Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20191129


Dossier : IMM-3368-19

Référence : 2019 CF 1533

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 novembre 2019

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

EHIKIOYA IMOEHI OMOIJIADE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Ehikioya Imoehi Omoijiade (M. Omoijiade), sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 24 avril 2019. La SPR a rejeté la demande d’asile de M. Omoijiade au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], et a conclu que sa demande d’asile était manifestement infondée conformément à l’article 107.1 de la Loi.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

I.  Contexte

[3]  M. Omoijiade est citoyen du Nigéria. Il allègue qu’il est bisexuel et qu’il serait exposé à la persécution en raison de son orientation sexuelle différente s’il était renvoyé au Nigéria.

[4]  M. Omoijiade raconte qu’il a eu des expériences sexuelles avec des hommes et des femmes au Nigéria, et qu’il a été agressé sexuellement par un enseignant à l’âge de 9 ans.

[5]  M. Omoijiade déclare qu’un groupe de justiciers locaux l’a trouvé le 27 mai 2017 avec un ami, Kayode, alors qu’ils étaient en train d’avoir des rapports sexuels dans un motel de l’État d’Edo, au Nigéria. M. Omoijiade relate que le groupe l’a battu ainsi que Kayode, puis a appelé la police. Un policier a toutefois reconnu M. Omoijiade et l’a libéré ainsi que Kayode. Ce policier a plus tard rapporté que les deux hommes avaient réussi à le maîtriser et s’étaient enfuis.

[6]  M. Omoijiade allègue que plusieurs jours après l’incident, la police nigériane a tenté d’arrêter son père pour le pousser à révéler où il se trouvait. Il prétend que son père a réussi à éviter l’arrestation et la détention en raison de ses relations au sein du gouvernement.

[7]  Le 7 juin 2017, M. Omoijiade s’est rendu aux États‑Unis, muni d’un visa valide obtenu pour assister à une conférence internationale du Club Rotary. Il raconte qu’il avait l’intention de retourner au Nigéria quelques mois plus tard, une fois que les rumeurs à son sujet et au sujet de Kayode se seraient estompées.

[8]  M. Omoijiade déclare aussi que, le 13 octobre 2017, le journal Nigerian Observer a publié un article qui indiquait que la police était à sa recherche parce qu’il avait commis des actes criminels homosexuels avec Kayode. À peu près au même moment, M. Omoijiade affirme qu’un inconnu, prétendant être un ami, a rendu visite à son épouse au Nigéria pour le trouver.

[9]  L’épouse de M. Omoijiade a rejoint ce dernier aux États‑Unis en octobre 2017, également munie d’un visa obtenu pour assister à la conférence du Club Rotary, conférence qui avait déjà eu lieu en juin 2017. M. Omoijiade affirme que son épouse a quitté le Nigéria à cause de problèmes qu’elle a eus avec sa famille à lui. Il semble que M. Omoijiade ait parlé de l’article à son épouse après l’arrivée de cette dernière aux États‑Unis. M. Omoijiade a déclaré que son épouse et lui n’avaient pas présenté de demande d’asile aux États‑Unis parce qu’ils craignaient qu’elle soit rejetée et qu’ils avaient décidé de venir au Canada.

[10]  Le 30 octobre 2017, M. Omoijiade et son épouse sont entrés au Canada et ont demandé l’asile.

[11]  La SPR a tenu la première audience relative à la demande d’asile conjointe de M. Omoijiade et de son épouse le 9 novembre 2018. À l’audience, M. Omoijiade, en l’absence de son épouse, a révélé qu’il avait des rapports sexuels occasionnels avec un homme à Ottawa. Ces renseignements n’avaient pas été indiqués dans son formulaire Fondement de la demande d’asile [formulaire FDA] ni dans une mise à jour de ce document.

[12]  Le conseil de M. Omoijiade s’est dit surpris de cette nouvelle révélation et a indiqué qu’il ne pouvait pas continuer de représenter le couple étant donné que l’épouse de M. Omoijiade n’était pas au courant de la relation de ce dernier avec l’homme d’Ottawa et que le conseil devrait l’en informer.

[13]  La SPR a ensuite séparé la demande d’asile de M. Omoijiade de celle de son épouse, et a ajourné l’audience pour permettre à M. Omoijiade de retenir les services d’un nouveau conseil.

[14]  Le 25 janvier 2019, la SPR (le même commissaire) a instruit la demande d’asile de M. Omoijiade.

[15]  Le 1er mars 2019, la SPR a communiqué à M. Omoijiade une enquête sur le pays d’origine, soit le rapport du Bureau européen d’appui en matière d’asile [rapport du BEAA], qui faisait partie du cartable de documentation nationale. (Le rapport traite des origines du Nigerian Observer, de ses propriétaires, de sa large diffusion et de certains défis actuels.) M. Omoijiade a transmis ses commentaires à la SPR dans une lettre datée du 12 mars 2019.

[16]  Le 24 avril 2019, en application de l’article 107.1 de la Loi, la SPR a rejeté la demande d’asile de M. Omoijiade au motif qu’elle était manifestement infondée. Comme le prévoit le paragraphe 110(2) de la Loi, cette conclusion a empêché M. Omoijiade d’interjeter appel de la décision devant la SAR.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[17]  La SPR a rejeté la demande d’asile de M. Omoijiade au motif qu’il manquait, de façon générale, de crédibilité et que sa demande d’asile était frauduleuse. La SPR a mis l’accent sur l’article de journal, dans ses versions en ligne et papier, et sur la relation que M. Omoijiade entretiendrait avec un homme à Ottawa.

[18]  La SPR a tiré plusieurs conclusions défavorables au sujet de l’article publié dans le Nigerian Observer. Elle n’a pas été en mesure de trouver l’article en ligne sur le site Web du journal, malgré l’allégation de M. Omoijiade selon laquelle il avait trouvé l’article en ligne. M. Omoijiade a proposé deux explications possibles : l’article pourrait avoir expiré, ou le site Web ne publiait que des articles figurant à la première page de la version papier. La SPR n’a rien trouvé qui donnait à croire que les articles expiraient. La SPR a également conclu que l’explication de M. Omoijiade au sujet de la première page n’avait aucun sens puisqu’il a prétendu avoir trouvé l’article en ligne, même s’il ne s’agissait pas d’un article publié en première page.

[19]  En ce qui concerne la version papier de l’article, c’est-à-dire la copie papier du journal, la SPR a constaté que la page 5, qui contenait l’article en question, était incluse trois fois, que les pages 11 et 12 étaient vierges, et que les images dans l’ensemble du journal étaient fortement pixélisées ou déformées numériquement. La SPR a conclu que ces défauts, pris ensemble, soulevaient de sérieux doutes quant à l’authenticité de l’article. La SPR a souligné que M. Omoijiade a présenté l’article afin de prouver qu’il figure sur une liste de recherche policière hautement prioritaire au Nigéria en raison de son orientation sexuelle, ce qui l’a amené à fuir le pays.

[20]  La SPR n’a pas accepté l’explication de M. Omoijiade selon laquelle les journaux nigérians présentaient souvent des défauts de formatage et des erreurs de typographie. La SPR a tenu compte du rapport du BEAA, qui indique que le Nigerian Observer connaît des problèmes tant sur le plan technique que sur le plan de la dotation. La SPR n’a pas été convaincue que ces problèmes expliquaient les défauts. Elle a également souligné que, d’après des renseignements relatifs aux conditions dans le pays, les documents frauduleux sont répandus au Nigéria.

[21]  La SPR a fait remarquer que lorsqu’elle a demandé comment M. Omoijiade avait obtenu la copie papier du journal, son conseil a répondu qu’une personne au Nigéria lui avait envoyé le journal directement, et que M. Omoijiade ne l’avait reçu qu’après la présentation de ses observations à la SPR.

[22]  La SPR a conclu que l’article était frauduleux en raison du fait qu’elle n’a pas été en mesure de retrouver l’article en ligne et des nombreux défauts contenus dans la version papier. Selon la SPR, cette conclusion minait la crédibilité de M. Omoijiade quant à ses principales allégations concernant son orientation sexuelle et sa motivation à quitter le Nigéria.

[23]  La SPR n’a pas cru que M. Omoijiade avait des rapports sexuels occasionnels avec un homme à Ottawa. À la première audience, la SPR lui a suggéré d’appeler par téléphone l’homme d’Ottawa, mais a finalement estimé que ce ne serait pas approprié, car cela pourrait amener cet homme à révéler son orientation sexuelle, ce qui pourrait avoir des conséquences pour lui.

[24]  La SPR a indiqué que, comme l’orientation sexuelle de M. Omoijiade et ses contacts avec d’autres hommes étaient au cœur de sa demande d’asile, rien ne l’empêchait de poser des questions sur la relation. Elle l’a fait aux deux audiences. La SPR a souligné que le témoignage de M. Omoijiade au sujet de ses contacts avec l’homme d’Ottawa était vague, qu’il avait omis de mentionner la relation dans son formulaire FDA, qu’il n’avait pas mis à jour le formulaire, et qu’il n’avait pas demandé à cet homme de comparaître à titre de témoin ni fourni de lettre de lui. La SPR a jugé que ces conclusions, prises ensemble, minaient la crédibilité des allégations de M. Omoijiade concernant sa relation.

[25]  La SPR a accordé peu de poids à la lettre écrite par le père de M. Omoijiade, notant qu’elle répétait en grande partie les mêmes renseignements que ceux figurant dans le formulaire FDA de M. Omoijiade.

[26]  En ce qui concerne la demande d’asile sur place, la SPR a accordé peu de poids à une vidéo sur YouTube montrant M. Omoijiade qui assistait à un événement LGBT au Canada. La SPR a noté que M. Omoijiade n’était pas facilement identifiable dans la vidéo et que la vidéo ne présentait donc aucun risque supplémentaire qu’il soit identifié et persécuté par le gouvernement nigérian. La SPR a ajouté qu’il n’y avait aucune preuve à l’appui de l’affirmation selon laquelle le gouvernement nigérian surveille les défilés de la fierté gaie qui ont lieu à l’étranger.

[27]  La SPR a conclu que M. Omoijiade n’était, de façon générale, pas crédible. La SPR n’a pas cru, selon la prépondérance des probabilités, qu’il entretenait une relation avec Kayode au Nigéria ni avec un homme à Ottawa, ni qu’il avait une orientation sexuelle différente. La SPR n’a pas cru que les autorités nigérianes étaient à la recherche de M. Omoijiade ou qu’il serait persécuté en raison de son orientation sexuelle réelle ou perçue.

[28]  La SPR a également conclu que M. Omoijiade a tenté de tromper et d’induire la Commission en erreur en présentant en preuve un article de journal manifestement frauduleux pour tenter d’obtenir l’asile. La SPR a souligné que les versions en ligne et papier de l’article de journal frauduleux avaient été présentées pour tenter de démontrer l’orientation sexuelle du demandeur, le fait qu’il était recherché par les autorités nigérianes et le risque auquel il serait exposé. La SPR a conclu conformément à l’article 107.1 de la LIPR que la demande d’asile de M. Omoijiade était clairement frauduleuse et manifestement infondée.

III.  La question en litige et la norme de contrôle

[29]  La question est de savoir si la décision de la SPR selon laquelle la demande d’asile de M. Omoijiade est frauduleuse et manifestement infondée est raisonnable.

[30]  La norme de contrôle applicable aux questions mixtes de fait et de droit, dont les questions de crédibilité et les conclusions selon lesquelles une demande d’asile est manifestement infondée, est celle du caractère raisonnable (Warsame c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 596, par. 25 et 26, 267 ACWS (3d) 918 [Warsame]; Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 58, par. 14, 301 ACWS (3d) 825).

[31]  Pour déterminer si une décision est raisonnable, la Cour s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et examine « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au par. 47). Il faut faire preuve de déférence à l’égard du décideur et la Cour ne doit pas apprécier la preuve de nouveau.

[32]  Mentionnons, outre les principes généraux concernant l’évaluation du caractère raisonnable, qu’il est bien établi que les commissions et tribunaux comme la SPR jouissent d’une position idéale pour apprécier la crédibilité (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (QL), par. 4, 160 NR 315 [CAF]; Mavangou c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 177, par. 11, 302 ACWS (3d) 823), et qu’il faut faire preuve d’une grande retenue à l’égard de leurs conclusions sur la crédibilité (Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, par. 13, [2008] ACF no 1329 (QL); Fatih c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 857, par. 65, 415 FTR 82; Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, par. 7, 228 FTR 43).

IV.  Observations du demandeur

[33]  M. Omoijiade soutient que la SPR a conclu de façon déraisonnable que l’article de journal était frauduleux. Il ajoute que même si la responsabilité ne lui incombait pas d’expliquer les défauts contenus dans le journal, il avait quand même fourni des explications raisonnables au sujet des problèmes que présentent les versions en ligne et papier de l’article.

[34]  M. Omoijiade affirme que l’analyse de l’article de journal par la SPR est trop minutieuse. Selon lui, il est plausible que la version papier de l’article présente quelques défauts, particulièrement à la lumière du rapport du BEAA décrivant les problèmes relatifs à l’équipement désuet et à la dotation qu’éprouve le Nigerian Observer. De même, il est plausible que l’article en ligne ait expiré ou que le site Web ne publie que des articles de première page.

[35]  M. Omoijiade fait valoir que la SPR n’a pas été en mesure de trouver l’article en ligne au moyen du moteur de recherche du site Web, mais que ce site ne garantit pas la qualité de son service de recherche. M. Omoijiade note que selon le rapport du BEAA, la fonction de recherche du site Web ne fonctionnait pas au moment de la publication du rapport. Il ajoute que la SPR a conclu que la vidéo sur YouTube pouvait expirer, et qu’il pourrait en être de même pour la version en ligne du journal.

[36]  M. Omoijiade soutient que la SPR a émis l’hypothèse que l’article était frauduleux simplement parce que d’autres articles de la même édition de journal pouvaient être consultés en ligne.

[37]  M. Omoijiade fait valoir que la conclusion défavorable tirée par la SPR en matière de crédibilité concernant sa relation avec l’homme d’Ottawa était déraisonnable parce que la SPR n’a pas tenu compte de ses explications. Il a expliqué qu’il n’a pas divulgué cette relation dans son formulaire FDA parce qu’il ne voulait pas que son épouse en soit informée, étant donné qu’ils tentaient de rétablir leur relation à la suite de la révélation du demandeur au sujet de son orientation sexuelle. M. Omoijiade a également expliqué qu’il ne croyait pas que ses rapports occasionnels avec l’homme d’Ottawa étaient importants et qu’il ne les a mentionnés qu’en réponse à la question de la SPR, qui voulait savoir s’il avait eu des rapports homosexuels au Canada.

[38]  M. Omoijiade soutient que ses explications n’ont été contredites par aucun autre élément de preuve et qu’elles ont été corroborées par le témoignage de son épouse selon lequel leur relation était tendue depuis qu’elle a appris son orientation sexuelle.

[39]  M. Omoijiade affirme également que son témoignage au sujet de l’homme d’Ottawa n’était pas vague, car il a décrit l’apparence physique de cet homme, son âge, son emploi, son statut au Canada et son lieu d’origine au Nigéria.

[40]  M. Omoijiade soutient que la SPR doit satisfaire à une norme élevée pour conclure que la demande d’asile était manifestement infondée en raison des conséquences d’une telle conclusion. Il souligne que cette conclusion l’empêche d’interjeter appel auprès de la SAR, ce qui, entre autres choses, lui aurait permis de présenter de nouveaux éléments de preuve.

[41]  M. Omoijiade soutient que la conclusion de la SPR selon laquelle sa demande d’asile est manifestement infondée ne satisfait pas à la norme élevée, qui exige qu’il y ait un élément de tromperie délibérée à l’égard d’une question qui se situe au cœur de la demande d’asile. À ses dires, rien ne démontre qu’il a lui-même créé l’article de presse ou qu’il a autrement tenté de tromper la SPR (He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 2, par. 21, 301 ACWS (3d) 146 [He]; Warsame, par. 31).

[42]  M. Omoijiade ajoute que la conclusion de la SPR ne repose pas sur une analyse de l’ensemble de la preuve. La SPR n’a pas tenu compte des autres éléments de preuve concernant l’orientation sexuelle de M. Omoijiade, y compris le témoignage de son épouse, la lettre d’appui de son travailleur de soutien LGBTQ+ et une lettre fournie par un conseiller d’Ottawa.

V.   Observations du défendeur

[43]  Le défendeur soutient que la décision de la SPR est bien étayée par les faits, compte tenu des deux conclusions clés qu’elle a tirées en matière de crédibilité quant à l’article de journal et à la relation de M. Omoijiade avec l’homme d’Ottawa. La conclusion selon laquelle la demande d’asile est manifestement infondée satisfait au critère juridique, car elle repose sur la conclusion selon laquelle l’article de journal, invoqué à l’appui des éléments centraux de la demande de M. Omoijiade, était frauduleux.

[44]  Le défendeur soutient que la SPR a raisonnablement conclu que la crédibilité de M. Omoijiade était entachée en raison des nombreux défauts inexpliqués présents dans les versions en ligne et papier de l’article. Mentionnons à cet égard l’incapacité de la SPR de trouver l’article en ligne, les problèmes de formatage dans l’article papier et la preuve objective sur la situation dans le pays, faisant état de la prévalence élevée de documents frauduleux au Nigéria. Le défendeur soutient que la SPR est la mieux placée pour évaluer l’authenticité de l’article.

[45]  Le défendeur fait valoir que la conclusion défavorable de la SPR quant à la crédibilité de M. Omoijiade au sujet de ses présumés rapports occasionnels avec l’homme d’Ottawa était raisonnable, étant donné qu’il n’a rien divulgué au sujet de cet homme dans son formulaire FDA, qu’il a présenté un témoignage vague à la première audience, qu’il n’a présenté qu’un témoignage légèrement plus détaillé à la deuxième audience et qu’il n’a ni fait comparaître cet homme comme témoin ni fourni de lettre de sa part à la deuxième audience.

[46]  Le défendeur soutient que la SPR a correctement appliqué l’article 107.1 de la Loi concernant les demandes « manifestement infondées ». Aux termes de la Loi, la demande d’asile doit être « clairement frauduleuse », ce qui peut reposer sur des faussetés ou des tromperies liées à un aspect important de la demande. En l’espèce, l’article de journal traite de l’aspect central de l’affirmation de M. Omoijiade concernant son orientation sexuelle et la raison pour laquelle il a fui le Nigéria.

VI.  La décision est raisonnable

[47]  La décision de la SPR repose sur son évaluation de la crédibilité de M. Omoijiade et de l’authenticité de l’article de journal sur lequel M. Omoijiade se fonde pour soutenir sa demande. Les conclusions de la SPR doivent faire l’objet d’une grande déférence.

[48]  Comme l’a souligné la juge Gleason dans Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, au par. 42, [2012] ACF no 369 [QL] [Rahal], le rôle de la Cour dans l’examen des conclusions relatives à la crédibilité est très limité :

[42]  Premièrement — et il s’agit probablement du point le plus important — il faut reconnaître, avant même de se pencher sur une conclusion relative à la crédibilité, que le rôle de la Cour est très limité, étant donné que le tribunal a eu l’occasion d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et de relever toutes les nuances et contradictions factuelles contenues dans la preuve. Ajoutons à cela que, dans bien des cas, le tribunal possède une expertise reconnue dans le domaine qui fait défaut à la cour de révision. Le tribunal est donc bien mieux placé pour tirer des conclusions quant à la crédibilité, et notamment pour juger de la plausibilité de la preuve. En outre, le principe de l’administration efficace de la justice, sur lequel repose la notion de déférence, fait en sorte que l’examen de ce genre de questions doit demeurer l’exception plutôt que la règle. Dans l’arrêt Aguebor, il est écrit, au paragraphe 4 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire […]

(voir également l’arrêt Singh, au paragraphe 3, et l’arrêt He c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 49 ACWS (3d) 562, [1994] ACF no 1107, au paragraphe 2).

[49]  La SPR a examiné le témoignage de M. Omoijiade au cours de deux audiences. Il aurait dû être évident pour M. Omoijiade, à la première audience, que la SPR avait des préoccupations au sujet de l’article de journal, qui était au cœur de sa demande d’asile, et de sa présumée relation avec l’homme d’Ottawa. Or, son témoignage n’a pas dissipé les préoccupations de la SPR, malgré les nombreuses questions posées par la SPR. Les conclusions de la SPR sont expliquées dans ses motifs et sont étayées par la preuve au dossier. Les conclusions de la SPR concernant la relation du demandeur avec l’homme d’Ottawa et le journal frauduleux appartiennent aux issues raisonnables.

[50]  La SPR n’a pas omis de tenir compte des explications de M. Omoijiade au sujet de la provenance de l’article et des problèmes y associés; la SPR a plutôt conclu que les explications n’étaient pas satisfaisantes. En ce qui concerne l’article en ligne, les explications de M. Omoijiade selon lesquelles l’article était peut‑être expiré ou le journal ne fournissait des versions en ligne que de la première page n’étaient étayées par aucune preuve et ont été contredites par son propre témoignage selon lequel il avait trouvé l’article en ligne alors que cet article figurait en page 5. Les conclusions de la SPR selon lesquelles le journal n’était pas authentique reposaient sur plusieurs facteurs, notamment les nombreux défauts de la version papier de l’article et l’incapacité de trouver une version en ligne, alors que d’autres articles parus la même date se trouvaient en ligne. Le rapport du BEAA n’a pas dissipé les préoccupations relatives aux copies multiples de la page 5, aux pages manquantes ou aux distorsions visuelles, particulièrement à la lumière de la preuve objective sur la situation dans le pays concernant la prévalence de documents frauduleux au Nigéria. La copie papier de l’article au dossier présente d’autres anomalies.

[51]  M. Omoijiade affirme qu’il n’est pas responsable de la qualité du journal, mais il est responsable de la qualité des éléments de preuve qu’il présente à l’appui de sa demande d’asile. Il ne peut se soustraire à une conclusion selon laquelle le document est frauduleux en disant que l’article a été envoyé directement à son conseil. Selon son témoignage, un ami lui a parlé de l’article pendant qu’il se trouvait aux États‑Unis, et c’est ce qui l’a amené à venir au Canada pour demander l’asile. Le demandeur a déclaré avoir trouvé l’article en ligne et aussi avoir demandé à son ami d’envoyer la version papier. L’article était la pièce maîtresse de sa demande d’asile et il a choisi de le présenter en preuve.

[52]  Contrairement aux observations de M. Omoijiade, le témoignage de son épouse ne corrobore en rien l’article de journal. Le témoignage de son épouse à la première audience, avant la séparation des demandes, était seulement que M. Omoijiade lui avait dit que quelqu’un lui avait parlé de l’article de journal.

[53]  La conclusion de la SPR selon laquelle M. Omoijiade n’a pas eu de rapports occasionnels avec l’homme d’Ottawa est raisonnable. Bien que M. Omoijiade ait fourni des renseignements élémentaires sur cet homme, y compris l’endroit où ils se sont rencontrés, son apparence, son âge et le fait qu’il venait de l’est du Nigéria, il n’a fourni aucun détail précis. L’explication de M. Omoijiade pour ne pas l’avoir fait comparaître comme témoin à la deuxième audience, même s’il était bien au courant des préoccupations de la SPR au sujet de son témoignage précédent, était simplement que l’homme avait un engagement lié au travail et qu’il ne pouvait pas témoigner. Aucune explication n’a été fournie pour expliquer pourquoi un affidavit ou une lettre n’a pas été fourni. La SPR a eu l’avantage d’entendre le témoignage de la bouche de M. Omoijiade et a fondé ses conclusions sur plusieurs facteurs et, comme on l’a déjà mentionné, il faut faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de la SPR en matière de crédibilité.

[54]  Dans son témoignage, l’épouse de M. Omoijiade n’a pas corroboré la relation de son époux avec l’homme d’Ottawa. Elle n’était même pas au courant de ces rapports lors de la première audience, et il n’est pas clair à quel moment elle en a été informée. Elle n’a fait état de sa relation tendue avec M. Omoijiade qu’après avoir appris l’orientation sexuelle de son époux.

[55]  La conclusion de la SPR selon laquelle M. Omoijiade manquait de façon générale de crédibilité a une incidence sur tous les éléments de preuve pertinents, y compris la preuve documentaire (Chinwuba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 312, par 25, 303 ACWS (3d) 833; Lawal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 558, par. 22, 188 ACWS (3d) 1123). La SPR n’était pas tenue de tirer des conclusions explicites sur la lettre du père de M. Omoijiade, qui ne faisait que relater des renseignements contenus dans le formulaire FDA du demandeur, ni sur les lettres de son travailleur de soutien et de son conseiller.

[56]  La SPR n’a erré ni dans sa compréhension du critère juridique dont elle s’est servie pour conclure que la demande d’asile était manifestement infondée ni dans son application de ce critère.

[57]  L’article 107 1 est rédigé comme suit :

107.1 La Section de la protection des réfugiés fait état dans sa décision du fait que la demande est manifestement infondée si elle estime que celle-ci est clairement frauduleuse.

107.1 If the Refugee Protection Division rejects a claim for refugee protection, it must state in its reasons for the decision that the claim is manifestly unfounded if it is of the opinion that the claim is clearly fraudulent.

[58]  Selon l’alinéa 110(2)c), il n’est pas possible d’interjeter appel devant la Section d’appel des réfugiés lorsque la SPR déclare que la demande d’asile est manifestement infondée.

[59]  Au paragraphe 24 de la décision Warsame, le juge Roy a expliqué qu’il doit y avoir des éléments de preuve établissant le caractère clairement frauduleux de la demande d’asile. Le juge Roy apporte des précisions au paragraphe 30 :

Pour qu’une demande d’asile soit dite frauduleuse, il faut que le demandeur ait déclaré qu’une situation est d’une certaine nature alors qu’en réalité elle ne l’est pas. Mais ce n’est pas n’importe quel mensonge ou rapport inexact qui revêt la demande d’asile d’un caractère frauduleux. Il faut pour cela que les déclarations malhonnêtes, les supercheries, les mensonges touchent à un aspect important de cette demande, de sorte à influer substantiellement sur la décision dont elle fera l’objet. À mon sens, une demande d’asile ne peut être dite frauduleuse si la malhonnêteté n’a pas d’effet substantiel sur la décision à laquelle elle donne lieu.

[60]  Au paragraphe 31, le juge Roy fournit une orientation quant à la signification de l’expression « clairement frauduleuse » :

De même, pour qu’une demande d’asile soit clairement frauduleuse, il faut à mon avis que le décideur ait la ferme conviction que l’intéressé cherche à obtenir l’asile par des moyens frauduleux, par exemple des mensonges ou une conduite malhonnête, qui influent sur le point de savoir si sa demande d’asile sera ou non accueillie. Les mensonges d’importance secondaire ou antérieurs à la présentation de la demande d’asile ne semblent pas remplir cette condition.

[61]  Dans la décision He, le juge Norris a résumé le même critère pour conclure qu’une demande d’asile est « manifestement infondée », au paragraphe 21 :

Cela requiert plus que le simple rejet de la demande. Le décideur doit conclure que le demandeur a délibérément décrit de manière fausse des questions qui se situent au cœur de sa demande d’asile (Warsame c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 596, au par. 31).

[62]  En l’espèce, la SPR n’a commis aucune erreur dans sa compréhension du critère applicable à une demande « manifestement infondée » ou dans son application du critère.

[63]  La SPR a d’abord évalué les versions en ligne et papier du journal et a fourni plusieurs raisons, à la lumière de la preuve présentée, pour lesquelles elle a conclu que l’article n’était pas authentique, à savoir qu’il était frauduleux. La SPR a également conclu que l’article a été présenté par M. Omoijiade pour démontrer son orientation sexuelle, le fait qu’il était recherché par les autorités nigérianes et le risque auquel il serait exposé. En d’autres termes, l’article était l’élément de preuve principal en ce qui concerne l’aspect principal de la demande d’asile de l’appelant. La SPR a exprimé sa « ferme conviction » que M. Omoijiade avait demandé l’asile par des moyens frauduleux.

[64]  M. Omoijiade a fait valoir que rien ne démontrait qu’il avait créé l’article, plutôt que sa version selon laquelle il en avait entendu parler par un ami et que cet ami avait ensuite envoyé la version papier au conseil de M. Omoijiade. Toutefois, M. Omoijiade a déposé la version papier à la SPR et a invoqué à l’appui de sa demande la version en ligne. Comme l’a conclu la SPR, il est responsable des éléments de preuve qu’il invoque à l’appui de sa demande d’asile.

[65]  La SPR s’est fondée sur le cumul des conclusions au sujet de l’article pour conclure que M. Omoijiade avait présenté cet article dans le but de tromper la SPR et d’obtenir l’asile. La décision de la SPR est justifiée, intelligible et transparente et elle appartient aux issues raisonnables.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3368-19

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de décembre 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3368-19

 

INTITULÉ :

EHIKIOYA IMOEHI OMOIJIADE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 NOVEMBRE 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 NOVEMBRE 2019

 

COMPARUTIONS :

Nicholas Hersh

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Marshall Jeske

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Clinique juridique communautaire d’Ottawa

Avocats et conseillers juridiques

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.