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Date : 20051107

Dossier : IMM-9674-04

Référence : 2005 CF 1506

Ottawa (Ontario), le 7 novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

GEORGI LOLUA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

1.         Introduction

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision datée du 29 octobre 2004 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a décidé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger.

[2]                Le demandeur, Georgi Lolua, sollicite une ordonnance annulant la décision de la Commission et renvoyant l'affaire pour nouvelle audition à un tribunal différemment constitué.

2.         Le contexte factuel

[3]                Le demandeur est né le 5 octobre 1974 à Tbilisi dans l'ancienne Union des républiques soviétiques socialistes (URSS). Tbisili est située aujourd'hui en Géorgie, un État indépendant. Le demandeur n'a jamais résidé dans le pays qui s'appelle actuellement la Russie, même si, par sa naissance, il était citoyen de l'URSS. Le demandeur soutient qu'il n'a jamais officiellement adopté la citoyenneté géorgienne et qu'il est devenu citoyen de la Géorgie par l'application de la loi.

[4]                La mère du demandeur est russe et son père, abhassien. L'Abhassie est une petite région de la Géorgie où habite un groupe ethnique distinct. En 1991, après la dissolution de l'URSS, la Géorgie a déclaré son indépendance. En 1992, le peuple abhassien a voulu se séparer de la Géorgie; il s'en est suivi un conflit militaire au cours duquel, d'après le demandeur, le gouvernement géorgien a tenté de se débarrasser de toutes les personnes qui n'étaient pas géorgiennes.

[5]                Le demandeur soutient avoir une crainte fondée de persécution en Géorgie à cause de son origine ethnique en partie abhassienne et en partie géorgienne. Il allègue que différents groupes militaires et paramilitaires ont menacé de le tuer, ainsi que des membres de sa famille, s'il ne se joignait pas à eux. Il a également allégué qu'un de ses voisins l'avait attaqué et qu'en raison de son origine ethnique, il ne pourrait obtenir la protection de l'État en Géorgie.

[6]                Le demandeur a vécu et travaillé en Grèce de 1993 à 2001, mais sans obtenir un statut officiel. Il est arrivé au Canada en août 2001 et a déposé sa demande d'asile le 14 février 2002.

[7]                La Commission a entendu sa demande le 12 mars 2004 et la décision négative a été prononcée le 29 octobre 2004. L'autorisation de présenter la demande de contrôle judiciaire a été accordée le 7 juin 2005.

3.         La décision attaquée

[8]                La Commission a décidé que le demandeur avait établi son identité, comme l'exige l'article 106 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). La Commission a conclu qu'il était citoyen russe.

[9]                La Commission a reconnu l'authenticité du passeport de l'URSS du demandeur. Il n'est pas contesté que ce passeport a été délivré par le ministre de l'Intérieur de la Géorgie. La Commission n'a pas souscrit à l'allégation du demandeur selon laquelle il était un citoyen géorgien. Elle a conclu qu'il n'avait jamais « officiellement » obtenu la citoyenneté géorgienne. Elle a toutefois reconnu que le demandeur avait un passeport géorgien interne dans lequel il était mentionné que sa résidence se trouvait en Géorgie et qu'il était de nationalité géorgienne. Il n'est pas non plus contesté que son passeport interne n'est pas un passeport de complaisance. La Commission a déclaré qu'un passeport est une preuve prima facie de citoyenneté et conclu que le demandeur n'avait pas réfuté la présomption selon laquelle il était citoyen russe. La Commission a jugé que le passeport de l'URSS délivré au demandeur le 2 janvier 1993, soit deux ans après que la Géorgie soit devenue un pays indépendant, constituait une preuve prima facie commencement de preuve indiquant qu'il était citoyen russe et non pas citoyen géorgien, comme il le prétendait.

[10]            La Commission a conclu qu'étant donné que le demandeur n'avait formulé aucune allégation concernant la Russie, sinon une déclaration générale selon laquelle il craignait d'être persécuté en Géorgie et en Russie, sa demande devait être rejetée. La Commission a décidé qu'il n'avait pas démontré qu'il était un réfugié au sens de la Convention par rapport au pays dont il avait la nationalité, à savoir la Russie.

[11]            La Commission a également décidé que le demandeur n'avait pas perdu sa citoyenneté russe parce qu'il avait passé huit ans et demi en Grèce.

[12]            La Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger.

4.         La question en litige

[13]            Le demandeur a soulevé la question suivante dont dépend l'issue de la présente demande : la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur est un citoyen russe est-elle une conclusion de fait erronée tirée de façon arbitraire et sans tenir compte de la preuve?

5.         Analyse

[14]            La décision de la Commission repose sur des conclusions de fait concernant les documents d'identité du demandeur, à savoir son passeport. La Cour a établi que la norme de contrôle applicable dans ce cas est la décision manifestement déraisonnable. [Voir Adar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 132 F.T.R. 35.]

[15]            La Commission a pour l'essentiel fondé sa décision sur la présomption traditionnelle mentionnée dans l'article 93 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés selon lequel « La possession d'un tel passeport [national] crée une présomption, sauf preuve contraire, que son titulaire a la nationalité du pays de délivrance, à moins que le passeport lui-même contienne une indication contraire » (Radic c. M.E.I (1994), 85 F.T.R. 65, à la p. 65). La difficulté que soulève la décision de la Commission est que le passeport du demandeur montre qu'il est citoyen de l'URSS et non pas de la Russie. Si l'on applique cette présomption à la situation du demandeur, il faudrait en conclure, en l'absence de preuve contraire, que le demandeur est citoyen de l'URSS. Aucun élément du dossier n'indique que, depuis la dissolution de l'URSS, les citoyens de l'URSS sont de fait des citoyens russes. J'estime que la présomption ne joue pas dans les circonstances. Il serait plus probable de déduire que le demandeur est un citoyen géorgien, étant donné qu'il est né dans ce pays, qu'il a demandé un passeport au ministère de l'Intérieur de la Géorgie et qu'il a déclaré n'avoir jamais résidé en Russie. En outre, la Géorgie faisait tout autant partie de l'ancienne URSS que la Russie. J'estime que la décision de la Commission selon laquelle le demandeur est un citoyen russe est une conclusion de fait erronée, tirée de façon arbitraire et sans tenir compte de la preuve. La Commission s'est ensuite appuyée sur cette conclusion erronée pour conclure que le demandeur n'avait formulé aucune allégation concernant la Russie, son pays de nationalité, et que, par conséquent, sa demande d'asile ne pouvait être acceptée. La Commission n'a donc pas examiné le bien-fondé de la demande du demandeur. J'estime que la Commission a commis une erreur susceptible d'être révisée lorsqu'elle a tiré sa conclusion au sujet de la nationalité du demandeur et a prononcé la décision qu'elle a rendue.

[16]            La conclusion mentionnée ci-dessus détermine l'issue de la présente demande. Il n'est donc pas nécessaire ni souhaitable d'examiner les autres questions soulevées par la présente affaire.

6.         Conclusion

[17]            Pour les motifs ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. L'affaire sera renvoyée pour nouvel examen à un tribunal différemment constitué.

[18]            Les parties ont eu la possibilité de soulever une question grave de portée générale, comme l'envisage l'alinéa 74d) de la LIPR, et ils ne l'ont pas fait. Je suis convaincu que l'affaire ne soulève aucune question grave de portée générale. Je ne propose donc pas de certifier une question.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                   La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                   L'affaire sera renvoyée pour nouvel examen à un tribunal différemment constitué.

3.                   Aucune question n'est certifiée.

« Edmond P. Blanchard »

Juge

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-9674-04

INTITULÉ :                                        GEORGI LOLUA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 31 AOÛT 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE :              LE 7 NOVEMBRE 2005

COMPARUTIONS :

Howard P. Eisenberg                             POUR LE DEMANDEUR

Michael Butterfield                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Howard P. Eisenberg                             POUR LE DEMANDEUR

Hamilton (Ontario)

John H. Sims, c.r.                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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