Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20191213


Dossier : IMM-6592-18

Référence : 2019 CF 1602

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

OLAJUMOKE FOLASADE ODEDELE

ANUOLUWAPO MELODY ODEDELE

OREOLUWA HARMONY ODEDELE

AYOTOMIWA DAVID ODEDELE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Olajumoke Folasade Odedele (la demanderesse principale) et ses trois enfants sont des citoyens du Nigéria. Ajibola Kehinde Odedele, l’époux de Mme Odedele et le père de ses enfants, est, lui aussi, un citoyen du Nigéria. Mme Odedele affirme craindre de retourner au Nigéria, car ses filles Anuoluwapo Melody Odedele (née en 2001) et Oreoluwa Harmony Odedele (née en 2003) seront forcées de subir une mutilation génitale féminine [MGF], une pratique qui serait coutumière du côté paternel de la famille, mais à laquelle les deux parents s’opposent. (Le quatrième demandeur est un fils né en 2005.) Mme Odedele prétend que, lors d’une fête d’anniversaire en l’honneur de M. Odedele à Port Harcourt, en octobre 2016, des membres de sa famille l’ont affronté et l’ont tenu responsable des tragédies qui s’étaient abattues sur la famille. Ils ont insisté pour que les filles mineures subissent une MGF. Il y a eu une altercation physique, et la police a dû intervenir.

[2]  Les demandeurs ont quitté le Nigéria et sont partis pour les États-Unis en décembre 2017, ayant préalablement obtenu des visas de visiteurs. Ils sont restés aux États-Unis moins de deux semaines, puis se sont dirigés vers la frontière canado-américaine du chemin Roxham et ont demandé l’asile. M. Odedele est resté au Nigéria, mais les a suivis peu de temps après, se rendant aux États-Unis en janvier 2018 (bien qu’il soit retourné au Nigéria en juin 2018).

[3]  Les demandes d’asile ont été instruites par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la CISR] le 11 juillet 2018. Selon les motifs datés du 8 août 2018, les demandes ont été rejetées parce que les demanderesses mineures n’étaient pas exposées à un risque de persécution et que, quoi qu’il en soit, les demandeurs avaient une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Abuja, à Lagos ou à Benin City.

[4]  Les demandeurs ont interjeté appel de cette décision auprès de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la CISR. Pour les motifs datés du 11 décembre 2018, la SAR a rejeté l’appel et confirmé la décision de la SPR, concluant que celle-ci avait correctement déterminé que les demandeurs avaient une PRI à Lagos.

[5]  Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Ils soutiennent que la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre de nouveaux éléments de preuve et que la décision selon laquelle ils avaient une PRI à Lagos est déraisonnable.

[6]  Pour les motifs énoncés ci-dessous, je ne suis pas d’accord. Par conséquent, la demande sera rejetée.

[7]  Les principes juridiques régissant la présente demande ne sont pas contestés. Les décisions de la SAR concernant des questions de fait et des questions mixtes de fait et de droit sont assujetties à la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35). Il en va de même, notamment, pour l’appréciation, par la SAR, de l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, au paragraphe 29 [Singh]) et la décision de la SAR concernant l’existence d’une PRI (Tariq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1017, au paragraphe 14).

[8]  Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable « s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qui l’a produit » (Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc, 2016 CSC 38, au paragraphe 18). Autrement dit, la cour de révision doit examiner à la fois les motifs et le résultat (Delta Air Lines Inc c Lukács, 2018 CSC 2, au paragraphe 27). Elle examine si la décision possède les attributs de la raisonnabilité, laquelle tient à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », et détermine si elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir]). Ces critères sont respectés si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16). La cour de révision ne doit intervenir que si ces critères ne sont pas respectés. Il ne lui revient pas de soupeser à nouveau la preuve ou de substituer à la décision l’issue qu’elle estime préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 59 et 61).

[9]  Tout d’abord, en ce qui concerne l’admissibilité des nouveaux éléments de preuve, les demandeurs ont déposé, à l’appui de leur appel devant la SAR, un affidavit de Mme Odedele auquel ils ont joint une lettre datée du 13 septembre 2018 d’un avocat du Nigéria. Cette lettre est intitulée [traduction] « Avis juridique à l’appui de l’appel devant la SAR ». Dans son affidavit, Mme Odedele mentionne uniquement que la lettre [traduction] « est un avis juridique de ses avocats au Nigéria, qui fait référence au caractère déraisonnable des PRI déterminées par le tribunal ».

[10]  L’admissibilité de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’un appel devant la SAR est régie par le paragraphe 110(4) de la LIPR, qui est libellé ainsi :

110(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

110(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[11]  Comme l’a expliqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Singh, l’existence de critères régissant l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve en appel contribue à préserver l’intégrité du processus judiciaire en favorisant la finalité du dossier factuel au premier niveau décisionnaire (à très peu d’exceptions près) et en favorisant la limitation des questions en litige au fur et à mesure qu’une affaire progresse dans le processus d’appel (Singh, aux paragraphes 43 et 50).

[12]  Le sous-alinéa 3(3)g)(iii) des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012-257, prévoit que l’appelant doit inclure dans son mémoire des « observations complètes et détaillées » concernant la façon dont les éléments de preuve qu’il souhaite présenter « sont conformes aux exigences du paragraphe 110(4) de la Loi et la façon dont ils sont liés à l’appelant ». Malgré cela, le mémoire des arguments que les demandeurs ont déposé devant la SAR ne mentionne aucunement l’admissibilité de la lettre du 13 septembre 2018.

[13]  La commissaire de la SAR a déterminé que la lettre était inadmissible et a conclu que « cet élément de preuve était normalement accessible avant le rejet de la demande d’asile ». Les demandeurs prétendent que la commissaire de la SAR a commis une erreur, parce que la lettre [traduction] « était nécessaire à la suite de la décision de la SPR », qu’elle [traduction] « n’est pas fondée sur un événement survenu avant ou après la décision de la SPR » et qu’il s’agit d’une opinion sur la prévalence de la MGF au Nigéria ainsi que d’une [traduction] « indication selon laquelle il n’y a pas de possibilité de refuge intérieur pour les victimes d’une telle menace ». Cet argument n’est pas fondé. Les demandeurs n’ont pas précisé quand ils avaient demandé cet avis à l’avocat. Bien que la lettre porte une date postérieure à la décision de la SPR, son contenu est manifestement lié à des questions qui datent d’avant l’audience devant la SPR. Par exemple, l’auteur prétend avoir été témoin des événements survenus lors de la fête d’anniversaire de M. Odedele en octobre 2016. Il vaut également la peine de mentionner que l’auteur de la lettre s’aventure bien au-delà de ce qui pourrait même de loin ressembler à un « avis juridique » en affirmant, entre autres, que les demandeurs craindront la famille de M. Odedele, peu importe où ils vivent au Nigéria ([traduction] « ils devront toujours surveiller leurs arrières, en raison de l’expérience vécue avec les membres de la famille de son mari »). Il ajoute également que les agents de persécution prétendus [traduction] « sont déterminés à mener leur plan à exécution et [qu’]ils ne reculeront devant rien pour atteindre leur objectif, soit de forcer les filles de notre cliente à subir une MGF ». En l’absence d’indications contraires, si ces « avis » ont un fondement quelconque, on peut présumer qu’ils sont fondés sur des événements qui ont eu lieu avant que les demandeurs quittent le Nigéria.

[14]  Les demandeurs savaient que la question d’une PRI était en litige devant la SPR. Pour faire admettre l’« avis juridique » en appel, ils étaient donc tenus de démontrer à la SAR qu’entre autres, cet avis n’était pas raisonnablement accessible au moment de l’audience devant la SPR. Les demandeurs n’ont même pas tenté de le faire. La décision de la SAR selon laquelle la lettre n’est pas admissible en application du paragraphe 110(4) de la LIPR est tout à fait raisonnable.

[15]  Les demandeurs affirment également que la décision de la SAR selon laquelle ils avaient une PRI à Lagos est déraisonnable. Je ne suis pas d’accord. La commissaire a énoncé le critère approprié relatif à la PRI, l’a appliqué aux éléments de preuve au dossier et a rendu une décision indépendante qui confirmait les conclusions de la SPR. Elle a examiné et abordé les observations présentées en appel. Dans la mesure où les observations des demandeurs dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire traitent du bien-fondé de la décision de la SAR, leurs objections ne sont que de simples invitations à la Cour de soupeser à nouveau la preuve afin de parvenir à une conclusion différente (par exemple, concernant la grande distance entre Lagos, la PRI proposée, et Ibadan, où vivent les agents de persécution prétendus). Comme je l’ai mentionné précédemment, ce n’est pas là le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. De plus, contrairement à ce que les demandeurs prétendent, la commissaire n’a pas omis de prendre en considération les allégations indépendantes des filles mineures. Ces allégations constituaient le seul fondement de la demande d’asile et par conséquent, ont été pleinement prises en compte.

[16]  La décision de la SAR est justifiée, transparente et intelligible, et elle appartient manifestement aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il s’agit d’une décision raisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir. Aucun fondement à l’intervention de la Cour n’a été établi.

[17]  J’ajouterais une dernière observation. Lorsqu’elle a statué sur l’appel, la commissaire de la SAR s’est fondée sur le guide jurisprudentiel de la CISR relatif au Nigéria. Ce guide (et d’autres) a été contesté par l’Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés [l’ACAADR] dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire qui a finalement été entendue par le juge en chef le 6 juin 2019. Dans leur mémoire des arguments à l’appui de leur demande d’autorisation (en date du 22 janvier 2018 [sic 2019]), les demandeurs ont noté qu’ils s’étaient fondés sur l’argument présenté par la demanderesse dans l’affaire ACAADR. Ils ont également indiqué que, s’ils obtenaient l’autorisation de présenter leur demande de contrôle judiciaire, ils tenteraient de joindre leur demande à l’affaire ACAADR. Bien que les demandeurs aient de toute évidence obtenu l’autorisation de présenter leur demande de contrôle judiciaire (le 2 mai 2019), ils n’ont jamais demandé à ce que leur affaire et l’affaire ACAADR soient réunies. Quoi qu’il en soit, la demande de contrôle judiciaire de l’ACAADR a maintenant été tranchée : voir Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1126 (publiée le 4 septembre 2019 [ACAADR]). Étant donné les conclusions du juge en chef concernant le guide jurisprudentiel sur le Nigéria, cette affaire n’aide pas les demandeurs (voir ACAADR, au paragraphe 119).

[18]  Les parties n’ont pas proposé de question grave de portée générale à certifier au titre de l’alinéa 74d) de la LIPR. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-6592-18

LA COUR STATUE

  1. que la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. qu’aucune question de portée générale n’est énoncée.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 7e jour de janvier 2020

Christian Laroche, LL.B., juriste-traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6592-18

 

INTITULÉ :

OLAJUMOKE FOLASADE ODEDELE ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 JUILLET 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 13 DÉCEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Oluwakemi Oduwole

POUR LES DEMANDEURS

 

Catherine Vasilaros

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Topmarké Attorneys LLP

North York (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.