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Date : 20191202


Dossier : IMM‑2644‑19

Référence : 2019 CF 1538

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 décembre 2019

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

ERSID BUSHATI

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Ersid Bushati, est un citoyen de l’Albanie qui a demandé le statut de réfugié, demande fondée sur des croyances politiques imputées. Sa demande d’asile a été rejetée par la Section de la protection des réfugiés (la SPR). Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR), qui a rejeté son appel.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. La conclusion de la SAR selon laquelle M. Bushati a une possibilité de refuge intérieur (PRI) en Albanie est raisonnable.

Le contexte

[3]  L’allégation relative aux croyances politiques imputées à M. Bushati découle des activités politiques de son frère, Elis. En mai 2015, Elis a été le chauffeur d’un candidat à la mairie du Parti démocrate, dans la ville de Bushat, en Albanie. Elis a commencé à recevoir des menaces par téléphone et, en juin 2015, son café a été vandalisé. Il a cessé de travailler pour le Parti; cependant, le candidat d’Elis a remporté les élections. Après la victoire du candidat, Elis a été menacé à la pointe d’une arme à feu et heurté par une voiture. Sa fille a également été menacée. En septembre 2015, Elis Bushati et sa famille sont venus au Canada et ont présenté une demande d’asile qui a été accueillie.

[4]  Le demandeur, Ersid, affirme qu’il a commencé à recevoir des menaces après le départ de son frère de l’Albanie. En décembre 2015, Ersid a reçu un appel pour lui demander où se trouvait son frère. L’auteur de l’appel lui a dit qu’en cas de refus de le lui dire, il serait tué. Il a reçu un appel similaire deux semaines plus tard. Encore une fois, l’auteur de l’appel a menacé de le tuer s’il ne révélait pas l’endroit où se trouvait son frère. Au début de janvier 2016, un homme s’est approché d’Ersid dans un café, lui a posé des questions sur son frère et lui a donné un coup de poing. Le lendemain, Ersid a tenté de fuir en Italie, mais il a été renvoyé en Albanie. Le lendemain, il est allé au Kosovo, il s’est arrangé pour obtenir un faux passeport et est allé à Barcelone avant de se rendre au Canada en janvier 2016.

[5]  En juin 2017, le père d’Ersid a été attaqué. Le pare‑brise de sa voiture a été fracassé alors qu’il conduisait, et on lui a dit qu’Ersid et son frère seraient tués s’ils revenaient.

[6]  Toutes ces menaces et tous ces incidents se sont produits à Bushat, en Albanie.

La décision de la SAR

[7]  La SAR a conclu que M. Bushati n’était ni un réfugié ni une personne à protéger, car elle a conclu qu’il avait une PRI à Gjrokaster, en Albanie. La SAR souscrivait à la conclusion de la SPR selon laquelle « il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que les agents de persécution seraient motivés à dépenser du temps, de l’énergie et des ressources » pour suivre le demandeur, et elle a jugé que cette conclusion n’était pas fondée sur des suppositions (motifs et décision de la SAR, au par. 24 [MD SAR]).

[8]  La SAR renvoie au cartable national de documentation (le CND) et affirme que, « en général, une personne qui craint des acteurs étatiques et non étatiques est vraisemblablement capable de se réinstaller dans une autre région de l’Albanie » (MD SAR, au par. 25).

Les questions en litige

[9]  M. Bushati soulève deux questions à l’égard de la décision de la SAR :

  1. La SAR s’est‑elle déraisonnablement appuyée sur une conclusion tirée par la SPR quant à la vraisemblance?

  2. La SAR a‑t‑elle mal interprété le CND?

La norme de contrôle

[10]  Les questions relatives aux PRI sont des questions mixtes de fait et de droit susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 719, au par. 9).

[11]  Le caractère raisonnable d’une décision tient « à la justification [...], à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », et la décision appartient aux issues raisonnables (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47 [Dunsmuir]).

Analyse

La SAR s’est‑elle déraisonnablement appuyée sur une conclusion tirée par la SPR quant à la vraisemblance?

[12]  M. Bushati fait valoir que la SAR a tiré une conclusion inappropriée quant à la vraisemblance concernant les motivations de ses agents de persécution. Plus précisément, il conteste la conclusion de la SAR selon laquelle « il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que les agents de persécution seraient motivés à dépenser du temps, de l’énergie et des ressources » pour le suivre.

[13]  M. Bushati fait valoir qu’il n’y a pas assez de renseignements pour déterminer que ses agents de persécution n’essaieraient pas de le retrouver dans une autre région du pays. Il soutient que des conclusions quant à la vraisemblance ne doivent être tirées que « dans les cas les plus manifestes », et que la SAR n’avait pas suffisamment d’éléments de preuve à l’appui d’une telle conclusion. M. Bushati invoque un certain nombre de décisions à l’appui de sa position, notamment : Sanchez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 665 [Sanchez]; Leung c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 774 [Leung]; Venegas Beltran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1475 [Beltran]; Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), 2001 CFPI 776 [Valtchev].

[14]  Je suis d’accord avec la position de M. Bushati selon laquelle ces affaires appuient le principe selon lequel des conclusions quant à la vraisemblance ne devraient être tirées que dans les cas les plus évidents (Valtchev, au par. 7).

[15]  Cependant, je fais remarquer que la conclusion de la SAR (et de la SPR) était fondée sur les éléments de preuve particuliers relatifs à la situation de M. Bushati. La SAR souligne que les agents de persécution qui s’intéressent à M. Bushati avaient des liens avec les élections locales. La SAR a fait remarquer que l’Albanie était gouvernée par des unités gouvernementales locales autonomes (MD SAR, au par. 29). La SAR a également fait remarquer que tous les incidents impliquant M. Bushati et sa famille se sont produits à l’échelle locale, soit à Bushat. Dans Sanchez, la Cour a souligné (au par. 5) que les agents de persécution avaient « des ramifications dans l’ensemble du pays ». Dans le cas de M. Bushati, il n’y a aucun élément de preuve pour démontrer que les agents de persécution ont des ramifications dans l’ensemble du pays.

[16]  Par conséquent, la conclusion de la SAR concernant les motivations des agents de persécution est raisonnable. La SAR a fait remarquer que les intérêts des agents étaient spécifiques au gouvernement local à Bushat. De même, il n’y avait aucun élément de preuve pour établir que les agents de persécution avaient des ramifications dans l’ensemble du pays ou qu’ils seraient en mesure de suivre M. Bushati dans une autre région de l’Albanie. Enfin, la SAR précise qu’elle s’appuie sur l’information du CND fournie par M. Bushati pour tirer sa conclusion selon laquelle la menace était localisée et de nature limitée (MD SAR, aux par. 26, 30 et 31).

[17]  Par conséquent, la conclusion de la SAR au sujet de cette question n’est pas fondée sur une conclusion déraisonnable quant à la vraisemblance, mais plutôt sur les circonstances et la preuve. La conclusion de la SAR au sujet de cette question est donc raisonnable.

La SAR a‑t‑elle mal interprété le CND?

[18]  M. Bushati fait valoir que la SAR a mal formulé l’information contenue dans le CND lorsqu’elle a déclaré que, « en général, une personne qui craint des acteurs étatiques et non étatiques est vraisemblablement capable de se réinstaller dans une autre région de l’Albanie ». M. Bushati fait remarquer que, dans le document du CND, il y est affirmé qu’une personne peut généralement déménager à l’intérieur de son propre pays si elle craint des acteurs non étatiques ou des acteurs étatiques véreux. Il fait valoir qu’il craint des acteurs étatiques qui sont en fait des groupes criminels engagés par le parti politique au pouvoir. Il fait valoir qu’ils sont des agents de l’État.

[19]  Bien qu’il semble que la SAR ait mal formulé cette information tirée du CND, à mon avis, rien ne permet de conclure à une mauvaise interprétation de l’information. Bien que M. Bushati ait raison de dire que les acteurs qui suivent des directives de l’État ne sont ni des acteurs « véreux » ni des acteurs « non étatiques », parce qu’ils font ce que l’État leur demande de faire, le défi auquel il fait face est que la preuve n’établit pas qu’il est exposé à un risque au niveau national en Albanie. Rien ne prouve que les acteurs locaux aient l’influence nationale nécessaire pour l’atteindre à Gjrokaster. La SAR a conclu que ses agents de persécution ne s’intéressent pas suffisamment à lui pour le retrouver dans une autre région de l’Albanie. Dans des circonstances différentes, l’erreur aurait pu rendre la décision déraisonnable, mais du fait de la conclusion relative à la nature locale de ses agents de persécution, cela ne rend pas la décision de la SAR déraisonnable.

[20]  Dans l’ensemble, la décision de la SAR est raisonnable, et aucun motif ne justifie l’intervention de la Cour.

[21]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑2644‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 11e jour de décembre 2019

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2644‑19

INTITULÉ :

ERSID BUSHATI c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 octobre 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 2 DÉCEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Lobat Sadrehashemi

POUR LE DEMANDEUR

Edward Burnet

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Embarkation Law Corporation

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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