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Date : 20011116

Dossier : IMM-1342-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1266

ENTRE :

                                       NAWAL HAJ KHALIL, RIYAD EL HASSEN,

ACIL EL HASSEN et ANMAR EL HASSEN,

par l'entremise de leur tuteur à l'instance, Nawal Haj Khalil

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON


[1]                 Le 22 octobre 2001, le défendeur a déposé un avis de requête à examiner conformément à la règle 369 des Règles de la Cour fédérale (1998)[1] afin d'obtenir une ordonnance accueillant la demande de contrôle judiciaire présentée en l'espèce, annulant la décision sous examen, c'est-à-dire une décision rendue par un agent d'immigration supérieur le 25 février 2000, et renvoyant la décision au défendeur en vue d'une nouvelle décision par un autre agent d'immigration supérieur. Le défendeur a précisé dans les documents qu'il a déposés que la nouvelle décision serait fondée sur des renseignements de « source générale » seulement, plutôt qu'en partie sur des renseignements que le défendeur considère comme des renseignements soustraits à la communication, même à la Cour, et qui ont été utilisés aux fins de la décision sous examen. Dans cette décision, l'agent d'immigration supérieur a conclu que Nawal Haj Khalil, la demanderesse principale, n'est pas admissible au Canada, compte tenu de la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi sur l'immigration[2]. Cette décision était apparemment fondée en partie sur le fait que la demanderesse principale n'avait pas obtenu de dispense ministérielle conformément à l'alinéa 19(1)f) de la Loi sur l'immigration. Voici les extraits pertinents du paragraphe 19(1) de la Loi sur l'immigration :

19. (1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :

...

f) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles :

...

(iii) soit sont ou ont été membres d'une organisation don't il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre ou s'est livrée :

...

(B) soit à des actes de terrorisme,

                        le présent alinéa ne visant toutefois pas les personnes qui convainquent le ministre que leur admission ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national;

19. (1) No person shall be granted admission who is a member of any of the following classes:

...

(f) persons who there are reasonable grounds to believe

...

(iii) are or were members of an organization that there are reasonable grounds to believe is or was engaged in

...

(B) terrorism,

                        except persons who have satisfied the Minister that their admission would not be detrimental to the national interest;

[2]                 Les raisons pour lesquelles le défendeur consent à ce que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et à ce que la question soit renvoyée pour nouvelle décision sont des raisons essentiellement techniques.

[3]                 L'avocate des demandeurs s'oppose à la requête du défendeur pour la raison suivante :

[TRADUCTION] Les demandeurs veulent présenter leur demande à la Cour afin que celle-ci tranche elle-même les questions qu'ils soulèvent.

Elle ajoute que ses clients sont restés longtemps dans l'incertitude en ce qui concerne leur statut au Canada et que, en raison de cette situation, la demanderesse principale est séparée de son époux et ses deux enfants, Acil Le Hassen et Anmar Le Hassen, sont séparés de leur père depuis trop longtemps.

[4]                 Par ailleurs, disent les demandeurs, le défendeur n'admet pas que l'agent aurait commis une erreur au sujet de toutes les questions soulevées dans la demande de contrôle judiciaire. Selon eux, un nouveau décideur n'aurait pas de directives de la Cour relativement à toutes les questions sous examen, de sorte que la procédure pourrait être encore plus longue, en raison d'une répétition de ce que les demandeurs considèrent comme des erreurs susceptibles de révision.

[5]                 L'avocate des demandeurs fait valoir que la présente requête ne devrait pas être examinée conformément à la règle 369, mais qu'elle devrait plutôt être présentée à l'audition de la demande de contrôle judiciaire, dont la date a été fixée au 8 janvier 2002.


[6]                 Même si l'avocat du défendeur ne soutient pas que sa requête devrait être accordée au motif qu'elle rend le contrôle judiciaire théorique, l'avocate des demandeurs souligne que c'est là en réalité l'essentiel de l'argument du défendeur. Je suis d'accord avec cette description et j'ai l'intention de trancher la requête sans en reporter l'examen à l'audition de la demande de contrôle judiciaire essentiellement en raison du caractère théorique de la procédure.

[7]                 Le défendeur demande une ordonnance ayant fondamentalement pour effet d'accorder aux demandeurs toutes les réparations qu'ils demandent dans le cadre du contrôle judiciaire, sans toutefois leur donner raison au sujet de toutes les questions qu'ils soulèvent. À mon avis, en raison de la requête du défendeur, la demande de contrôle judiciaire est devenue théorique.

[8]                 Dans l'arrêt Borowski c. Canada (procureur général)[3], le juge Sopinka s'est exprimé comme suit à la page 353 :

La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu'un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu'une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s'applique quand la décision du tribunal n'aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l'affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l'action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l'introduction de l'action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu'il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique général s'applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n'exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l'appliquer. J'examinerai plus loin les facteurs dont le tribunal tient compte pour décider d'exercer ou non ce pouvoir discrétionnaire.


À mon avis, après le dépôt de la présente demande de contrôle judiciaire, un événement matérialisé dans la requête du défendeur dont je suis actuellement saisi a modifié les rapports des parties entre elles de sorte que, si la requête était accueillie, il ne resterait plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties. La seule question que la Cour doit encore examiner est de savoir si elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à ne pas appliquer le principe ou la pratique général selon lequel elle refuse de juger les affaires théoriques. Les facteurs à prendre en compte à ce sujet sont les suivants :

(1)    la question de savoir si un débat contradictoire subsiste entre les parties au sujet des questions soulevées dans la présente demande de contrôle judiciaire;

(2)    la question de savoir si, dans l'ensemble des circonstances, les questions à trancher dans la demande de contrôle judiciaire sont suffisamment importantes pour justifier l'utilisation des ressources judiciaires nécessaires à cette fin, au sens où la décision aurait des effets pratiques sur les droits des parties;

(3)    la question de savoir si la Cour s'éloignerait de son rôle juridictionnel traditionnel si elle tranchait la demande de contrôle judiciaire.

[9]                 Compte tenu des critères qui précèdent et malgré les arguments éloquents de l'avocate des demandeurs, je ne vois aucune raison de déroger au principe ou à la pratique général selon lequel les tribunaux refusent de juger les affaires théoriques. De plus, je ne vois aucune raison, à la lumière des faits mis en preuve aux présentes et des arguments que les avocats ont invoqués, de ne pas faire droit à la requête du défendeur qui rendrait théorique la demande de contrôle judiciaire présentée en l'espèce[4].


[10]            En conséquence la requête du défendeur sera accordée. La demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision sous examen sera annulée et l'affaire sera renvoyée au défendeur pour nouvelle décision par un autre agent d'immigration supérieur, qui se fondera sur des renseignements de « source générale » seulement.

[11]            Aucun avocat n'a invoqué d'arguments au sujet des dépens. Compte tenu de l'ensemble des circonstances, j'estime qu'il existe des raisons spéciales d'accorder aux demandeurs leurs dépens dans la présente requête et dans la demande de contrôle judiciaire, lesquels dépens devraient être taxés selon le barème ordinaire, à moins que les parties n'en conviennent autrement.

      « Frederick E. Gibson »         

Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 16 novembre 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


                                                COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                          IMM-1342-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                        Nawal Haj Khalil et al c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                         -

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

DE LA COUR PAR :                                    Monsieur le juge Gibson

DATE DES MOTIFS :                                  le 16 novembre 2001

COMPARUTIONS :

­                                                                                    POUR LES DEMANDEURS

­                                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman & Associates

Toronto (Ontario)                                                        POUR LES DEMANDEURS

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)                                                        POUR LE DÉFENDEUR



[1]            DORS/98-106.

[2]               L.R.C. (1985), ch. I-2.

[3]            [1989] 1 R.C.S. 342.

[4]            Pour une analyse récente plus complète des facteurs qui pourraient inciter une cour à entendre une affaire d'immigration même si elle est théorique, voir Teng c. Canada (ministre de la citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. n ° 312 (Q.L.) (C.F. 1re inst.).

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