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Date : 20000707

Dossier : T-2288-92

ENTRE :

CHARLES JOHN GORDON BENOIT, JOAN ELIZABETH BENOIT,

GORDON JAMES ALFRED BENOIT,

LA SOCIÉTÉ TRIBALE DE L'ATHABASCA et

LA SOCIÉTÉ TRIBALE DU TRAITÉ No 8 DES TERRITOIRES DU NORD-OUEST

                                                                                                                                        demandeurs

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

[1]                     La Fédération des contribuables canadiens (la requérante) a déposé une requête en vue d'obtenir l'autorisation d'intervenir dans l'instance ou, subsidiairement, d'y être jointe en qualité de défenderesse. Je rejette cette requête, pour les motifs qui suivent.

[2]                     La Déclaration modifiée déposée par les demandeurs dans l'action comporte les allégations suivantes :

[Traduction]

a.          Les commissaires sur le Traité no 8 ont promis que ce traité n'ouvrait aucune voie pour l'imposition de taxes (la promesse en cause).


b.          La promesse en cause constitue un droit dont peuvent se prévaloir les membres des Premières nations en faveur desquelles s'applique le Traité no 8.

c.          La promesse en cause n'est pas éteinte et est protégée par la Loi constitutionnelle de 1982.

d.          L‘imposition de toute taxe aux membres du Traité no 8 porte atteinte à un droit issu d'un traité.

[3]                     La défenderesse conteste énergiquement la totalité de l'action et répond ce qui suit, dans sa Défense modifiée :

[Traduction]

a.          Aucune promesse de ce type n'a été faite relativement au Traité 8.

b.          Les demandeurs ne bénéficient pas d'une exemption d'impôt.

c.          Subsidiairement, si les demandeurs ont déjà bénéficié d'une exemption d'impôt, cette exemption est éteinte.

d.          Subsidiairement, s'il existe une exemption non éteinte, les limites de cette exemption sont justifiées par l'objectif législatif qui consiste à fournir les fonds publics nécessaires pour répondre aux besoins de la population canadienne.

[4]                     Par ailleurs, Sa Majesté la Reine du chef de l'Alberta est intervenue dans l'action en vertu du paragraphe 57(4) de la Loi sur la Cour fédérale[1] afin de produire une preuve et de présenter des observations sur la question constitutionnelle suivante signifiée par les demandeurs :

[TRADUCTION] L'application des dispositions fiscales fédérales aux Indiens bénéficiaires du Traité no 8 est incompatible avec l'article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), et ces dispositions incompatibles sont inopérantes.

[5]                     Les questions en litige sont donc arrêtées.

[6]                     Voici l'énoncé de mission de la requérante, invoqué à l'appui de la requête, tel qu'il figure dans l'affidavit de M. Mitchell Gray, directeur de la requérante pour l'Alberta :

[Traduction]

(a)             agir comme chien de garde et informer les contribuables des conséquences des mesures gouvernementales sur leur bien-être économique;

(b)            promouvoir des réformes fiscales et démocratiques responsables et défendre les intérêts communs des contribuables;

(c)             motiver et mobiliser les contribuables afin qu'ils s'acquittent de leurs responsabilités démocratiques.[2]

[7]                     En outre, selon M. Gray, la requérante poursuit notamment les objectifs suivants :

[Traduction]

(a)             l'équilibre budgétaire et l'élimination des dettes fédérale et provinciales;

(b)            l'adoption de dispositions législatives limitant le pouvoir des représentants élus d'emprunter, d'imposer des impôts et de dépenser les fonds publics;

(c)             la promotion de l'utilisation responsable et efficace de l'argent des contribuables;

(d)            l'encouragement des Canadiens non seulement à exercer leurs droits, mais aussi à s'acquitter de leurs responsabilités en matière de fiscalité.[3]


[8]                     Ainsi, en m'appuyant sur la preuve offerte par M. Gray dans son affidavit concernant les activités de la requérante, je conclus que la requérante peut être à juste titre décrite comme un groupe de pression politique non aligné qui se consacre à la réforme fiscale. À ce titre, la requérante demande l'autorisation d'intervenir, plus particulièrement pour ce qui est de garantir l'égalité entre tous les contribuables du Canada.

[9]                     Selon l'alinéa 104(1)b) des Règles de la Cour fédérale (1998), la requérante doit, pour être jointe à l'instance en qualité de défenderesse, démontrer qu'il existe, entre les demandeurs et la requérante, une cause d'action qui relève de la compétence de la Cour[4]. Je suis d'accord avec les demandeurs qui soutiennent qu'il n'existe aucune cause d'action entre eux et la requérante. Je retiens également leur argument portant que les parties au Traité no 8 sont la Couronne et les Premières nations qui ont signé le Traité ou qui y ont adhéré et, par conséquent, que le Traité impose des obligations permanentes à la Couronne du chef du Canada. Je suis donc d'accord pour dire que la défenderesse est bien la partie contre laquelle doit être dirigée une action visant l'exercice de droits issus du traité.

[10]                   Pour cette raison, je conclus que la requérante n'est pas une partie qui aurait dû être poursuivie par les demandeurs à l'origine. De plus, je suis convaincu qu'il est possible d'assurer une instruction complète et le règlement de toutes les questions en litige sans la participation de la requérante. Par conséquent, la requête présentée par la requérante dans le but d'être jointe en qualité de défenderesse est rejetée.

[11]                   Dans son affidavit, M. Gray exprime des craintes concernant les [Traduction] « conséquences possibles sur l'imposition de taxes par tous les paliers de gouvernement à l'intérieur des territoires couverts par le Traité no 8 et, par mimétisme, dans le reste du Canada, ainsi que ses effets négatifs sur les droits et libertés démocratiques garantis par la Déclaration canadienne des droits et la Charte canadienne des droits et libertés. » [5] Toutefois, en ce qui concerne la requête en autorisation d'intervenir de la requérante, la règle 109 des Règles l'oblige à expliquer en quoi sa participation « aidera à la prise d'une décision sur toute question de fait et de droit se rapportant à l'instance. »

[12]                   La règle 109 a été interprétée très récemment dans l'affaire Bande indienne Yale c. Bande indienne Aitchelitz, [1998] A.C.F. no 1060, au paragraphe 5, comme exigeant que l'intervenant proposé démontre « qu'il peut apporter à l'instance des opinions, une compréhension et des connaissances spécialisées pertinentes, différentes ou nouvelles que les autres parties n'ont pas et qui permettraient à la Cour de juger l'affaire de manière exhaustive et efficace » . La requérante affirme ce qui suit relativement à cette exigence :

[Traduction] La défenderesse, Sa Majesté la Reine du chef du Canada, est liée par de nombreuses responsabilités juridiques, notamment d'origine constitutionnelle et législative, et par ses obligations de fiduciaire envers les Indiens; elle doit nécessairement être assujettie à des contraintes qui l'empêchent de présenter des observations ou des arguments perçus comme contraires aux intérêts des demandeurs. La requérante, au contraire, représente les intérêts des Canadiens, dans toute la diversité de la population canadienne, y compris les Indiens qui ne font pas partie des demandeurs et qui ne sont pas représentés par eux, dont certains débordent les questions de droit autochtone.[6]


[13]       Je conclus qu'il n'existe aucune preuve à l'appui de l'affirmation selon laquelle la défenderesse est assujettie de quelque façon à des contraintes dans sa défense à l'action. Par conséquent, je conclus que la participation de la requérante n'aidera pas à la prise d'une décision sur une question de fait ou de droit se rapportant à l'action.

[14]       La requête en autorisation d'intervenir présentée par la requérante est donc rejetée.

      « Douglas R. Campbell »                   

Juge

EDMONTON (Alberta)

7 juillet 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                           APPENDICE

Article 57 de la Loi sur la Cour fédérale :


Constitutional Questions

57.(1)    Where the constitutional validity, applicability or operability of an Act of Parliament or of the legislature of any province, or of regulations thereunder, is in question before the Court or a federal board, commission or other tribunal, other than a service tribunal within the meaning of the National Defence Act, the Act or regulation shall not be adjudged to be invalid, inapplicable or inoperable unless notice has been served on the Attorney General of Canada and the attorney general of each province in accordance with subsection (2).

Questions constitutionnelles

57. (1) Les lois fédérales ou provinciales ou leurs textes d'application, dont la validité, l'applicabilité ou l'effet, sur le plan constitutionnel, est en cause devant la Cour ou un office fédéral, sauf s'il s'agit d'un tribunal militaire au sens de la Loi sur la

défense nationale, ne peuvent être déclarés invalides, inapplicables ou sans effet, à moins que le procureur général du Canada et ceux des provinces n'aient été avisés conformément au paragraphe (2).

Time of notice

(2) Except where otherwise ordered by the Court or the federal board, commission or other tribunal, the notice referred to in subsection (1) shall be served at least ten days before the day on which the constitutional question described in that subsection is to be argued.

Formule et délai de l'avis

(2) L'avis est, sauf ordonnance contraire de la Cour ou de l'office fédéral en cause, signifié au moins dix jours avant la date à laquelle la question constitutionnelle qui en fait l'objet doit être débattue.


Notice of appeal or application for judicial review

(3) The Attorney General of Canada and the attorney general of each province are entitled to notice of any appeal or application for judicial review made in respect of the constitutional question described in subsection (1).

Appel et contrôle judiciaire

(3) Les avis d'appel et de demande de contrôle judiciaire portant sur une question constitutionnelle sont à signifier au procureur général du Canada et à ceux des provinces.Right to Be Heard

(4) The Attorney General of Canada and the attorney general of each province are entitled to adduce evidence and make submissions to the Court or federal board, commission or other tribunal in respect of the constitutionality question described in subsection (1).

Droit des procureurs généraux d'être entendus

(4) Le procureur général à qui un avis visé aux paragraphes (1) ou (3) est signifié peut présenter une preuve et des observations à la Cour, et à l'office fédéral en cause, à l'égard de la question constitutionnelle en litige.

Right of Appeal

(5) Where the Attorney General of Canada or the attorney general of a province makes submissions under subsection (4), that attorney general shall be deemed to be a party to the proceedings for the purposes of any appeal in respect of the constitutional question described in subsection (1).

Droit d'appel

(5) Le procureur général qui présente des observations est réputé partie à l'instance aux fins d'un appel portant sur la question constitutionnelle.


Règle 104 des Règles de la Cour fédérale (1998) :



104.(1) At any time, the Court may    

(a) order that a person who is not a proper or necessary party shall cease to be a party; or

(b) order that a person who ought to have been joined as a party or whose presence before the Court is necessary to ensure that all matters in dispute in the proceeding may be effectually and completely determined be added as a party, but no person

shall be added as a plaintiff or applicant without his or her consent, signified in writing or in such other manner as the Court may order.

Directions

(2) An order made under subsection (1) shall contain directions as to amendment of the originating document and any other

pleadings.

104.(1) La Cour peut, à tout moment, ordonner :

a) qu'une personne constituée erronément comme partie ou une partie dont la présence n'est pas nécessaire au règlement des questions en litige soit mise hors de cause;

b) que soit constituée comme partie à l'instance toute personne qui aurait dû l'être ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l'instance; toutefois, nul ne peut être

constitué codemandeur sans son consentement, lequel est notifié par écrit ou de telle autre manière que la Cour ordonne.

Directives de la Cour

(2) L'ordonnance rendue en vertu du paragraphe (1) contient des directives quant aux modifications à apporter à l'acte introductif d'instance et aux autres actes de procédure.



Règle 109 des Règles de la Cour fédérale (1998) :


Authorization to Intervene

109. (1) The Court may, on motion, grant leave to any person to intervene in a proceeding.

Contents of notice of motion

(2) Notice of a motion under subsection (1) shall

(a) set out the full name and address of the proposed intervener and of any solicitor acting for the proposed intervener; and

(b) describe how the proposed intervener

wishes to participate in the proceeding and how that participation will assist the determination of a factual or legal issue related to the proceeding.

Directions

(3) In granting a motion under subsection (1), the Court shall give directions regarding

(a) the service of documents; and

(b) the role of the intervener, including costs, rights of appeal and any other matters relating to the procedure to be followed by

the intervener.

                                             

Autorisation d'intervenir

109. (1) La Cour peut, sur requête, autoriser toute personne à intervenir dans une instance.

Avis de requête

(2) L'avis d'une requête présentée pour obtenir l'autorisation d'intervenir :

a) précise les nom et adresse de la personne qui désire intervenir et ceux de son avocat, le cas échéant;

b) explique de quelle manière la personne désire participer à l'instance et en quoi sa participation aidera à la prise d'une décision sur toute question de fait et de droit se rapportant à l'instance.

Directives de la Cour

(3) La Cour assortit l'autorisation d'intervenir de directives concernant :

a) la signification de documents;

b) le rôle de l'intervenant, notamment en ce qui concerne les dépens, les droits d'appel et toute autre question relative à la procédure à suivre.



                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

               AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-2288-92

INTITULÉ DE LA CAUSE :                   Charles John Gordon Benoit et autres c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada

LIEU DE L'AUDIENCE :                       Edmonton (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                      le 6 juillet 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE CAMPBELL

EN DATE DU :                           7 juillet 2000

ONT COMPARU :

Karin Buss

Elizabeth Johnson                                    POUR LES DEMANDEURS                                

Bonnie Moon                                          POUR LA DÉFENDERESSE

Aldo Argento

Morey Sair                                             POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L'ALBERTA

Norman D. Mullins, c.r.               POUR LA FÉDÉRATION DES CONTRIBUABLES CANADIENS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ackroyd, Piasta Roth & Day                    POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada            POUR LA DÉFENDERESSE

Parlee McLaws                                       POUR LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L'ALBERTA

Norman D. Mullins, c.r.               POUR LA FÉDÉRATION DES CONTRIBUABLES CANADIENS



     [1] Cette disposition, ainsi que les règles 104 et 109 des Règles de la Cour fédérale (1998) sont reproduites dans l'appendice des présents motifs.

     [2] Affidavit de Mitchell Gray, paragraphe 4.

     [3] Ibid., paragraphe 5.

     [4] Voir La British Columbia Native Womens' Society c. Canada, [1998] A.C.F. no 108, au paragraphe 6.

     [5] Ibid., paragraphe 9.

     [6] Avis de requête de la requérante, p. 4.

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