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     Date : 19980212

     Dossier : IMM-1924-97

ENTRE :

     KAILASAPILLAI PONNUDURAI

     KANAGAMBIKAI PONNUDURAI

     SHARMILA PONNUDURAI

     MENAKA PONNUDURAI

     NIDHYAKALYAN PONNUDURAI,

     requérants,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

[1]      Les présents motifs se rapportent à une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a statué que les requérants n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention aux termes du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration1. La décision de la SSR est datée du 9 avril 1997.

[2]      Les requérants sont des époux et trois de leurs cinq enfants. À la date de l'audience devant la SSR, Sharmila était âgée de vingt et un ans. Menaka avait dix-sept ans et Nidhyakalyan avait dix ans. Les requérants sont des Tamouls originaires du nord du Sri Lanka. Leurs revendications du statut de réfugié reposent sur l'existence présumée d'une crainte fondée de persécution s'ils doivent retourner au Sri Lanka en raison de leurs opinions politiques perçues et de leur appartenance à un groupe social.

[3]      Le requérant principal, Kailasapillai, a brièvement travaillé comme ingénieur à Colombo en 1979. En tant que Tamoul, il a fait l'objet de discrimination et a été agressé par les employés qu'il supervisait; ceux-ci étaient tous des Cinghalais. Le requérant principal est retourné dans sa ville natale, Jaffna. De 1980 jusqu'au milieu de 1996, le requérant principal a travaillé à Oman. Comme la situation empirait dans le nord du Sri Lanka, la femme du requérant principal et ses deux filles sont allées rejoindre le requérant à Oman en mars 1985. Le plus jeune requérant est né à Oman.

[4]      Pendant la période d'emploi du requérant principal à Oman, des membres de la famille sont retournés au Sri Lanka à au moins trois reprises. Le premier retour digne de mention a été à Jaffna en 1988. À ce moment-là, les requérants ont reçu des menaces et ont été victimes d'extorsion. En juillet 1992, le requérant principal a tenté d'aller voir sa mère gravement malade à Jaffna, mais n'a pas été plus loin que Colombo. Il est demeuré dans cette ville [traduction] " dans des circonstances difficiles " pendant près de deux semaines avant de retourner à Oman sans avoir vu sa mère. En juillet 1994, tous les requérants sauf le requérant principal sont allés à Colombo, une fois de plus à cause de l'état de santé d'un membre de la famille qui vivait au Sri Lanka. Là-bas, ils ont été soumis à des actes d'extorsion de la part d'un groupe de militants tamouls et de policiers, ces derniers ayant des soupçons à l'égard des deux filles qui n'étaient pas en possession d'une carte d'identité nationale à ce moment-là. Les deux filles ont été menacées de détention par la police.

[5]      Après que l'emploi du requérant principal eut pris fin à Oman, les requérants sont venus au Canada et ont présenté des revendications du statut de réfugié au sens de la Convention.

[6]      La SSR a statué que les requérants avaient des motifs valables de craindre d'être persécutés par les Tigres tamouls s'ils retournaient dans le nord du Sri Lanka. Toutefois, la SSR a ensuite examiné la question de savoir si les requérants avaient une possibilité de refuge à Colombo et a répondu par l'affirmative. Elle a conclu :

     [traduction] [...] aucun des intéressés ne correspond à la description du jeune Tamoul de sexe masculin ou féminin récemment venu du Nord qui semble être le centre d'attention des rassemblements organisés par la police pour procéder à des contrôles d'identité. [Non souligné dans l'original.]         

La SSR a en outre conclu qu'il serait objectivement raisonnable que les requérants vivent à Colombo sans craindre d'être persécutés. Elle a pris note de la crainte du requérant principal quant à la période très limitée au cours de laquelle les Tamouls venus du nord du Sri Lanka peuvent séjourner à Colombo. Elle a noté que cette crainte était étayée par des éléments de preuve documentaire. En ce qui concerne cette crainte, la SSR a conclu :

     [traduction] Toutefois, l'intéressé n'est pas un " Tamoul nouvellement arrivé du Nord " et, par conséquent, ne serait pas visé par cette restriction.         

[7]      L'avocat des requérants a fait valoir que la conclusion de la SSR selon laquelle les requérants ne seraient visés par aucune restriction quant à la durée de leur séjour à Colombo vu qu'ils n'arriveraient pas directement du nord du Sri Lanka était une simple supposition qu'elle ne pouvait pas valablement faire. Je constate que la SSR n'a été saisie d'aucun élément de preuve auquel l'avocat des requérants aurait pu me référer, indiquant que les Tamouls originaires du nord du Sri Lanka qui retournent à Colombo après une absence prolongée du pays sont visés par une restriction quant à la durée de leur séjour à Colombo. En l'absence d'une telle preuve, je conclus que la SSR pouvait valablement conclure que les requérants seraient autorisés à s'installer à Colombo s'ils arrivaient du Canada après une absence de plus de dix ans, entrecoupée de brèves visites.

[8]      Malgré l'argumentation compétente de l'avocat des requérants, je conclus que la décision de la SSR relative à la possibilité de refuge à Colombo du requérant principal, de sa femme et de leur jeune fils ne comporte aucune erreur susceptible d'examen judiciaire.

[9]      La SSR a reconnu que la situation des filles, âgées de dix-sept et vingt et un ans, était différente de celle de leurs parents et de leur jeune frère. Elle a écrit :

     [traduction] Le tribunal a également examiné la question de savoir si Sharmila Ponnudurai et Menaka Ponnudurai, respectivement âgées de 21 et 17 ans, appartiennent à un groupe social vulnérable. Il ressort de la preuve que les personnes les plus vulnérables sont les jeunes Tamouls de sexe masculin et féminin, particulièrement ceux qui ont récemment quitté les régions du Nord et de l'Est pour se rendre à Colombo. Compte tenu du fait que la définition est axée sur l'avenir, nous devons regarder le profil auquel les deux jeunes femmes correspondraient à leur retour au Sri Lanka, c'est-à-dire qu'elles ne seraient pas récemment arrivées du Nord une fois rentrées du Canada et seraient en mesure de prouver ce fait au moyen de documents et de leurs billets d'avion. En outre, bien qu'elles soient avant tout des jeunes Tamoules originaires du Nord, et, selon le haut-commissariat du Canada à Colombo, des adolescentes susceptibles d'être détenues en vue de contrôles d'identité, le fait qu'elles seraient à Colombo avec leurs parents et que ceux-ci pourraient les aider a amené le tribunal à conclure qu'elles n'ont pas de motifs valables de craindre d'être persécutées si elles retournaient à Colombo avec leurs parents.         

[10]      Pour parvenir à la conclusion qui vient d'être exposée, la SSR n'a tenu aucun compte de la preuve qui lui a été soumise selon laquelle lorsque les jeunes femmes ont séjourné à Colombo avec leur mère et leur jeune frère en juillet 1994, un groupe de militants tamouls a extorqué de l'argent à la famille et les jeunes femmes ont été menacées de détention par la police. Seul le versement d'un pot-de-vin leur a permis d'éviter cette détention. De plus, bien que la SSR reconnaisse que les jeunes femmes appartiennent à un groupe d'âge qui est très vulnérable à Colombo, elle paraît ne tenir aucun compte de ce risque en raison du fait que, si elles doivent retourner à Colombo, elles n'arriveraient pas directement du Nord et seraient avec leurs parents.

[11]      La SSR ne tient pas compte de la preuve documentaire qui lui a été soumise, selon laquelle les jeunes femmes qui se trouvent dans une situation semblable à celle de Sharmila et Menaka s'exposent à un danger à Colombo, celui de devenir la cible non seulement des autorités gouvernementales, qui pourraient vraisemblablement soupçonner leurs opinions politiques, mais aussi de militants tamouls désireux de tirer profit de leur récent retour au Sri Lanka après plusieurs années d'absence.

[12]      L'avocat de l'intimé ne m'a renvoyé à aucun élément de preuve parmi ceux qui ont été soumis à la SSR qui indiquerait que la présence des parents des jeunes femmes à Colombo offrirait une protection suffisante, en toutes circonstances, pour garantir qu'il n'y aurait aucune risque probable que les jeunes femmes soient victimes de persécution.

[13]      Compte tenu des remarques qui précèdent, bien que la conclusion de la SSR en ce qui concerne Sharmila et Menaka et l'existence d'une possibilité de refuge à Colombo eût vraisemblablement été justifiée si une analyse plus approfondie de l'ensemble de la preuve avait été faite, en l'absence d'une telle analyse attestant que la SSR était au courant de l'ensemble de la preuve, je conclus que la SSR a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant qu'il serait objectivement raisonnable que Sharmila et Menaka vivent à Colombo sans craindre d'être persécutées.

[14]      Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée relativement aux requérants Kailasapillai Ponnudurai, Kanagambikai Ponnudurai et Nidhyakalyan Ponnudurai. Elle serait accueillie en ce qui concerne les requérantes Sharmila et Menaka Ponnudurai. Dans le cas des deux dernières requérantes, la décision de la SSR sera annulée et l'affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci procède à une nouvelle audition et statue de nouveau sur l'affaire.

[15]      L'avocat des requérants a recommandé que trois questions soient certifiées. Je suis convaincu que les deux premières questions ne se posent pas vu la preuve qui a été soumise à la SSR en l'espèce. La troisième question, qui a été révisée dans les arguments présentés à la clôture de l'audience, ressemblerait à ceci :

     [traduction] Peut-on présumer, en l'absence d'éléments de preuve sur la façon dont sont traitées les personnes qui se trouvent dans une situation similaire, qu'un demandeur de statut qui est à l'extérieur de son pays d'origine sera traité d'une manière plus favorable s'il retourne dans son pays d'origine, en raison de son absence de ce pays, que des membres appartenant au même groupe social qui n'ont jamais quitté ce pays?         

L'avocat de l'intimé a recommandé que cette question ne soit pas certifiée à cause de son caractère général et, par conséquent, parce qu'une réponse à cette question ne serait pas forcément déterminante quant à un appel de ma décision en l'espèce. Je souscris au point de vue de l'avocat de l'intimé. Aucune question ne sera certifiée.

                                 " Frederick E. Gibson "

                                         Juge

Toronto (Ontario)

Le 12 février 1998

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

DOSSIER :                          IMM-1924-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :              KAILASAPILLAI PONNUDURAI ET AUTRES

                             - et -

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
DATE DE L'AUDIENCE :              LE 11 FÉVRIER 1998
MOTIF DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU :                      12 FÉVRIER 1998

ONT COMPARU :

                             M. Raoul S. Boulakia

                                 Pour les requérants

                             M. David Tyndale

                                 Pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

                             M. Raoul S. Boulakia

                             45, rue Saint Nicholas

                             Toronto (Ontario)
                             M4Y 1W6
                                 Pour les requérants
                             George Thomson
                             Sous-procureur général
                             du Canada
                                 Pour l'intimé

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19980211

     Dossier : IMM-1924-97

ENTRE :

     KAILASAPILLAI PONNUDURAI

     ET AUTRES,

     requérants,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. I-2.

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