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Date : 20000816


Dossier : IMM-3777-99



ENTRE :

     PAUL ILUNGA KASONGA

BÉATRICE ILUNGA KASONGA

IRENE ILUNGA NGONDO

NTUMBA ILUNGA

KASONGO ILUNGA

KAYINDA ILUNGA

     Demandeurs


     ET



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     Défendeur






     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE BLAIS:


[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut en date du 12 juillet 1999 dans laquelle la Section a conclu que les demandeurs n"étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

FAITS

[2]      Les demandeurs sont citoyens de la République démocratique du Congo.

[3]      Le demandeur principal Paul Ilunga-Kasonga, était commerçant de diamants. Il était également membre de l"Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) et contribuait financièrement au parti.

[4]      Il allègue avoir été enlevé dans la nuit du 28 février 1993 au 1er mars 1993 par des militaires qui voulaient lui extorquer de l"argent. En 1997, il aurait été convoqué par l"ANR et détenu pendant seize heures pour se faire reprocher ses activités politiques.

[5]      Une réunion prévue suite à l"arrestation de M. Tshisékédi à laquelle devait assister le demandeur fut annulée le 24 février 1998 en raison de la présence d"individus suspects à l"endroit convenu. La nuit même vers les vingt-trois heures, la maison familiale fut investie par des assaillants furieux, à la recherche du demandeur. N"ayant pas trouvé le demandeur, ils maltraitèrent sa femme, la demanderesse Béatrice Ilunga-Kasonga, qu"ils laissèrent pour morte. Après trois jours d"hospitalisation, celle-ci gagna Brazzaville avec les enfants, sans nouvelles de son mari, qui de son côté s"était réfugié en Angola.

[6]      La demanderesse et ses quatre enfants mineurs sont arrivés au Canada le 26 juillet 1998, où ils revendiquèrent le statut de réfugié le même jour. Le demandeur est arrivé au Canada le 13 septembre 1998, où lui aussi revendiqua le statut de réfugié deux jours plus tard.

[7]      Le demandeur a participé à la conférence pour la paix durable en RDC tenue à Montréal en février 1999 et par conséquent, revendiqua le statut de réfugié sur place.

DÉCISION

[8]      La Section n"a pas cru que les demandeurs avaient une crainte bien fondée de persécution en RDC en raison de leurs opinions politiques, dans le cas des parents, ou en raison de leur appartenance à un groupe social particulier (la famille) dans le cas des enfants.

[9]      La Section a noté des incohérences, des omissions, des divergences, des invraisemblances et des contradictions tout au long des témoignages des demandeurs et qui sont demeurés sans explications satisfaisantes.

[10]      La Section nota que l"événement ayant précipité la fuite du demandeur a eu lieu le 24 février 1998 alors que les deux lettres de l"UDPS (pièces P-15 et P-17-a) émises le 13 février 1998, évoquaient déjà "le départ du demandeur en raison de circonstances dramatiques@.

[11]      La Section a remarqué que les pièces P-22 et P-23 de la demanderesse sont les équivalentes de P-15 et P-17-a, sauf qu"elles sont datées du 27 et 28 février 1998.

[12]      La Section avait des doutes quant aux pièces soumises (P-15, P-17-b, du demandeur et P-22 et P-23 de la demanderesse). Elle a noté que toutes les pièces étaient signées par la même personne, M. Kimpakala.

[13]      La Section n"était pas en mesure de réconcilier le fait que les demandeurs allèguent avoir eu l"intention de venir au Canada suite à leur arrivée à Brazzaville, alors que les lettres recommandant au représentant du l"UDPS/Canada de leur faire bénéficier du statut de réfugié, datées antérieurement se trouvaient en leur possession. Confronté à toutes ces questions, le demandeur prétendit qu"il avait commencé les préparations pour venir au Canada dès le lendemain de l"arrestation de M. Tshisékédi. La Section n"a pas retenu cette explication parce qu"elle n"était pas mentionnée dans le FRP d"une part et d"autre part, parce que cette réponse ne concordait pas avec la teneur des pièces P-15 et P-17a; cette dernière indique qu"il a dû quitter précipitamment le pays à la suite des menaces de la milice du dictateur au pouvoir dont il a été l"objet.

[14]      La Section a noté les explications du demandeur qui s"est mépris quant à la date d"arrestation, puisqu"elle eut lieu la nuit du 12 février 1998 et non le 13, tel qu"indiqué dans le FRP. Elle avait cependant de la difficulté à comprendre pourquoi neuf mois plus tard, le demandeur indique toujours le 13 au lieu du 12, alors que la preuve documentaire établit clairement que l"arrestation fut le 12 février 1998.

[15]      La Section n"a pas compris la pertinence de la décision de quitter la RDC alors que le demandeur n"était que membre d"honneur de l"UDPS à cause de l"aide financière qu"il apportait au parti. Il n"avait aucun rôle particulier au sein du parti et ne participait pas aux manifestations. Il n"assistait qu"à une dizaine de réunions par année. La Section a noté que les principaux dirigeants de l"UDPS étaient toujours en liberté.

[16]      La Section a noté que le demandeur a modifié les détails de son enlèvement. Il affirme d"abord avoir été enlevé dans la nuit du 28 février au 1er mars 1993, mais par la suite, il témoigna qu"on lui avait extorqué de l"argent le 28 février 1993 et qu"une deuxième fois, dans la nuit du 1er au 2 mai 1993, des militaires l"auraient amené dans un cimetière pour y être exécuté, et que finalement on l"aurait libéré et on lui aurait suggéré de quitter le pays.

[17]      Il aurait par la suite vendu sa parcelle à Nbinza et aurait déménagé dans un autre quartier plus populaire.

[18]      La Section a trouvé incohérent que le demandeur change de quartier suite à une menace personnelle et directe d"exécution en mai 1993, mais aurait fui le pays après l"arrestation de Tshisékédi, en février 1998. La Section a rejeté son explication qu"il était facile d"acheter les militaires au temps de Mobutu.

[19]      La Section a noté que le demandeur a offert trois versions distinctes quant à la vente de la parcelle à Nbinza. Il indiqua en premier lieu, qu"elle fut vendue en 1998, pour ensuite rétracter cette affirmation et indiquer qu"elle fut vendue en 1993. Lors de son témoignage, il déclara qu"elle fut vendue en 1993. Quand le tribunal lui fit remarquer qu"il avait indiqué 1993 auparavant, il déclara qu"il s"était trompé et qu"en fait, la parcelle fut vendue en 1994 et que les incidents avec les militaires étaient également survenus en 1994.

[20]      La Section était d"avis que le demandeur ajustait son témoignage au fil de l"audience.

[21]      La Section du statut a conclu que le demandeur était toujours à Kinshasa le 11 juin 1998, quand il demanda les actes de naissances de ses jumeaux, contrairement à son témoignage, qu"il aurait quitté le pays le 28 février 1998.

[22]      La Section a soulevé d"autres contradictions: La demanderesse a indiqué que son époux a fui le 1er janvier 1998 en contradiction flagrante avec les témoignages, écrit et oral.

[23]      Elle a indiqué qu"elle avait fui en raison du massacre et de l"arrestation des combattants de l"UDPS, après l"arrestation et la relégation de Tshisékédi. Elle ne mentionne nulle part qu"elle avait été maltraitée et laissée pour morte. Confrontée à ces divergences majeures, elle expliqua qu"elle n"avait pas compris la question parce que les enfants pleuraient et elle n"avait pas les services d"un interprète. La Section n"a pas cru les explications justifiant les divergences flagrantes.

[24]      La Section s'appuyant sur l'arrêt Sheikh c. M.E.I., [1990] 3 C.F. 238, conclut que les demandeurs n'étaient pas crédible.

[25]      La Section a ensuite examiné si le fait de participer à la Conférence pour la paix durable en RDC justifiait une crainte de persécution en cas de retour. Elle a conclu que le demandeur n"avait qu"un rôle de figurant.

[26]      La Section a examiné les articles de journaux ayant trait à des détentions suite à la participation à la Conférence. Elle était d"avis cependant que les articles traitaient des leaders d"opinions en RDC et non de simples participants.

[27]      La Section du statut a conclu que les demandeurs n"étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.



LES PRÉTENTIONS DES DEMANDEURS

[28]      Les demandeurs prétendent que la conclusion de non crédibilité est non fondée en droit. Ils allèguent que le fait que les lettres aient été signées par la même personne ne justifie pas une conclusion de non crédibilité. Par ailleurs, les demandeurs indiquent qu'ils ont attiré l'attention de la Section sur le fait qu'ils cherchaient à quitter la RDC, suite à l'arrestation de M. Tshisékédi, le 12 février 1998.

[29]      Les demandeurs allèguent que la Section a commis une erreur de fait en se trompant quant à l'élément déclencheur de la fuite. Le demandeur a clairement indiqué lors de son témoignage qu'il comptait partir suite à l'arrestation et non pas à la venue des personnes suspectes à son domicile. Il indique dans son argumentation qu'il n'avait pas tout inclus dans son FRP puisqu'il comptait le faire lors de l'audience.

[30]      Les demandeurs soumettent que la Section a erré en accordant une telle importance à la date effective de l'arrestation et que l'explication du demandeur principal était raisonnable.

[31]      Les demandeurs allèguent que la Section a interprété et apprécié les faits antérieurs à l'arrestation de façon déraisonnable ce qui affectait la crédibilité du demandeur principal.

[32]      Les demandeurs prétendent que la Section a commis une erreur grave d'appréciation du témoignage du demandeur, quant à la vente de la parcelle de terre à Nbinza.

[33]      Le demandeur en répondant à la question de son procureur a dit une première fois qu'il avait vendu une parcelle à Nbinza sans dire en quelle année. Il a mentionné la parcelle une deuxième fois en indiquant qu'elle a été vendue en 1993. Or, il a fait une erreur, c'était en 1994 qu'elle fut vendue. Le demandeur principal allègue qu'il ne s'agit pas de trois versions différentes, mais d'une erreur de fait de sa part.

[34]      Les demandeurs soumettent que la Section a erré en concluant que le demandeur principal était toujours à Kinshasa en juin 1998. Ils allèguent que la Section utilise un élément non pertinent soit l'inscription du nom du demandeur sur lesdites attestations dans l'appréciation de la crédibilité du demandeur. Or, le demandeur n'a signé nulle part.

[35]      Finalement, les demandeurs allèguent que la Section a commis une erreur en droit quant à la notion de réfugié sur place.

LES PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[36]      Le défendeur soutient que la décision de la Section du statut est bien fondée en faits et en droit. D'ailleurs, la décision est bien motivée et relève d'une étude approfondie et exhaustive de la preuve présentée au tribunal.

[37]      Le défendeur fait valoir que certaines conclusions de faits, tels les événements entourant les visites antérieures des militaires, contenaient de multiples contradictions qui ne sont pourtant pas contestées par les demandeurs.

[38]      Le défendeur soumet que la Section avait des raisons valables de douter de la véracité des témoignages et de leur crédibilité et elle n'avait pas à appliquer la théorie du bénéfice du doute ou la présomption de véracité des témoignages.

[39]      Le défendeur souligne que les interprétations de faits suggérées par les demandeurs sont peut-être raisonnables, mais elles ne démontrent pas que les conclusions de la Section du statut sont déraisonnables quant à la crédibilité.

[40]      Le défendeur soumet qu'un simple regard pour comparer les sceaux officiels des actes de naissances des pages 23 et 24 du dossier des demandeurs démontre qu'ils étaient faits à la main, le tout confirmant ainsi la conclusion générale du manque de crédibilité des demandeurs.

[41]     

Quant à la question de réfugié sur place, le défendeur soumet que la Section a conclu qu'il n'était qu'un simple figurant. Il note que le demandeur s'est contredit quant aux arrestations suite à la participation à ces conférences pour finalement admettre que les personnes arrêtées étaient deux leaders d'opinion et non pas de simples participants.

[42]      Le défendeur soumet que même si les demandeurs démontraient que l'une des conclusions de faits n'est pas bien fondée, ce que le défendeur conteste en tous points, il n'en reste pas moins que la décision du tribunal contient suffisamment d'éléments pour soutenir le rejet de la revendication sur une question de manque de crédibilité.



ANALYSE

La Section du statut a-t-elle erré en refusant d"octroyer le statut de réfugié aux demandeurs?

[43]      La Cour d"appel fédérale a expliqué dans l"arrêt Aguebor c. M.C.I. (1993), 160 N.R. 315:

     Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

[44]      Cette Cour a indiqué dans l"arrêt Boye c. Canada (M.E.I.), (13 septembre 1994) A-1-93 (C.F.1re inst.) que la crédibilité d"un revendicateur relève de la compétence de la Section du statut:

     La jurisprudence a établi la norme de contrôle applicable aux affaires de cette nature. Tout d'abord, les questions de crédibilité et de poids de la preuve relèvent de la compétence de la section du statut de réfugié en sa qualité de juge des faits en ce qui concerne les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention. Lorsque la conclusion du tribunal qui est contestée porte sur la crédibilité d'un témoin, la Cour hésite à la modifier, étant donné la possibilité et la capacité qu'a le tribunal de juger le témoin, son comportement, sa franchise, la spontanéité avec laquelle il répond, et la cohérence et l'uniformité des témoignages oraux.

[45]      La raison qui a entraîné les demandeurs à prendre la fuite est primordiale pour expliquer leur crainte de persécution. Le demandeur a indiqué dans son FRP qu"il a décidé de quitter le pays avant l"arrestation. Devant le tribunal, il indiqua tantôt qu"il a fui suite à l'arrestation de M. Tshisékédi, tantôt suite à la visite des personnes suspectes chez lui. En guise d"appui, il a soumis des lettres qui pré-datent sa fuite et qui font référence au départ des demandeurs. Ce ne sont pas des raisons conciliables l"une à l"autre. Je ne peux accepter l"argument des demandeurs suggérant qu"ils n"avaient pas à mentionner dans le FRP toutes les pièces qu"ils entendaient soumettre. Les éléments majeurs de l"histoire du demandeur, telle les raisons qui l"ont poussé à fuir, doivent être révélés dès l"entrée au Canada.

[46]      La Section a indiqué deux raisons pour lesquelles elle a rejeté les explications du demandeur principal justifiant les lettres pré-datées, et je ne suis pas convaincu que la conclusion était déraisonnable.

[47]      La demanderesse principale n'a même pas mentionné lors de son arrivée qu'elle avait été attaquée et prise pour morte. Elle a plutôt cité le massacre et l'arrestation des membres de l"UDPS. La Section avait le droit de conclure qu'il s'agit d'une contradiction, d'autant plus que les demandeurs ne contestent pas ce point.

[48]      De plus, le demandeur principal ne conteste pas la conclusion de la Section qu"il n'était qu'un simple membre et qu"il n"est pas crédible, qu'il soit l'objet de la persécution alors que d'autres membres plus importants encore que lui, demeurent en RDC.

[49]      Le demandeur principal ne conteste pas non plus la conclusion de non crédibilité quant aux visites antérieures des militaires.

[50]      Le demandeur a mentionné la vente de parcelle de terre à trois différentes reprises, la Section a tiré une conclusion adverse, concluant que le demandeur ajustait son témoignage au fur et à mesure. En tant que juge des faits, la crédibilité des demandeurs relève de sa compétence.

[51]      La Section d"appel après avoir examiné les actes de naissances soumis par les demandeurs a conclu que le demandeur principal était toujours à Kinshasa, alors qu"il prétendait être ailleurs.

[52]      Compte tenu de la conclusion de non crédibilité quant aux éléments principaux de la crainte, la Section s"est basée sur l"arrêt Sheik c. M.E.I., [1990] 3 C.F. 238, où la Cour d"appel fédérale a conclu:

     J'ajouterais qu'à mon sens, même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le premier palier d'audience peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication sur lequel le second palier d'audience pourrait se fonder pour y faire droit. En d'autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s'étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage. Naturellement, puisque le demandeur doit établir qu'il réunit tous les éléments de la définition de l'expression réfugié au sens de la Convention, la conclusion du premier palier d'audience que sa revendication ne possède pas un minimum de fondement est suffisante.

[53]      Les demandeurs ne m"ont pas démontré que la Section de statut a erré.

[54]      Quant à la conclusion de la Section qu"il n"était pas réfugié sur place, les personnes arrêtées parce qu"elles ont participé à une conférence étaient des leaders d"opinions. Le demandeur n"était qu"un simple participant. Ce sont des conclusions de faits qui relèvent de la compétence de la Section du statut et cette Cour n"interviendra pas à moins qu"elles ne soient déraisonnables, ce qui n"est pas, à mon avis, le cas ici.

[55]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[56]      Les parties n"ont soumis aucune question pour certification.

                            

                     Pierre Blais                      Juge

OTTAWA, ONTARIO

Le 16 août 2000

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