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Date : 20191212


Dossier : IMM‑6439‑18

Référence : 2019 CF 1598

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2019

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

GEORGII GARDZHAKAULI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, M. Georgii Gardzhakauli, est un citoyen de la Russie. Il affirme qu’il a été persécuté par des représentants de l’État russe parce qu’il est d’origine ossète et qu’il a fourni du soutien financier à des candidats de l’opposition en Ossétie du Sud. Il a demandé l’asile au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].

[2]  La Section de la protection des réfugiés [la SPR] a conclu que M. Gardzhakauli n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention suivant l’article 96 de la LIPR ni celle de personne à protéger suivant l’article 97 de la LIPR. La SPR a indiqué que le facteur déterminant était la crédibilité. La Section d’appel des réfugiés [la SAR] a confirmé la décision de la SPR et a rejeté l’appel. 

[3]  M. Gardzhakauli sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la SAR au titre du paragraphe 72(1) de la LIPR. Il soutient que la SAR a omis d’examiner ou a mal interprété certains éléments de preuve et qu’elle a commis une erreur en concluant qu’il n’était pas crédible. Dans ses observations écrites, il a fait valoir que la SAR n’a pas tenu compte de son affirmation selon laquelle la SPR a fait preuve de partialité. Dans sa plaidoirie, l’avocat de M. Gardzhakauli a déclaré qu’il ne ferait pas valoir cet argument. La présente demande soulève donc une seule question :

  1. La SAR a‑t‑elle conclu de façon déraisonnable que le récit de M. Gardzhakauli n’était généralement pas crédible et que la preuve documentaire présentée n’était par ailleurs pas suffisante pour établir le bien‑fondé de sa demande d’asile?

[4]  M. Gardzhakauli n’a pas démontré que la SAR a commis une erreur qui justifierait l’intervention de la Cour. Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.  Le contexte

[5]  M. Gardzhakauli a déclaré qu’il est né à Telavi, en Géorgie, en 1974 et qu’il a déménagé à Rostov, en Russie, en 2000. Il affirme qu’il est devenu un citoyen russe en 2008 et qu’il a perdu sa citoyenneté géorgienne en 2015. En 2011, il a lancé une entreprise de construction à Rostov et, au cours de la même année, il a fait don d’une somme d’argent importante, par l’entremise de son entreprise, à la campagne d’un candidat de l’opposition en Ossétie du Sud. Selon lui, cette activité politique est la raison pour laquelle le Service fédéral de la sécurité de la Russie a effectué une descente chez lui en 2012, au cours de laquelle des agents ont saisi des biens et l’ont confronté avec des documents attestant le don de nature politique. Les agents l’ont alors accusé d’être un espion et l’ont menacé de torture. M. Gardzhakauli soutient qu’il a été emprisonné, interrogé et menacé à plusieurs autres reprises entre 2012 et 2014. De plus, en 2014, un entrepôt annexé aux locaux de son entreprise a été détruit par les flammes et, selon lui, cet incident est également attribuable à son activité politique.

[6]  En octobre 2014, M. Gardzhakauli a quitté Rostov pour s’installer à Vladikavkaz, une ville russe située juste au nord de la frontière entre la Géorgie et la Russie. Là, il a mis sur pied une nouvelle entreprise de construction. Il affirme que l’un de ses concurrents de l’industrie de la construction à Vladikavkaz lui a ordonné de fermer son entreprise et de retourner à Rostov et, comme il ne l’a pas fait, il a été victime de graves agressions auxquelles ont parfois pris part des policiers et des agents municipaux. En avril 2016, il est allé se cacher chez un ami. En juin 2016, il a été trouvé dans sa cachette, puis battu. En septembre 2016, il a quitté la Russie pour le Canada.

III.  La norme de contrôle

[7]  Les décisions de la SAR, y compris les conclusions quant à la crédibilité, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Karki c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1294, aux par. 45 et 46).

[8]  Une décision est raisonnable lorsqu’à la lecture de la décision dans son ensemble, une cour de révision conclut : (1) que les critères de la justification de la décision et de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel sont respectés et (2) que le résultat appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au par. 9).

IV.  Analyse

A.  La SAR a‑t‑elle conclu de façon déraisonnable que le récit de M. Gardzhakauli n’était généralement pas crédible et que la preuve documentaire présentée n’était par ailleurs pas suffisante pour établir le bien‑fondé de sa demande d’asile?

[9]  M. Gardzhakauli s’appuie sur la décision Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, pour affirmer que la SAR devait présumer que son témoignage sous serment à titre de demandeur d’asile était véridique, sauf s’il existe des raisons justifiant qu’une conclusion différente soit tirée. Il soutient que les conclusions défavorables de la SAR quant à sa crédibilité sont déraisonnables et que la SAR n’a pas tenu compte de certains détails importants de sa demande d’asile. Je ne suis pas d’accord. Les motifs pour lesquels la SAR a tiré des conclusions défavorables quant à sa crédibilité ont été énoncés et ces conclusions sont justifiées. Les observations de M. Gardzhakauli selon lesquelles la SAR n’a pas tenu compte de certains détails importants de sa demande d’asile ne sont simplement pas étayées par un examen objectif de la décision.

[10]  Les décideurs sont présumés avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve dont ils disposent. Ils ne sont pas tenus d’examiner de façon explicite tous les éléments de preuve. Cependant, si un décideur ne tient pas compte d’éléments de preuve qui contredisent directement sa conclusion, une cour de révision pourrait alors conclure que le tribunal n’a pas pris en considération la preuve dont il disposait (Pathinathar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1312, au par. 15, citant Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425).

[11]  En l’espèce, la SAR a examiné l’ensemble du dossier, y compris la transcription de l’audience qui s’est déroulée devant la SPR. La SAR a examiné de façon indépendante les conclusions qu’avait tirées la SPR quant à la crédibilité. Elle a rejeté l’une des conclusions défavorables de la SPR au motif qu’elle témoignait en quelque sorte d’une « méticulosité » dans l’analyse de la preuve. Cependant, elle a reconnu et admis expressément les autres conclusions défavorables « pour les mêmes raisons que celles exposées par la SPR dans ses motifs ». Ces raisons sont clairement exposées dans la décision de la SPR et, à mon avis, elles permettaient raisonnablement à la SAR de conclure que le récit de M. Gardzhakauli n’était pas crédible. De plus, la SAR a raisonnablement conclu que les conclusions défavorables quant à la crédibilité s’appliquaient aussi à la demande d’asile présentée au titre de l’article 97 et qu’une analyse plus poussée de cet aspect de la demande d’asile n’était donc pas justifiée.

[12]  M. Gardzhakauli a également contesté l’appréciation qu’a faite la SAR des éléments de preuve documentaire corroborants, à savoir trois lettres et un rapport médical contenant des photographies.

[13]  La SAR n’a pas écarté ou rejeté les documents et les photographies parce qu’elle a conclu que le récit de M. Gardzhakauli n’était pas crédible; au contraire, elle a apprécié ces éléments de preuve et elle a clairement exposé les raisons pour lesquelles elle n’y avait accordé que peu de poids.

[14]  La SAR a fait observer que les lettres décrivaient des faits très généraux qui avaient été rapportés à leurs auteurs par M. Gardzhakauli. De plus, le style, le contenu et la longueur de ces lettres se ressemblaient beaucoup. Sur la foi de ces observations, la SAR a raisonnablement conclu que ces lettres, prises isolément ou conjointement avec d’autres éléments de preuve, ne permettaient pas d’établir le bien‑fondé de la demande d’asile.

[15]  En ce qui concerne le rapport médical, M. Gardzhakauli s’appuie sur l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], pour soutenir sa thèse selon laquelle la SAR a commis une erreur en rejetant le rapport et les photographies au motif que la cause de ses blessures n’y était pas divulguée. L’arrêt Kanthasamy n’est d’aucune utilité pour M. Gardzhakauli.

[16]  Dans l’arrêt Kanthasamy, la Cour suprême a examiné la décision d’une agente d’immigration qui avait rejeté une demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire. La Cour a conclu que l’agente avait agi de manière déraisonnable en accordant très peu de poids à un rapport médical qui avait été déposé pour démontrer les conséquences psychologiques d’un renvoi, parce que son auteure ne savait pas personnellement comment le demandeur avait subi ses blessures (par. 49). Toutefois, dans le cas de M. Gardzhakauli, la SAR n’a pas évalué une demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire; il s’agissait plutôt d’une demande d’asile fondée sur les articles 96 et 97 de la LIPR. M. Gardzhakauli a déposé les rapports médicaux en question non pas pour démontrer les conséquences psychologiques d’un renvoi, mais plutôt pour corroborer son récit et appuyer sa thèse selon laquelle il craignait avec raison d’être persécuté ou avait qualité de personne à protéger.

[17]  Le rapport médical précise que M. Gardzhakauli a été [traduction« battu », a subi des blessures et a reçu des soins. Bien que les déclarations formulées dans ce document puissent très bien corroborer le récit de M. Gardzhakauli, la SAR a raisonnablement conclu que son récit n’était pas crédible. Il est malheureux que la SAR ait souligné qu’elle était d’avis que ce rapport avait peu de valeur probante parce qu’il n’indiquait pas ce qui s’était passé. Lors du contrôle, je dois toutefois tenir compte de l’appréciation qu’a faite la SAR de ce rapport médical dans le contexte général de l’ensemble de la décision. Je suis convaincu que la SAR n’a pas examiné le rapport isolément, mais qu’elle l’a plutôt examiné conjointement avec les conclusions défavorables qu’elle avait déjà tirées quant à la crédibilité. C’est pour ce motif que la SAR a conclu que le rapport avait très peu de valeur pour établir le bien‑fondé de la demande d’asile. Dans ce contexte, il n’était pas déraisonnable que la SAR fasse remarquer que les renseignements contenus dans le rapport médical, pris isolément ou conjointement avec d’autres éléments de preuve crédibles, n’étaient pas suffisants pour établir le bien‑fondé de la demande d’asile fondée sur les articles 96 et 97.

[18]  La SAR n’a pas commis d’erreur en concluant que le récit de M. Gardzhakauli n’était généralement pas crédible et que la preuve documentaire présentée n’était pas suffisante pour établir le bien‑fondé de la demande d’asile.

V.  Conclusion

[19]  La demande est rejetée. Les parties n’ont pas soulevé de question grave de portée générale à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM‑6439‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 20e jour de décembre 2019.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑6439‑18

 

INTITULÉ :

GEORGII GARDZHAKAULI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 décembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge GLEESON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

 

le 12 décembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Victor Pilnitz

 

pour le demandeur

 

Melissa Mathieu

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Victor Pilnitz

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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