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Date : 20040927

Dossier : T-2273-03

Référence : 2004 CF 1311

ENTRE :

                                          NORTHWESTEL MOBILITY INC.

                                                                                                                        demanderesse

                                                     LAIRD ROBERTSON

                                                                                                                               défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 31 octobre 2003 par un arbitre désigné en vertu du Code canadien du travail. Cette affaire découle d'une plainte de congédiement injuste déposée en septembre 2002.


[2]                La question en litige est celle des dépens avocat-client accordés par l'arbitre, ceux-ci étant maintenant contestés par la demanderesse qui est l'ancien employeur du défendeur.

[3]                L'arbitre a conclu que le défendeur avait fait l'objet d'un congédiement injuste et il a statué qu'il y avait lieu d'accorder une indemnité de neuf mois, de sorte que le dédommagement accordé pour perte de salaire couvre la période de septembre 2002 à juin 2003. L'indemnité ainsi accordée se chiffre donc à 46 499,94 $ moins le revenu gagné par le défendeur de janvier à mars 2003, soit 26 637,25 $.

[4]                Voici ce que dit l'arbitre sur la question des dépens :

[traduction] Le plaignant a été injustement congédié et il a subi un préjudice par suite de ce congédiement. Je ne vois pas pourquoi il devrait supporter les frais de justice qu'il a engagés pour faire valoir ses droits. Par conséquent, j'alloue au plaignant les dépens du présent appel, formé sous le régime du Code Canadien du travail, et ce, jusqu'à concurrence d'un montant de 25 936,79 $.


[5]                L'avocat de la demanderesse cherche maintenant à faire annuler cette partie de la décision au motif que l'arbitre a outrepassé les limites de la compétence que lui confère le paragraphe 242(4) du Code canadien du travail, en ce qu'il doit être expressément autorisé par la loi à allouer des dépens. Subsidiairement, il fait valoir que l'arbitre a agi hors de sa compétence en allouant des dépens avocat-client. L'avocat de la demanderesse soutient en outre que seules des circonstances rares et exceptionnelles justifient l'octroi de tels dépens. À l'appui de cet argument, il invoque la décision de la Cour d'appel fédérale dans Banca Nazionale Del Lavoro of Canada Ltd. c. Lee-Shanok, [1988] A.C.F. no 594. Enfin, il avance que l'arbitre s'est prononcé sur les dépens sans que les parties aient soulevé la question et sans qu'elles aient eu la possibilité de présenter des arguments sur le sujet.

[6]                Je rejette la demande pour les motifs énoncés ci-dessous.

[7]                Le paragraphe 242(4) du Code canadien du travail confère les pouvoirs suivants à l'arbitre :

242(4) S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur_:

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

c) de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

[Non souligné dans l'original.]


[8]                D'abord, on ne peut conclure avec certitude que l'arbitre a alloué des dépens avocat-client en tant que tels. Le libellé de la décision n'étaye aucunement la prétention à cet effet et c'est uniquement parce que le montant de 25 936,79 $ octroyé par l'arbitre couvre entièrement la somme demandée par l'avocat du défendeur dans sa note d'honoraires que, selon la demanderesse, les dépens attribués ont été établis sur la base avocat-client.

[9]                De plus, je ne peux accepter l'argument de la demanderesse selon lequel le paragraphe 242(4) du Code canadien du travail ne saurait être interprété comme autorisant un arbitre à allouer des dépens. Le législateur a établi un mécanisme par lequel les employés injustement congédiés doivent être indemnisés pour les pertes qu'ils ont subies. Pour atteindre cet objectif, il faut interpréter la Loi de manière large et libérale, ce qui sous-tend notamment que l'arbitre a le pouvoir d'allouer des dépens lorsque les circonstances le justifient.


[10]            Dans les cas de congédiement injuste, il convient d'appliquer le principe fondamental suivant lequel un demandeur lésé est en droit d'être placé dans une position aussi bonne que celle dans laquelle il se serait trouvé si le défendeur avait agi correctement. Le libellé de l'alinéa 242(4)c) tient compte de ce principe en ce qu'il confère à l'arbitre le pouvoir discrétionnaire de « prendre toute autre mesure qu'il juge équitable [d']imposer [à l'employeur] et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier » . Je suis d'avis que l'arbitre avait ce principe à l'esprit lorsqu'il a écrit au paragraphe 15 de sa décision : [traduction] « Je ne vois pas pourquoi il devrait supporter les frais de justice qu'il a engagés pour faire valoir ses droits » .

[11]            Ma décision s'appuie sur la jurisprudence de la Cour d'appel fédérale. Dans Banca Nazionale, précitée, le juge Stone s'exprime comme suit à la page 10 :

On soutient d'abord que l'arbitre a outrepassé sa compétence. La requérante insiste sur les termes « toute autre chose » de l'alinéa 61.5(9)c) du Code. C'est sur cet alinéa que l'arbitre s'est appuyé pour décider qu'il avait compétence pour accorder ces frais. La requérante s'en reporte de nouveau à la décision de cette Cour dans la cause Slaight Communications, où l'on soutient que le terme « like » a été interprété de façon relativement restreinte. Je ne suis pas d'accord que la Cour l'ait interprété de façon restreinte. Je ne répéterai pas ce que j'ai déjà dit quant à l'interprétation de l'alinéa c). Je n'ai aucune difficulté de voir dans le large pouvoir de « faire toute autre chose qu'il juge équitable d'ordonner afin de contrebalancer les effets du congédiement ou d'y remédier » celui d'accorder des frais.

                                                                      . . .

La Partie III du Code semble avoir été conçue afin de donner à ceux qui ont été congédiés injustement une tribune pour l'instruction de leur plainte et un ensemble de redressements possibles. L'alinéa c) semble avoir été formulé dans des termes suffisamment généraux pour permettre à un arbitre d'adjuger des frais à un plaignant.

[Non souligné dans l'original.]


[12]            Enfin, je suis en désaccord avec la prétention de la demanderesse selon laquelle la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision correcte simplement parce que le litige soulève une question liée à la compétence d'un décideur administratif. Qui plus est, cette prétention ne trouve aucun appui dans la jurisprudence de la Cour qui a, de manière non équivoque, rejeté cette notion. Dans Via Rail Canada Inc. c. Cairns, [2004] A.C.F. no 866, la Cour d'appel fédérale s'exprime comme suit aux paragraphes 33, 38, 39 et 46 :

Je n'accepte pas l'approche de l'avocat par la question « de compétence » pour établir la norme de contrôle. Des arrêts récents de la Cour suprême du Canada établissent clairement que la norme de contrôle applicable aux décisions d'un organisme administratif juridictionnel doit toujours être déterminée selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle. Des concepts abstraits, tels que celui de la « question de compétence » , jouent maintenant un rôle beaucoup moins grand dans l'établissement de la norme de contrôle applicable au point attaqué de la décision d'un tribunal.

                                                                      . . .

Cependant, caractériser le motif de contrôle applicable d'erreur de compétence n'est pas déterminant à l'égard de la norme de contrôle que la Cour doit appliquer pour décider si la demanderesse a établi que le tribunal a commis une erreur, comme elle l'allègue. Par conséquent, dans le cas où, comme en l'espèce, une décision est attaquée en vertu de l'alinéa 18.1(4)a) au motif que le Conseil « a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer » , et où l'erreur alléguée met en cause l'interprétation d'une disposition du Code, la Cour doit encore utiliser l'analyse pragmatique et fonctionnelle pour décider de la norme de contrôle applicable à l'interprétation de la disposition en litige.

Si l'analyse pragmatique et fonctionnelle amène la Cour à conclure que la décision correcte constitue la norme applicable au contrôle de l'interprétation que donne le Conseil de la disposition du Code en cause, le Conseil aura excédé sa compétence si la Cour n'est pas d"accord avec l'interprétation du Conseil. Inversement, si l'analyse pragmatique et fonctionnelle fait ressortir que la norme de contrôle applicable est le caractère manifestement déraisonnable de la décision, il sera conclu que le Conseil a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer si son interprétation est manifestement déraisonnable.

                                                                      . . .

Cependant, j'estime en toute déférence que l'idée que l'interprétation des dispositions sur le pouvoir du Conseil en matière de réparation peut être contrôlée selon la norme de la décision correcte du seul fait qu'il s'agit d'une question de compétence a été balayée par un torrent de jurisprudence de la Cour suprême du Canada sur la norme de contrôle au cours des huit années qui ont suivi l'arrêt Royal Oak Mines.

[13]            De plus, la Cour conclut au paragraphe 51 :


Comme la norme de contrôle applicable à la conclusion du Conseil qu'il peut accorder une réparation particulière doit être établie selon l'analyse pragmatique et fonctionnelle, je dois maintenant procéder à cette analyse. Tant la Cour suprême du Canada que la présente Cour ont régulièrement conclu que les décisions du Conseil canadien des relations industrielles (et de son prédécesseur, le Conseil canadien des relations du travail) en matière d'interprétation du Code ne sont normalement susceptibles de contrôle qu'en raison du caractère manifestement déraisonnable de la décision. Je ne dois donc pas réinventer la roue en menant une analyse pragmatique et fonctionnelle exhaustive.

[Non souligné dans l'original]

[14]            Par conséquent, la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision manifestement déraisonnable, qui requiert que la décision contestée soit « à ce point viciée qu'aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir » [1]. Ce n'est manifestement pas le cas de la décision rendue par l'arbitre dans la présente affaire. Il avait sans conteste compétence pour allouer des dépens sur le fondement du paragraphe 242(4) du Code canadien du travail. Ce faisant, il a exercé son pouvoir discrétionnaire en tenant compte de la loi habilitante et des principes de common law applicables en matière de congédiement injuste, et ce, de manière à respecter l'objet de la Loi, à savoir accorder une indemnité équitable au défendeur par suite de son congédiement injuste. Rien ne justifie l'intervention de la Cour relativement à la décision qui fait l'objet du présent contrôle.


[15]            Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, le défendeur ayant droit aux dépens que je fixe à 2 000 $, débours compris.

     JUGE

OTTAWA (Ontario)

27 septembre 2004

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                       

DOSSIER :                                 T-2273-03

INTITULÉ:                                  NORTHWESTEL MOBILITY INC. c. LAIRD ROBERTSON

LIEU DE L'AUDIENCE :         Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :       Le 2 septembre 2004

MOTIFS :                                    Le juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :               Le 17 septembre 2004

COMPARUTIONS :                 

Timothy S. Preston, c.r.              POUR LA DEMANDERESSE

E. Joie Quarton                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lackowicz, Shier &

Hoffman,

bureau 300, 204 Black Street

Whitehorse (Yukon)

Y1A 2B9                                      POUR LA DEMANDERESSE

QUARTON & SUTHERLAND

201 - 4133 4th Avenue

Whitehorse (Yukon)

Y1A 1H8                                      POUR LE DÉFENDEUR


                                                                                                                                               



[1] Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, le juge Iacobucci.


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