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Date : 20000331


Dossier : T-2429-96

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2000

EN PRÉSENCE DU JUGE PELLETIER

         AFFAIRE INTÉRESSANT l"opposition de Christian Dior, S.A. à la demande no 700,373 déposée par Dion Neckwear Ltd. en vue d"obtenir l"enregistrement de la marque de commerce DION COLLECTION & Dessin, ainsi que les articles 56 et 59 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13.

ENTRE :


DION NECKWEAR LTD.


appelante

(requérante)


et


CHRISTIAN DIOR, S.A.

intimée

(opposante)

et


LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

         intimé



ORDONNANCE ET MOTIFS

LE JUGE PELLETIER


[1]      Le 26 mars 1992, l"appelante Dion Neckwear Ltd. a produit une demande d"enregistrement de sa marque de commerce DION COLLECTION & Dessin fondée sur l"emploi de la marque au Canada depuis au moins le 1er août 1989 en liaison avec [TRADUCTION] " des cravates, des foulards et des lavallières " ainsi que sur l"emploi projeté de la marque de commerce au Canada en liaison avec des [TRADUCTION] " chemises, tricots, blouses, pantalons, habits, chaussettes, sous-vêtements, t-shirts, porte-feuilles, parapluies, ceintures, montres et lunettes ". L"appelante s"est désistée du droit à l"usage exclusif du mot COLLECTION en dehors de sa marque de commerce. La demande a été publiée dans le Journal des marques de commerce le 24 février 1993.

[2]      Le 24 mars 1993, l"intimée a déposé une déclaration d"opposition à l"enregistrement proposé de cette marque de commerce pour les motifs suivants :

     a)      La demande de l"appelante ne respecte pas l"alinéa 30i ) de la Loi sur les marques de commerce, parce qu"il est faux que l"appelante s"est dite convaincue qu"elle avait le droit d"employer la marque de commerce au Canada en liaison avec les marchandises décrites dans la demande car, en date de la production de sa demande, elle aurait dû savoir que sa marque de commerce créait de la confusion avec les marques de commerce enregistrées suivantes de l"opposante :

         Marque de commerce          No d"enregistrement
         DIOR                      203,924
         CHRISTIAN DIOR              203,925

         CHRISTIAN DIOR MONSIEUR      190,518

         CHRISTIAN DIOR              203,927
         DIOR                      203,928
         DIOR & Dessin              323,994
         DIOR 2 Dessin              356,392

         CHRISTIAN DIOR & Dessin      362,646

         CHRISTIAN DIOR              UCA50698
         CHRISTIAN DIOR              UCA43937
         DIOR                      UCA50697
     b)      La marque de commerce de l"appelante n"est pas enregistrable, parce qu"elle est constituée d"un mot n"étant principalement que le nom de famille d"un particulier vivant ou qui est décédé dans les trente années précédentes;
     c)      La marque de commerce de l"appelante n"est pas enregistrable, car elle contrevient aux dispositions de l"alinéa 12(1)d ) de la Loi sur les marques de commerce en ce qu"elle crée de la confusion avec les marques de commerce enregistrées suivantes de l"opposante :
                 Marque de commerce          No d"enregistrement
         DIOR                      203,924
         CHRISTIAN DIOR              203,925

         CHRISTIAN DIOR MONSIEUR      190,518

         CHRISTIAN DIOR              203,927
         CHRISTIAN DIOR              203,926
         DIOR                      203,928
         DIOR & Dessin              323,994
         DIOR 2 Dessin              356,392

         CHRISTIAN DIOR & Dessin      362,646

         CHRISTIAN DIOR              UCA50698
         CHRISTIAN DIOR              UCA43937
         DIOR                      UCA50697
     d)      L"appelante n"est pas la personne ayant droit à l"enregistrement de la marque de commerce DION COLLECTION & Dessin parce que, à compter de la prétendue date du premier emploi par l"appelante, le 1er août 1989, la marque de commerce en liaison avec des " cravates, foulards et lavallières " créait de la confusion avec les marques de commerce de l"opposante identifiées dans le troisième motif d"opposition et qui avaient été antérieurement employées au Canada par l"opposante et ses prédécesseurs en titre;
     e)      L"appelante n"est pas la personne ayant droit à l"enregistrement de la marque de commerce parce que, à compter de la date de production de la demande d"enregistrement, la marque de commerce de l"appelante en liaison avec des " chemises, tricots, blouses, pantalons, habits, chaussettes, sous-vêtements, t-shirts, porte-feuilles, parapluies, ceintures, montres et lunettes " créait de la confusion avec les marques de commerce de l"opposante identifiées dans le troisième motif d"opposition et qui avaient antérieurement été employées au Canada par l"opposante et ses prédécesseurs en titre;
     f)      La marque de commerce de l"appelante n"est pas distinctive en ce qu"elle crée de la confusion avec les marques de commerce de l"opposante identifiées plus haut.

[3]      Dans une contre-déclaration datée du 1er juin 1993, l"appelante a nié les allégations formulées dans les motifs d"opposition énoncés ci-dessus.

[4]      Devant le registraire, l"appelante a produit en preuve les affidavits de Stuart Nifoussi et de Peter Tsihlias au soutien de la demande. Aucun de ces affidavits n"a fait l"objet d"un contre-interrogatoire.

[5]      L"intimée a déposé les affidavits de Faiza Joakim et de Fabienne Havet au soutien de l"opposition. Elle a également produit en contre-preuve un second affidavit de Fabienne Havet. Aucun de ces affidavits n"a fait l"objet d"un contre-interrogatoire.

[6]      Après le dépôt des plaidoiries écrites et l"audition, le registraire a rejeté la demande d"enregistrement de l"appelante à l"égard de la marque de commerce DION COLLECTION & Dessin :
     Compte tenu de ce qui précède, et même compte tenu de la faiblesse inhérente des marques de commerce de l'opposante DIOR, un doute persiste dans mon esprit quant à savoir s"il y aurait un risque raisonnable de confusion entre la marque de commerce de la requérante DION COLLECTION & Dessin et les marques de commerce enregistrées de l'opposante DIOR, étant donné le degré de similitude entre les marques de commerce sur le plan visuel portant sur des marchandises semblables empruntant les mêmes voies commerciales. Je conclus donc que la requérante ne s'est pas acquittée du fardeau légal qui lui incombait sur la question de la confusion relativement au motif d'opposition fondé sur l'alinéa 12(1)d ) de la Loi.

[7]      Par conséquent, le registraire a rejeté la demande de l"appelante en se fondant sur le troisième motif de la déclaration d"opposition de l"intimée.

[8]      Le 4 novembre 1996, l"appelante a déposé un avis d"appel dans lequel elle a allégué que le registraire avait commis une erreur de fait et de droit lorsqu"il a conclu à l"existence d"un risque de confusion entre la marque de commerce DION COLLECTION & Dessin de l"appelante et les marques de commerce DIOR de l"intimée.

[9]      Au soutien de son appel, l"appelante a produit un second affidavit de Peter Tsihlias ainsi que l"affidavit de François Potvin. Dans son affidavit, Peter Tsihlias a mentionné que les cravates DION COLLECTION se vendaient à un prix variant de 100 $ à 140 $, tandis que le prix de celles de Dior oscillait entre 60 $ et 75 $. De plus, il a formulé des commentaires au sujet de l"endroit où les marchandises Dion étaient disposées dans les cas où un détaillant comme La Baie vendait les deux gammes de produits. Selon lui, les produits Dion étaient mis en vente dans un endroit plus exclusif du magasin, tandis que les produits Dior étaient vendus au rez-de-chaussée, un emplacement qui lui semblait moins exclusif. L"affidavit de François Potvin fait état des résultats de la recherche qu"il a effectuée dans les livres de noms en ce qui a trait aux noms Dion, Dionne, Dionysius et d"autres noms similaires.

[10]      L"intimée a décidé de ne pas présenter d"autres éléments de preuve à la Cour.

[11]      Dans son avis d"appel, l"appelante a mentionné quatorze erreurs qui, à son avis, lui permettraient d"obtenir la réparation qu"elle demande, soit l"enregistrement de sa marque de commerce. Une lecture attentive de ces motifs indique qu"il s"agit, soit de conclusions juridiques tirées de la preuve, c.-à-d. : " la marque de commerce DION COLLECTION & Dessin, lorsqu'on la considère dans son ensemble, possède peu de caractère distinctif inhérent ", soit de conclusions de fait, c.-à-d. : " l"absence de preuve quant à l"existence de cas réels de confusion ". Or, la majeure partie de ces erreurs constituent la pierre d"assise de la conclusion à laquelle le registraire en est arrivé au sujet de la confusion. J"ai en mémoire la mise en garde suivante qu"a formulée le juge Joyal, qui est un juge très compétent et très expérimenté sur ces questions :

     Néanmoins, comme la Cour suprême du Canada l"a rappelé à toutes les cours de contrôle dans l"arrêt Boulis c. Ministre de la Main-d"oeuvre et de l"Immigration, [1974] R.C.S. 875, à la p. 885, juge Laskin, on ne doit pas analyser ou scruter à la loupe les décisions rendues par les tribunaux administratifs comme si l"on examinait une question ressortissant à l"interprétation des lois. Selon moi, cette remarque signifie qu"on doit considérer ces décisions dans leur ensemble pour leur donner un sens général en dépit d"une certaine imprécision du vocabulaire, de l"ambiguïté d"une tournure de temps à autre ou même d"un vide apparent dans l"un des domaines d"enquête plus pertinents que l"instance décisionnelle est tenue par la loi d"examiner. La solution qui me paraît la plus sage est de considérer tous les motifs du Registraire, de les analyser par rapport à l"ensemble de la preuve produite et, seulement après cela, de décider si l"une des erreurs qu"on lui reproche d"avoir faites est si importante qu"une cour peut raisonnablement conclure qu"il s"est fourvoyé dans l"appréciation de la preuve ou qu"il a effectivement mal appliqué le droit.
     Matsushita Electric Industrial Co. c. Panavision, Inc., [1992] A.C.F. no 19

[12]      Ce qu"il faut décider, c"est si le registraire a formulé des conclusions erronées au sujet de la confusion entre la marque de l"appelante et les marques enregistrées de l"opposante. La question de savoir si chaque partie du raisonnement du registraire était fondée est moins importante que celle de décider si, compte tenu de l"ensemble de la preuve, la conclusion à laquelle il en est arrivé est justifiable en droit. Dans la présente affaire, le registraire a conclu que l"appelante n"avait pas prouvé, comme elle devait le faire, qu"il n"y avait aucun risque raisonnable de confusion entre la marque DION COLLECTION & Dessin et les marques DIOR de l"opposante. C"est cette conclusion qui fait l"objet du présent appel.

[13]      Dans l"affaire Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co. [1999] C.A.F. no 1763, mon collègue le juge Evans (tel était alors son titre) a analysé la norme d"examen applicable aux décisions du registraire des marques de commerce. Après avoir passé en revue les facteurs à prendre en compte dans le cadre d"une analyse pragmatique et fonctionnelle du pouvoir décisionnel sous examen, il a formulé la conclusion suivante :

     [TRADUCTION] En conclusion, j"estime, après avoir évalué ces facteurs, que même si la Loi sur les marques de commerce accorde un droit d"appel absolu ainsi que le droit de présenter des éléments de preuve supplémentaires, le tribunal d"appel doit faire preuve d"une très grande retenue lorsqu"il examine la conclusion du registraire au sujet de la confusion, pourvu, à tout le moins, qu"aucun élément de preuve important n"ait été présenté sur une question de fait et qu"aucune erreur de droit ne soit alléguée.
     Compte tenu, notamment, de la compétence spécialisée du registraire sur la question de la confusion, des motifs sous-jacents à l"octroi du pouvoir décisionnel au registraire et de la nature des droits en jeu, la conclusion " purement et simplement déraisonnable ", qui signifie " manifestement erronée " selon l"arrêt Southam, est la plus pertinente des trois normes de révision existant à l"heure actuelle.

[14]      Le juge Evans a également commenté l"incidence des nouveaux éléments de preuve, dont il est fait mention dans l"extrait précité. Il a conclu que les nouveaux éléments de preuve doivent être importants pour que l"obligation de retenue à l"endroit de la décision du registraire soit touchée :

     [TRADUCTION] En ce qui a trait aux conséquences, pour la norme de révision, de la production d"éléments de preuve supplémentaires au sujet d"une question portée en appel, elles dépendront en bonne partie de la valeur probante de la preuve supplémentaire comparativement au matériel dont le registraire était déjà saisi. Si cette preuve n"ajoute aucun élément significatif et se résume à une répétition des éléments de preuve existants sans en rehausser la force, leur ajout ne devrait pas modifier la norme de révision que la Cour applique en appel.
     En revanche, si la preuve supplémentaire présente des renseignements dépassant la portée du matériel dont le registraire était déjà saisi, la Cour devrait se demander si, à la lumière de ce matériel, le registraire en est arrivé à une conclusion erronée au sujet de la question concernée par cette preuve et au sujet de l"ensemble du litige. Plus la preuve supplémentaire est substantielle, plus la Cour d"appel pourra elle-même tirer la conclusion de fait.

[15]      Dans la présente affaire, j"estime que les affidavits supplémentaires s"apparentent à la preuve dont le registraire était saisi. Le second affidavit de M. Tsihlias vise à compléter le premier, notamment l"allégation selon laquelle la marque DION COLLECTION vise une clientèle plus raffinée que la marque Christian Dior (voir le paragraphe 17 de l"affidavit de Peter Tsihlias fait sous serment le 6 mai 1994, p. 314 du dossier de la requérante). Pour sa part, François Potvin relate dans son affidavit les résultats de la recherche approfondie qu"il a effectuée dans les livres de noms afin de prouver que le nom Dion est un prénom plutôt qu"un nom de famille (voir le paragraphe 15 de l"affidavit de Peter Tsihlias, précité, p. 313 du dossier de la requérante). Il fait également allusion au prix des cravates de Christian Dior ainsi qu"à l"emploi de la marque Dior uniquement en liaison avec Christian Dior. Même si ce sont de nouveaux éléments, ils n"ont pas pour effet de présenter les faits sous un angle différent. Ils n"ont pas une " valeur probante... [supérieure] comparativement au matériel dont le registraire était déjà saisi ". En conséquence, je ne suis pas disposé à conclure qu"aucune retenue ne devrait être accordée à l"endroit de la décision du registraire, bien que cette conclusion ne me libère pas de l"obligation d"examiner attentivement la décision en question.

[16]      La confusion est invoquée dans tous les motifs d"opposition à la demande d"enregistrement de l"appelante, sauf un, l"opposante soutenant que la marque de commerce proposée crée de la confusion avec ses marques enregistrées. La Loi sur les marques de commerce (la " Loi "), L.R.C. ch. T-13, définit l"expression " créant de la confusion "1 et, par voie de conséquence, le mot " confusion ", en renvoyant à l"article 6 de la Loi. Voici les extraits pertinents de la définition législative :

(2) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris_:

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference that the wares or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.



(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

(c) the nature of the wares, services or business;

(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

[17]      Il appartient à l"appelante de prouver qu"il n"y a pas confusion :

     C"est au requérant de l"enregistrement d"une marque de commerce qu"il appartient de prouver qu"il y a droit et cette obligation qui incombe en tout temps à ce dernier (voir Eno v. Dunn (1890), 15 App. Cas. 252 [H.L.]) comprend également celle de prouver qu"il est peu probable que la marque crée de la confusion.
     Cependant, avant de pouvoir fonder une objection en vertu de l"article 16 sur l"emploi antérieur, l"opposant doit prouver que sa réputation est établie dans le commerce sous une appellation avec laquelle il pourrait y avoir de la confusion. À mon avis, on ne peut parler, dans ce cas, d"obligation mais de fardeau de la preuve. Une obligation ne passe jamais d"une personne à une autre mais le fardeau de la preuve peut être renversé. Le requérant peut réfuter la preuve présentée par l"opposant.
     British American Bank Note Co. Ltd. v. Band of America National Trust and Saving Association et al. (1983), 71 C.P.R. (2d) 26.

[18]      La question de l"obligation a une certaine importance en l"espèce, en raison de la conclusion du registraire selon laquelle " un doute persiste dans mon esprit quant à savoir s"il y aurait un risque raisonnable de confusion entre la marque de commerce de la requérante DION COLLECTION & Dessin et les marques de commerce enregistrées de l'opposante DIOR, étant donné le degré de similitude entre les marques de commerce sur le plan visuel portant sur des marchandises semblables empruntant les mêmes voies commerciales ". Le registraire a donc conclu que l"appelante n"avait pas réussi à s"acquitter de l"obligation qui lui incombait, soit celle de prouver l"absence de confusion.

[19]      Pour en arriver à cette conclusion, le registraire a formulé les observations suivantes, qui sont reliées ici aux différents éléments du paragraphe 6(5) :

     6(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l"espèce, y compris :
         a ) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus.

         -les marques de commerce DION COLLECTION & Dessin et CHRISTIAN DIOR, DIOR, MONSIEUR et CHRISTIAN DIOR dessin possèdent peu de caractère distinctif inhérent.
         -les marques de commerce DIOR & Dessin et CHRISTIAN DIOR & Dessin possèdent à un degré mineur un caractère distinctif inhérent en raison des éléments graphiques que comportent ces dessins.
         -la marque de commerce CHRISTIAN DIOR est devenue relativement bien connue au Canada en liaison avec des vêtements et accessoires pour hommes, tandis que la marque DIOR n"a pas acquis la même notoriété.
         -la marque DIOR a été employée de façon limitée sur le marché et cet usage a généralement été secondaire comparativement à celui de la marque de commerce CHRISTIAN DIOR.
         -les deux marques de commerce renvoient au nom de famille d'un particulier comme principal élément significatif.
         b ) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;
         -l"intimée est favorisée en ce qui a trait à la mesure dans laquelle les marques sont devenues connues et la période au cours de laquelle la marque CHRISTIAN DIOR a été utilisée comparativement à la marque DION COLLECTION.
         -la mesure dans laquelle les marques de commerce DION COLLECTION & Dessin et DIOR sont devenues connues ne favorise aucune des parties, bien que la durée de l'emploi de ces marques de commerce pèse légèrement en faveur de l'intimée.
         c ) le genre de marchandises, services ou entreprises;
         -il y a chevauchement entre les marchandises visées par la demande d"enregistrement de l"appelante et les enregistrements de l'intimée.
         -les marchandises des deux parties sont vendues au public dans les mêmes magasins de détail.
         d ) la nature du commerce; et
         -le consommateur moyen ne ferait pas nécessairement preuve de circonspection lors de l"achat de ces marchandises.
         e ) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu"ils suggèrent.
         -la marque de commerce DION COLLECTION & Dessin a une apparence similaire à celle des marques de commerce DIOR de l"intimée, bien qu'elles sont moins semblables quant au son.
         -il y a peu de similitude quant à l'apparence ou au son entre la marque de commerce DION COLLECTION & Dessin et les marques de commerce CHRISTIAN DIOR.
     La conclusion suivante est formulée sous la rubrique des circonstances de l"espèce :
         -aucune preuve en ce sens [quant à l"existence de cas de confusion réelle] n'a été produite... malgré l'emploi simultané des marques de commerce.

    

[20]      L"appelante s"oppose à un certain nombre de ces conclusions ou à l"usage qui en est fait. Plus précisément, elle conteste le fait que le registraire ait un doute au sujet de l"existence d"un risque raisonnable de confusion entre la marque DION COLLECTION & Dessin et la marque de commerce DIOR, compte tenu de l"insuffisance de la preuve présentée quant à l"ampleur de l"emploi de la marque de commerce DIOR. L"intimée n"a pas produit les renseignements manquants en question même si elle les connaissait, ce qui devrait donner lieu à une conclusion défavorable à son endroit.

[21]      L"application logique de l"argument de l"appelante mène forcément à la question de savoir ce qui se produirait si l"intimée n"avait présenté aucune preuve au sujet de l"emploi de la marque de commerce DIOR. L"appelante pourrait-elle soutenir qu"elle a le droit de faire enregistrer sa marque, étant donné qu"il n"y a aucune preuve permettant de trancher la question de la confusion? La réponse se trouve dans l"extrait suivant des motifs que le juge Létourneau a prononcés dans l"affaire UAP c. Automaxi (1994), 59 C.P.R.(3d) 82 (C.A.F.), [1993] A.C.F. no 204 :

     Il convient de rappeler que l"article 6 de la Loi suppose, pour les fins de la comparaison entre les marques de commerce en litige, que chacune d"elles est employée dans un marché hypothétique et c"est à partir de cet emploi présumé que devra s"apprécier l"existence ou non de confusion à la date de la décision du registraire. Je fais miens ces propos de Daniel R. Bereskin : [TRADUCTION] " De plus, au Canada, la confusion liée à une marque de commerce enregistrée est évaluée dans le contexte d"un marché hypothétique où l"emploi des deux marques est présumé " (" Trade Mark Use " publié dans Trade Marks Law of Canada, 1993, Carswell Thomson Professional Publishing, Scarborough (Ontario), p. 99).

[22]      Étant donné que le risque de confusion doit être évalué dans un marché hypothétique, les lacunes de la preuve relative à l"emploi ne peuvent en soi affaiblir une conclusion concernant la confusion, bien que, comme le souligne le juge Létourneau, la preuve de l"absence d"emploi pourrait constituer un élément d"une conclusion portant que le risque de confusion est minime. Tel n"est pas le cas en l"espèce.

[23]      L"appelante conteste les conclusions du registraire au sujet du caractère distinctif. Une bonne partie des arguments ont porté sur la question de savoir si le mot DION n"était principalement qu"un nom de famille, laquelle conclusion aurait pour effet de nier le caractère distinctif et le droit à l"enregistrement. Le registraire a répondu à la question par l"affirmative, mais a précisé que la marque de commerce comportait suffisamment d"éléments autres que le mot DION pour justifier son enregistrement. L"appelante a soutenu que le mot Dion était une contraction du mot Dionysius, le dieu du vin en mythologie grecque. Dans son affidavit, le représentant de l"appelante explique qu"il a choisi le nom en partie pour honorer son ami Dion Zachariou, artiste grec jouissant d"une certaine renommée. Dans les circonstances, l"appelante conteste la conclusion portant que le mot Dion n"est principalement qu"un nom de famille.

[24]      Dans Standard Oil Co. v. Registrar of Trade Marks (1968), 55 C.P.R. 49 (Cour de l"Échiquier), [1968] 2 Ex. C.R. 523, la Cour devait répondre à la question de savoir si le mot FIOR pouvait être enregistré comme marque de commerce. L"appelante a présenté une preuve indiquant que le mot FIOR était un mot inventé qui découlait d"une combinaison des premières lettres des mots " fluid iron ore reduction ", ce qui donnait FIOR. L"opposante a pour sa part présenté une preuve indiquant un petit nombre de cas dans lesquels le mot Fior figurait comme nom de famille dans différents annuaires téléphoniques. Voici les commentaires que le président Jackett a formulés au sujet du sens des mots " primarily merely " (principalement que) :

     [TRADUCTION] Bien entendu, du point de vue des personnes répondant au nom de " Fior " ainsi que de leur cercle immédiat d"amis et de connaissances, la réponse est le fait que FIOR est principalement, sinon exclusivement un nom de famille alors que, du point de vue des conseillers en marques de commerce de l"appelante, la réponse réside dans le fait qu"il ne s"agit principalement que d"un mot inventé. À mon avis, le critère à appliquer aux fins de l"alinéa 12(1)a ) ne réside pas dans la réaction de l"une ou l"autre de ces catégories de personnes. Le critère doit être la question de savoir quelle serait, de l"avis de la partie intimée ou de la Cour, selon le cas, la réaction du grand public canadien devant le mot. À mon sens, une personne d"intelligence moyenne du Canada ayant reçu une éducation moyenne en français ou en anglais pourrait tout aussi bien (si les deux caractéristiques (nom de famille et mot inventé) ont la même importance, il n"y a pas lieu de dire qu"il ne s"agit " principalement que " d"un nom de famille), voire davantage, réagir au mot en l"associant à une marque d"une entreprise plutôt qu"en le reliant à une famille de personnes (c"est-à-dire en pensant qu"il s"agit du nom de famille d"une ou de plusieurs personnes).

[25]      Le critère réside dans la question de savoir non pas ce que le nom représente de l"avis de ceux qui le proposent, mais plutôt, quelle sera l"impression du grand public, c"est-à-dire les personnes d"intelligence moyenne ayant reçu une éducation moyenne. Le critère n"est pas non plus la question de savoir si un mot a un sens autre que celui d"un nom de famille, comme l"appelante le soutient en invoquant l"arrêt Nishi c. Robert Morse Appliances Ltd. (1990), 34 C.P.R. (3d) 161 (C.F. 1re inst.), [1990] A.C.F. no 1016. Dans cette affaire, la question à trancher était celle de savoir si le mot Nishi, nom de famille japonais qui signifie également " ouest " n"était pas enregistrable du fait qu"il n"était " principalement qu"un " nom de famille. Il appert clairement de l"analyse du registraire, que le juge Teitelbaum a acceptée, qu"il a répondu à la question en se fondant sur la façon dont un Canadien ordinaire comprendrait le sens du mot. Même si le juge a reconnu que le mot Nishi signifie " ouest ", il a également parlé de la renommée d"un certain M. Nishi, qui était bien connu dans l"industrie de l"électronique. De toute évidence, il a jugé que le sort du litige dépendait de l"impression que produirait le nom sur le grand public. Dans la mesure où le grand public serait enclin à reconnaître la marque comme le nom d"une personne, il se pourrait que la marque ne soit pas enregistrable. Cependant, si le grand public comprend le mot dans un autre sens, le fait que ce sens correspond au nom d"une personne n"empêchera pas son enregistrement comme marque de commerce. C"est là un raisonnement compatible avec l"interprétation que le président Jackett a retenue dans l"affaire Standard Oil, précitée.

[26]      Dans le cas sous étude, le registraire a conclu que le nom Dion serait généralement perçu comme un nom de famille, notamment au Québec. Il n"y a pas lieu de dire que cette conclusion est erronée ou que le registraire a eu tort de conclure que la marque DION COLLECTION & Dessin possède peu de caractère distinctif inhérent, étant donné que son sens principal est un nom de famille. Quant à la mesure dans laquelle les éléments graphiques ajoutent un caractère distinctif à l"ensemble de la marque de commerce, il s"agit d"une question qui relève uniquement de la compétence du registraire et, en l"absence d"une erreur manifeste à cet égard, je ne suis pas disposé à modifier les conclusions qu"il a formulées. Aucune erreur manifeste n"a été établie.

[27]      Cette conclusion quant à l"absence de caractère distinctif mène à celle qui est sous-jacente à la position du registraire au sujet de la confusion, soit la conclusion selon laquelle " la marque de commerce DION COLLECTION & Dessin de l"appelante a une apparence similaire à celle des marques de commerce DIOR de l"opposante, bien qu'elles sont moins semblables quant au son. De plus, bien que les deux marques de commerce renvoient au nom de famille d'un particulier comme principal élément significatif, aucune des parties ne peut s'arroger un monopole sur une telle idée ". Cette conclusion est contestée pour différentes raisons, dont certaines ont déjà été examinées plus haut, notamment le sens principal des noms et l"importance des éléments graphiques. Les autres questions à trancher concernent les arguments au sujet du risque de confusion entre DION et DIOR. Selon l"appelante, il est peu probable que des marchandises portant la marque de commerce DION COLLECTION & Dessin soient assimilées par erreur à des marchandises portant la marque de commerce DIOR. Sur ce point, l"appelante fait valoir que le public sait très bien faire la différence entre les noms personnels et est en mesure de remarquer les différences mineures, de sorte qu"aucune personne qui reconnaîtrait un produit portant le nom Dion ne confondrait ce produit avec un produit portant le nom Dior. Tel serait le cas si le critère résidait dans l"existence d"un risque de confusion découlant d"une perception exacte des marques de commerce et des marchandises. Cependant, le critère est celui de la première impression et du souvenir imparfait : Mr. Submarine Ltd. c. Amandista Investments Ltd., [1988] 3 C.F. 91 (C.A.F.), [1987] A.C.F. no 1123. Compte tenu de ce critère ainsi que des conclusions formulées au sujet des voies commerciales, je ne suis pas disposé à dire que le registraire a commis une erreur.

[28]      Eu égard à l"ensemble de la preuve, il n"y a pas lieu de dire que la conclusion du registraire selon laquelle un doute persistait dans son esprit quant à l"existence d"un risque raisonnable de confusion entre la marque de commerce DION COLLECTION & Dessin de l"appelante et la marque de commerce DIOR de l"intimée était manifestement erronée, ce qui est la norme de révision applicable en l"espèce. Un autre registraire en serait peut-être arrivé à une conclusion favorable à l"appelante à la lumière de la même preuve, mais ce n"est pas ce qu"a fait le registraire en l"espèce et il n"y a pas lieu d"infirmer sa décision pour la simple raison que la preuve permet de trancher le litige autant dans un sens que dans l"autre. Par conséquent, l"appel est rejeté.



ORDONNANCE

     L"appel est rejeté, les dépens devant être taxés.

     "J.D. Denis Pelletier"

     Juge



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1 " créant de la confusion " Relativement à une marque de commerce ou un nom commercial, s'entend au sens de l'article 6.      "confusing", when applied as an adjective to a trade mark or trade name, means a trade mark or trade name the use of which would cause confusion in the manner and circumstances described in section 6;

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