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Date : 19991026


Dossier : IMM-4778-98

OTTAWA (Ontario), le 26 octobre 1999.

EN PRÉSENCE de monsieur le juge Rouleau


ENTRE :



VICTOR MAURICIO MUNOZ PAEZ

ZAIDA AMINTA GOMEZ GUERRA

ERICK MAURICIO MUNOZ GOMEZ

VALERIA DENIS MUNOZ GOMEZ

MARTA INES GUERRA VELIZ


demandeurs

                    

- ET -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L?IMMIGRATION


défendeur



ORDONNANCE

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


?P. ROULEAU ?

_______________________

JUGE


Traduction certifiée conforme


Philippe Méla




Date : 19991026


Dossier : IMM-4778-98


ENTRE :



VICTOR MAURICIO MUNOZ PAEZ

ZAIDA AMINTA GOMEZ GUERRA

ERICK MAURICIO MUNOZ GOMEZ

VALERIA DENIS MUNOZ GOMEZ

MARTA INES GUERRA VELIZ


demandeurs

                    

- ET -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L?IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS DE L? ORDONNANCE


LE JUGE ROULEAU

[1]      Il s?agit d?une demande de contrôle judiciaire fondée sur l?article 82.1 de la Loi sur l?immigration . Les demandeurs contestent la décision de la Commission de l?immigration et du statutde réfugiéqui a conclu qu?ils n?étaient pas des réfugiés au sens de la Convention en vertu de la Loi sur l?immigration .

[2]      Les demandeurs sont des citoyens du Chili; Victor Mauricio Munoz Paez, né en 1964, son épouse, Zaida Aminta Gomez Guerra, leurs nouveau-nés, Erick Mauricio Munoz Gomez et Valeria Denis MunozGomez, et la mère de Zaida, Marta Ines Guerra Veliz. Ils revendiquent le statut de réfugié à cause de leur opinion politique et de leur appartenance à un groupe social déterminé. Ils prétendent que, depuis la chute de Salvador Allende, ils ont été à plusieurs reprises victimes de persécution de la part du gouvernement chilien. Ils prétendent que leur renvoi au Chili résulterait en la reprise de persécutions continues pour chacun d?entre-eux.

[3]      Depuis 1960, la demanderesse Martha (la mère de Zaida), a pris part et a été engagée dans la philosophie politique soutenue par Salvador Allende. Après le coup d?état de Pinochet en 1973, les soldats chiliens sont venus la chercher plusieurs fois chez elle pour lui faire subir des interrogatoires. En octobre 1974, elle a été détenue pendant trois jours et trois nuits et les forces de Pinochet lui ont fait subir ?d? innommables atrocités ?. En avril 1975, elle a été arrêtée et détenue pendant 49 jours pendant lesquels elle a subi un traitement cruel. Neuf ans plus tard, en 1984, elle a été arrêtée une troisième fois et détenue pendant dix jours. Pendant l?été 1995, après avoir participé à une réunion préparatoire à une manifestation anti-Pinochet, trois hommes l?ont prétendument empoignée dans la rue. Ils l?ont malmenée et lui ont fait subir un interrogatoire relatif à la réunion puis l?ont relâchée après une heure. Enfin, en septembre 1996, alors qu?elle rentrait à la maison de son travail, quatre hommes l?ont attirée de force dans une camionnette. Elle prétend avoir subi la torture de l?immersion dans un bac profond d?eau sale et avoir été relâchée le même jour. Elle est arrivée au Canada le 24 janvier 1997 et a revendiqué le statut de réfugié.

[4]      Le demandeur Victor, né en 1964, vient d?une famille fortement associée aux activités syndicales et au mouvement socialiste qui existaient avant l?avènement de Pinochet (1973 à 1988). Pour ces motifs, il prétend qu?il a subi un traitement punitif lorsqu?il était dans l?armée de 1984 à 1986, pendant les années Pinochet. Après avoir été libéré, en décembre 1986, il a été membre du parti socialiste, a été arrêté et les services de renseignement lui ont fait subir un interrogatoire.

[5]      Ce demandeur prétend qu?en 1984, alors qu?il effectuait son service militaire à l??école de cavalerie blindée ?, il a découvert des chambres secrètes qui avaient servi de cellules et de chambres de tortures d?opposants politiques du régime. Il allègue qu?on lui a dit que les morts étaient enterrés à l??école de cavalerie blindée ?. Contrairement à ce qu?a révélé la demanderesse Marta dans sa Formule de renseignements personnels (FRP), il a témoigné avoir révélé ce renseignement qu?une fois être arrivé au Canada. Il craint que s?il est renvoyé au Chili, il va être persécuté par l?armée pour avoir révélé les crimes ?atroces ?qui ont été perpétrés à l?? école de cavalerie blindée ?. La Commission a conclu qu?il n?était pas crédible et contenait des incohérences. On a également conclu que ce qu?il avait vécu n?équivalait pas à de la persécution.

[6]      La demanderesse Zaida prétend qu?enfant elle a souffert des absences de sa mère et blâme Pinochet et son régime pour la douleur qui a frappé sa famille. Elle soutient qu?elle a vécu une grave dépression après la naissance de leur premier enfant en 1987, en partie à cause des ennuis dont a souffert son mari du fait du gouvernement au pouvoir. La Commission a conclu que sa crainte d?être persécutée au Chili n?était pas fondée.

[7]      Le tribunal a entendu un témoin, Frances Ann McQueen, qui est la coordonnatrice de la Vancouver Association for the Victims of torture. Madame McQueen a confirmé qu?elle a envoyé une télécopie à l?Association for the Families of the Detained and Disappeared in Chile. La télécopie comprenait l?ébauche d?un dessin des plans de l??école de cavalerie blindée ?, sur lequel apparaissaient les endroits où se trouvaient les cellules découvertes par le demandeur Victor. La télécopie n?indiquait pas le nom du demandeur. Madame McQueen n?a pas reçu d?accusé de réception de la télécopie mais si elle est certaine que celle-ci est arrivée à destination.

[8]      Le demandeur Victor prétend que ces révélations ont été publiées dans les médias. La Commission note cependant qu?aucune publication n?a été fournie. Le demandeur prétend que sa famille lui a envoyé trois lettres certifiées contenant les copies des publications, mais elles ont toutes été ?perdues ?ou n?ont pas été reçues. La Commission ne considère pas cela plausible.

[9]      La demanderesse Marta est partie au Canada après que les révélations à propos de à l?? école de cavalerie blindée ?ont été publiées dans les médias. Dans son témoignage, elle a tout d?abord déclaré qu?elle n?était pas au courant de cela mais a plus tard changé son témoignage. La Commission maintient qu?il n?était pas déraisonnable de s?attendre à ce qu?elle ait pu amené des publications clés des médias. Son témoignage soulève de graves questions quant à l?existence de ces publications et met en doute la crédibilité des déclarations faites à ce sujet. La Commission suspecte également, à cause d?une faute d?orthographe, qu?un faux document (un certificat) a été produit par les demandeurs. En conséquence, les prétentions des demandeurs relativement à ces documents sont rejetées car elles sont fausses.

[10]      La Commission souligne que même s?il est vrai que le demandeur Victor était lié au mouvement socialiste au Chili au début des années Pinochet, la réalité est que depuis l?apparition de la démocratie et des élections libres au Chili, le parti socialiste est légal et ses membres ne sont pas persécutés.

[11]      Même si la Commission accepte le fait que la demanderesse a été arrêtée à titre de sympathisante d?Allende, elle a conclu que son témoignage n?était pas plausible et était improbable.

[12]      La Commission indique qu?elle sait que le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a déclaré que les motifs pour maintenir le statut de réfugié ont cessé d?exister au Chili.

[13]      La Commission a conclu que les déclarations de tous les demandeurs n?étaient pas crédibles, plausibles, logiques ou cohérentes; que leur crainte d?être persécutés au Chili d?aujourd ?hui n?est pas fondée et qu?il n?y avait aucune justification à invoquer des raisons impérieuses.

[14]      Les demandeurs prétendent qu?une audience équitable ne leur a pas été accordée du fait d?une interprétation inadéquate lors de celle-ci. Ils prétendent que des erreurs d?interprétation et de transcription se sont produites tout au long de l?audience. Ils prétendent également que la Commission s?est appuyée sur des renseignements auxquels les demandeurs n?ont pas eu l?occasion de répondre ou pour lesquels il n?existe aucune preuve; que la Commission a omis de tenir compte d?éléments de preuve dont elle disposait et que finalement, la Commission a commis une erreur dans son application du paragraphe 2(3) de la Loi sur l?immigration .

[15]      Presque aucune observation n?a été présentée relativement aux premiers motifs. Les demandeurs ont identifié deux erreurs relatives à la qualité de l?interprétation de leur témoignage. Tout d?abord, le demandeur Victor prétend qu?il aurait dit [TRADUCTION] ?je ne l?ai pas reçu ?, à la place de [TRADUCTION] ?J? avais un reçu ?. Cette erreur s?est produite lorsque le demandeur a mentionné que sa famille lui avait envoyé des lettres contenant des copies des publications relatives aux crimes perpétrés à l??école de cavalerie blindée ?. Un autre problème s?est posé dans l?interprétation du mot ?diaro ?, qui était de savoir si ce mot pouvait signifier un journal hebdomadaire. Le demandeur insiste sur le fait que les erreurs de l?interprète peuvent avoir influencé la Commission dans son évaluation de la crédibilité du demandeur et qu?en conséquence, un déni de justice naturelle s?est produit. Je ne suis pas convaincu que ces passages, même s?ils ont été mal interprétés, étaient des éléments primordiaux de la décision.

[16]      Quant à la seconde question, les demandeurs prétendent qu?ils n?ont pas eu l?occasion d?expliquer les prétendues erreurs d?orthographe dans un document qu?on a suspecté d?avoir été falsifié du fait de cette erreur. Le défendeur a plus tard insisté sur le fait que la Commission avait commis une erreur sur ce point, mais a allégué qu?elle a identifié d?autres problèmes que soulevait ce document étayant la conclusion d?un manque de crédibilité.

[17]      Il est clairement établi qu?un tribunal doit donner complète occasion au revendicateur d?expliquer toute contradiction dans la preuve, autrement il y a défaut d?équité [voir Randhawa c. Canada[1988] A.C.F. no749 etGracielome c. Canada(1989) 9 Imm. L.R. (2d) 237 (C.A.F.)]. Cependant, dans Shah c. Canada, [1994] A.C.F. no 1299, le juge Hugessen a dit ?Il est bien établi que la teneur de l'obligation d'agir équitablement varie selon les circonstances. En l'espèce, nous sommes tous d'avis que la teneur de cette obligation était minimale ?. Il a poursuivi en disant ? L'agente n'a pas l'obligation d'exposer au requérant les conclusions éventuelles qu'elle est susceptible de tirer des éléments dont elle dispose, ni même les éléments en apparence contradictoires qui sèment le doute dans son esprit. Si elle entend se fonder sur des éléments de preuve extrinsèques qui ne lui sont pas fournis par le requérant, elle doit bien sûr lui donner l'occasion d'y répondre. Toutefois, lorsqu'elle décèle l'existence d'éléments contradictoires, son omission de les porter expressément à l'attention du requérant peut avoir une incidence sur le poids qu'elle doit leur accorder par la suite, mais ne porte pas atteinte au caractère équitable de sa décision ?.

[18]      La question est de savoir si la décision aurait été différente si la Commission avait conclu que le document était authentique. En l?espèce, cela n?aurait sans doute pas été le cas puisque la Commission a découvert d?autres incohérences, au coeur de la question principale, entre le témoignage du demandeur et le contenu du document.

[19]      La Commission a tenu compte de toute la preuve qui lui a été présentée et a conclu que les demandeurs n?étaient pas des témoins crédibles. Dans Hossein, [1990] A.C.F. no1080, il a été dit que la Section du statut de réfugié est un tribunal spécialisé qui est présumé avoir considéré l'ensemble de la preuve.

[20]      Dans Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal, [1997] 1 R.C.S. 793, il a été écrit que ?les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve ?. La Cour fédérale ne doit pas réévaluer l?importance de certains éléments de preuve.

[21]      De plus, dans Vessalova c. Canada[1995] F.C. 1608, il a été affirmé que ?la Commission de l'immigration et du statut de réfugié dispose de toute la latitude voulue pour analyser la crédibilité des témoins et des demandeurs qui comparaissent devant elle ?. Dans Aguebor, [1993] A.C.F. no732, la Cour a conclu que ?dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d?attirer notre intervention, ses conclusions sont à l?abri du contrôle judiciaire ?.

[22]      Quant aux observations finales des demandeurs selon lesquels la Commission a, dans ses conclusions, omis d?évaluer correctement Victor et son épouse Zaida et n?a pas analysé correctement le paragraphe 2(3) de la Loi sur l?immigration puisque celui-ci les concerne relativement à la question des raisons impérieuses, la Commission a écrit, à la page 18 de sa décision :

[TRADUCTION]
L? avocat a demandé au tribunal d?examiner la question des raisons impérieuses s?il est décidé qu?il y a eu un changement substantiel dans la situation au Chili. La deuxième demanderesse est essentiellement la seule qui pourrait visée par cette demande. Selon le tribunal, il n?y a aucune justification pour invoquer des raisons impérieuses.
Les raisons impérieuses sont définies comme étant :
     [...] les personnes qui ont souffert de persécution si effroyable que leur expérience à elle seule est une raison impérieuse pour ne pas les renvoyer, même si elles n?ont plus aucune raison de craindre d?être persécutées.

[23]      Je suis convaincu que cette question a été examinée relativement à Victor et son épouse. DansHassan c. M.E.I., 77 F.T.R. 309, le juge Rothstein,titre qu?il avait alors, renvoie à Canada c. Obstoj, [1992] 2 C.F. 739 en ces termes :

[...] tel que l'a fait remarquer le juge Hugessen dans la décision Obstoj, que le paragraphe 2(3) ne s'applique qu'à une petite minorité de requérants actuels, c'est-à-dire de requérants appartenant à une catégorie spéciale et restreinte et pouvant démontrer qu'ils ont été persécutés de manière si épouvantable que cela seul constitue une raison impérieuse de ne pas les renvoyer dans le pays où ils ont subi cette persécution[...] Le paragraphe 2(3), tel qu'il a été interprété, ne s'applique qu'à des cas extraordinaires de persécution si exceptionnelle que même l'éventualité d'un changement de contexte ne justifierait pas le renvoi du requérant.

[24]      La décision de la Commission ne peut être considérée comme déraisonnable. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


?P. ROULEAU ?

_____________________

JUGE


OTTAWA (Ontario)

Le 26 octobre 1999


Traduction certifiée conforme



Philippe Méla






SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

DE LA COUR FÉDÉRALE DU CANADA


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  IMM-4778-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          VICTOR MAURICIO MUNOZ PEREZ et autres

                         c.

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                         ET DE L?IMMIGRATION

LIEU DE L?AUDIENCE :              VANCOUVER (C.-B.)
DATE DE L?AUDIENCE :              LE 14 OCTOBRE 1999
MOTIFS DE L?ORDONNANCE PAR :      MONSIEUR LE JUGE ROULEAU
EN DATE DU :                  MERCREDI 26 OCTOBRE 1999

ONT COMPARU :                     

MME BANAFSHEH SOKHANSANJ      POUR LE DEMANDEUR

M. MARK SHEARDOWN              POUR LE DÉFENDEUR

                            

            

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

MME BANAFSHEH SOKHANSANJ      POUR LE DEMANDEUR

                            

MME EMILIA PECH                             

M. Morris Rosenberg         
Sous-procureur général du Canada          POUR LE DÉFENDEUR

                            

                            

                            


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