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     Date : 19981130

     Dossier : T-193-98

     AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,

     L.R.C. (1985), ch. C-29,

     ET un appel interjeté de la décision

     d'un juge de la citoyenneté,

     ET

                     WAI HONG CHAN,

     appelante.

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

    

LE JUGE WETSTON

[1]      Le seul point litigieux dans le présent appel porte sur la résidence prévue à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Dans les quatre ans qui ont précédé sa demande de citoyenneté, Mme Chan s'est trouvée au Canada pendant seulement 162 jours, et il lui manquait 933 jours dans la période en cause. Mme Chan est arrivée au Canada avec ses parents le 16 décembre 1993. Elle était étudiante à l'University of Indiana, et elle est apatride. Mme Chan était étudiante à Pasedena (Californie) en 1991, et elle est alors allée à l'University of Indiana en 1992. En 1994-1995, elle a également fait des études à New York University, où elle a étudié l'administration des arts. Elle a témoigné que ce type de diplôme n'existait pas au Canada. Ses parents sont au Canada, et elle a une soeur à Hong Kong.

[2]          Elle a fréquenté l'école en Californie parce que sa soeur y a déjà été et, pendant qu'elle était étudiante, elle n'est pas revenue au Canada pour des visites. Autrement dit, elle s'est absentée du pays pendant 980 jours environ. Sa raison en est qu'elle désirait terminer ses études aussitôt que possible. À un moment, elle a quitté les États-Unis, mais elle s'est rendue à Hong Kong où elle a suivi un cours d'anthropologie humaine pendant environ trois mois dans le cadre de son programme universitaire.

[3]          Il n'est guère douteux qu'elle était une étudiante à charge au cours de la période en cause. Lors de son retour au Canada, elle a abandonné l'administration des arts en raison du peu de perspectives d'avenir et de la mauvaise rémunération dans ce domaine, et elle s'est jointe à la société commerciale de son père qui s'occupait de l'exportation du matériel d'impression. À son retour au Canada, elle a également fait des voyages à l'étranger pour rencontrer des clients et se familiariser avec les affaires. L'avocat de l'appelante a souligné qu'elle avait obtenu deux permis de retour pour résident permanent, ce qui, selon lui, indiquait qu'elle avait l'intention d'y retourner.

[4] L'avocat de l'appelante prétend que la famille de celle-ci s'est établie au Canada, et a rompu tous les liens avec Hong Kong. Dans la période de 162 jours précédant sa demande de citoyenneté, elle a été très active dans le domaine religieux, politique et commercial. À son retour au Canada, et jusqu'à la date de sa demande de citoyenneté, il est incontestable qu'elle s'est intégrée dans une très grande mesure, dans la société canadienne. Elle a participé aux activités de son église, à la politique canadienne et aux oeuvres de bienfaisance.

[5]          Le ministre prétend que la demande de citoyenneté était prématurée. L'appelante a fait sa demande neuf mois avant la fin de la période de quatre ans prévue par la loi. Il est allégué qu'elle n'a jamais établi sa résidence après son arrivée, qu'elle a quitté le Canada environ trois semaines après y être arrivée. Il est soutenu qu'obtenir les permis de retour pour résident permanent ne suffisait pas à établir, en pensée et en fait, qu'elle avait centralisé son mode de vie au Canada. Il est allégué qu'elle est restée à l'étranger pendant 980 jours et qu'au lieu de venir au Canada, elle a terminé un cours d'application pratique de son domaine, et elle a vécu avec sa soeur à Hong Kong.

[6]          Le ministre renvoie la Cour à la décision Canada (Secrétaire d'État) c. Yu, [1995] F.C.J. 919 (1re inst.), où

le juge Rothstein a décidé que l'omission d'établir la résidence au début portait un coup fatal à une demande de citoyenneté. De plus, le ministre soutient qu'elle a été absente pendant 1 017 jours dans la période requise et que, en ce qui concerne ses liens avec le Canada, bien que ses parents y vivent, sa soeur était toujours à Hong Kong, et a également fait ses études aux États-Unis. Il est allégué qu'elle n'avait aucune attache réelle avec le Canada, et qu'elle s'est fréquemment absentée du Canada au cours de la période en cause. Qui plus est, ses attaches réelles sont survenues seulement à partir de septembre 1996 et antérieurement à son entrevue avec le juge de la citoyenneté. Il est prétendu que la période où elle était à l'extérieur du pays n'était nullement temporaire. Elle a décidé d'aller en Indiana alors qu'elle savait que ses parents avaient décidé de venir au Canada. Il est également souligné qu'elle n'a vraiment pas tenté de repérer ou de trouver une école au Canada. L'avocat du ministre a fait savoir à Mme Chan au cours de l'audition que l'Université Concordia avait un programme d'administration des arts. De plus, à son retour, elle n'a pas fait sa carrière dans le domaine de l'administration des arts. Essentiellement, il est allégué que la demande de citoyenneté en l'espèce était prématurée.

[7]          Les demandes de citoyenneté faites par des étudiants qui ont étudié ou étudient à l'extérieur du Canada présentent certaines difficultés selon le moment où ils déposent leur demande de citoyenneté. Dans Affaire intéressant Koo, supra, le juge Reed a noté que la loi devrait être appliquée également à tous, et que les qualités de l'individu en tant que citoyen éventuel ne devraient pas affecter l'interprétation de la loi. Le critère consiste à se demander si le Canada est le pays où il a centralisé son mode de vie ou où il vit normalement. Dans Affaire intéressant Koo, supra, à la page 293, le juge Reed a énuméré six questions qu'on peut poser pour aider à faire ces déterminations :

     1.      La personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?
     2.      Où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?
     3.      La forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?
     4.      Quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque ces absences sont considérables)?
     5.      L'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre ses études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?
     6.      Quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[8]          La présence physique est un facteur principal dont la Cour doit tenir compte pour déterminer si un demandeur remplit les conditions de résidence posées par la Loi. Le défaut de présence physique empêche effectivement d'attribuer la citoyenneté. Pour que des absences soient considérées comme temporaires et donc incluses, il doit y avoir d'autres indices de résidence, et c'est là le but premier des questions posées dans Affaire intéressant Koo, supra, par le juge Reed.

[9]          À mon avis, lorsque la présence physique est minimale, le facteur le plus important est la qualité des attaches du requérant avec le Canada. Il doit y avoir la preuve qui indique de véritables attaches avec le Canada. Ces attaches doivent dépasser le fait d'avoir seulement des attaches avec la famille installée au Canada, d'avoir un permis de conduire canadien ou un numéro d'assurance sociale.

[10]          Il existe des facteurs qui peuvent servir à mettre en lumière ces attaches. L'appelante a-t-elle réellement tenté de retourner au Canada au cours des vacances? Dans la négative, pourquoi? Par exemple, est-elle retournée au Canada au cours des vacances d'été pour obtenir un emploi d'été ou faire le travail communautaire au Canada? Au cours de ces visites, s'est-elle engagée dans des activités qui favorisent son intégration dans la société canadienne? Par exemple, s'est-elle jointe à un club social, à un club d'athlétisme, à un groupe confessionnel ou a-t-elle suivi un cours ou un programme? A-t-elle raisonnablement tenté de déterminer si d'autres programmes existaient au Canada qui pourraient répondre à ses buts d'instruction, et de s'inscrire à ces programmes?

[11]          En bref, l'appelante doit établir sa résidence au Canada en pensée et en fait. Elle doit avoir centralisé son mode de vie au Canada.

[12]          Je conviens avec l'intimé que la demande est prématurée. À l'évidence, Mme Chan serait une excellente citoyenne mais, avant de devenir citoyenne, elle doit remplir les conditions de la Loi. Elle n'a guère tenté ou n'a pas tenté de retourner au Canada au cours de ses études. Elle a très activement participé aux activités de la société canadienne antérieurement à sa demande qui a été présentée au moins neuf mois avant la fin de la période sur laquelle elle aurait pu compter. Elle n'a nullement tenté de déterminer si elle pouvait poursuivre ses études au Canada. Elle s'est appuyée sur ses études aux États-Unis aux fins des activités politiques et charitables, mais a poursuivi une autre carrière dans l'entreprise familiale, laquelle carrière n'avait aucun rapport avec ses études.

[13]          En bref, sa demande était prématurée, et je suis convaincu qu'elle n'a pas centralisé son mode de vie au Canada au cours de la période en cause. Il ne fait pas de doute que Mme Chan serait une excellente citoyenne canadienne, mais elle doit tout

d'abord remplir les conditions de la Loi. L'appel doit être rejeté.

                                 Howard I. Wetston

                                         Juge

Toronto (Ontario)

le 30 novembre 1998

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

No DU GREFFE :                      T-193-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :              AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,L.R.C. (1985), ch. C-29,
                             ET un appel interjeté de la décision d'un juge de la citoyenneté,
                             ET
                             WAI HONG CHAN,

    

                             et
                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

    

DATE DE L'AUDIENCE :              Le mercredi 4 novembre 1998
LIEU DE L'AUDIENCE :              Vancouver (Colombie-Britannique)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :          le juge Wetston

EN DATE DU                      lundi 30 novembre 1998

ONT COMPARU :

    A. Wlodyka                      pour l'appelante
    E. Pech                          pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Lawrence Wong and Associates

Avocats

Pièce 600, 2695, rue Granville

Vancouver (C.-B.)

V6H 3H4                          pour l'appelante

Morris Rosenberg

Sous-procureur général

du Canada                      pour l'intimé

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19981130

     Dossier : T-193-98

     AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ, L.R.C. (1985), ch. C-29,

ET un appel interjeté de la décision

d'un juge de la citoyenneté,

     ET

         WAI HONG CHAN,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

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