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Date : 20050725

Dossier : IMM-5233-04

RÉFÉRENCE : 2005 CF 1015

OTTAWA (ONTARIO), LE 25 JUILLET 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MICHEL BEAUDRY

ENTRE :

                                                      OMESHWAR SANICHARA

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, ch. F-7, à l'encontre d'une décision de la Section d'appel de l'immigration (SAI) en date du 7 juin 2004, dans laquelle la SAI a rejeté l'appel déposé par le demandeur à l'encontre de la décision d'une agente d'immigration désignée qui a refusé la demande de résidence permanente présentée par l'épouse du demandeur, parce qu'on a jugé qu'elle n'était pas membre de la catégorie du regroupement familial.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[2]                Les questions sont les suivantes :

1.          La SAI a-t-elle appliqué le critère approprié pour déterminer si l'épouse du demandeur était membre de la catégorie du regroupement familial?

2.          La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant que l'épouse du demandeur n'était pas membre de la catégorie du regroupement familial?

[3]                Pour les motifs qui suivent, je dois répondre par la négative aux deux questions posées ci-dessus. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

LE CONTEXTE

[4]                Le demandeur est un citoyen canadien âgé de 22 ans. Son épouse est une citoyenne indienne âgée de 22 ans. Le demandeur et son épouse se sont mariés le 8 mai 2002. Le demandeur a déposé une demande de parrainage pour sa femme le 14 juin 2002. L'agente d'immigration désignée, Emina Tudakovic, a refusé la demande de parrainage parce qu'elle a conclu que le mariage n'était pas authentique et qu'il avait été contracté principalement pour l'acquisition de la résidence permanente au Canada.


LA DÉCISION CONTESTÉE

a)         La décision de l'agente d'immigration désignée

[5]                L'agente d'immigration désignée a refusé la demande de parrainage du demandeur. Conformément aux coutumes de la communauté dans laquelle vit l'épouse du demandeur, son mariage a été arrangé par des membres de sa famille et des amis proche et fiables. L'épouse du demandeur a déclaré dans son témoignage que la compatibilité des parties est la pierre angulaire sur laquelle les mariages arrangés se fondent. Se fondant sur le témoignage des deux conjoints, l'agente d'immigration désignée a conclu que le demandeur et son épouse ne semblaient pas compatibles. Puisque le mariage n'avait pas l'air authentique, l'agente d'immigration désignée a conclu que ce mariage avait été arrangé principalement en vue de l'acquisition de la résidence permanente au Canada. Par conséquent, elle a conclu que l'épouse du demandeur n'était pas membre de la catégorie du regroupement familial aux termes de l'article 4 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (le Règlement).

[6]                Les éléments suivants ont amené l'agente d'immigration désignée à douter du véritable but du mariage :

•            Le demandeur et son épouse ne se sont jamais rencontrés avant le mariage, malgré le fait que le demandeur se trouvait en Inde bien avant le jour du mariage;

•            Le demandeur parle très peu le punjabi et son épouse parle très peu l'anglais;

•            Le demandeur n'était pas présent à la cérémonie des fiançailles;


•            Ni les parents du demandeur ni ses frères et soeurs n'ont assisté au mariage;

•            Le demandeur a passé moins d'une semaine en Inde après le mariage et son épouse n'a pu donner d'explication raisonnable quant à la raison pour laquelle il y était resté si peu de temps;

•            Bien que le demandeur et son épouse soient restés en contact, ce contact était minime. L'épouse du demandeur n'a fourni aucune preuve que son mari l'avait appelée et elle n'a pu présenter que sept factures de téléphone faisant état d'appels de très courte durée faits par elle;

•            Les lettres que l'épouse du demandeur a fournies étaient en anglais. Elle n'était pas en mesure de lire ce qui y était écrit. Qui plus est, elle n'a fourni aucune enveloppe pour prouver que ces lettres lui étaient adressées.

b)         La décision de la Section d'appel de l'immigration

[7]                La Section d'appel de l'immigration a appliqué le critère prévu à l'article 4 du Règlement, selon lequel un étranger n'est pas considéré comme un époux si le mariage n'est pas authentique et vise principalement l'acquisition d'un statut aux termes de la Loi.

[8]                Étant donné que les appels interjetés devant la Section d'appel sont des auditions de novo, la SAI a déclaré qu'il incombait au demandeur de fournir des preuves fiables démontrant que la décision de l'agente d'immigration désignée était erronée.


[9]                La SAI prétend qu'il s'agit d'un cas difficile. Toutefois, elle a fondé sa décision de rejeter l'appel du demandeur sur plusieurs facteurs. Certains de ces facteurs sont les mêmes que ceux soulevés par l'agente d'immigration désignée. Toutefois, la SAI a également expliqué que sa décision se fonde sur plusieurs contradictions importantes qui existent entre le témoignage du demandeur et celui de son épouse, de même qu'entre leurs témoignages et d'autres informations déposées au dossier. La SAI a mentionné que c'est le propre témoignage du demandeur qui a entraîné le rejet de son appel.

[10]            Les contradictions sont les suivantes :

•            L'épouse du demandeur a donné des preuves indiquant qu'il existe des relations familiales entre elle et son époux alors que le demandeur a déclaré qu'il n'y en avait aucune.

•            Le demandeur et son épouse ont tous deux déclaré dans leur témoignage qu'ils ont couché dans un motel le soir du mariage, qui a été célébré le 8 mai 2002. Toutefois, le reçu remis par le demandeur pour appuyer ce témoignage porte une date différente, soit le 11 mai 2002.

•            Le demandeur a déclaré que sa mère n'avait pas pu assister au mariage parce qu'elle est impotente et qu'elle ne peut pas demeurer seule. Toutefois, la lettre du médecin mentionne seulement que la mère du demandeur souffre de graves maux de dos et qu'elle ne peut pas rester assise pendant de longues périodes.

•            Le demandeur n'est pas retourné en Inde depuis son mariage.


•            Même s'il allègue qu'il ne peut laisser sa mère seule en raison des soins qu'elle exige, il ne demeure plus chez sa mère et son père. Comme il a laissé sa mère seule pendant des périodes relativement longues, il n'y a pas de preuve que des soins adéquats ne lui étaient pas donnés pendant ces périodes puisqu'il est tout à fait évident, d'après le témoignage du demandeur, qu'il y avait d'autres personnes qui pouvaient s'en occuper.

ANALYSE

La norme de contrôle

[11]            Le juge O'Keefe a examiné la question de la norme de contrôle d'une décision de la SAI concernant les demandes de parrainage des membres de la famille, dans la décision Khangura c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 815 (C.F. 1re inst.) au paragraphe 21 :

¶ 21       La norme de contrôle qui s'applique à la décision de la section d'appel est celle de la décision correcte lorsqu'une question de droit est en cause et celle de la décision raisonnable simpliciter lorsqu'une question de fait et de droit est en cause. Les conclusions de fait tirées par la section d'appel ne devraient être annulées que si elles sont manifestement erronées.

1.         La SAI a-t-elle appliqué le critère approprié pour déterminer si l'épouse du demandeur était membre de la catégorie du regroupement familial?


[12]            L'engagement du demandeur à parrainer son épouse a été déposé le 14 juin 2002. La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi) et le Règlement sont entrés en vigueur le 28 juin 2004. Étant donné que la demande de parrainage a été déposée avant l'entrée en vigueur de la Loi et du Règlement et qu'elle était toujours en suspens immédiatement avant l'entrée en vigueur de la Loi et du Règlement, les dispositions transitoires prévoient que cette demande doit être traitée en vertu des dispositions de la Loi et du Règlement. À cet égard, les articles 187 et 190 de la Loi prévoient ce qui suit :


187. Aux articles 188 à 201, « ancienne loi » s'entend de la Loi sur l'immigration, chapitre I-2 des Lois révisées du Canada (1985) et, le cas échéant, des textes d'application -- règlements, règles ou autres -- pris sous son régime.

187. For the purposes of sections 188 to 201, "former Act" means the Immigration Act, chapter I-2 of the Revised Statutes of Canada, 1985, and, where applicable, the regulations and rules made under it.

190. La présente loi s'applique, dès l'entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu'aux autres questions soulevées, dans le cadre de l'ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n'a été prise.

190. Every application, proceeding or matter under the former Act that is pending or in progress immediately before the coming into force of this section shall be governed by this Act on that coming into force.


[13]            L'article 13 de la Loi prévoit que le demandeur, qui est un résident permanent du Canada, a le droit de parrainer sa conjointe pour que celle-ci obtienne l'admission au Canada à titre de membre de la catégorie du regroupement familial à moins qu'elle ne soit exclue aux termes de l'article 4 du Règlement.


13. (1) Tout citoyen canadien et tout résident permanent peuvent, sous réserve des règlements, parrainer l'étranger de la catégorie « regroupement familial » .

13. (1) A Canadian citizen or permanent resident may, subject to the regulations, sponsor a foreign national who is a member of the family class.


Mauvaise foi

4. Pour l'application du présent règlement, l'étranger n'est pas considéré comme étant l'époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l'enfant adoptif d'une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l'adoption n'est pas authentique et vise principalement l'acquisition d'un statut ou d'un privilège aux termes de la Loi. DORS/2004-167, art. 3(A).

Bad faith

4. For the purposes of these Regulations, no foreign national shall be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act. SOR/2004-167, s. 3(E).


[14]            Il y a de nombreuses différences entre la Loi et la Loi sur l'immigration et leurs règlements respectifs. L'une de ces différences réside dans le libellé du paragraphe 4(3) du Règlement sur l'immigration, qui est maintenant l'article 4 du Règlement. Le paragraphe 4(3) établissait un critère à double volet pour déterminer si le conjoint était exclu de la catégorie des parents. Pour qu'un conjoint soit refusé, il devait être démontré que (1) le conjoint s'était marié principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada à titre de parent, et (2) qu'il n'avait pas l'intention de vivre en permanence avec son conjoint :


4(3) La catégorie des parents ne comprend pas le conjoint qui s'est marié principalement dans le but d'obtenir l'admission au Canada à titre de parent et non dans l'intention de vivre en permanence avec son conjoint.

4(3) The family class does not include a spouse who entered into the marriage primarily for the purpose of gaining admission to Canada as a member of the family class and not with the intention of residing permanently with the other spouse.


[15]            Ce double critère permettant d'exclure un conjoint de la catégorie des parents a été réitéré dans la décision Horbas c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] 2 C.F. 359 (C.F. 1re inst.), dans laquelle le juge Strayer, plus tard juge à la Cour d'appel, déclarait ce qui suit :

Il faut d'abord souligner qu'il s'agit d'un critère à deux volets. Ainsi, aux termes du paragraphe 4(3), le conjoint n'est exclu que s'il s'est marié principalement dans le but d'obtenir l'admissibilité au Canada et non avec l'intention de vivre en permanence avec son conjoint.

[ . . . ]


Il ne faut pas perdre de vue que ce paragraphe ne peut servir de fondement au rejet d'une telle demande que si le conjoint parrainé s'est marié principalement dans le but d'immigrer et s'il n'a pas l'intention de vivre en permanence avec son conjoint.

[16]            Depuis l'entrée en vigueur du paragraphe 4 du Règlement, le critère dont il faut tenir compte pour déterminer si le conjoint peut être considéré comme membre de la catégorie du regroupement familial est le suivant. Il doit être établi : (1) que le mariage n'est pas authentique; et (2) que le mariage a été contracté principalement dans le but d'acquérir un privilège aux termes de la Loi.

[17]            Le demandeur prétend que la SAI a commis une erreur en n'appliquant pas correctement le critère à double volet énoncé dans la décision Horbas, précitée. Il soutient que la SAI a commis une erreur en ne tenant pas compte des intentions de l'épouse de vivre avec le demandeur. Je ne peux accepter cet argument.

[18]            L'intention de l'époux de demeurer en permanence avec le conjoint parraineur n'est plus un élément pertinent. Puisqu'un des éléments (c'est-à-dire que le mariage vise principalement l'acquisition d'un statut ou d'un privilège prévu par la Loi) est toujours le même, le « critère » énoncé dans la décision Horbas, précitée, peut toujours être utile pour prouver cet élément. Toutefois, il n'est plus nécessaire de tenir compte de l'intention.

[19]            Par conséquent, après un examen détaillé de la décision de la SAI, je suis d'avis qu'elle énonce correctement le critère devant être appliqué aux termes de l'article 4 du Règlement.


2.          La SAI a-t-elle commis une erreur en concluant que l'épouse du demandeur n'était pas membre de la catégorie du regroupement familial?

[20]            Dans une audition de novo, la SAI est en droit de déterminer la plausibilité et la crédibilité des témoignages et des autres éléments de preuve dont elle est saisie. L'importance qu'il faut accorder à cette preuve est également une question sur laquelle elle a le pouvoir de se prononcer. Tant et aussi longtemps que les conclusions et les inférences tirées par la SAI sont raisonnables au vu du dossier, il n'y a pas de raison de modifier sa décision. Quand une audience a été tenue, il faut faire preuve d'encore plus de retenue à l'égard des conclusions relatives à la crédibilité.

[21]            La SAI a énoncé un certain nombre de raisons pour appuyer sa conclusion selon laquelle elle n'a pas jugé que l'épouse du demandeur était membre de la catégorie du regroupement familial. En résumé, la SAI a relevé plusieurs contradictions importantes entre le témoignage du demandeur et celui de son épouse, de même qu'entre leurs témoignages et d'autres éléments au dossier. Étant donné que le demandeur n'a pas pu fournir d'explication raisonnable pour justifier ces contradictions et parce qu'il y avait suffisamment de preuves pour conclure que le mariage n'était pas authentique, la SAI a rejeté l'appel.


[22]            Le demandeur a le fardeau d'établir, d'après la prépondérance de la preuve, que son épouse et lui-même ne se sont pas mariés uniquement aux fins d'une immigration au Canada. Dans une demande de contrôle judiciaire, le demandeur a également le fardeau d'établir que la SAI a commis une erreur susceptible de contrôle. Il n'y a rien qui justifie l'intervention de la Cour en l'espèce.

[23]            Les parties ont eu l'occasion de proposer des questions graves de portée générale et elles ont refusé de le faire. Aucune question ne se pose donc.

                                   O R D O N N A N C E

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

                                                         _ Michel Beaudry _                     

                                                                                                     Juge                                 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               IMM-5233-04

INTITULÉ :                                              OMESHWAR SANICHARA c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                      le 20 juillet 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         le juge Beaudry

DATE DES MOTIFS :                             le 25 juillet 2005

COMPARUTIONS :

Jaswant Mangat                                                                POUR LE DEMANDEUR

Matina Karvellas                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mangat & Co.                                                                  POUR LE DEMANDEUR

Avocats

7420 Airport Rd #202

Mississauga (Ontario)

L4T 4E5

(905) 405-1166

Matina Karvellas                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Exchange Tower

130 King St W Bureau 3400 C.P. 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

(416) 973-0430

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