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                                                                                                                                 Date : 19990521

                                                                                                                           Dossier : T-1737-98

CALGARY (Alberta), le vendredi 21 mai 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                                      ELIZABETH CHALIFOUX,

                                                                                                                                   demanderesse,

                                                                          - et -

                                             PREMIÈRE NATION DE DRIFTPILE

                                                    et THOMAS W. WAKELING,

                                                                                                                                         défendeurs.

                                                                ORDONNANCE

            Pour les motifs écrits que j'ai prononcés, j'annule la décision de l'arbitre Wakeling concernant la réintégration seulement et je lui renvoie la question pour qu'il procède à un nouvel examen en tenant compte de tous les facteurs favorables et défavorables à une réintégration, y compris une évaluation de la nature de la relation qui existe entre la demanderesse et la défenderesse en fonction du dossier dont il a été saisi.

            Comme je fais droit à la présente demande, j'adjuge les dépens à la demanderesse.

                                                                                                      « Douglas R. Campbell »       

                                                                                                                        JUGE

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.


                                                                                                                                 Date : 19990521

                                                                                                                           Dossier : T-1737-98

ENTRE :

                                                      ELIZABETH CHALIFOUX,

                                                                                                                                   demanderesse,

                                                                          - et -

                                             PREMIÈRE NATION DE DRIFTPILE

                                                    et THOMAS W. WAKELING,

                                                                                                                                         défendeurs.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

[1]         En avril 1996, Mme Chalifoux a perdu l'emploi d'enseignante qu'elle occupait depuis onze ans au sein de la première nation de Driftpile dans la réserve de Driftpile. Elle a aussitôt présenté une demande de réintégration. En août 1998, l'arbitre qui a entendu sa demande en vertu du Code canadien du travail[1] lui a accordé une indemnité pour congédiement injuste, mais a refusé d'ordonner une réintégration. La question que soulève le présent contrôle judiciaire de cette décision est de savoir si l'arbitre a commis une erreur de droit manifestement déraisonnable en refusant d'exercer le pouvoir discrétionnaire d'accorder une réintégration.

A.         Les faits

[2]         Le 19 avril 1996, la défenderesse a avisé la demanderesse que ses services d'enseignante ne seraient pas requis pour l'année scolaire 1996-1997. En attendant de connaître l'issue de sa demande de réintégration, la demanderesse a pu obtenir un autre emploi d'enseignante dans une école située dans la réserve de Whitefish pour l'année scolaire 1996-1997 et n'a, de ce fait, subi aucune baisse de salaire. Toutefois, pour occuper ce nouveau poste, la demanderesse devait parcourir 110 kilomètres matin et soir car son foyer était toujours situé dans la réserve de Driftpile. Comme cette migration journalière s'est vite révélée trop difficile, la demanderesse a loué, à Whitefish, un logement qu'elle occupait durant la semaine. Elle rentrait chez elle la fin de semaine.

[3]         Durant l'année scolaire 1997-1998, la demanderesse a enseigné à la North Country School, ce qui lui a permis de vivre avec sa famille dans la réserve de Driftpile. En tant qu'Indienne inscrite, la demanderesse n'était pas assujettie à l'impôt sur le revenu en ce qui a trait aux emplois qu'elle a exercés dans les réserves de Driftpile et de Whitefish, mais elle l'a été relativement à l'emploi qu'elle a occupé à la North Country School puisque cette école n'est pas située dans une réserve.

B.         La décision de l'arbitre

[4]         L'arbitre T. W. Wakeling a conclu que la demanderesse n'avait pas travaillé dans le cadre de contrats à durée déterminée et, partant, que la décision de la défenderesse de ne pas faire appel à ses services pour l'année scolaire 1996-1997 constituait un congédiement injuste. En conséquence, l'arbitre a exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'alinéa 242(4)b) du Code, dont voici le libellé :

242. (4) S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur:

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

c) de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

[5]         À l'évidence, le paragraphe 242(4) confère le pouvoir discrétionnaire étendu d'accorder chacune des trois mesures de redressement mentionnées, séparément ou collectivement. Dans le cas de la demanderesse, l'arbitre a exercé le pouvoir discrétionnaire dont il est investi d'accorder une indemnité et des frais au montant de 5 143,24 $. Le montant de cette indemnité et la démarche suivie par l'arbitre pour arriver à ce montant ne sont pas contestés dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

[6]         En ce qui concerne l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'accorder une réintégration, l'arbitre a déclaré :

[traduction] Je ne suis pas disposé à invoquer le pouvoir que me confère l'alinéa 242(4)b) du Code canadien du travail et à ordonner à la première nation de Driftpile de réintégrer Mme Chalifoux dans son emploi. Dans l'affaire Knopp v. Westcan Bulk Transport Ltd. 16 (22 février 1994), j'ai déclaré que « dans la plupart des cas de congédiement injuste relevant du Code, une décision calculant l'indemnité [...] [qu'un] employé [...] aurait reçue s'il avait obtenu un préavis suffisant est équitable et appropriée [...] » . Il n'y a rien dans la situation de Mme Chalifoux qui m'amène à penser que la proposition générale qui vient d'être faite ne devrait pas s'appliquer dans son cas. Elle a trouvé un nouvel emploi qui lui a procuré un revenu et elle travaille toujours. On m'a également dit que la bande devrait congédier un enseignant si elle était forcée de réintégrer Mme Chalifoux. Il s'agit d'un fait non négligeable[2].

[7]         Ainsi qu'il vient d'être mentionné, s'agissant de cette conclusion, la question à laquelle il faut répondre est la suivante : l'arbitre a-t-il commis une erreur de droit manifestement déraisonnable[3]?

C.        Analyse

[8]         La démarche qu'il convient de suivre pour exercer le pouvoir discrétionnaire d'accorder une réintégration en vertu de l'alinéa 242(4)b) du Code ne fait pas l'unanimité parmi les juges et les universitaires[4]. L'arrêt Énergie atomique du Canada c. Sheikholeslami, [1998] 3 C.F. 349 (C.A.F.), qui fait jurisprudence, fait ressortir cette divergence de vues. Au paragraphe 12 de ses motifs, le juge Marceau fait les remarques suivantes :

Les dispositions du Code canadien du travail qui concernent le congédiement injuste des employés non syndiqués ont sans doute pour effet de modifier la règle traditionnelle selon laquelle l'exécution intégrale d'un contrat d'emploi ne peut en aucun cas être exigée. Cependant, elles ne créent certainement pas un droit en faveur de l'employé injustement congédié et ne pourraient d'ailleurs aller aussi loin. Ce droit irait à l'encontre du bon sens qui constitue précisément le fondement de la règle traditionnelle. Les dispositions en question énoncent simplement que la réintégration est une réparation pouvant être accordée dans les cas opportuns. En pratique, il s'agit de la réparation que les arbitres préfèrent le plus souvent accorder pour dédommager pleinement l'employé des préjudices réels qu'il a subis par suite de son congédiement. Cependant, une simple lecture du paragraphe 242(4) du Code indique sans conteste que l'arbitre est pleinement autorisé à ordonner le paiement d'une indemnité en remplacement de la réintégration s'il estime que le lien de confiance qui existait entre les parties ne peut être rétabli. [Renvois omis.] [Non souligné dans l'original.]

Toutefois, au paragraphe 31, le juge Létourneau déclare :

Il est vrai que la réintégration n'est pas un droit, même lorsque le congédiement est jugé injuste; cependant, comme les auteurs I. Christie et al. le soulignent, une très grande prudence s'impose au moment d'invoquer l'exception à la réintégration, faute de quoi l'employé congédié injustement risque d'être pénalisé en perdant son emploi. En fait, une conclusion de congédiement injuste signifie que la relation de travail n'aurait pas dû être rompue au départ. En pareil cas, il existe nettement une présomption en faveur de la réintégration, sauf lorsque la preuve indique manifestement le contraire. [Renvois omis.] [Non souligné dans l'original.]

[9]         Bien que ces passages fassent ressortir une divergence de vues sur la question de savoir si une réintégration est envisageable en cas de congédiement injuste, ils posent tous deux, à mon sens, le principe que, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l'alinéa 242(4)b) du Code, l'arbitre doit peser le pour et le contre d'une réintégration, y compris, ainsi que le juge Marceau l'a fait remarquer, évaluer la nature de la relation entre l'employeur et l'employé au moment où la réintégration est envisagée[5].

[10]       Dans la présente espèce, la décision de l'arbitre fait ressortir le fondement de l'argumentation de la demanderesse en faveur d'une réintégration : comme la demanderesse doit accepter un poste d'enseignante en dehors de la réserve de Driftpile, elle est obligée de travailler et d'habiter dans une autre collectivité et est de ce fait séparée de sa famille qui vit encore dans la réserve de Driftpile. De plus, en tant qu'Indienne inscrite, elle est assujettie à l'impôt sur le revenu parce qu'elle a dû accepter un emploi en dehors de la réserve. L'arbitre n'a pas examiné ces considérations réelles et importantes.

[11]       Quant à la relation entre les parties, mises à part les conclusions de fait selon lesquelles l'évaluation dont la demanderesse a fait l'objet en 1996 était excellente, il n'en est nulle part question dans la décision de l'arbitre; à vrai dire, la demanderesse n'a jamais fait l'objet d'une évaluation négative en tant qu'enseignante et, malgré tout, au printemps 1996, le directeur de l'école de Driftpile n'a pas recommandé que son emploi se poursuive.

[12]       Les seules considérations que l'arbitre a directement examinées concernant la réintégration étaient que la demanderesse avait trouvé du travail ailleurs et que la défenderesse devrait congédier un enseignant si la demanderesse devait être réintégrée dans son emploi. En fait, la demanderesse soutient que cette dernière considération est dénuée de pertinence et que le simple fait qu'elle figure dans l'analyse qui a été faite rend la décision manifestement déraisonnable. Je n'accepte pas cet argument car il s'agit d'un fait qui devrait être pris en considération.

[13]       Je suis toutefois d'avis que l'analyse de l'arbitre est complètement défectueuse et est mal fondée en droit parce que, ainsi que je viens de le dire, la condition énoncée dans l'arrêt Énergie atomique du Canada c. Sheikholeslami voulant que les facteurs relatifs à une réintégration soient examinés n'a pas été remplie. De plus, comme la réintégration est un élément fondamental des mesures de redressement demandées par la demanderesse, je conclus qu'il convient de répondre par l'affirmative à la question en litige : s'abstenir de faire l'analyse requise constitue une erreur de droit manifestement déraisonnable.

[14]       Par conséquent, j'annule la décision de l'arbitre Wakeling concernant la réintégration seulement et je lui renvoie la question pour qu'il procède à un nouvel examen en tenant compte de tous les facteurs favorables et défavorables à une réintégration[6], y compris une évaluation de la nature de la relation qui existe entre la demanderesse et la défenderesse en fonction du dossier dont il a été saisi.

[15]       Comme je fais droit à la présente demande, j'adjuge les dépens à la demanderesse.

                                                                                                       « Douglas R. Campbell »       

                                                                                                                        JUGE

Calgary (Alberta)

Le 21 mai 1999

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.


                   COUR FÉDÉRALE DU CANADA

              SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                                     Date : 19990521

                                                               Dossier : T-1737-98

ENTRE :

                        ELIZABETH CHALIFOUX,

                                                                       demanderesse,

                                            - et -

               PREMIÈRE NATION DE DRIFTPILE

                      et THOMAS W. WAKELING,

                                                                             défendeurs.

                                                                       

                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                       


                                                 COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                                         T-1737-98

INTITULÉ :                                                    ELIZABETH CHALIFOUX c. PREMIÈRE NATION DE DRIFTPILE et THOMAS W. WAKELING

LIEU DE L'AUDIENCE :                              CALGARY (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 17 mai 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE CAMPBELL

EN DATE DU :                                               21 mai 1999

COMPARUTIONS :

M. Brent Gawne                                                                     pour la demanderesse

M. William Armstrong                                                            pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Brent Gawne & Associates                                                    pour la demanderesse

Edmonton (Alberta)

Laird Armstrong                                                                     pour les défendeurs

Calgary (Alberta)



     [1]            L.R.C. (1985), ch. L-2, ci-après appelé le Code.

     [2]Dossier de la demande de la demanderesse, p. 16.

     [3]            Cette norme de contrôle rigoureuse des décisions fondées sur l'article 242 du Code découle de la véritable clause privative prévue au paragraphe 242(3) et de décisions de la Cour suprême du Canada comme celle qu'a rendue le juge Sopinka dans l'arrêt Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Limited, [1993] 2 R.C.S. 316, à la p. 332 : « [L]e contrôle judiciaire [fondé sur l'article 242 du Code] se limite aux erreurs de compétence résultant d'une erreur d'interprétation d'une disposition législative limitant les pouvoirs du tribunal ou d'une erreur manifestement déraisonnable commise relativement à une question de droit qui relève par ailleurs de la compétence du tribunal [...] » .

     [4]            Par exemple, Ball dans Canadian Employment Law (Aurora (Ontario) : Canada Law Book, 1996) est d'avis que la réintégration est la norme et ne sera pas ordonnée seulement si la relation entre les parties s'est à ce point détériorée qu'elle est irréparable. Grosman a exprimé le point de vue contraire dans Federal Employment Law in Canada (Agincourt (Ontario) : Carswell, 1990), à savoir que la réintégration ne devrait être ordonnée que dans les « cas bien précis où une relation de travail viable entre les parties est réellement envisageable dans l'avenir » .

     [5]            Au cours de l'audience, l'avocat de la défenderesse a soutenu que les passages de l'arrêt Énergie atomique du Canada Ltée c. Sheikholeslami qui ont été cités se limitent aux faits de cette affaire, dans laquelle on plaidait la réintégration d'une employée qui, ainsi qu'il a été constaté, avait fait montre de malhonnêteté. Je n'accepte pas cette interprétation parce que les remarques des juges Marceau et Létourneau sont formulées en tant que déclarations de principe à caractère général.

     [6]            Au cours de l'audience, l'avocat de la défenderesse a fait valoir que l'octroi d'une indemnité est un facteur important en ce qui concerne une réintégration. Je souscris à cet argument.

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