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     Date: 20000619

     Dossier: T-157-97


OTTAWA (Ontario), le lundi 19 juin 2000

DEVANT : MADAME LE JUGE B. REED


ENTRE :


J. JAGIR SINGH

     demandeur


et


LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE et

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES ET L'ARBITRE

     défendeurs




ORDONNANCE


     La demande de contrôle judiciaire ayant été entendue à Vancouver (Colombie-Britannique) le mercredi, 24 mai 2000;

     Pour les motifs prononcés en ce jour;

     IL EST PAR LES PRÉSENTES ORDONNÉ QUE :

     La demande soit rejetée.


                                     B. Reed

                             ___________________________________

                                     Juge

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.





     Date: 20000619

     Dossier: T-157-97

ENTRE :


J. JAGIR SINGH

     demandeur


et


LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE et

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES ET L'ARBITRE

     défendeurs


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED :

[1]      Ces motifs se rapportent au contrôle judiciaire d'une décision de la Commission canadienne des droits de la personne en date du 20 juin 1996. La Commission a rejeté la plainte du demandeur, selon laquelle Postes Canada avait commis un acte discriminatoire envers lui du fait de sa race et de son origine nationale ou ethnique. La Commission a conclu que l'allégation de discrimination que le demandeur avait faite n'était pas fondée.

Procédure suivie par la Commission

[2]      Certains arguments invoqués par le demandeur sont fondés sur un manque de connaissances de la procédure suivie par la Commission, que je décris ci-après.

[3]      Les articles 3 et 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, se rapportent au mandat de la Commission :

     3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.

3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

     7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

     (a) to refuse to employ or continue to employ any individuals, or
     (b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

     7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

     a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;
     b) de le défavoriser en cours d'emploi.

[4]      La Loi prévoit que la Commission doit enquêter sur toute plainte dont elle est saisie, à moins que la plainte ne soit visée par l'une des catégories désignées à l'article 41 :

     41. Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

     (a) the alleged victim of the discriminatory practice to which the complaint relates ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available;
     (b) the complaint is one that could more appropriately be dealt with, initially or completely, according to a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act;
     (c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;
     (d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith; or
     (e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

     41. Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

     a) la victime présumée de l'acte discriminatoire devrait épuiser d'abord les recours internes ou les procédures d'appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;
     b) la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale;
     c) la plainte n'est pas de sa compétence;
     d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;
     e) la plainte a été déposée plus d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée.

[5]      L'article 40 énonce les dispositions générales qui s'appliquent au dépôt devant la Commission d'une plainte fondée sur le fait qu'une personne s'est livrée à un acte discriminatoire. Si la Commission conclut qu'une plainte est visée par l'article 41, aucune enquête n'est menée à son sujet.

[6]      Lorsqu'une enquête doit être effectuée, un enquêteur est nommé conformément à l'article 43 de la Loi. Après avoir obtenu les renseignements des sources pertinentes et notamment, dans un cas comme celui-ci, de l'employeur, l'enquêteur prépare un rapport. Ce rapport, préparé conformément au paragraphe 44(1), renferme la recommandation que l'enquêteur fait à la Commission au sujet du règlement de la plainte. Sur réception du rapport, la Commission peut, en vertu de l'article 44, rejeter la plainte parce qu'aucun examen additionnel n'est justifié ou renvoyer la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne pour examen :

44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

. . .

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

     (a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

44. (1) L'enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête.

     . . .

    

(3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

     a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l'article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :
         (i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and
         (i) d'une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié,
     (ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or
     (ii) d'autre part, qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);
     (b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied
         (i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or
     b) rejette la plainte, si elle est convaincue :
         (i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci n'est pas justifié,
         (ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).
         (ii) soit que la plainte doit être rejetée par l'un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

Discussion informelle avant le dépôt de la plainte

[7]      En l'espèce, M. Singh a eu une discussion informelle avec un membre du personnel de la Commission, Mme Green-Davies, qui était agente des droits de la personne, avant de déposer sa plainte. L'agente a informé M. Singh, compte tenu de ce qu'elle croyait comprendre à ce moment-là, que s'il déposait une plainte [TRADUCTION] « le bureau recommanderait à la Commission de ne pas instruire la plainte [...] » (conformément à l'article 41). Dans une lettre datée du 20 mars 1995, Mme Green-Davis a exprimé l'avis selon lequel elle s'attendait à ce que le personnel fasse pareille recommandation à la Commission étant donné qu'elle ne croyait pas que la direction, à Postes Canada, avait commis un acte discriminatoire envers le demandeur et parce que la cessation d'emploi avait été examinée par un arbitre indépendant et impartial (un arbitre en matière de relations de travail). L'agente a fait remarquer que l'arbitre avait confirmé la décision de Postes Canada, et ce, malgré les nombreuses années de service du demandeur et même si ce dernier avait affirmé que les allégations dont il faisait l'objet et le congédiement étaient fondés sur des motifs liés à sa race. L'agente a également expliqué que si le demandeur décidait de déposer une plainte, il pouvait présenter des observations à la Commission en réponse à tout rapport préparé par le personnel en vertu de l'article 41.

[8]      Le 28 avril 1995, le demandeur a déposé sa plainte devant la Commission.

Rapport fondé sur l'article 41

[9]      Le 2 juin 1995, un agent des droits de la personne a écrit au demandeur pour l'informer que Sandra Choquette avait été désignée pour traiter sa plainte. M. Singh a également été informé de la préparation d'un rapport daté du 30 avril 1995, dans lequel on recommandait à la Commission de ne pas instruire la plainte, étant donné qu'elle était visée par l'alinéa 41d) de la Loi. Une copie de ce rapport a été envoyée à M. Singh. (Ce rapport n'a pas été présenté à la Cour aux fins de ce contrôle judiciaire.) La lettre informait M. Singh que la Commission pouvait [TRADUCTION] « retenir, modifier ou rejeter » la recommandation du membre du personnel, et elle demandait à M. Singh de bien vouloir répondre au rapport s'il le désirait. L'auteur de la lettre informait également M. Singh que, dans sa décision, la Commission tiendrait compte de toute réponse qu'il présenterait ou que Postes Canada présenterait.

[10]      L'avocat de M. Singh a répondu et a envoyé des observations datées du 28 juin 1995. Il affirmait que la plainte ne devait pas être rejetée conformément à l'article 41 et qu'une requête devrait avoir lieu.

Rapport fondé sur l'article 44

[11]      Le compte rendu des procédures de la Commission qui a été soumis à la Cour est incomplet, mais il est clair que la Commission n'a pas retenu la recommandation du personnel et qu'une enquête a été menée. Le rapport de l'enquêteur a été envoyé au demandeur avec une lettre d'envoi datée du 29 novembre 1995. L'auteur du rapport recommandait le rejet de la plainte conformément à l'article 44 de la Loi pour le motif que l'allégation de discrimination n'était pas fondée. (Ce rapport n'a pas été versé au dossier de la Cour.)

[12]      Le demandeur a envoyé des observations en date du 30 décembre 1995, dans lesquelles il signalait les erreurs que l'arbitre avait selon lui commises (à savoir qu'il s'était trompé en croyant les quatre plaignantes plutôt que le demandeur et qu'il n'avait pas tenu compte des nombreuses années pendant lesquelles le demandeur avait exercé ses fonctions d'une façon responsable et honnête.) L'avocat du demandeur a envoyé des observations en date du 3 janvier 1996. Elles sont identiques aux observations qui avaient déjà été soumises, le 28 juin 1995, en réponse à la recommandation qui avait été faite en vertu de l'article 41.

Preuve à présenter au sujet de la question de la sévérité de la peine

[13]      La Commission a apparemment examiné le rapport du mois de novembre 1995 et les observations que les parties avaient présentées au sujet du rapport au mois de mars 1996, mais elle n'a pas pris de décision définitive à ce moment-là. La Commission a demandé qu'une preuve soit présentée au sujet de la question de la sévérité de la peine qui avait été imposée au demandeur par rapport à la peine imposée à d'autres superviseurs qui avaient été reconnus coupables de harcèlement sexuel. Les données comparatives ont été fournies par Postes Canada le 8 mai 1996. Un enquêteur, Anne Rooke, a préparé un rapport daté du 10 mai 1996 au sujet de ces nouveaux renseignements. Ce rapport ainsi que les renseignements reçus de Postes Canada le 8 mai 1996 ont été envoyés au demandeur le 10 mai 1996. Le demandeur y a répondu le 27 mai 1996.

Allégation selon laquelle le personnel de la Commission a excédé sa compétence (en préjugeant de la question et en appréciant la preuve)

[14]      Je tiens tout d'abord à faire remarquer que l'argument que le demandeur a invoqué dans sa lettre du 20 mars 1995, selon lequel la Commission a excédé sa compétence, n'est pas fondé. Il faut faire une distinction entre les recommandations du personnel et la décision de la Commission. Mme Green-Davies s'acquittait de sa tâche en répondant à M. Singh et en lui faisant part d'une opinion provisoire au sujet de la réponse que le personnel de la Commission donnerait probablement. Mme Choquette s'acquittait de sa tâche en résumant la preuve dont elle disposait et en faisant à la Commission une recommandation à laquelle le demandeur a eu la possibilité de répondre avant que la Commission prenne une décision.

[15]      L'argument du demandeur selon lequel, dans son rapport du 10 mai 1996, l'enquêteur (Anne Rooke) excédait sa compétence en appréciant la preuve et en décidant que la plainte ne serait pas accueillie par un tribunal des droits de la personne n'est pas étayé. Ce rapport se lit en partie comme suit :

     [TRADUCTION]
         On a demandé à la défenderesse de fournir un bref résumé de toutes les plaintes de harcèlement sexuel qui avaient été réglées entre les années 1991 et 1996 et d'indiquer l'origine ethnique des présumés coupables et la mesure disciplinaire qui leur avait été imposée. Selon la réponse, les plaintes déposées contre neuf (9) superviseurs-directeurs ont été jugées fondées. Dans sept (7) cas, les peines imposées allaient d'un avertissement verbal avec formation et sensibilisation à cinq (5) jours de suspension, une lettre d'avertissement étant versée au dossier du personnel. Dans les cas où cinq (5) jours de suspension avaient été imposés, deux plaignantes avaient allégué qu'un superviseur leur avait porté une attention importune sous la forme de notes, de lettres, d'appels téléphoniques et d'invitations constantes. Dans le premier des deux autres cas, un superviseur avait démissionné lorsqu'on l'avait mis au courant des allégations. Dans le second cas, un maître de poste avait été congédié pour avoir fait une remarque de nature sexuelle importune à une cliente. L'un des neuf cas mettait en cause un employé originaire de l'Inde qui avait censément fait des commentaires et des gestes peu convenables au sujet des femmes. Il a fait l'objet d'un avertissement verbal et il a participé à un programme de sensibilisation. Les allégations qui avaient été faites contre le plaignant mettaient en cause quatre personnes et elles étaient plus sérieuses que celles dont il est ci-dessus fait mention, mais elles étaient semblables à celles qui avaient été faites contre le superviseur qui s'était vu infliger cinq (5) jours de suspension. Toutefois, selon certains éléments de preuve, le plaignant avait déjà été averti par écritdu comportement peu convenable qu'il avait eu en présence d'une employée et il avait suivi des séances de formation sur le harcèlement.
         La recommandation qui a été faite à la Commission de rejeter la plainte pour le motif que l'allégation de discrimination n'était pas fondée demeure la même. [Je souligne.]

[16]      Le rôle des enquêteurs, en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, a été décrit dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 :

     L'enquêteur qui mène l'enquête le fait en tant que prolongement de la Commission. Pour ma part, je ne considère pas l'enquêteur comme une personne indépendante de la Commission qui présente des preuves en témoignant devant elle. Ce qui arrive plutôt c'est que l'enquêteur établit un rapport à l'intention de la Commission. C'est là simplement une illustration du principe qui s'applique aux tribunaux administratifs, savoir qu'ils ne sont pas tenus de s'acquitter eux-mêmes de la totalité de leurs tâches, mais peuvent en déléguer une partie à d'autres.

[17]      Dans cet arrêt, à la page 902, on a décrit comme suit la procédure, c'est-à-dire l'envoi du rapport de l'enquêteur aux parties pour commentaires et le dépôt de ce rapport et des commentaires devant les commissaires pour examen :

     [...] Je partage l'avis du juge Marceau qu'il incombait à la Commission d'informer les parties de la substance de la preuve réunie par l'enquêteur et produite devant la Commission. Celle-ci [doit] en outre offrir aux parties la possibilité de répliquer à cette preuve et de présenter tous les arguments pertinents s'y rapportant.
         La Commission [peut] prendre en considération le rapport de l'enquêteur, les autres données de base qu'elle juge nécessaires ainsi que les arguments des parties. Elle [est] alors tenue de rendre sa propre décision en se fondant sur ces renseignements. [...]

[18]      Dans son rapport, Mme Rooke décrit la preuve de l'employeur; elle note que le cas qui ressemble le plus à celui dont elle était saisie est celui dans lequel une suspension de cinq jours avait été imposée, et elle fait une recommandation. Le rapport a été envoyé au demandeur, qui a fait des commentaires et a notamment signalé que la déclaration de l'enquêteur selon laquelle il avait reçu un avertissement écrit n'était pas exacte. La procédure suivie était correcte.

[19]      Le demandeur a mentionné la décision Thibodeau c. Prince Edward Island (Human Rights Commission) (No. 2) (1996), 26 C.H.R.R. D/132. Dans cette affaire-là, une commission provinciale des droits de la personne avait excédé sa compétence en décidant que les plaignants n'auraient pas gain de cause devant une commission d'enquête si pareille commission était constituée. (Dans ce cas-là, la Commission de l'Île-du-Prince-Édouard exerçait les mêmes fonctions que celles qui incombent aux enquêteurs en vertu de la législation fédérale sur la Commission des droits de la personne et le ministre exerçait les mêmes fonctions que celles qui incombent aux commissaires dans le régime fédéral.) La Cour a statué ce qui suit :

     [TRADUCTION]
         La Commission aurait dû se contenter de déterminer s'il existait suffisamment d'éléments de preuve de discrimination pour justifier la constitution d'une commission d'enquête. Il incombait à la Commission d'enquêter et de faire une évaluation, de façon à être en mesure de présenter un rapport informé au ministre. [Par. 45]
[...]
     [...] Il lui incombait d'enquêter et de faire rapport. De toute évidence, elle a passablement de latitude au sujet du contenu du rapport. Elle doit inclure un nombre suffisant de renseignements obtenus dans le cadre de l'enquête de la Commission en vue de permettre au ministre responsable des droits de la personne de prendre une décision informée plutôt qu'arbitraire au sujet de la question de savoir si une commission d'enquête doit être créée. En plus de faire rapport sur ses conclusions, la Commission peut faire une recommandation, mais elle n'est pas tenue de le faire. [...] [Par. 51]

[20]      La décision Thibodeau n'aide pas le demandeur. Mme Rooke a décrit les éléments de preuve et sa recommandation. Ces éléments ont été fournis aux commissaires avec les commentaires de M. Singh. Mme Rooke n'a pas dit aux commissaires quelle devait être leur décision et elle n'a pas exprimé d'avis au sujet de ce qu'un tribunal des droits de la personne pourrait faire, si les commissaires renvoyaient la plainte au tribunal pour examen.

[21]      J'examinerai maintenant l'allégation du demandeur, lorsqu'il dit que l'enquêteur et la Commission n'ont pas tenu compte d'éléments de preuve pertinents et qu'ils ont interprété la preuve d'une façon erronée.

Circonstances dans lesquelles M. Singh a été congédié

[22]      Il faut d'abord énoncer les circonstances qui ont entraîné le congédiement de M. Singh. Il semble que M. Singh ait eu la malencontreuse habitude de se gratter les organes génitaux. Cela troublait au moins une collègue de travail, Mme Wood, qui s'est plainte au mois de septembre ou d'octobre 1993. Le patron de M. Singh, M. Brown, n'a pas documenté cette plainte parce qu'à son avis, cela ne constituait pas du harcèlement sexuel, mais il a parlé de l'affaire à M. Singh. Par la suite, M. Singh semble avoir essayé de s'abstenir d'agir ainsi, du moins en présence de Mme Wood.

[23]      Au début du mois de mai 1994, Mme MacGregor a déposé une plainte de harcèlement sexuel contre M. Singh; elle affirmait que, le 29 avril 1994, lorsqu'elle l'avait rencontré seul dans son bureau, M. Singh avait [TRADUCTION] « tout le temps » touché et frotté ses organes génitaux. M. Singh a été muté du bureau de poste de Langley au bureau de poste d'Abbotsford en attendant que l'on enquête sur cette plainte, l'entrevue y afférente devant avoir lieu le 13 mai 1994.

[24]      Le renvoi de M. Singh du bureau de poste de Langley et le fait que celui-ci savait que Mme MacGregor avait déposé une plainte de harcèlement sexuel contre lui ont amené quatre jeunes femmes à révéler que M. Singh les avait harcelées. Ces plaintes n'étaient pas fondées sur l'habitude que M. Singh avait de se gratter les organes génitaux; elles étaient d'un ordre tout à fait différent.

[25]      On a demandé aux quatre femmes de consigner leurs plaintes par écrit. Ces femmes travaillaient toutes au bureau de poste de Langley. Les plaignantes ont relaté les commentaires importuns qui leur avaient été faits, comme le fait que M. Singh leur avait dit qu'elles étaient belles ou splendides, qu'il les touchait d'une façon importune en leur caressant les cheveux, le dos, le côté du corps, qu'il essayait de les étreindre, qu'il les lorgnait, qu'il leur posait des questions importunes au sujet de leur vie personnelle, qu'il les invitait constamment à aller prendre une bière, qu'il se tenait trop près d'elles dans des endroits exigus. La preuve présentée par l'une des plaignantes est ainsi relatée par l'arbitre :

     [TRADUCTION]
     [...] il s'approchait d'elle -- si près qu'elle devait reculer. Elle était fort mal à l'aise; lorsque cela arrivait, elle essayait de lui tourner le dos. Il lui frottait le dos, touchait ses cheveux, l'étreignait et glissait sa main le long de son corps.
         Cela arrivait « passablement régulièrement » lorsqu'il n'y avait personne d'autre dans l'aire de tri. Elle était mal à l'aise et se sentait humiliée. M. Singh était son patron et elle ne voulait pas perdre son emploi. Elle se sentait « sale » .

[26]      Postes Canada a congédié le demandeur le 26 mai 1994. M. Singh avait reçu des copies des déclarations écrites qui avaient été fournies par les quatre entrepreneurs chargés des routes rurales, énonçant les allégations précises que chaque personne avait faites contre lui. Ces copies ont été fournies à M. Singh avant qu'il ait, le 19 mai 1994, une entrevue avec la direction de Postes Canada au sujet de ces allégations. Le directeur de zone à Postes Canada, M. Kirk, qui a procédé à l'entrevue, a conclu que les plaignantes étaient crédibles et que M. Singh savait ce qui constituait du harcèlement sexuel puisqu'il avait reçu une formation dans ce domaine.

Grief présenté à la suite du congédiement

[27]      Le demandeur a présenté un grief à la suite de son congédiement; le grief a été entendu par un arbitre au cours d'audiences qui ont duré six jours (soit les 5, 6 et 7 octobre ainsi que les 13, 14 et 15 décembre 1994). Les quatre plaignantes ont témoigné oralement aux audiences et elles ont été contre-interrogées.

[28]      En plus de la preuve présentée par les quatre plaignantes, l'arbitre a entendu le témoignage de Linda Rempel, une collègue qui travaillait à côté de l'une des plaignantes. Mme Rempel a décrit la conduite dont elle avait été témoin. L'arbitre a également entendu le témoignage de la mère de l'une des plaignantes, qui travaillait également comme entrepreneur chargé des routes rurales. Au début, elle avait cru que sa fille réagissait d'une façon exagérée, mais elle a changé d'idée après s'être mise à surveiller M. Singh :

     [TRADUCTION]
     [...] Elle l'a vu près de sa fille bien après la fin du poste, sans motif valable. Il était dans son aire de travail sans avoir de bons motifs d'y être. Il se tenait beaucoup trop près d'elle. Elle l'a entendu l'appeler « ma blonde » et lui dire que sa chevelure était « longue et belle » . Elle l'a également entendu demander à Angela si elle voulait aller prendre une bière avec lui. Cela est arrivé plus d'une fois; elle a raconté qu'Angela lui disait de ne pas être ridicule ou que cela était peu probable ou encore qu'elle faisait semblant de ne pas le voir. Cela arrivait presque tous les jours.

[29]      Un autre témoin, qui était autrefois agent de gestion des ressources humaines, a témoigné au sujet de la formation dispensée aux superviseurs entre le mois de mars 1989 et le mois de juillet 1994 en matière de harcèlement sexuel. Le demandeur a participé au programme de formation en 1991. De plus, M. Kirk a témoigné que le demandeur était une personne ayant autorité et que le comportement qu'il avait envers les quatre employées équivalait à de la coercition et à de la tromperie.

[30]      Voici ce que l'arbitre a conclu :

     [TRADUCTION]
         Je reviens enfin à la preuve présentée par M. Singh au sujet de ce qui, selon lui, aurait pu donner lieu aux plaintes, comme il en a été fait mention au début de cette décision. Il n'existait pas le moindre élément de preuve montrant que les quatre plaignantes aient voulu « avoir » M. Singh. En effet, M. Singh soutient qu'il y avait entre les quatre plaignantes et les autres personnes qui ont témoigné contre lui dans la présente instance un complot visant à lui faire perdre son emploi. À mon avis, pareille prétention n'est pas crédible. Il s'agit d'une dernière tentative désespérée que l'employé s'estimant lésé a faite pour essayer de conserver son emploi. Je ne suis pas non plus convaincu que l'allégation selon laquelle les plaignantes avaient embelli leurs histoires à cette fin soit exacte. Ces personnes se sont toutes dans bien des cas plaintes du même genre de traitement importun, mais c'est l'inconduite de M. Singh qui était à l'origine de leurs « histoires » .
         Quant à l'assertion selon laquelle les plaignantes avaient des idées racistes à son sujet en tant que superviseur, il n'existe pas le moindre élément de preuve à l'appui. Il en va de même pour les commentaires que M. Singh a faits, selon lesquels les plaignantes manquent de maturité et qu'elles sont déséquilibrées, ces commentaires étant tout à fait dénués de fondement. Au contraire, le courage dont les plaignantes ont fait preuve en témoignant devant moi montrait qu'elles avaient énormément de maturité et qu'elles comprenaient qu'elles n'avaient plus à endurer le genre de harcèlement auquel l'employé s'estimant lésé s'était pendant de nombreux mois livré envers elles. Quant à la prétention selon laquelle, d'une façon quelconque, c'était le Syndicat des postiers du Canada qui était à l'origine des plaintes, il ne s'agit que d'un fantasme de M. Singh. Il est inutile d'en dire plus à ce sujet.
         À mon sens, M. Singh était sans aucun doute coupable du genre de comportement importun expressément mentionné dans la politique sur le harcèlement de la Société. [Je souligne.]

Prétentions du demandeur au sujet du rapport de l'enquêteur et de la décision de la Commission

[31]      Selon les arguments du demandeur, qui ont été présentés par écrit aux fins de ce contrôle judiciaire, la Commission n'a pas tenu compte de la totalité de la preuve dont elle disposait parce qu'elle s'est fondée sur le rapport de l'enquêteur et que dans ce rapport : (1) il n'était pas tenu compte des observations que M. Singh avait faites au sujet des erreurs figurant dans la décision de l'arbitre; (2) qu'il n'était pas tenu compte des observations que M. Singh avait faites le 28 juin 1995 et le 3 janvier 1996; (3) qu'il était erronément dit que [TRADUCTION] « le plaignant avait déjà été averti par écrit » alors que ce n'était pas le cas; (4) qu'il n'était pas tenu compte de la conversation que l'enquêteur avait eue avec un autre superviseur à Postes Canada, qui estimait que le Syndicat des postiers du Canada et Postes Canada s'étaient concertés pour mettre fin à l'emploi de M. Singh; (5) qu'il n'était pas tenu compte de la preuve selon laquelle M. Singh n'avait pas été adéquatement représenté par son syndicat, l'Association des officiers des postes du Canada, lors de l'audience d'arbitrage; (6) qu'il n'était pas mentionné que Postes Canada avait fourni des éléments de preuve incorrects au sujet des données relatives aux cas de harcèlement sexuel; (7) qu'il n'était pas tenu compte du fait que la peine qui avait été imposée à M. Singh était excessive comparativement à la peine imposée aux autres employés qui avaient également été reconnus coupables de harcèlement sexuel; (8) qu'il n'était pas tenu compte des antécédents professionnels exemplaires de M. Singh et des références morales.

[32]      Aux fins de la détermination de la question de savoir si un décideur a pris une décision qui n'est pas fondée sur la totalité de la preuve, ou qui est fondée sur une mauvaise interprétation de la preuve, l'omission de tenir compte de la preuve ou l'interprétation erronée de la preuve doit se rapporter à un élément crucial. Ergoter sur des nuances ou des détails mineurs ne constitue pas un fondement justifiant l'annulation d'une décision. Dans la décision Slattery c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574, conf. (1996), 205 N.R. 383, le juge Nadon a dit ce qui suit :

     Il faut faire montre de retenue judiciaire à l'égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n'est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu'un enquêteur n'a pas examiné une preuve manifestement importante, qu'un contrôle judiciaire s'impose.[Je souligne.]

     (1) Omission de tenir compte des erreurs commises par l'arbitre
[33]      La preuve n'étaye pas l'allégation selon laquelle l'enquêteur et la Commission ont omis de tenir compte des présumées erreurs figurant dans la décision de l'arbitre. Le demandeur a énuméré ces présumées erreurs dans ses observations du 3 janvier 1996. Rien ne permet de croire qu'il n'en ait pas été tenu compte. La Commission n'a apparemment pas jugé ces observations convaincantes. Cela n'est pas surprenant. Il s'agit d'assertions de l'avocat de M. Singh, relatant les erreurs mentionnées par son client. Il n'existe aucun élément de preuve indépendant à l'appui d'un grand nombre de ces assertions, et certaines d'entre elles ne sont clairement pas conformes à la preuve. Ainsi, M. Singh affirme que l'arbitre n'a pas tenu compte du fait qu'il ne savait pas que Mme Fontaine avait parlé à M. Brown lorsqu'il avait fait à celle-ci le commentaire suivant : [TRADUCTION] « Je ne me fâche pas, je me venge [...]. » Cependant, l'arbitre dit fort clairement qu'à ce moment-là, M. Brown n'avait divulgué aucun renseignement précis à M. Singh. L'arbitre n'a pas omis de remarquer la chose.
[34]      Un deuxième exemple d'une présumée erreur commise par l'arbitre, laquelle n'est pas une erreur, se rapporte à la déclaration de M. Singh selon laquelle la conclusion tirée par l'arbitre selon laquelle il [TRADUCTION] « ne se repentait pas » était incorrecte. M. Singh affirme qu'il s'est excusé à trois reprises. Toutefois, M. Singh n'interprète pas la preuve d'une façon exacte. Il s'est excusé à trois reprises au sujet de l'habitude qu'il avait de frotter ses organes génitaux et il s'est engagé à essayer de se corriger. Il n'a pas manifesté de remords au sujet du harcèlement sexuel dont faisaient l'objet les quatre jeunes plaignantes chargées des routes rurales. Il a déclaré qu'elles mentaient, qu'elles manquaient de maturité, qu'elles participaient à un complot visant à l'attraper. Il a admis leur avoir dit qu'elles étaient belles, les avoir complimentées au sujet de leur apparence, mais il a affirmé qu'il les avait uniquement touchées à des moments appropriés (par exemple en vue de les consoler) et d'une façon appropriée. Il nie s'être conduit de la façon dont l'arbitre a conclu qu'il s'était conduit. Cela n'est pas une preuve de remords.
[35]      Une autre présumée omission se rapporte au fait que même si les plaignantes avaient déclaré qu'elles craignaient de perdre leur emploi et que c'était la raison pour laquelle elles ne s'étaient pas plaintes plus tôt, M. Singh déclare qu'il n'était pas leur superviseur. La direction de Postes Canada et l'arbitre ont dit que M. Singh était une personne ayant autorité. M. Singh n'est peut-être pas strictement parlant le supérieur hiérarchique direct des entrepreneurs chargés des routes rurales, mais comme Postes Canada l'a dit au mois de mai 1996 :
     [TRADUCTION]
     M. Singh était une personne ayant autorité sur ces employées en sa qualité de représentant de Postes Canada au bureau, chargé d'informer l'entrepreneur de son rendement.

[36]      La conclusion à tirer de ces arguments est que le demandeur ergote sur des détails de la décision afin d'établir la preuve alors que pareille preuve n'existe pas.

     (2) Omission de tenir compte des observations du 28 juin 1995 et du 3 janvier 1996

[37]      Le demandeur affirme que la Commission a omis de tenir compte des observations qu'il avait faites le 28 juin 1995 et le 3 janvier 1996, puisqu'il n'en était pas fait mention dans la lettre de décision du 20 juin 1996. Dans cette lettre, la Commission a mentionné les observations que le demandeur avait présentées le 27 mai 1996. Il s'agit des dernières observations qui ont été soumises à la Commission. Elles se rapportent aux renseignements qui ont été fournis aux fins de comparaison par Postes Canada à la demande de la Commission. En l'absence du dossier complet de la Commission, je ne suis pas prête à retenir l'argument du demandeur selon lequel il n'a pas été tenu compte des observations antérieures puisqu'il n'en est pas fait mention dans la lettre du 20 juin 1996. Cela est d'autant plus vrai que le dossier renferme des éléments de preuve tendant à montrer que les commissaires avaient initialement tenu compte de la plainte que le demandeur avait déposée au mois de mars 1996. Quoi qu'il en soit, les observations du 28 juin 1995 ne sont pas pertinentes parce qu'elles n'ont rien à voir avec le rapport fondé sur l'article 41.

     (3) Absence d'avertissement écrit antérieur

[38]      Le demandeur déclare que l'enquêteur a commis une erreur en déclarant que [TRADUCTION] « le plaignant avait déjà été averti par écrit » . Selon M. Singh, il est également étrange qu'il n'ait pas reçu d'avertissement écrit au sujet de sa conduite, en 1993, lorsque l'une des quatre futures plaignantes a parlé de la conduite de M. Singh avec le patron de ce dernier, M. Brown.

[39]      Au mois de septembre 1993, la plaignante a parlé à M. Brown de la conduite importune du demandeur. Elle a alors insisté pour que M. Brown n'informe pas le demandeur de ce dont elle lui faisait part parce qu'elle craignait de perdre son emploi. M. Brown a respecté ses voeux, mais cela voulait également dire qu'il ne pouvait rien faire de précis au sujet des allégations. Il a donc parlé individuellement à tous les superviseurs au sujet de la politique relative au harcèlement de Postes Canada; il a préparé une lettre et l'a insérée dans le registre des avis. Le demandeur a alors demandé à M. Brown s'il faisait allusion à quelque chose de précis, mais M. Brown ne lui a pas fourni de renseignements additionnels. Le demandeur soutient avec véhémence que cela n'était pas régulier, qu'il aurait dû être avisé à ce moment-là du fait que sa façon d'agir n'était pas convenable, de façon à avoir la possibilité de modifier son comportement.

[40]      La réaction que M. Brown a eue à la suite de la demande de confidentialité de la plaignante était tout à fait appropriée. M. Brown n'était pas obligé de divulguer ces renseignements fournis à titre confidentiel. Il pouvait également à bon droit s'attendre à ce que M. Singh ainsi que les autres superviseurs comprennent la politique sur le harcèlement, particulièrement après qu'il eut parlé à chaque superviseur individuellement.

[41]      Le seul avis écrit qui a été versé au dossier du demandeur était une lettre datée du 15 mai 1994 au sujet de la plainte que Mme MacGregor avait portée. Postes Canada a déclaré devant l'arbitre que l'on ne se fondait pas sur cette lettre afin d'établir que le congédiement était motivé. L'arbitre a noté que, sur consentement, il avait omis de tenir compte de cette lettre. De plus, la lettre ne pouvait pas être pertinente en tant qu'avertissement préalable au congédiement parce qu'elle était trop rapprochée du congédiement dans le temps pour permettre une modification du comportement. Dans son rapport, l'enquêteur commettait donc une erreur en disant que [TRADUCTION] « le plaignant avait déjà été averti par écrit » .

[42]      Je dois déterminer si cette erreur est cruciale, compte tenu en particulier des observations que le demandeur a présentées à la Commission le 27 mai 1996, dans lesquelles il est clairement dit que cette déclaration n'était pas exacte. Dans la lettre de décision, il est fait mention des observations du 27 mai 1996 et il est déclaré que la Commission en a tenu compte.

[43]      Le dossier incomplet ne révèle pas qu'un avertissement écrit ait été donné au demandeur, mais comme il en a ci-dessus été fait mention, il révèle que le demandeur, en sa qualité de superviseur, avait reçu une formation sur ce qui constitue du harcèlement sexuel. Dans la lettre de congédiement du 26 mai 1994, M. Kirk a fait remarquer que M. Singh avait participé à un atelier sur le harcèlement sexuel à l'intention des superviseurs, au cours duquel on avait défini ce qui constitue du harcèlement sexuel. Il a déclaré que M. Singh avait aidé à enquêter sur une plainte de harcèlement sexuel et qu'il avait reçu plusieurs exemplaires de la Politique de la Société en ce qui concerne les droits de la personne et l'équité en matière d'emploi. De plus, il y avait eu l'initiative que M. Brown avait prise au mois de septembre 1993. L'arbitre a signalé que M. Singh savait qu'il avait une conduite importune, humiliante et embarrassante. La conduite du demandeur, qui harcelait uniquement les jeunes femmes lorsqu'il n'y avait personne dans les environs, montre qu'il s'agissait d'une conduite sournoise et d'un écart de conduite délibéré de sa part. Il ne s'agit pas ici d'un cas dans lequel un individu a fait une remarque grossière ou cruelle par ignorance (auquel cas il est justifié de donner un avertissement avant d'imposer une peine plus sévère). Étant donné la preuve abondante tendant à montrer que M. Singh était parfaitement au courant de ce qui constituait du harcèlement sexuel, qu'il était parfaitement au courant de la politique de l'employeur à cet égard et qu'il a de toute évidence omis d'en tenir compte, le fait que l'enquêteur a déclaré que M. Singh avait reçu un avertissement écrit alors que ce n'était pas le cas doit être considéré comme une erreur sans conséquence.

     (4) Preuve présentée par un autre superviseur

[44]      En ce qui concerne la présumée omission de tenir compte de la preuve présentée par un autre superviseur, qui estimait que le SPC et Postes Canada agissaient de concert pour mettre fin à l'emploi de M. Singh, aucun témoin n'a comparu devant l'arbitre pour étayer cette allégation, ou l'allégation de discrimination raciale faite par M. Singh. Comme il en a ci-dessus été fait mention, l'arbitre a conclu que l'allégation était un fantasme de M. Singh. Le seul élément de preuve présenté à l'enquêteur de la Commission se rapporte à l'enregistrement d'une conversation téléphonique que l'enquêteur avait eue avec un certain M. Ewasiuk :

     [TRADUCTION]
     Au sujet de J. Singh, voici ce qu'il a dit :
         Il est tout à fait évident que le syndicat et l'employeur s'étaient concertés pour déposer les plaintes. Il croyait qu'il s'agissait d'un complot parce que les événements s'étaient censément produits à différents moments, mais que toutes les plaintes avaient été envoyées en même temps, à la demande du syndicat.
         Il n'a jamais entendu dire que la direction ou les employés essayaient de se débarrasser des superviseurs originaires de l'Inde.
         Il ne présente aucun fait à l'appui de la théorie relative au complot -- c'est uniquement une lubie.

[45]      Aucun élément de preuve ne permet de conclure à la discrimination. Il s'agit d'une conjecture non corroborée, faite par une seule personne. De plus, une explication claire figure au dossier au sujet de la raison pour laquelle les quatre plaignantes se sont présentées à un moment donné, au mois de mai 1994, même si le harcèlement sexuel s'était produit plus tôt, à différents moments et en différents lieux : à ce moment-là, M. Singh ne travaillait plus au bureau de poste de Langley et une autre personne, Mme MacGregor, avait déjà porté plainte. Il s'agit d'une réaction tout à fait naturelle, à savoir qu'une fois que M. Singh ne travaillait plus sur les lieux, les plaignantes étaient prêtes à parler de ce qui s'était passé, alors qu'auparavant elles n'étaient pas prêtes à le faire.

     (5) Observations de l'Association des officiers des postes du Canada

[46]      Aucun élément de preuve n'étaye l'allégation selon laquelle le syndicat du demandeur, l'Association des officiers des postes du Canada, n'a pas représenté celui-ci d'une façon appropriée. Cette allégation était uniquement fondée sur l'assertion de M. Singh selon laquelle il avait été victime de discrimination. Cependant, aucun élément de preuve objectif n'existe à l'appui de cette allégation. On ne saurait blâmer l'Association de refuser de poursuivre une affaire si elle décide qu'aucun élément de preuve n'étaye l'allégation qui est faite.

     (6) Renseignements erronés

[47]      Postes Canada a informé le personnel de la Commission que certains renseignements qu'elle avait fournis au sujet des peines imposées aux autres employés n'auraient pas dû être inclus. On avait demandé des renseignements concernant des cas qui s'étaient produits dans la région du Pacifique; or, deux des cas mentionnés s'étaient produits en Ontario. Postes Canada a offert de modifier les renseignements qui avaient été envoyés. L'enquêteur de la Commission a répondu que cela n'était pas nécessaire parce que la recommandation ne serait pas modifiée.

[48]      Comme il en a ci-dessus était fait mention, les données comparatives qui ont été envoyées font état de peines moins sévères que le congédiement. Le fait que deux cas devaient être enlevés de la liste n'allait rien y changer. L'enquêteur ne s'est pas fondé sur les renseignements fournis aux fins de comparaison pour expliquer la sévérité de la peine imposée au demandeur. Il a expliqué que les infractions que M. Singh avait commises étaient plus graves que celles qui étaient mentionnées dans les renseignements en question et que M. Singh savait et comprenait ce que la politique sur le harcèlement exigeait. Il importe peu que les deux cas de l'Ontario aient été inclus ou qu'ils aient été exclus.

     (7) Peine excessive

[49]      L'allégation selon laquelle l'enquêteur et la Commission ont omis de tenir compte du fait que la peine imposée à M. Singh était excessive par rapport à celles qui étaient imposées à d'autres employés n'est pas étayée par la preuve. La Commission a demandé qu'une preuve soit obtenue aux fins de comparaison. En général, cette preuve montrait que des peines moins sévères avaient été imposées à d'autres employés (dont l'un était d'origine indienne). Toutefois, les données comparatives ne font pas état de cas où il y avait eu des attouchements non autorisés du genre de ceux auxquels M. Singh s'était livré. La position de Postes Canada était que la peine sévère était justifiée parce que le genre de harcèlement auquel M. Singh s'était livré était extrême, allant de remarques et d'invitations importunes à des attouchements et au fait qu'il agrippait les gens par leurs vêtements : [TRADUCTION] « Ces actions ont été commises lorsque les personnes en cause étaient seules avec M. Singh, à un moment où les portes de son bureau étaient fermées [...] dans [un] cas, il a pris place dans le véhicule d'une personne sans permission. » Postes Canada a fait remarquer que [TRADUCTION] « [l]e harcèlement visait quatre jeunes femmes vulnérables qui travaillaient pour un entrepreneur. Ces jeunes femmes n'étaient pas représentées par le syndicat et elles craignaient réellement de perdre leur emploi » . Postes Canada a également fait remarquer qu'au fur et à mesure que les employés étaient mis au courant des exigences de la politique sur le harcèlement, Postes Canada a mis en oeuvre une politique de « tolérance zéro » . Les peines qui avaient été jugées justifiées auparavant ne l'étaient donc plus.

[50]      J'ai initialement été frappée par ce qui semblait être la peine beaucoup trop sévère imposée à M. Singh par rapport aux peines qui avaient été imposées aux autres. Toutefois, une lecture minutieuse des documents révèle que cette peine a été infligée parce que Postes Canada estimait que M. Singh savait qu'il agissait mal. Comme il en a été fait mention, la conduite de M. Singh ne consistait pas simplement en une série d'actes désinvoltes, cruels et offensants. Il s'agissait d'une conduite délibérée et importune. L'employeur a qualifié la conduite d'abus de pouvoir, comme l'a fait l'arbitre, un abus qui avait pour effet de rompre d'une façon irrévocable les relations employeur-employé. Dans le domaine du droit de l'emploi, il existe une théorie voulant que si l'employeur décide avec raison que l'employé n'est plus digne de confiance, les relations employeur-employé sont rompues d'une façon irrévocable. C'est ce qui s'est produit dans ce cas-ci. Il y a eu rupture des relations, d'où l'imposition d'une peine sévère.

[51]      Un membre du personnel de la Commission (M. Théroux) a noté dans une note de service interne que même si la peine était trop sévère, il n'était toujours pas établi qu'elle avait été imposée pour des motifs fondés sur la race. Un examen des documents qui ont été présentés à la Cour étaye cette conclusion.

     (8) Références morales -- Nombreuses années de service

[52]      Enfin, le demandeur soutient qu'il n'a pas été tenu compte du fait qu'il avait de nombreuses années de service à Postes Canada, qu'il avait occupé des postes comportant des responsabilités de plus en plus lourdes et que, pendant un grand nombre d'années, il avait été un employé fiable, et qu'il n'a pas été tenu compte non plus des nombreuses références morales qui ont été versées au dossier.

[53]      L'arbitre a expressément mentionné les nombreuses années de service du demandeur à Postes Canada, mais il a dit que malgré tout, il n'y avait rien qui puisse le convaincre qu'il convenait d'infliger une peine moins sévère que le congédiement. Dans sa lettre du 20 mars 1995, Mme Green-Davies mentionnait que l'arbitre avait parlé des nombreuses années de service du demandeur, comme l'avait fait l'avocat du demandeur dans les observations qu'il avait présentées à la Commission.

[54]      Toutefois, fondamentalement, cet élément de preuve a uniquement une importance secondaire dans le cas du demandeur. Le demandeur peut de fait s'être fort bien acquitté de ses tâches; il se peut bien qu'il ait été respecté par la collectivité et par un grand nombre des personnes pour lesquelles il travaillait ou qui travaillaient pour lui. Toutefois, cela ne veut pas pour autant dire que le comportement qu'il avait envers les quatre jeunes femmes n'était pas tel qu'elles l'avaient décrit. Cela veut simplement dire que dans d'autres circonstances, M. Singh agissait d'une façon plus responsable et attentive.

Conclusion

[55]      Le demandeur affirme que la preuve présentée par les quatre plaignantes n'est pas exacte et qu'elle a été inventée de façon qu'il soit congédié -- il était victime d'un complot parce qu'il était d'origine indienne. Il affirme que le SPC a pris des mesures en vue d'encourager les quatre plaignantes à parler même si elles n'étaient pas membres du syndicat, et ce, pour des motifs d'ordre racial, parce que ce syndicat voulait qu'il soit mis à l'emploi de tous les superviseurs d'origine indienne. Il allègue que son employeur, Postes Canada, a agi d'une façon discriminatoire envers lui pour des motifs raciaux en mettant fin à son emploi au lieu de lui imposer une peine moins sévère. Il allègue que son propre syndicat, l'Association des officiers des postes du Canada, a manqué à ses engagements envers lui en lui conseillant de démissionner au lieu de présenter un grief à l'encontre du congédiement et en refusant de continuer à soutenir devant l'arbitre que la décision que Postes Canada avait prise de le congédier était fondée sur des motifs d'ordre racial. Il affirme que la conclusion de l'arbitre selon laquelle il n'existait pas le moindre élément de preuve à l'appui de cette allégation était erronée et que l'arbitre a tiré cette conclusion sans tenir compte tenu de la preuve dont il disposait. Il affirme que les enquêteurs de la Commission sont arrivés à la mauvaise conclusion en disant que l'allégation de discrimination raciale ne justifiait pas un examen plus approfondi. Il allègue que la Commission a commis une erreur en concluant que les allégations de discrimination raciale n'étaient pas justifiées. Il faut conclure d'une façon inéluctable que le demandeur a de la difficulté à accepter la responsabilité de son comportement importun et qu'il allègue plutôt qu'il y a discrimination raciale et complot.

Les défendeurs

[56]      Il convient de faire une remarque additionnelle au sujet de la présente demande. Aucun défendeur n'a participé activement aux procédures. Le demandeur souligne la chose afin d'établir qu'il doit avoir raison de contester la décision de la Commission puisque personne n'a comparu pour défendre cette décision. Je ne retiens pas cet argument. La contestation de la décision doit être appréciée selon les faits qui lui sont propres, et ce, qu'un défendeur comparaisse ou non.

[57]      J'attribue l'état non satisfaisant du dossier qui a été soumis à la Cour au fait qu'aucun défendeur n'était activement en cause. Je me suis demandée s'il convenait d'ordonner la production de tout le dossier de la Commission. Toutefois, je me suis fondée sur les renseignements que le demandeur a décidé de présenter à la Cour.

[58]      Quant aux défendeurs désignés, l'arbitre n'est clairement pas une partie appropriée. Ce n'est pas sa décision qui fait l'objet du présent contrôle judiciaire. Si des erreurs importantes avaient été apparentes dans ses constatations ou dans ses conclusions, ces erreurs seraient pertinentes dans la mesure où l'enquêteur de la Commission s'est fondé sur celles-ci, mais cela ne fait pas de l'arbitre un défendeur approprié de plein droit.

[59]      La Commission a envoyé à l'administrateur de la Cour fédérale une lettre dans laquelle elle faisait valoir que, conformément à la jurisprudence de cette cour, elle n'était pas une défenderesse appropriée et qu'elle ne comparaîtrait donc pas :

     [TRADUCTION]
         Conformément à la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans les affaires Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général) et Bernard [1994] 2 C.F. 446, la Commission n'est pas une partie appropriée dans des procédures de contrôle judiciaire se rapportant à une décision qu'elle a prise, mais elle peut se voir accorder le statut d'intervenante à certaines conditions eu égard aux circonstances de l'affaire. Par conséquent, même si la Commission est désignée à titre de défenderesse dans la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur, elle n'est pas à proprement parler partie étant donné qu'elle n'a pas demandé à agir comme intervenante.
         La Commission ne comparaîtra donc pas à l'audition de la demande de contrôle judiciaire du demandeur, J. Jagir Singh.

[60]      Une note datée du 13 octobre 1999 figure dans le dossier de la Cour; elle indique qu'un fonctionnaire du greffe a parlé à l'avocat de Postes Canada afin de s'assurer qu'un avocat soit disponible aux fins de l'audition relative au contrôle judiciaire. Postes Canada a fait savoir qu'elle estimait que l'affaire intéressait principalement la Commission plutôt qu'elle.

[61]      Le procureur général du Canada a reçu signification de la demande lorsqu'elle a été présentée, comme l'exigeait l'ancienne règle 1604 des Règles de la Cour fédérale, mais il a décidé de ne pas participer à l'affaire.

[62]      Cette situation est loin d'être satisfaisante. La Commission, Postes Canada ou le procureur général auraient dû agir comme défendeurs. Toutefois, comme il en a été fait mention, le fait qu'aucun défendeur ne participe activement à une affaire ne constitue pas un motif justifiant l'annulation d'une décision.


                             B. Reed

                                     Juge

OTTAWA (ONTARIO),

le 19 juin 2000.

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :      T-157-97

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      J. Jagir Singh c. la Commission canadienne des droits de la personne et la Société canadienne des Postes et l'arbitre

LIEU DE L'AUDIENCE :      Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 24 mai 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Reed en date du 19 juin 2000


ONT COMPARU :

J. Jagir Singh      POUR SON PROPRE COMPTE

Personne n'a comparu      POUR LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE, défenderesse
Personne n'a comparu      POUR LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES, défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

J. Jagir Singh      POUR SON PROPRE COMPTE

Personne n'a comparu      POUR LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE, défenderesse
Personne n'a comparu      POUR LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES, défenderesse
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