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Date : 20051121

Dossier : IMM-1426-05

Référence : 2005 CF 1570

ENTRE :

JUN YONG CAO

YIN HUAN

SHEN HUI SHAN CAO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HUGHES

[1]                La Cour statue sur une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 10 février 2005 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a estimé que les demandeurs n'avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

[2]                Les demandeurs sont un mari, sa femme et leur fille mineure. Ils sont tous citoyens de la République populaire de Chine et ils habitaient auparavant la ville de Guangzhou, dans la province de Guangdong. Ils sont arrivés au Canada en décembre 2003 en provenance directe de Chine et ils ont présenté sur-le-champ une demande d'asile fondée sur leur crainte fondée d'être persécutés du fait de leur appartenance à un groupe social, en l'occurrence les gens assujettis au programme de planification familiale. La demanderesse affirme qu'après la naissance de sa fille en Chine, on lui a installé de force un dispositif intra-utérin (DIU). Elle est quand même devenue enceinte et a été contrainte de se faire avorter. Cet avortement l'a traumatisée et les membres de cette famille affirment avoir été terrorisés par des responsables du contrôle des naissances qui se présentaient régulièrement à leur domicile pour leur poser des questions et qui ont endommagé leurs effets personnels.

[3]                Depuis leur arrivée au Canada, le père et la mère ont donné naissance à un second enfant et affirment qu'ils craignent de retourner en Chine où l'un ou l'autre ou les deux seront contraints de se faire stériliser en raison du fait qu'ils ont déjà deux enfants.

[4]                Leur demande d'asile a été examinée à deux reprises en 2004 et elle a été rejetée dans une décision écrite datée du 8 février 2005. Le commissaire résume la décision à la page 8 de la décision :

       Les demandeurs d'asile n'ont produit aucun élément de preuve crédible et digne de foi pour étayer leurs demandes d'asile. Je détermine, selon la prépondérance des probabilités, que la demandeure d'asile n'a jamais été obligée de se faire avorter et qu'aucun des intéressés n'a jamais été recherché par le BSP ou par quelque autre autorité. Je conclus qu'ils peuvent retourner en Chine en toute sécurité parce qu'il n'existe qu'une simple possibilité qu'ils risquent d'être persécutés pour les motifs allégués.

       De plus, d'après le même élément de preuve, je suis incapable de conclure qu'il existe des motifs sérieux de croire que les demandeurs d'asile risquent de faire l'objet de préjudices conformément aux alinéas 97(1)a) ou b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

[5]                Les demandeurs affirment que les conclusions du commissaire sont manifestement déraisonnables, que ses conclusions de fait sont entachées de nombreuses erreurs et que sa décision doit être annulée en raison de l'effet cumulatif de ces erreurs.

[6]                Le défendeur soutient que, même si le commissaire a commis des erreurs, il ressort des faits essentiels de la présente affaire que, même avec deux enfants, les demandeurs ne seraient pas persécutés s'ils devaient retourner en Chine et qu'ils n'ont pas établi le fondement objectif de leur crainte de persécution. Les demandeurs rétorquent qu'il existe des éléments de preuve tout aussi convaincants suivant lesquels ils seront persécutés s'ils retournent en Chine, parce qu'ils seront obligés de se faire stériliser.

[7]                Il ne fait aucun doute que, dans son appréciation de la preuve, le commissaire a tiré des conclusions qui ne reposaient raisonnablement pas sur la preuve. La première conclusion qu'il a dégagée au sujet de la date à laquelle la demanderesse avait dû se présenter à un contrôle à la suite de l'insertion, contre son gré, d'un DIU reposait sur une méprise entre le commissaire et la demanderesse ou son interprète. La demanderesse s'était fait insérer le DIU en mai et devait être examinée aux trois mois. Son premier examen a eu lieu en juin. Le commissaire a pour une raison ou une autre conclu que les contrôles devaient avoir lieu tous les trois mois après l'insertion et que la date de juin était par conséquent improbable. Or, suivant la preuve, elle devait être examinée tous les trois mois et son premier examen a eu lieu en juin. Il n'y a rien d'improbable à ce que la date du contrôle de la demanderesse cadre avec l'horaire général prévu à cet effet. Rien ne permet de penser que chaque personne était traitée individuellement.

[8]                Le commissaire a ensuite mis en doute l'authenticité du registre des contrôles du DIU produit par la demanderesse. Ce registre avait été soumis à la GRC pour analyse. Le commissaire a signalé que cette expertise n'avait pas été concluante. Certes, formuler des doutes au sujet de l'authenticité d'un document plutôt que d'estimer qu'il n'est pas concluant ne constitue peut-être pas une erreur ou du moins une erreur qui tire à conséquence, mais le commissaire a combiné cette constatation avec la première conclusion qu'il avait tirée au sujet des contrôles du DIU pour estimer que l'affirmation de la demanderesse suivant laquelle elle avait été forcée de se faire avorter était inventée de toutes pièces, tout en précisant qu'il n'ajoutait pas foi à ces documents. La preuve ne lui permettait tout simplement pas de tirer de telles conclusions.

[9]                Le commissaire a ensuite estimé que le témoignage des demandeurs suivant lequel ils s'étaient cachés ne concordait pas avec leurs déclarations qu'ils s'étaient rendus chez un oncle pour rencontrer un agent qui pouvait les aider à quitter le pays. Celui qui se cache ne vit pas nécessairement à l'écart du monde, et il est fort probable qu'il doive se rendre quelque part pour planifier sa fuite du pays.

[10]            Les conclusions suivantes sur la question de savoir si la demanderesse était enceinte en septembre 2003 et si elle avait été forcée de se faire avorter, questions auxquels le commissaire a répondu par la négative, ne peuvent s'expliquer que par une incompréhension du témoignage de la demanderesse. L'échange suivant démontre en effet que le commissaire et la demanderesse ne semblaient pas se comprendre sur ces questions :

[traduction]

LE PRÉSIDENT : J'ai dit que ce n'était pas la question. Pourquoi pensez-vous que vous seriez stérilisée?

LA DEMANDERESSE : Parce que j'ai contrevenu aux règles relatives à la planification familiale.

L'AVOCAT : Et avant d'arriver au Canada, aviez-vous contrevenu aux règles relatives à la planification familiale?

LA DEMANDERESSE : Non.

LE PRÉSIDENT : Ah non ? Alors, pourquoi vous a-t-on forcée à vous faire avorter?

LA DEMANDERESSE : Je veux d'autres enfants et on ne me le permettait pas et, d'ailleurs, la stérilisation, tout ça c'est (inaudible), c'est pourquoi je suis venue ici.

LE PRÉSIDENT : Il n'en demeure pas moins...

L'AVOCAT : D'accord.

LE PRÉSIDENT : ... que vous avez contrevenu à la loi en devenant enceinte. C'est exact?

LA DEMANDERESSE : Forcée de me faire avorter.

LE PRÉSIDENT : Pardon?

LA DEMANDERESSE : J'étais enceinte et j'aurais été forcée de me faire avorter.

LE PRÉSIDENT : Oui, je comprends. Ce que je dis, cependant, c'est qu'aux yeux des autorités, vous avez contrevenu aux lois relatives à la planification familiale.

LA DEMANDERESSE : Parce que je n'ai pas...

LE PRÉSIDENT : Mais...

LA DEMANDERESSE : Je ne voulais pas avoir ce bébé de mon propre gré.

LE PRÉSIDENT : Je vous ai demandé au début d'attendre les questions avant de vous précipiter pour répondre. Comme je le disais, vous avez contrevenu à la loi. Certes, vous avez été forcée de vous faire avorter, mais vous n'étiez pas stérilisée. Alors pourquoi croyez-vous que vous vous feriez stérilisée si vous rentriez chez vous après avoir donné naissance à ce bébé?

LA DEMANDERESSE : Je n'avais le droit de donner naissance qu'à un seul enfant. Si je rentre avec un autre enfant, je vais devoir me faire stériliser.

[11]            Le point sur lequel le défendeur table le plus est la conclusion du commissaire que les demandeurs, qui ont maintenant deux enfants, pourraient « retourner en Chine en toute sécurité parce qu'il n'existe qu'une simple possibilité qu'ils risquent d'être persécutés pour les motifs allégués » .

[12]            Les demandeurs ont témoigné que l'un ou l'autre ou les deux seraient forcés de se faire stériliser s'ils retournaient à Guangzhou, en Chine. L'avocat du défendeur a cité devant la Commission certains documents comme Perspective Series, Chinese State Birth Planning in the 1990's and Beyond qui affirment notamment que les citoyens chinois qui ont donné naissance à des enfants à l'étranger sont en principe soustraits au régime de planification familiale et qu'ils sont à l'abri des sanctions qui y sont prévues. L'avocat des demandeurs souligne que ce document traite des étudiants et des gens d'affaires qui se trouvent à l'étranger [TRADUCTION] « pour les raisons habituelles » et qu'il ne vise pas ceux qui, comme les demandeurs, se sont cachés, ont pris la fuite et ont demandé l'asile à l'étranger. L'avocat des demandeurs cite d'autres documents de la Population Research Institute suivant lesquels les autorités chinoises continuent à pratiquer la stérilisation forcée.

[13]            Au vu de l'ensemble de l'affaire, il existe de nombreuses contradictions entre la preuve et les conclusions du commissaire de sorte que force est de conclure que ces conclusions sont manifestement déraisonnables. L'affaire devrait être renvoyée à la Commission pour être réexaminée par un autre commissaire.

[14]            Aucune des parties n'a suggéré qu'il existait une question à certifier et aucune ne sera donc certifiée.

[15]            Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Roger T. Hughes »

Juge

Toronto (Ontario)

Le 21 novembre 2005

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-1426-05

INTITULÉ :                                        JUN YONG CAO

                                                            YIN HUAN

                                                            SHEN HUI SHAN CAO

demandeurs

                                                            et

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION

                                                                        défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 17 NOVEMBRE 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE HUGHES

DATE DES MOTIFS :                       LE 21 NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS:                         

Hart A. Kaminker                                  POUR LES DEMANDEURS

                                                                                               

Sharon Stewart Guthrie                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:      

Hart A. Kaminker

Avocat

Toronto (Ontario)                                  POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada        POUR LE DÉFENDEUR

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