 jours). Les visas portés sur son passeport indiquent encore une autre ou d'autres absences entre octobre 1995 et mars 1996, et qui pourraient atteindre un total de 122 jours. Ces absences additionnelles n'étaient pas déclarées dans le questionnaire. M. Lee n'a pu expliquer pourquoi il ne les a pas déclarées, à part le fait que le questionnaire était rempli par un avocat occupant pour lui à l'époque. Je ne conclus pas de ces omissions du questionnaire qu'il n'était pas digne de foi, d'autant que son passeport fait partie du dossier et qu'il n'a pas hésité à reconnaître les absences en 1995 et 1996.

[6]      Durant son séjour en Corée et au Japon, M. Lee a conçu l'idée de mettre sur pied une entreprise qui exporterait en Corée, au Japon et en Chine certains produits alimentaires canadiens, tels que les aliments McCain's, dont il pensait qu'ils y seraient populaires. Selon son témoignage, l'entreprise serait établie au Canada. Pour poursuivre cette idée, il a travaillé pendant un certain temps pour une compagnie coréenne appartenant à un de ses amis en Corée. Il se rendait fréquemment au Japon et participait à des foires commerciales. Il a gagné des commissions et a pris d'autres emplois en Corée pour se faire de l'argent de poche, et pendant un mois à peu près, il a travaillé en Corée pour une compagnie canadienne appelée Neon Power.

[7]      Durant ses séjours en Corée, M. Lee habitait chez des parents. Selon son témoignage, l'argent qu'il a gagné en Corée est toujours là. Il ne dit pas s'il aurait pu sortir cet argent de Corée s'il l'avait voulu. Il n'avait aucun revenu au Canada pendant cette période.

[8]      Il échet uniquement d'examiner si M. Lee remplissait la condition de résidence prévue à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, c'est-à-dire si, durant les quatre années qui précédaient sa demande de citoyenneté, il avait " résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout ".

[9]      Selon le dossier, il a fait sa demande de citoyenneté le 15 janvier 19971. La période de quatre ans qui entre en ligne de compte court donc du 15 janvier 1993.

[10]      Pour ce qui est de la présence physique au Canada, l'avocate du ministre calcule qu'il manquait 419 jours à l'intimé. Ce calcul prend en compte à la fois les absences déclarées au questionnaire et les absences relevées sur le passeport. Le juge de la citoyenneté pensait qu'il manquait 285 jours, mais il se trompait faute d'avoir pris en compte les absences qui n'ont pas été rapportées dans le questionnaire.

[11]      Selon la décision rendue par le juge en chef adjoint Thurlow dans Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208, la présence physique n'est pas le seul facteur pour ce qui est de la condition de résidence, et il faut aussi examiner si l'intéressé a une base résidentielle au Canada et si sa vie y est centrée. Dans l'affirmative, la condition de résidence peut être remplie malgré les absences temporaires du Canada.

[12]      L'avocate du ministre soutient que si on interprète correctement l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, " résidence au Canada " est synonyme de " présence au Canada ". Selon cette interprétation, l'alinéa 5(1)c) prévoit la computation mathématique des jours de présence au Canada et des jours d'absence, et rien de plus. Si tel était le critère applicable, M. Lee n'était pas admissible à la citoyenneté le jour de sa demande. Pareille interprétation a l'avantage de la simplicité, mais je pense qu'elle est erronée. En employant le terme " résidence " au lieu de " présence ", le législateur a entendu prévoir un critère qualitatif à l'alinéa 5(1)c), ainsi que l'a fait observer le juge en chef adjoint Thurlow. Le fait que le critère qualitatif soit parfois difficile à appliquer ne saurait justifier d'interpréter le terme " résidence " comme signifiant " présence ".

[13]      Le juge de la citoyenneté concluait que M. Lee avait établi la résidence requise au Canada dès les premiers temps, que ses absences étaient temporaires, et que de ce fait, il était un résident du Canada pendant qu'il était physiquement présent en Corée.

[14]      Après avoir entendu M. Lee et sa soeur Mme Kim, et examiné les documents versés au dossier, je suis parvenue à la conclusion contraire.

[15]      M. Lee était physiquement présent au Canada pendant à peu près trois ans avant la période de quatre ans prévue par la loi; il avait donc établi à l'origine une base résidentielle dans ce pays. La seule question qui se pose véritablement est de savoir si ses longs séjours en Corée pendant la période de quatre ans prévue par la loi et les activités qu'il y entreprenait durant ces séjours, étaient des absences temporaires de sa résidence canadienne, comme l'a conclu le juge de la citoyenneté, ou des périodes pendant lesquelles M. Lee a établi sa résidence en Corée en raison de ses liens économiques et familiaux dans ce dernier pays, comme le soutient l'appelant.

[16]      Les liens de famille que M. Lee a au Canada comme en Corée étaient très importants pour lui. Mais c'est vers sa famille en Corée qu'il s'est tourné lorsqu'il était malade. Cela ne diminue en rien ses liens de famille ici, en particulier ses liens avec sa mère et sa soeur, chez qui il vivait après la désintégration de son mariage et pendant tout le temps où il se trouvait au Canada. Mais ce fait indique que, au moins en 1994, son attachement affectif à la Corée était considérable. Il ressort aussi de son témoignage que durant la période en question, il comptait plus sur la Corée que sur le Canada pour gagner sa vie. Cela est bien compréhensible, vu ses déboires au Canada sur le plan du travail. Il songeait à établir une entreprise au Canada, mais je ne pense pas que cette volonté l'emporte sur ses liens de résidence avec la Corée durant la période en question.

[17]      La Cour fait droit à l'appel du ministre et annule la décision du juge de la citoyenneté.

     Signé : Karen R. Sharlow

     _________________________________

     J.C.F.C.

Toronto (Ontario),

le 3 mars 1999

Traduction certifiée conforme,

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER No :              T-894-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      INSTANCE relative à la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29
                     ET à l'appel formé contre la décision d'un juge de la citoyenneté

                     Entre

                     Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

                     et

                     Jong Kee Lee

DATE DE L'AUDIENCE :      Mardi 2 mars 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR MME LE JUGE SHARLOW

LE :                      Mercredi 3 mars 1999

ONT COMPARU :

Mme Marianne Zoric                  pour l'appelant

M. Jong Kee Lee                  pour l'intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Morris Rosenberg              pour l'appelant

Sous-procureur général du Canada

Jong Kee Lee                  pour l'intimé

2260 chemin Weston, app. 509

Toronto (Ontario) M9N 1Z1

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19990303

     Dossier : T-894-98

INSTANCE relative à la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29

ET à l'appel formé contre la décision d'un juge de la citoyenneté

Entre

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     - et -

JONG KEE LEE,

     MOTIFS DU JUGEMENT


__________________

1      Dossier, page 31. L'avocate représentant le ministre n'a pas contesté la computation de la période de quatre ans prévue par la loi.

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