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Date : 20000223


Dossier : T-891-94



Action réelle contre le navire " Cherkassy " et le navire " Anadyr "

(un navire frère) et action personnelle contre les propriétaires

et les affréteurs du navire " Cherkassy "

Entre :


PIONEER GRAIN COMPANY LTD.,

M/S SAMPAT INDUSTRIAL AND CONSTRUCTION

CO. LTD., TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT

UN DROIT SUR LA CARGAISON DU NAVIRE " CHERKASSY "

     demanderesses/appelantes

     - et -



FAR-EASTERN SHIPPING CO. (FESCO),

LES PROPRIÉTAIRES ET LES AFFRÉTEURS DES NAVIRES

" CHERKASSY " ET " ANADYR " ET

LES NAVIRES " CHERKASSY " ET " ANADYR "

     défendeurs/intimés





Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 31 janvier 2000.

Ordonnance prononcée à Ottawa (Ontario), le 23 février 2000.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR :      LE JUGE MULDOON


        


Date : 20000223


Dossier : T-891-94

Ottawa (Ontario), le 23 février 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MULDOON



Action réelle contre le navire " Cherkassy " et le navire " Anadyr "

(un navire frère) et action personnelle contre les propriétaires

et les affréteurs du navire " Cherkassy "

Entre :


PIONEER GRAIN COMPANY LTD.,

M/S SAMPAT INDUSTRIAL AND CONSTRUCTION

CO. LTD., TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT

UN DROIT SUR LA CARGAISON DU NAVIRE " CHERKASSY "

     demanderesses/appelantes

     - et -



FAR-EASTERN SHIPPING CO. (FESCO),

LES PROPRIÉTAIRES ET LES AFFRÉTEURS DES NAVIRES

" CHERKASSY " ET " ANADYR " ET

LES NAVIRES " CHERKASSY " ET " ANADYR "

     défendeurs/intimés




ORDONNANCE

     VU LA REQUÊTE MODIFIÉE présentée en date du 23 décembre 1999 au nom des demanderesses en vue d"obtenir, en vertu de la règle 51 des Règles de procédure de la Cour fédérale , une ordonnance qui annule l"ordonnance rendue par le protonotaire Hargrave à Vancouver (Colombie-Britannique), le 15 décembre 1999 et une ordonnance qui rejette la requête en radiation de la déclaration présentée par les défendeurs au motif que les demanderesses ne se sont pas conformées à quatre ordonnances rendues par la Cour, le tout avec dépens,

     LA COUR STATUE que l"appel interjeté par les demanderesses/appelantes à l"encontre de l"ordonnance du protonotaire est rejeté;

     LA COUR STATUE en outre que les demanderesses/appelantes paieront aux défendeurs/intimés leurs dépens, correspondant au haut de l"échelle prévue par la colonne IV du Tarif B, immédiatement après la conclusion d"une entente quant à leur montant ou après leur taxation.


" F.C. Muldoon "

F.C. Muldoon

Traduction certifiée conforme



Laurier Parenteau, LL.L.




Date : 20000223


Dossier : T-891-94



Action réelle contre le navire " Cherkassy " et le navire " Anadyr "

(un navire frère) et action personnelle contre les propriétaires

et les affréteurs du navire " Cherkassy "

Entre :


PIONEER GRAIN COMPANY LTD.,

M/S SAMPAT INDUSTRIAL AND CONSTRUCTION

CO. LTD., TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT

UN DROIT SUR LA CARGAISON DU NAVIRE " CHERKASSY "

     demanderesses/appelantes

     - et -



FAR-EASTERN SHIPPING CO. (FESCO),

LES PROPRIÉTAIRES ET LES AFFRÉTEURS DES NAVIRES

" CHERKASSY " ET " ANADYR " ET

LES NAVIRES " CHERKASSY " ET " ANADYR "

     défendeurs/intimés


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE MULDOON


[1]      Il s"agit d"un appel interjeté par les demanderesses/appelantes à l"encontre de l"ordonnance par laquelle le protonotaire a accueilli, le 15 décembre 1999, la requête des défendeurs/intimés en radiation de la déclaration des demanderesses parce qu"elles ne s"étaient pas conformées à l"ordonnance rendue par le protonotaire Hargrave en date du 25 mars 1999, à son ordonnance en date du 20 avril 1999, à son ordonnance en date du 21 juillet 1999 et à l"ordonnance rendue par le juge en chef adjoint Richard en date du 20 septembre 1999, et par laquelle il a adjugé aux défendeurs les dépens taxables relativement à l"action.

[2]      Dans leur déclaration, les demanderesses soutiennent avoir subi des dommages s"élevant à 351 775,80 $ U.S. causés à une partie de la cargaison transportée par le navire " CHERKASSY " entre Vancouver et Mumbai, en Inde. Dans les motifs prononcés le 15 décembre 1999, le protonotaire écrit, au paragraphe [1], que la (dernière) requête a été accueillie parce que la violation des ordonnances de la Cour constituait une conduite équivalant à un abus. Le protonotaire a eu tout à fait raison de tirer cette conclusion.

[3]      Voici ce que dit le protonotaire dans les paragraphes [2] et suivants de ses motifs :

[2] Les marchandises [des pois secs] ont indubitablement été en partie endommagées par l'eau au cours du transport maritime, mais la défenderesse Far Eastern Shipping Co. voulait à juste titre déterminer le montant réel des dommages subis une fois que toute la cargaison aurait été vendue. Après une série de demandes, de requêtes et de communications partielles, la défenderesse n'a pas pu obtenir de M/S Sampat Industrial and Construction Co. Ltd. (également appelée " Sampat ") la production des documents ordonnée par la Cour. D'où la présente requête visant à la radiation de la déclaration qui n'était pas fondée, comme il aurait été possible de le soutenir, sur le retard et sur le manque d'intérêt des demanderesses, comme c'était le cas dans Trusthouse Forte California Inc. c. Gateway Soap & Chemical Co. (1999), 86 C.P.R. (3d) 28 (C.F. 1re inst.), mais sur la violation d'une série d'ordonnances précises par lesquelles la Cour exigeait la production de documents. Il s'agit d'un résultat draconien, mais le résultat est attribuable aux circonstances. Toutefois, il n'est pas attribuable à l'avocat des demanderesses ou à la codemanderesse, Pioneer Grain Company Ltd., ou encore aux assureurs subrogés.
[3] J'exposerai d'abord certains événements procéduraux pertinents; la défenderesse n'a pas pu obtenir la production de certains documents précis générés par ordinateur de la demanderesse, M/S Sampat Industrial and Construction Co. Ltd., de Bombay, documents dont Sampat reconnaissait l'existence et qui étaient entreposés près de Calcutta. Les documents, qui sont clairement pertinents puisqu'ils sont composés d'imprimés originaux, notamment de factures, préparés aux fins de l'impôt, permettraient à la défenderesse de vérifier les dommages allégués : la pertinence de pareils documents a clairement été établie dans l'arrêt Redpath Industries Ltd. c. le Cisco, [1994] 2 C.F. 279 (C.A.F.). Dans l'affaire Cisco, la demanderesse, qui était un raffineur de sucre, avait incorporé de petites quantités de sucre brut avarié à du sucre non avarié, de sorte que le montant de la réclamation relative aux dommages-intérêts était réduit de beaucoup. En l'espèce, la défenderesse veut examiner, au moyen de la procédure de communication, une possibilité similaire.
[4] En ce qui concerne la poursuite de la demande, cette action, d'environ 350 000 $ US, a été intentée au mois d'avril 1994, soit environ un an après que la cargaison eut été expédiée. En temps et lieu, l'action s'étant apparemment éternisée, la Cour a délivré un avis d'examen de l'état de l'instance, soit en fait une demande de justification enjoignant aux demanderesses d'expliquer pourquoi l'action ne devrait pas être rejetée par suite du retard. Il ressort des observations qui ont été présentées au sujet de l'avis d'examen de l'état de l'instance que la valeur marchande saine de la cargaison à l'arrivée était en litige, que la défenderesse avait demandé des documents portant sur la valeur marchande saine permettant de déterminer le montant de la réclamation et que, selon la défenderesse, les documents permettant de vérifier cette valeur marchande saine n'avaient pas été produits. D'où une série de requêtes et d'ordonnances se rapportant à la production des documents et aux interrogatoires préalables.

[4]      Le paragraphe [5] des motifs du protonotaire en dit long contre la paresse et la négligence des demanderesses quant à la poursuite de l"action qu"elles ont elles-mêmes intentée contre les défendeurs. Le protonotaire a fait la remarque suivante : " Entre le moment où la perte avait été subie, en 1993, et le moment où elles ont produit leur affidavit, près de trois ans plus tard, soit le 14 février 1996, les demanderesses ont amplement eu le temps d'examiner leur preuve, de se renseigner et de comprendre leur cause ainsi que de déterminer ce qu'il fallait faire pour l'établir. " Toutefois, l'affidavit des demanderesses était de toute évidence défectueux car il ne renfermait que peu sinon pas de documents au sujet de la vente, de l'entreposage, de la manutention ou de la disposition finale de la cargaison de pois. Les demandes visant à l'obtention de ces documents ne portaient pas fruit. Par conséquent, le 29 mars 1999, la défenderesse a obtenu une ordonnance enjoignant aux demanderesses de fournir au plus tard le 19 avril 1999, un affidavit plus ample et plus précis. Cette ordonnance était très précise et le protonotaire la résume bien dans le paragraphe [5] de ses motifs en date du 15 décembre 1999. Les demanderesses ont négligé ou refusé de se conformer à cette ordonnance avant le 19 avril 1999.

[5]      Les défendeurs ont obtenu une deuxième ordonnance le 20 avril 2000, qui enjoignait aux demanderesses de produire un témoin de Sampat, un représentant de l"expert qui s"était occupé du déchargement des marchandises, et de produire tous les documents demandés le 29 mars 1999. Les demanderesses n"ont pas obéi à cette deuxième ordonnance, mais le témoin de Sampat, M. Kothari, a dit que les documents demandés par la défenderesse étaient dans un entrepôt à Gauhati, au nord de Calcutta. Les documents étant apparemment facilement accessibles, il est effectivement étrange que les demanderesses persistent de façon provocante à ne pas obéir aux ordonnances de la Cour. Ce sont, après tout, les demanderesses et non les défendeurs qui ont intenté l"action en justice.

[6]      Il me paraît utile de reproduire ci-dessous les paragraphes [8] à [13] des motifs prononcés par le protonotaire le 15 décembre 1999 :

[8] Les demanderesses n'ayant pas produit les documents demandés au cours des douze semaines suivantes, la défenderesse a présenté, au mois de juillet 1999, une requête dans laquelle elle sollicitait entre autres choses la radiation de la déclaration ou, entre autres solutions de rechange proposées, une ordonnance en vue de l'obtention d'un affidavit plus ample et plus précis, les frais du voyage devant être effectué en Inde, aux fins de l'interrogatoire préalable de M. Kothari, devant être à la charge des demanderesses. Étant donné que les ordonnances antérieures n'avaient pas été observées, j'ai décidé que la requête visant à la radiation avait de bonnes chances de succès mais qu'étant donné qu'il s'agissait d'une mesure draconienne, les demanderesses devraient avoir une autre possibilité de produire les documents, de sorte que j'ai rendu une autre ordonnance précise au sujet de ce qui devait être produit, notamment les documents qui étaient censément dans l'entrepôt, à Gauhati, les demanderesses devant payer les frais et débours de l'avocat de la défenderesse et du sténographe relativement au deuxième voyage effectué en Inde. Les documents devaient être produits au plus tard le 20 septembre 1999.
[9] Les demanderesses n'ont apparemment pas pu fournir les documents dans le délai imparti. Elles ont donc présenté une requête devant le juge en chef adjoint Richard (tel était alors son titre) en vue d'obtenir un délai additionnel aux fins de la production. Cette requête a été accueillie; en effet, le juge en chef adjoint a exigé la production des documents comme on l'avait déjà ordonné, mais il a prorogé le délai de production au 3 novembre 1999, à 10 h, les interrogatoires préalables qui devaient avoir lieu en Inde devant être effectués au plus tard le 5 novembre 1999. Je ferai ici remarquer que l'avocat des demanderesses a affirmé devant le juge en chef adjoint que, si la documentation n'était pas produite, l'action devait être rejetée; cette affirmation n'a pas été contredite. Cela nous amène à la présente requête et aux événements qui y ont donné lieu.
[10] Lors de l'interrogatoire préalable, la défenderesse a établi que les imprimés originaux, qui avaient été préparés aux fins de l'impôt, sont dans un entrepôt, à Gauhati, dans l'est de l'Inde, où sont conservés les documents mêmes relatifs aux activités de M/S Sampat Industrial and Construction Co. Ltd., à Bombay. L'avocat de la défenderesse a également établi que la personne qui a témoigné à l'interrogatoire préalable savait, au moment de l'interrogatoire préalable qui a eu lieu au mois de novembre 1999, que la Cour fédérale avait rendu quatre ordonnances en vue de la production de documents précis, mais qu'elle a supposé que des documents similaires pouvaient être reproduits par ordinateur et qu'il n'était donc pas nécessaire de produire les documents précis initialement demandés. En outre, le témoin a dit qu'un voyage à Gauhati visant à permettre d'aller chercher les documents coûterait fort cher. Le témoin a déclaré que l'avocat était bien libre de se rendre à Gauhati pour y chercher les documents lui-même. Il importe ici de noter un certain manque d'intérêt de la part du témoin de la demanderesse au sujet de l'instance dans son ensemble, mais M/S Sampat Industrial and Construction Co. Ltd. avait probablement déjà été indemnisée par ses assureurs subrogés. De fait, voici ce que le témoin a déclaré par l'entremise de l'avocat (page 135 de la transcription de l'interrogatoire préalable) :
     [Traduction]
     Les factures concernant les ventes se trouvent dans un grand livre, dans un livre, et elles ont été inscrites, mais elles ne peuvent pas être produites, ils doivent les conserver, de sorte qu'ils ont préparé les documents à l'aide de l'ordinateur, ils ont produit une copie exacte des factures.
Par conséquent, de l'avis du témoin de Sampat, il n'était pas nécessaire de produire les documents qui étaient à Gauhati.
[11] Enfin, ce témoin, M. Kothari, a dit, lors de l'interrogatoire préalable qui a eu lieu le 5 novembre 1999 en Inde, que Sampat avait vérifié ses dossiers, à Gauhati, et que les documents qui étaient versés dans ces dossiers étaient les mêmes que ceux qui seraient générés par l'ordinateur à Bombay, de sorte que : [TRADUCTION] " [...] il ne servait à rien d'apporter ici les mêmes documents qui étaient à Gauhati " (page 164 de la transcription). En fait, compte tenu des quatre ordonnances rendues par la Cour, M. Kothari semblait prendre une décision quelconque au sujet de la pertinence d'une petite liasse de documents et des ordonnances de la Cour.
[12] En faisant du mieux qu'il le pouvait pour ses clients, l'avocat des demanderesses a cherché à expliquer le défaut de production comme étant attribuable à un malentendu de nature culturelle et à une erreur de la part de l'avocat, qui ne se rendait pas compte que les factures originales générées aux fins de l'impôt étaient à Gauhati, mais qu'elles avaient en fait été générées par ordinateur, puisque les renseignements originaux figuraient à l'ordinateur. Cela jette la lumière sur l'affaire, sans expliquer toutefois l'omission de produire des documents précis accessibles par suite de quatre ordonnances claires et précises rendues par la Cour.
[13] Les demanderesses n'ont pas non plus cherché à remédier à la situation en offrant, soit au moyen d'un affidavit soit même au moyen d'une lettre produite dans le dossier de leur requête, d'apporter les documents qui étaient à Gauhati. De fait, étant donné le délai prévu à l'égard de la présente requête, il aurait été simple pour M/S Sampat Industrial and Construction Co. Ltd. de veiller à ce que les documents soient apportés de Gauhati à Bombay et à ce qu'ils soient livrés ou télécopiés à l'avocat des défendeurs. Ou encore, étant donné le montant élevé qui était en cause, on aurait pu envoyer quelqu'un du Canada à Gauhati pour qu'il rapporte les documents, puisque Sampat dit, par l'entremise de son témoin, qu'elle sait exactement où les documents se trouvent. Or, vers la fin de l'audition de la présente requête, lorsqu'il est devenu tout à fait évident que les choses n'allaient pas bien pour ses clientes, l'avocat des demanderesses a offert d'essayer d'apporter les documents de Gauhati. Il était beaucoup trop tard pour le faire étant donné que par le passé, les demanderesses n'avaient pas tenu compte des ordonnances de production de la Cour.

[7]      Le paragraphe [14] des motifs du protonotaire expose l"argument des demanderesses, selon lequel les documents originaux figuraient à l"ordinateur et tous les autres n"étaient que des copies, mais le terme " document " comprend tout élément susceptible d"être lu et les dossiers mémorisés n"y font pas exception. Le protonotaire a ajouté, à juste titre, dans les paragraphes [15] et [16] :

[15] Le point litigieux se rapporte à la violation de quatre ordonnances judiciaires; des explications ont été fournies à ce sujet, sans toutefois qu'une excuse soit donnée. En général, les tribunaux ne radient pas une demande lorsque la production de documents n'est pas conforme à une ordonnance judiciaire, car cette mesure serait draconienne. Pourtant, il faut obéir aux ordonnances dans la mesure où il est raisonnable de le faire. Lorsque le défaut d'observation constitue une conduite équivalant à un abus, il sera mis fin à l'action, et je citerai ici la décision Smith Packing Corporation c. Gainvir Transport Ltd. (1992), 46 F.T.R. 62, rendue par Monsieur le juge MacKay. Dans l'affaire Smith Packing, les demanderesses sollicitaient la radiation d'une défense parce qu'une liste de documents produite par la défenderesse, conformément à une ordonnance de la Cour, n'était pas conforme à l'ordonnance de la Cour et aux Règles de la Cour fédérale. Monsieur le juge MacKay a fait les remarques suivantes :
     Le redressement demandé, soit la radiation de la défense produite, est une mesure très radicale pour des défauts de procédure et il ne faudrait y recourir que dans les cas où il est bien évident que la partie défenderesse, de par sa conduite, a abusé des procédures de la Cour. (Page 70)
     [Non souligné dans le texte du protonotaire.]
[16] En l'espèce, il y a clairement eu abus de la part d'une demanderesse qui n'a pas tenu compte de quatre ordonnances judiciaires visant à la production de documents, même si les documents existent et sont disponibles, comme les demanderesses l'ont elles-mêmes avoué. Les défendeurs ont le droit de voir cet ensemble précis de documents. Une demanderesse qui semble ne pas avoir intérêt à produire les documents et qui est prête à courir le risque associé à l'inobservation de quatre ordonnances judiciaires précises a à maintes reprises empêché les défendeurs de voir ces documents. Par conséquent, l'action est rejetée, un abus de procédure ayant été commis.

[8]      Aucune erreur de droit n"a été commise ici. Assurément, le fait d"intenter une action en justice et de faire fi, par la suite, des ordonnances rendues par la Cour pour faciliter la gestion de l"instance constitue un abus du processus judiciaire. Dans les instances civiles où il est possible de remédier aux abus d"une partie en radiant simplement ses actes de procédure (par lesquels elle tente d"obtenir l"assistance de la Cour), la Cour est amplement justifiée, selon ses règles bien connues, de refuser son aide à l"auteur d"un abus. À la page 17 de la transcription de l"audience, il est écrit que l"avocat des demanderesses a reconnu que : " dans d"autres circonstances ", le comportement de ses clientes pourrait équivaloir à un abus du processus judiciaire. Aux pages 17 et 18, il est écrit que cet avocat a cité les propos du protonotaire qui a statué que la requête des défendeurs/intimés " est accueillie parce qu'en l'espèce, la violation constitue une conduite équivalant à un abus ", onglet MR4, petit relieur à feuilles mobiles. Le protonotaire n"a pas commis d"erreur.

[9]      Il n"est pas surprenant que les deux parties aient cité l"arrêt La Reine c. Aqua-Gem Investments Ltd. , [1993] 2 C.F. 425 (C.A.) dans le cadre de l"appel de la décision du protonotaire. Les avocats respectifs des parties ont fait référence à différents passages de cet arrêt. Le passage peut-être le plus pertinent de cet arrêt se trouve dans l"opinion de la majorité, à la page 464 :

Il ne faut pas, à mon avis, interpréter l'arrêt Jala Godavari comme signifiant que la décision discrétionnaire du protonotaire ne doit jamais être respectée, mais qu'elle est subordonnée à l'appréciation discrétionnaire d'un juge si la question visée a une influence déterminante sur l'issue de la cause principale. (L'erreur de droit, bien entendu, est toujours un motif d'intervention du juge, et ne prête pas à controverse).

La Cour ne décèle aucune erreur dans la décision citée ni dans celle du protonotaire.

[10]      L"avocat des défendeurs/intimés a mentionné à la Cour que les affidavits de la partie opposée devraient être inadmissibles, à strictement parler, mais qu"il consentirait à leur admission en preuve à titre d"exemple. Voici le texte de la transcription de la page 69 à la page 71 :

[Traduction]
Me HAWKINS : Votre seigneurie, mon collègue s"est référé il y a quelques instants au nouvel affidavit, qui n"a pas été soumis au protonotaire Hargrave, mais qui comprenait -- il comprend deux lettres qu"il a adressées aux destinataires indiens, la demanderesse Sampat, après le prononcé de l"ordonnance par laquelle le protonotaire Hargrave a rejeté l"action.
LA COUR : Oui, c"est bien, dois-je tenir compte de cet affidavit? Est-ce le but de votre requête?
Me HAWKINS : Non, votre seigneurie. Je pense -- nous en avons parlé, mais je suis disposé à en traiter, parce qu"il est très révélateur.
LA COUR : C"est bien.
Me HAWKINS : Si vous vous reportez, votre seigneurie, à MR1 dans le petit relieur noir à feuilles mobiles, c"est l"avis de requête modifié, et on y trouve le bref affidavit de Mme Bernier, puis la pièce A.
...
Donc, c"est à la page 7 de la pièce A de MR1. Je n"ai pas l"intention de lire cette lettre, mais elle est telle que le laisse entendre Me Bilodeau. Il s"agit simplement d"une lettre qu"il a adressée directement à M. Kothari, en date du 13 décembre 1999, après la radiation de l"affaire, qui dit essentiellement : L"affaire a été radiée, nous avons l"intention d"interjeter appel, nous vous demandons de produire ces documents et ces factures qui se trouvent à Gauhati.
La deuxième lettre, si vous tournez quelques pages, je crois qu"il s"agit de la page 10, la mention " page 10 " est inscrite à la main au bas de la page. C"est la deuxième lettre écrite par mon collègue, une fois encore quelques jours plus tard le 17 décembre, à Mme [sic] Kothari en Inde qui dit, vous savez : Voici l"ordonnance. L"affaire est rejetée. Nous avons déposé un avis d"appel.
...
     Nous réitérons notre demande pour que vous nous fournissiez deux copies des documents qui se trouvent dans votre entrepôt à Gauhati et dont nous avons besoin pour que notre appel de l"ordonnance radiant la déclaration soit accueilli.
Rien. Il n"y a aucun autre élément de preuve. Les demanderesses n"ont même pas répondu, à ce que je vois.
LA COUR : Vous voulez dire que M. Kothari n"a même pas répondu?
Me HAWKINS : Aucun autre élément n"a été déposé. Bon, nous avons parlé du repentir de la dernière heure. Je soutiens, votre seigneurie, que cela dit tout, ces deux lettres disent tout. Mon collègue a --
LA COUR : Ainsi, c"est pour cette raison que vous êtes disposé à tolérer leur production.
Me HAWKINS : Oui, votre seigneurie.
...
Je me rends compte que mon collègue se trouve dans une position difficile, mais il demeure qu"il a fait tout ce qu"il pouvait, je suppose. Et je dirais que -- et il a soulevé le fait que des assureurs sont en cause. C"est bien. À ma connaissance, il n"existe aucune preuve émanant des assureurs selon laquelle un représentant s"est rendu en Inde, a frappé à la porte de M. Kothari et a dit : " Nous allons à Gauhati chercher ces documents ", avant ou après le prononcé de l"ordonnance -- certainement après le prononcé de l"ordonnance. Et quelqu"un aurait dû aller là-bas, c"est certain.

[11]      Le litige se situe strictement dans le domaine du droit privé, de sorte qu"il n"existe aucun motif prépondérant de droit public pour lequel les parties ne devraient pas avoir le droit de présenter à la Cour la preuve pertinente qui leur sied. En matière de droit privé, le litige " appartient " aux parties, et non au public, à la Cour ou à l"État. Par contre, le droit est clair -- les questions et les documents qui n"ont pas été soumis au tribunal de première instance, dans un cas comme celui-ci, sont tout simplement inadmissibles dans le cadre d"une demande de contrôle ou d"un appel. En l"espèce, il est probable que la considération de droit privé doit prévaloir, mais la Cour laisse le soin à un autre juge de se prononcer sur ce point de façon décisive à une autre occasion.

[12]      Comme on l"a déjà souligné, il s"agit de l"action des demanderesses, qui ont abusé du processus judiciaire comme elles ou d"autres l"ont jugé opportun, apparemment sans la complicité de leur avocat, mais ce dernier facteur n"atténue en rien la responsabilité des demanderesses quant aux dépens, car il ne saurait être question de tolérer ni de passer outre leur conduite abusive. Les dépens correspondant au haut de l"échelle prévue par la colonne IV du Tarif B sont adjugés au défendeurs/intimés et seront exigibles immédiatement après la conclusion d"une entente quant à leur montant ou après leur taxation.



     " F.C. Muldoon "

     F.C. Muldoon


Ottawa (Ontario)

23 février 2000

Traduction certifiée conforme


            

Laurier Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NUMÉRO DU GREFFE :          T-891-94
INTITULÉ DE LA CAUSE :      PIONEER GRAIN COMPANY LTD. et autres c. FAR-EASTERN SHIPPING CO. (FESCO) et autres
LIEU DE L"AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L"AUDIENCE :          le 31 janvier 2000

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR MONSIEUR LE JUGE MULDOON

EN DATE DU :              23 février 2000

ONT COMPARU :

Me Jean-François Bilodeau          POUR LES DEMANDERESSES
Me Tom Hawkins              POUR LES DÉFENDEURS


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sproule Castonguay Pollack      POUR LES DEMANDERESSES

Montréal (Québec)

Campney & Murphy          POUR LES DÉFENDEURS

Vancouver (Colombie-Britannique)

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