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Date : 19990615


Dossier : IMM-2090-98

ENTRE :



PARVIZ ESLAMI,


demandeur,


- et-



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.




MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire d"une décision rendue le 17 avril 1998 dans laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n"était pas un réfugié au sens de la Convention.

LA DÉCISION DE LA SECTION DU STATUT DE RÉFUGIÉ

[2]      La Section a rendu sa décision oralement le 17 avril 1998 et a rendu ses motifs par écrit le 10 juin 1998, qui sont une transcription de la décision rendue oralement, après révision de la grammaire et de la syntaxe.

[3]      Voici une partie de la décision de la Section :

     [TRADUCTION]

         En premier lieu, nous avons de sérieux doutes quant à la crédibilité de votre preuve et à votre crédibilité en tant que témoin. Deuxièmement, nous avons un très sérieux doute quant à la plausibilité des événements entourant votre revendication du statut de réfugié en Allemagne.
         [...] Parce que, voyez-vous, à quatre reprises, peut-être même à cinq reprises, vous avez trompé les gens : vous avez trompé les autorités allemandes, vous avez trompé les agents à votre point d"entrée au Canada, vous avez trompé votre avocat, et une tendance se dessine. Une tendance de votre part, franchement, à être malhonnête lorsque vous répondez aux questions et lorsque vous donnez des renseignements.
         Nous n"avons aucune raison de croire, nous n"avons aucune certitude que ce que vous nous dites aujourd"hui est la vérité. La tendance évidente que vous avez créée est de tromper les gens et les autorités sur la question de votre revendication du statut de réfugié.
         Lorsque nous combinons cela avec la raison peu plausible pour laquelle vous avez revendiqué le statut de réfugié en Allemagne, et avec nos doutes quant à votre sincérité, nous ne croyons pas que nous avons devant nous, aujourd"hui, une preuve sérieuse sur laquelle nous pouvons nous baser pour évaluer le bien-fondé de votre crainte de persécution en Iran.

L"ARGUMENTATION DU DEMANDEUR

[4]      Le demandeur prétend que la Section du statut de réfugié est parvenue à la conclusion qu"il était entré en Allemagne avec un faux passeport suédois et qu"il y avait plus tard revendiqué le statut de réfugié, et que cette conclusion est erronée.

[5]      Il est allégué que le demandeur est demeuré dans une zone de transit pendant quelques heures (comme le lui avait conseillé le passeur) avant de se présenter à un officier de police et de l"aviser de son intention de revendiquer le statut de réfugié.

[6]      Le demandeur soutient que la Section du statut de réfugié a eu tort, parce qu"elle a conclu qu"il était entré dans le pays et y avait, plus tard, revendiqué le statut de réfugié.

[7]      Le demandeur fait aussi valoir que la Section du statut de réfugié n"a délibéré qu"environ dix minutes et qu"elle a ensuite prononcé ses motifs. Il est allégué qu"il n"est simplement pas possible que la Section du statut de réfugié ait tenu compte de toute la preuve et de tous les arguments du demandeur.

[8]      Le demandeur prétend également que le tribunal ne s"est pas conformé à l"exigence de l"alinéa 69.1(11)a ) de la Loi sur l"immigration, en rendant une décision oralement deux mois avant de fournir des motifs écrits avec un avis de sa décision.

[9]      Il est allégué que l"avis écrit de la décision doit être fourni avec les motifs écrits, qui doivent eux-mêmes être fournis avec la décision.

[10]      Il est allégué que rendre une décision oralement après avoir délibéré pendant dix minutes après l"audition et envoyer un avis de la décision, avec la décision et les motifs par écrit qui sont une transcription de tous les motifs prononcés le jour de l"audience, constitue une erreur susceptible de contrôle judiciaire.

L"ARGUMENTATION DU DÉFENDEUR

[11]      Le défendeur soutient qu"il a été satisfait aux exigences du paragraphe 69.1(9) et de l"alinéa 69.1(11)a ) de la Loi sur l"immigration. Aucune disposition de la Loi sur l"immigration n"empêche la Section du statut de réfugié de rendre une décision et d"en prononcer les motifs oralement après la tenue de l"audition soit terminée.

[12]      Le paragraphe 69.1(9) de la Loi exige que la Section du statut de réfugié rende sa décision le plus tôt possible, une fois l"audience terminée. Il exige aussi du tribunal qu"il notifie sa décision par écrit.

[13]      Le défendeur allègue qu"en vertu de l"alinéa 69.1(11)a ) de la Loi sur l"immigration, la Section du statut de réfugié n"est pas obligée de transmettre des motifs par écrit au moment où elle rend oralement sa décision.

[14]      Auparavant, le paragraphe 69.1(11) exigeait que des motifs écrits soient fournis en même temps que la décision, qu"elle soit rendue oralement ou par écrit. Contrairement aux prétentions du demandeur, le défendeur allègue que la modification apportée à l"alinéa 69.1(11)a ) a permis de remédier à l"anomalie qui existait, et que la Section du statut de réfugié n"est plus tenue de fournir des motifs par écrit au moment où elle rend oralement ses décisions. L"alinéa a été modifié, de telle sorte que rien n"empêche la Section du statut de réfugié de rendre une décision et d"en prononcer les motifs oralement, pour autant qu"elle se conforme aux exigences de la Loi.

[15]      Le défendeur allègue que dans la présente affaire, le tribunal de la Section du statut de réfugié s"est conformé aux exigences de l"alinéa tel que modifié et qu"il n"a pas contrevenu aux principes établis dans Vaszilyova c. M.E.I., (C.F. 1re inst., 4 juillet 1994, IMM-3321-93), étant donné qu"aucune preuve ne démontre une différence considérable entre les motifs écrits et les motifs prononcés oralement. Au contraire, les motifs écrits sont une transcription des motifs prononcés oralement.

[16]      Le défendeur prétend qu"en raison des contradictions dans le témoignage du demandeur, une analyse approfondie de la preuve documentaire n"était pas nécessaire et que, par conséquent, la brièveté de la délibération de la Section du statut de réfugié n"a porté atteinte ni à un principe de justice naturelle, ni à l"équité.

[17]      Le défendeur allègue qu"en disant que le demandeur était entré en Allemagne, il est clair que la Section du statut de réfugié disposait d"une preuve démontrant que le demandeur avait montré son faux passeport suédois aux inspecteurs à Zurich avant de revendiquer le statut de réfugié. Cela ressort du témoignage du demandeur (transcriptions, pages 169 et 170). De plus, la Section du statut de réfugié reconnaît que le demandeur a revendiqué le statut de réfugié en arrivant en Allemagne.

ANALYSE

[18]      Il n"est pas nécessaire de débattre très longtemps de la question de la validité du fait pour le tribunal de rendre oralement sa décision et ses motifs, étant donné que la loi est très claire à ce sujet :

69.1(9) The Refugee Division shall determine whether or not the person referred to in subsection (1) is a Convention refugee and shall render its decision as soon as possible after completion of the hearing and send a written notice of the decision to the person and to the Minister.

69.1(11) Written reasons

(11) The Refugee Division may give written reasons for its decision on a claim, except that

(a) if the decision is against the person making the claim, the Division shall, with the written notice of the decision referred to in subsection (9), give written reasons with the decision; and

69.1(9) La section du statut rend sa décision sur la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention le plus tôt possible après l'audience et la notifie à l'intéressé et au ministre par écrit.



69.1(11) Motifs

(11) La section du statut n'est tenue de motiver par écrit sa décision que dans les cas suivants

a) la décision est défavorable à l'intéressé, auquel cas la transmission des motifs se fait avec sa notification;



[19]      Les termes de la loi créent des exigences claires. Premièrement, la Section du statut de réfugié doit rendre sa décision le plus tôt possible après l"audience, ce qui a été sans aucun doute le cas dans la présente affaire; et, deuxièmement, la Section du statut de réfugié doit fournir par écrit ses motifs avec l"avis de la décision, si la décision est défavorable à la personne qui revendique le statut de réfugié. La Section du statut de réfugié a aussi satisfait à cette exigence.

[20]      Rien ne laisse entendre que la Section du statut de réfugié ne pourrait jamais rendre une décision oralement. Au contraire, le paragraphe 69.1(11) prévoit que " la Section du statut n"est tenue de motiver par écrit [...] que dans les cas suivants " [non souligné dans l"original], ce qui signifie qu"elle peut prononcer ses motifs oralement. La seule exigence supplémentaire, dans les cas où la décision est défavorable à la personne qui revendique le statut de réfugié, est de fournir des motifs par écrit avec la notification de la décision.

[21]      Cette interprétation simple et directe de la loi est conforme au principe voulant que le revendicateur doit connaître en temps utile les motifs précis du refus de sa revendication ce qui, par conséquent, lui permet d"évaluer ses chances de succès avant de se donner la peine d"introduire une nouvelle instance, qui occasionnera d"autres frais. La disposition modifiée respecte donc le principe exposé dans l"arrêt Hussain c. Canada (Ministre de l"Emploi et de l"Immigration), (8 juillet 1994), A-1212-91 (C.A.F.).

[22]      Quant à l"autre principe allégué par le demandeur, soit qu"un tribunal est tenu de réfléchir à l"affaire avant de rendre une décision, il ne s"agit pas de quelque chose qui peut être imposé aux membres d"un tribunal. Un tribunal peut, au besoin, prendre en délibéré une décision. Mais si après avoir entendu les témoins et tenu compte de la preuve, l"affaire lui paraît claire, le tribunal a la liberté de rendre sa décision à l"audience. Il ne servirait à rien d"imposer au tribunal de prendre en délibéré toutes ses décisions, et une telle étape procédurale obligatoire ne serait pas dans l"intérêt de la justice.


[23]      À mon avis, le temps accordé à la délibération ne porte atteinte ni à un principe de justice naturelle, ni à l"équité, quand le tribunal est convaincu après l"audition qu"il est prêt à rendre sa décision dans une affaire qui ne nécessite pas de délibération supplémentaire.

[24]      Après avoir lu la décision de la Section du statut de réfugié, la Cour ne voit aucune raison d"intervenir relativement à l"évaluation que le tribunal a faite de la crédibilité du demandeur. La décision est manifestement motivée et elle ne paraît pas déraisonnable.

[25]      Le demandeur renvoie à la décision Behzad Ahangaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration), (19 mai 1999), dossier IMM-301-98, (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, la décision de la Commission a été infirmée au motif que la Commission avait commis une erreur de droit en omettant de tenir compte de l"ensemble de la preuve présentée à l"appui de la revendication. Dans cette affaire, " certains documents que le demandeur a présentés pour étayer ses allégations selon lesquelles il était persécuté en Iran ont été considérés comme authentiques ". Il semble que le tribunal n"a pas considéré cet élément important au moment de prendre sa décision.

[26]      Dans la présente affaire, j"ai examiné la transcription de l"audition et la preuve documentaire et je ne peux d"aucune façon conclure que la Commission n"a pas considéré l"ensemble de la preuve qui lui a été présentée. À mon avis, la décision Ahangaran ne peut être appliquée en l"espèce.

[27]      L"avocat du demandeur a soulevé une nouvelle question dans son mémoire ultérieur, soit une atteinte au droit au secret professionnel de l"avocat, et je ne traiterai de cet argument que pour le rejeter. La Section du statut de réfugié a inféré d"une façon raisonnable que le demandeur a trompé tout le monde, y compris son avocat, quant à sa revendication du statut de réfugié en Allemagne, et cela a amené le tribunal à conclure que :

     [TRADUCTION] Nous n"avons aucune raison de croire, nous n"avons aucune certitude que ce que vous nous dites aujourd"hui est la vérité. La tendance évidente que vous avez créée est de tromper les gens et les autorités sur la question de votre revendication du statut de réfugié.

[28]      Le demandeur a rédigé ses deux FRP avec l"aide de son avocat; le deuxième FRP était différent du premier et il constituait un aveu du fait que le demandeur mentait dans son premier FRP. Il était alors évident que le demandeur avait non seulement trompé les autorités, mais aussi son avocat.

[29]      Vu la preuve et les circonstances entourant la revendication du demandeur, la Cour est d"avis que la décision du tribunal n"était pas déraisonnable.

[30]      Pour tous les motifs énumérés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[31]      L"avocat du demandeur a soumis trois questions :

Question 1 :

     La Section du statut de réfugié commet-elle une erreur de droit et omet-elle de tenir compte de l"ensemble de la preuve si elle ne tient pas compte de la crédibilité de la preuve du demandeur concernant le fond de sa revendication et ne tient seulement compte que de ce qui s"est passé après le départ du demandeur de l"Iran?

     À mon avis, la Section du statut de réfugié n"a pas seulement tenu compte de ce qui s"est passé après le départ du demandeur de l"Iran comme le mentionne la question, et il ne s"agit pas d"une question grave de portée générale.

Question 2 :

     Lorsque, après la tenue d"une audition, un tribunal conclut qu"un revendicateur n"est pas un réfugié au sens de la Convention et qu"elle prononce ses motifs oralement, lesquels sont ensuite transcrits et envoyés au revendicateur avec l"avis de décision écrit, le tribunal se conforme-t-il au paragraphe 69.1(9) et à l"alinéa 69.1(11)a ) de la Loi sur l"immigration?

     L"avocate du défendeur ne s"est pas objectée à ce que cette question soit certifiée. À mon avis, il est clair que la question concernant les motifs prononcés oralement ne constitue pas le fondement de la décision de la Cour et, comme l"a proposé l"avocate du défendeur, cette question ne sera pas certifiée au motif qu"elle n"est pas déterminante dans la présente affaire.

Question 3 :

     a)      La Section du statut de réfugié commet-elle une erreur de droit si elle se fonde sur une conclusion que le demandeur a trompé son avocat, pour conclure que le demandeur n"est pas crédible, en l"absence de preuve d"une renonciation au droit au secret professionnel de l"avocat?
     b)      La Section du statut de réfugié commet-elle une erreur de droit et contrevient aux principes de justice naturelle si elle se fonde sur une conclusion que le demandeur a trompé son avocat, pour conclure que le demandeur n"est pas crédible, si la Section du statut de réfugié a donné la directive à l"agent chargé de la revendication de ne pas interroger le demandeur au sujet de ce qu"il a dit à son avocat?

     La troisième question n"est pas certifiée vu qu"elle ne constitue pas une question grave de portée générale, étant donné que la Section pouvait raisonnablement faire une inférence en se basant sur le bon sens et sur quelque chose d"évident.


Pierre Blais

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 15 juin 1999



Traduction certifiée conforme


Martin Desmeules

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :                  IMM-2090-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          PARVIZ ESLAMI c. MCI

LIEU DE L"AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L"AUDIENCE :              LE 2 JUIN 1999




MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE RENDUS PAR LE JUGE BLAIS

EN DATE DU :                  15 JUIN 1999



ONT COMPARU :

M. MICHAEL CRANE                  POUR LE DEMANDEUR

Mme ANN MARGARET OBERST              POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. MICHAEL CRANE                  POUR LE DEMANDEUR

M. Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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