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Date : 20191119


Dossier : IMM-2905-19

Référence : 2019 CF 1464

Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2019

En présence de monsieur le juge Pentney

ENTRE :

JOSE ALEXANDRE DA GRACA

HELENA META DA GRACA

JOSE JOAO DA GRACA

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision défavorable de la Section d’appel des réfugiés (SAR) rendue le 18 avril 2019. La SAR a rejeté l’appel des demandeurs et a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration de la protection des réfugiés, SC 2001, ch 27 [LIPR].

[2]  Les demandeurs sont originaires de la République d’Angola. Le demandeur principal, Jose Alexandre Da Graca, est membre de l’Assemblée chrétienne de la Voix de Dieu, où il était un prédicateur sous le pasteur Francisco Alidor. Il affirme avoir été convié, avec son pasteur et son diacre, à assister à une grande conférence organisée par le Prophète Kalupeteka, pasteur principal de la secte La lumière du septième jour du monde. Selon le demandeur, M. Kalupeteka a fait des propos lors de cette conférence qui ont attiré l’attention du président angolais, qui a qualifié la secte de « menace pour la paix et l’unité nationale ». Dès ce moment, les forces de sécurité angolaises auraient commencé leurs efforts afin de démanteler le groupe.

[3]  Le demandeur principal soumet que quelques jours après la conférence, il a été informé par l’épouse de son pasteur que ce dernier a été kidnappé. Le lendemain, un groupe d’individus vêtus de noir auraient frappé à la porte du demandeur avec l’intention de le kidnapper. Il aurait réussi à s’échapper pour se réfugier chez un ami. Ensuite, le demandeur principal aurait appris que sa femme, la demanderesse, avait été violée, battue et menacée de mort par ces hommes. La femme du demandeur et leur fils auraient alors rejoint le demandeur chez son ami, où il se cachait. Les trois ont quitté leur pays vers les États-Unis, où ils ont demandé l’asile. Sans attendre la réponse à cette demande d’asile, les demandeurs sont partis au Canada, où ils ont déposé une nouvelle demande d’asile le 16 juillet 2017.

[4]  Le 6 décembre 2017, la SPR a rejeté la demande d’asile de la famille, et le 12 avril 2019, la SAR a rejeté leur appel de cette décision.

[5]  Il y a une seule question en litige : la SAR a-t-elle commis une erreur en omettant d’admettre les nouveaux éléments de preuve des demandeurs? Dans leurs soumissions écrites, les demandeurs ont soulevé une question sur les déterminations de crédibilité faites par la SAR mais, étant donné que cette question découle de la non-admissibilité de la nouvelle preuve présentée, les demandeurs n’ont pas invoqué cet argument à l’audience.

[6]  La décision de la SAR concernant la nouvelle preuve se fonde sur l’interprétation du paragraphe 110(4) de la LIPR. La norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 au para 29 (Singh); Digaf c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1255 au para 17).

[7]  Les demandeurs ont demandé à la SAR d’admettre cinq nouveaux éléments de preuve : (1) l’avis de convocation du 30 octobre 2014; (2) le mandat de capture du 3 novembre 2014; (3) la lettre du pasteur Da Silva du 20 décembre 2017; (4) le rapport médical du 5 novembre 2014; et (5) la lettre du Praida du 15 mars 2018.

[8]  La SAR a décidé que ces documents ne sont pas admissibles parce qu’ils ne rencontrent pas les critères énoncés au paragraphe 110(4) de la LIPR, tels qu’ils ont été interprétés dans la jurisprudence, et plus particulièrement dans les décisions de la Cour d’appel fédérale dans Singh et Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385.

[9]  Les documents 1, 2 et 4 sont antérieurs à l’audience. La SAR a noté que la SPR a interrogé le demandeur au sujet du manque de documentation à l’appui de sa demande d’asile. En réponse, le demandeur a expliqué que c’est difficile d’obtenir de la preuve corroborant le dossier, et que l’accès à Internet est difficile au pays. La SAR a également observé que le demandeur a témoigné ne pas avoir fait de recherche, et qu’il en discute avec des frères qui sont au pays ou aux États-Unis. Enfin, la SAR a noté que les demandeurs ont quitté leur pays en mars 2015, et ils ont donc eu suffisamment de temps pour obtenir de la documentation pour appuyer leur demande.

[10]  La SAR a rejeté la lettre du pasteur en trouvant, au paragraphe 22 de sa décision, qu’elle « n’apporte rien de plus que le témoignage entendu en cours d’audience [devant la SPR] ». Au même paragraphe, la SAR a également noté que « dans la déclaration solennelle déposée avec ces documents, on peut lire que le pasteur qui a signé cette lettre est celui qui a repris le ministère » et que, par conséquent, celui-ci « n’était pas présent lors de l’événement allégué ». En ce qui concerne la pièce numéro 5, la lettre du Praida sur l’état médical de la demanderesse, la SAR a observé qu’elle « reprend les faits relatés par l’appelante » et que « [c]e document n’apporte pas un éclairage nouveau, ni pertinent, ni crédible sur le débat soulevé à la SPR » (au para 23).

[11]  Les demandeurs prétendent que la SAR a erré en rejetant cette preuve. En ce qui concerne les pièces numéro 1, 2 et 4, le demandeur principal a expliqué qu’il n’est pas habile avec la recherche sur Internet, et il a donc dû demander à des personnes en Angola de l’aide afin d’obtenir la documentation. Comme ces personnes n’ont pas répondu à sa demande avant l’audience devant la SPR, le demandeur n’a pas pu produire ces trois pièces. La SAR n’a pas tenu compte de cette explication. Eu égard à la pièce 3, la lettre du pasteur, le demandeur a soumis qu’elle aurait dû être acceptée car, même si le pasteur n’était pas présent à la conférence qui est au cœur de la demande d’asile, il est en mesure de confirmer que le demandeur principal y a assisté. Enfin, la pièce 5, la lettre du Praida, est un document récent, et les affirmations qui y sont faites par l’infirmière confirment les prétentions de la demanderesse.

[12]  Je ne suis pas persuadé. La SAR a appliqué les règles établies par l’arrêt Singh pour l’introduction de la nouvelle preuve selon paragraphe 110(4) de la LIPR. Il importe de reproduire ici l’extrait pertinent de cet arrêt :

[34]  Il ne fait aucun doute que les conditions explicites mentionnées au paragraphe 110(4) doivent être respectées. Par conséquent, seuls les éléments de preuve suivants seront admissibles :

  Les éléments de preuve survenus depuis le rejet de la demande d’asile;

  Les éléments de preuve qui n’étaient pas normalement accessibles; ou

  Les éléments de preuve qui étaient normalement accessibles, mais que la personne en cause n’aurait pas normalement présentés dans les circonstances au moment du rejet.

[35]  Ces conditions m’apparaissent incontournables et ne laissent place à aucune discrétion de la part de la SAR. D’une part, le texte même du paragraphe 110(4) précise que la personne en cause « ne peut présenter » (« may present only ») que des éléments de preuve qui entrent dans l’une ou l’autre de ces trois catégories, excluant du même coup tout autre élément de preuve. D’autre part, il ne faut pas perdre de vue que cette disposition déroge au principe général suivant lequel la SAR procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la SPR (para. 110(3)) et doit pour ce motif être interprétée restrictivement. La juge semble d’ailleurs se rallier à cette approche, dans la mesure où elle précise que l’intimé « devait établir qu’on ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce qu’il produise les nouveaux documents à l’audience devant la SPR » (para. 47). Si elle lui donne raison, en fin de compte, c’est parce que sa demande de déposer un nouvel élément de preuve relève clairement, selon elle, du champ d’application du paragraphe 110(4), « car elle satisfait à ses critères explicites » (para. 62).

[13]  Dans le cas en l’espace, la SAR a tenu compte des explications du demandeur sur la difficulté qu’il a eue avec l’Internet, ainsi que sur ses efforts de contacter ses amis, mais la SAR n’a pas été convaincue par ces réponses. Il n’y a pas lieu d’intervenir. La Cour de révision ne peut ni substituer son propre point de vue quant à une issue, ni procéder à une nouvelle pondération de la preuve (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59).

[14]  Je suis d’accord avec le défendeur que la demande d’asile présente une problématique centrale liée au passeport du demandeur, qui n’aurait pas été clarifiée par la nouvelle preuve que le demandeur a tenté de déposer devant la SAR. En effet, le passeport du demandeur principal vient réfuter le cœur de la demande d’asile, car les tampons qui s’y trouvent indiquent qu’il se trouvait hors de l’Angola au moment où la conférence de M. Kalupeteka aurait eu lieu. Aucune des cinq nouvelles pièces soumises par les demandeurs à la SAR ne vient ajouter des précisions quant à cette contradiction majeure. La SAR n’a pas erré en rejetant cette preuve.

[15]  En ce qui concerne la lettre du Praida, la SAR a conclu, au paragraphe 23 de sa décision, qu’elle « indique que l’appelante a des douleurs au niveau abdominal » sans toutefois présenter une « confirmation qu’elle a été violée ou agressée ». Au même paragraphe, la SAR note que la lettre « n’apporte pas un éclairage nouveau, ni pertinent, ni crédible sur le débat soulevé à la SPR ». Le demandeur soumet que la SAR a erré parce qu’elle n’a pas fait une analyse indépendante de la demande de la demanderesse. Le défendeur prétend toutefois que la SAR n’a pas erré, parce que cette demande est liée à celle du demandeur principal. De plus, il n’y a pas preuve au dossier indiquant que l’attaque subie par la demanderesse en 2014 était liée aux évènements au cœur de la demande d’asile de son époux, le demandeur principal.

[16]  Je suis d’accord avec le défendeur. Il n’y a pas preuve qui démontre un lien entre les actes de violence à l’encontre de la demanderesse et la participation du demandeur à la conférence alléguée. La lettre du Praida ne présente aucun éclairage sur cette question fondamentale. La SAR n’a pas erré en rejetant cette preuve.

[17]  Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[18]  Il n’y a pas de question d’importance générale qui pourrait faire l’objet d’une certification.


JUGEMENT au dossier IMM-2905-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

« William F. Pentney »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2905-19

INTITULÉ :

JOSE ALEXANDRE DA GRACA ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL, QUÉBEC

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 NOVEMBRE 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

PENTNEY J.

DATE DES MOTIFS :

LE 19 NOVEMBRE 2019

COMPARUTIONS :

Me Sabine Venturelli

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Mario Blanchard

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sabine Venturelli

Avocate

Montréal, Québec

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal, Québec

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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