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Date : 20040521

Dossier : IMM-3779-03

Référence : 2004 CF 720

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

ENTRE :

                                                      VADYM ORZHEKHOVSKIY

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision, rendue le 10 février 2003 par l'agente des visas Maria Bravo à l'ambassade du Canada à Buenos Aires en Argentine, rejetant la demande de résidence permanente au Canada que le demandeur a présentée en tant qu'immigrant indépendant.


QUESTIONS EN LITIGE

[2]                Le demandeur soulève les questions suivantes :

1.         L'agente des visas a-t-elle commis une erreur de fait importante en concluant que le demandeur ne détenait qu'un diplôme collégial et non pas un diplôme universitaire de premier cycle, ce qui l'a amenée à lui attribuer 13 points au lieu de 15 pour le facteur études?

2.         L'agente des visas a-t-elle commis une erreur de droit en imposant à tort au demandeur la condition selon laquelle un diplôme était _ exigé _ et non pas _ habituellement exigé _ et, de plus ou à titre subsidiaire, en omettant d'évaluer dans quelle mesure l'expérience de travail du demandeur pouvait satisfaire à la condition relative à la spécialisation _ habituellement exigée _?

3.         L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en n'attribuant au demandeur aucun point pour le facteur professionnel et aucun point pour le facteur expérience?

4.         L'agente des visas a-t-elle commis une erreur en omettant de respecter un principe de justice naturelle?

[3]                Pour trancher la présente affaire, il suffit de régler la question de l'équité procédurale ou de la justice naturelle. Par conséquent, je ne répondrai pas directement aux autres questions formulées par le demandeur. Pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus qu'il y a eu manquement aux principes de justice naturelle. J'accueillerai donc la présente demande.


LES FAITS

[4]                Le demandeur est un citoyen de l'Ukraine résidant en Argentine. En 1982, il a obtenu un diplôme de l'Institut pédagogique national après avoir suivi un programme d'études en éducation physique de quatre ans. Depuis, il a successivement occupé les postes de professeur d'éducation physique, de professeur de gymnastique corrective et d'entraîneur personnel.

[5]                Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada en tant que thérapeute par l'athlétisme au sens de la Classification nationale des professions (CNP). Il a eu une entrevue avec l'agente des visas le 31 octobre 2002. Le demandeur a été avisé que sa demande avait été rejetée dans une lettre datée du 10 février 2003. L'agente des visas lui a accordé les points d'appréciation suivants :

[traduction]

Âge                                                                                                           10

Facteur professionnel                                                                              00

Études et formation                                                                                 15

Expérience                                                                                                00

Emploi réservé ou profession désignée                                    00

Facteur démographique                                                                            08

Études                                                                                                      13

Connaissance de l'anglais                                                                         06

Connaissance du français                                                                         00


Personnalité                                                                                             05

Total                                                                                                        57

[6]                Le seul motif donné par l'agente des visas pour expliquer le rejet de la demande est le suivant :

[TRADUCTION] À la suite de l'entrevue, vous avez obtenu un nombre insuffisant de points d'appréciation pour pouvoir immigrer au Canada, le minimum requis étant de 70 points. Le paragraphe 11(2) du Règlement sur l'immigration prévoit qu'un visa d'immigrant ne peut pas être délivré à un demandeur faisant partie de la catégorie que vous avez retenue pour présenter votre demande qui n'a obtenu aucun point d'appréciation pour le facteur professionnel. Vous n'avez reçu aucun point pour ce facteur parce que vous ne satisfaites pas aux conditions d'accès à la profession que vous entendez exercer au Canada énoncées dans la Classification nationale des professions (un baccalauréat en récréation physique avec une spécialisation en médecine sportive ou un programme d'études collégiales en gestion des blessures sportives). [Non souligné dans l'original.]

ANALYSE

[7]                Il faut d'abord se pencher sur la norme de contrôle applicable à la décision d'une agente des visas. La Cour a statué que la décision d'un agent des visas était de nature discrétionnaire. Au paragraphe 6 de l'arrêt Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 351 (C.A.) (QL), rendu par la Cour d'appel fédérale, le juge Linden a dit ce qui suit au sujet de la norme de contrôle applicable à une telle décision :

Suivant la jurisprudence de notre Cour, la norme de contrôle applicable à ce type de décision administrative correspond au critère énoncé dans l'arrêt Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, selon lequel les cours ne devraient pas intervenir _ [l]orsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondésur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi _.

[8]                Des manquements aux principes de justice naturelle qui ne peuvent pas passer inaperçus ont été commis à la fois lors de l'entrevue et dans la lettre de refus. Dans sa lettre de refus, l'agente des visas n'a pas expliqué pourquoi elle a considéré que le diplôme obtenu par le demandeur de l'Institut pédagogique national n'équivalait pas à un diplôme universitaire, ce qui l'a amenée à attribuer au demandeur 13 points au lieu de 15 pour le facteur études. Les notes que l'agente des visas a consignées dans le STIDI au sujet de l'entrevue démontrent que le demandeur n'a pas été avisé que l'agente des visas avait des réserves quant à la question de savoir si son diplôme était un diplôme universitaire, qu'on ne lui a pas donné la possibilité de prendre des mesures supplémentaires pour prouver que c'était le cas, et que l'agente des visas n'a pas fait de démarches auprès des autorités concernées pour vérifier si le diplôme du demandeur était un diplôme universitaire. Il faut également souligner que le défendeur lui-même reconnaît que [traduction] _ 15 points auraient dû être attribués pour les études _.


[9]                En ce qui concerne le facteur professionnel pour lequel le demandeur ne s'est vu attribuer aucun point, et qui est également lié au facteur expérience, les conditions d'accès à la profession de thérapeute par l'athlétisme énoncées dans la CNP prévoient que _ un diplôme d'études universitaires en récréation physique avec une spécialisation en médecine sportive ou [...] est habituellement exigé des thérapeutes par l'athlétisme _. La décision de l'agente des visas ne révèle certainement pas que celle-ci a compris que le diplôme d'études universitaires en récréation physique était _ habituellement exigé _ et non pas _ exigé _. Elle a écrit ce qui suit : [traduction] _ Vous n'avez reçu aucun point pour ce facteur parce que vous ne satisfaites pas aux conditions d'accès à la profession que vous entendez exercer au Canada énoncées dans la Classification nationale des professions (un baccalauréat en récréation physique avec une spécialisation en médecine sportive ou un programme d'études collégiales en gestion des blessures sportives). _ On ne peut soutenir que cette formulation démontre que l'agente des visas a compris que ce diplôme particulier n'était pas absolument nécessaire ou qu'elle a analysé soigneusement l'expérience du demandeur qui était susceptible de compenser le fait qu'il ne possédait pas ce diplôme. En ce qui concerne les notes consignées dans le STIDI, elles ne font pas état de l'expression _ habituellement exigé _. Toutefois, les transcriptions des contre-interrogatoires de l'agente des visas, surtout aux lignes 184 à 186 et 191 à 196, révèlent clairement que celle-ci a reconnu que le demandeur avait suivi 610 heures de cours en thérapie avant d'obtenir son diplôme, et qu'elle ne savait pas quel était le nombre d'heures de cours que devait suivre une personne désireuse de se spécialiser en thérapie du sport au Canada. Je ne suis pas en mesure de conclure, à la lecture de la lettre de refus, des notes du STIDI ou des transcriptions du contre-interrogatoire, que l'agente des visas s'est suffisamment renseignée au sujet du diplôme que détenait le demandeur, des 610 heures de cours en thérapie du sport qu'il avait suivis et de l'expérience de travail variée qu'il avait acquise dans le domaine de la thérapie sportive. Ceci aurait donné au demandeur une occasion raisonnable de prouver qu'il possédait le diplôme ou l'expérience de travail nécessaire pour satisfaire aux conditions énoncées dans la CNP, et de remplir ainsi les exigences liées au facteur professionnel et au facteur expérience.

[10]            Pour les motifs exposés ci-dessus, je conclus que la décision de l'agente des visas peut faire l'objet d'un contrôle. La demande est accueillie. L'affaire sera renvoyée à un autre agent des visas pour qu'il procède à un nouvel examen de la demande de résidence permanente.

[11]            Le demandeur propose quatre questions aux fins de certification :

[traduction]

1.         Lorsque la demande de résidence permanente présentée par un demandeur en tant que membre de la catégorie _ travailleurs qualifiés _ est étayée par un diplôme d'enseignement qui équivaut selon lui à un des diplômes visés aux articles 73 et 78 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, par exemple à un diplôme d'études universitaires, et que l'agent des visas n'accepte pas ce niveau d'études, l'agent des visas est-il tenu de prendre l'une ou l'autre des mesures suivantes :

a)         aviser le demandeur qu'il n'accepte pas le niveau d'études en question;

b)         donner au demandeur la possibilité de dissiper les réserves qu'il a quant à son niveau d'études;

c)         énoncer expressément dans la lettre de refus destinée au demandeur qu'il n'a pas accepté sa prétention concernant son niveau d'études et les raisons pour lesquelles il est arrivé à cette conclusion;

d)         énoncer expressément dans les notes que l'agent des visas consigne dans le STIDI qu'il n'a pas accepté la prétention du demandeur concernant son niveau d'études et les raisons pour lesquelles il est arrivé à cette conclusion?


2.         Lorsque la demande de résidence permanente présentée par un demandeur en tant que membre de la catégorie _ travailleurs qualifiés _ est étayée par des références faisant état des fonctions que le demandeur a assumées dans le cadre de son travail, et que l'agent des visas n'accepte pas une ou plusieurs références, l'agent des visas est-il tenu de prendre l'une ou l'autre des mesures suivantes :

a)         aviser le demandeur qu'il n'accepte pas une ou plusieurs des références;

b)         donner au demandeur et/ou à l'employeur la possibilité de dissiper les réserves qu'il a quant aux références;

c)         énoncer expressément dans la lettre de refus destinée au demandeur que les références n'ont pas été acceptées et les raisons pour lesquelles elles n'ont pas été acceptées;

d)         énoncer expressément dans les notes que l'agent des visas consigne dans le STIDI que les références n'ont pas été acceptées et les raisons pour lesquelles elles n'ont pas été acceptées?

3.         L'omission d'un agent des visas d'informer le demandeur et/ou son employeur, le cas échéant, de son refus d'accepter les diplômes d'enseignement et/ou les références et de donner au demandeur la possibilité ou une occasion raisonnable de dissiper ses réserves constitue-t-elle un manquement à l'équité procédurale?

4.         Si un agent des visas fournit une preuve substantielle dans un affidavit ou lors d'un contre-interrogatoire après que le demandeur a soumis ses derniers éléments de preuve, la preuve substantielle en question doit-elle être soustraite à l'examen de la Cour? Subsidiairement, le demandeur doit-il se voir accorder une autre possibilité de répondre à la nouvelle preuve avant que l'affaire ne soit entendue par la Cour?


[12]            J'ai examiné les observations écrites des parties concernant les questions proposées que j'ai reçues après l'audience. Le défendeur s'est objecté à la certification pour le motif que les questions 1, 2 et 3 ne reposent sur aucun fondement factuel, et que la question 4 n'est pas une question de portée générale. Je suis d'accord avec lui. Compte tenu de la conclusion à laquelle je suis parvenu, il n'y a pas lieu de certifier les questions proposées.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue le 10 février 2003 par l'agente des visas Maria Bravo à l'ambassade du Canada à Buenos Aires en Argentine soit accueillie. L'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu'il procède à un nouvel examen de la demande de résidence permanente. Aucune question n'est certifiée, et aucuns dépens ne sont adjugés.

              _ Michel Beaudry _            

Juge

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-3779-03

INTITULÉ :                                                    VADYM ORZHEKHODKIY

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 29 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE BEAUDRY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 21 MAI 2004

COMPARUTIONS:

Charlotte Janssen                                               POUR LE DEMANDEUR

Mary Matthews                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Charlotte Janssen                                               POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris A. Rosenberg                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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