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Date : 20000508


Dossier : IMM-975-99



Entre :

     MIN SU CHOI,

     Demandeur,


     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     Défendeur.




     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DENAULT


[1]      Il s'agit en l'espèce d'une situation fort inusitée où le demandeur s'est vu refuser, pour lui et sa famille, un visa de résident permanent au Canada dans la catégorie investisseur. Ayant déclaré à l'agent des visas que depuis sa demande initiale de visa, il s'était divorcé de son épouse pour permettre à celle-ci de toucher de la part des autorités coréennes une plus forte indemnité pour l'expropriation de son immeuble, il maintenait cependant avoir l'intention de remarier bientôt son épouse aux fins de leur demande de visa. Estimant avoir des motifs raisonnables de croire que ces faits pouvaient constituer, en Corée, une infraction qui, si commise au Canada pouvait aussi y être punissable, l'agent des visas a jugé que le demandeur appartenait à une catégorie non admissible d'immigrants et a rejeté sa demande.


[2]      Le demandeur cherche à faire annuler cette décision aux motifs que l'agent des visas, qui n'a pas une connaissance spécialisée du droit criminel coréen ou canadien, a erré en décidant que, selon les faits, le demandeur et son épouse avaient commis un fait qui constituerait une infraction tant au sens du Code criminel coréen qu'au Code criminel canadien.


[3]      Reprenons brièvement les faits. Le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada, dans la catégorie investisseur, le 7 novembre 1996. Convoqué pour une entrevue prévue pour le 21 avril 1998, le demandeur a prévenu l'agent des visas qu'il avait enregistré une procédure de divorce contre son épouse pour permettre à celle-ci d'obtenir une compensation financière supérieure de la Korean Land Development Co. suite à l'expropriation d'une propriété enregistrée à son nom. Selon le demandeur, le couple devait faire le nécessaire pour se remarier vers septembre 1998, dès que la transaction serait complétée. Ayant exprimé une certaine inquiétude au sujet du statut matrimonial du demandeur et des raisons pour lesquelles il s'était divorcé de son ex-épouse, l'agent des visas a requis du demandeur la mise à jour, dans les 90 jours, de certains documents dont le Family Census Register (FCR) et le Resident Register (RR).


[4]      Lors de la réception des documents demandés, en juillet 1998, l'agent des visas a noté certaines disparités entre l'original du FCR et du RR et leur traduction1. Intrigué de cette situation, l'agent des visas a demandé, le 9 septembre 1998, qu'on lui fournisse des explications quant à ces erreurs ou omissions. Le demandeur et un représentant de la firme de consultants qui avait fait la traduction des documents ont déposé des déclarations assermentées tentant de justifier ces omissions. Manifestement, ils n'ont pas réussi à convaincre l'agent des visas selon qui la traduction fautive du FCR et du RR ne visait qu'à transformer les faits pour faciliter l'inclusion des membres de la famille dans la demande de visa.2


[5]      Le 5 février 1999, l'agent des visas rejetait la demande dans les termes suivants:

Dear Mr. Choi,
     This refers to your application for permanent residence in Canada which was filed in the Investor category. I regret to inform you that your application has been refused for the reasons which follow.
     You and your spouse, are each members of the class of persons who are inadmissible to Canada which is decribed in subparagraph 19(2)a.1)(ii) of the Immigration Act in that I have reasonable grounds to believe that you have committed on or about May 1997 and/or 21 April 1998 and/or June 1998 in the Republic of Korea of "Untrue Entry in an Officially Authenticated Original Deed" contrary to Article 228 of the Criminal Code of the Republic of Korea and/or "Fraud" contrary to Article 347 of the Criminal Code of the Republic of Korea. My reasonable grounds for this belief are based upon statements made at your selection interview on 21 April 1998 to which you made a solemn declaration of truth, a letter from your representative dated 17 April 1998, a translated Family Census Register and Resident Register dated 16 June 1998, and a solemn affirmation made on 12 October all of which you submitted in connection with your application. I have attached a copy of subparagraph 19(2)a.1)(ii) for your reference.
     The(se) offence(s) would be equivalent to the Canadian offence of "Fraudulent Registration of Title" contrary to Section 386 of the Canadian Criminal Code (CCC), or "Disposal of Property to Defraud Creditors" contrary to CCC Section 392, and/or "False Pretence or False Statement" contrary to Section CCC 362, or "Fraudulent Concealment" contrary to CCC Section 341. These offences may be prosecuted by indictment and each renders the offender liable to a term of imprisonment not to exceed two years except CCC Section 386 which renders the offender liable to a term of imprisonment not to exceed five years.
. . .
     I have also considered other factors in your application and find no other basis for approval.
. . .




[6]      L'article 19 de la Loi sur l'immigration énonce que certains individus font partie d'une catégorie non admissible d'immigrants. Ainsi, le sous-alinéa 19(2)a.1)(ii) énonce ceci:

19.(2) Appartiennent à une catégorie non admissible les immigrants et, sous réserve du paragraphe (3), les visiteurs qui:

. . .

a.1) sont des personnes dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles ont, à l'étranger:

. . .

(ii) soit commis un fait--acte ou omission--qui constitue une infraction dans le pays où il a été commis et qui, s'il était commis au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, par mise en accusation, d'un emprisonnement maximal de moins de dix ans, sauf si elles peuvent justifier auprès du ministre de leur réadaptation et du fait qu'au moins cinq ans se sont écoulés depuis la commission du fait;

19.(2) No immigrant and, except as provided in subsection (3), no visitor shall be granted admission if the immigrant or visitor is a member of any of the following classes:

. . .

(a.1) persons who there are reasonable grounds to believe

. . .

(ii) have committed outside Canada an act or omission that constitute an offence under the laws of the place where the act or omission occurred and that, if committed in Canada, would constitute an offence that may be punishable by way of indictment under any Act of Parliament by a maximum term of imprisonment of less than ten years, except persons who have satisfied the Minister that they have rehabilitated themselves and that at least five years have elapsed since the expiration of any sentence imposed for the offence or since the commission of the act or omission, as the case may be;


[7]      En substance, le demandeur plaide d'abord que l'agent n'était pas habilité à juger si le demandeur avait commis un fait qui constituait une infraction en Corée, n'ayant pas la compétence pour le faire, ni à juger de l'équivalence aux termes de la loi canadienne. Il plaide de plus que l'agent n'avait pas, en l'espèce, de motifs raisonnables de croire que le demandeur avait commis un fait qui constituait une infraction.

[8]      En vertu de la Loi sur l'immigration, il incombe à un immigrant qui cherche à s'établir au Canada de prouver que son admission ne contreviendrait pas à la loi ou à ses règlements (article 8.1), et c'est à l'agent des visas qu'il incombe de les délivrer s'il est convaincu que l'établissement du demandeur et des personnes à sa charge ne contreviendrait pas à la loi et à ses règlements (paragraphe 9(4)). Il incombe dès lors à l'agent des visas de vérifier si un demandeur fait partie d'une catégorie inadmissible au sens de l'article 19 de la loi. Dans la mesure où le sous-alinéa 19(2)a.1)(ii) énonce les éléments dont l'agent des visas doit tenir compte pour juger de la non admissibilité d'un demandeur, c'est clairement à cet agent et non à un avocat ou expert en droit que revient ce pouvoir d'appréciation. Il en va de même lorsqu'il s'agit de juger de l'équivalence de la loi canadienne avec la loi étrangère. À cet égard, dans Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)3, la Cour d'appel fédérale a énoncé ceci à l'égard du sous-alinéa 19(2)a.1)(i) ceci:

Ce qu'il faut comparer, ce sont les faits et la qualification juridique qui caractérise l'infraction au Canada et dans le pays étranger.

J'estime que le même critère doit s'appliquer en regard du sous-alinéa 19(2)a.1)(ii).

[9]      Quant à la norme de preuve nécessaire pour qu'un agent des visas soit convaincu qu'existent des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis un fait qui constitue une infraction dans le pays où il a été commis et au Canada, c'est celle de la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi. En effet, dans Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)4, le juge Dubé a écrit ceci:

La norme de la preuve par croyance fondée sur des "motifs raisonnables" exige davantage que de vagues soupçons, mais est moins rigoureuse que celle de la prépondérance des probabilités en matière civile [Cf. Ramizez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.); Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.); et Al Yamani, supra, note 7, aux p. 215 à 217]. Et bien entendu, elle est bien inférieure à celle de la preuve "hors de tout doute raisonnable" requise en matière criminelle. Il s'agit de la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi.


[10]      Le demandeur plaide que l'agent, dans les circonstances de l'espèce, n'avait pas de motifs raisonnables de croire qu'une telle infraction avait été commise et qu'il a erré en se référant aux articles 228 et 347 du Code criminel coréen et aux articles 341, 362, 386 et 392 du Code criminel canadien. (Ces articles sont reproduits en annexe.) L'agent des visas Susan Dragan a pourtant énoncé, au paragraphe 24 de son affidavit en réponse à la présente demande, les motifs de sa décision:


24. Given the Applicant's admitted registration of a false divorce to obtain financial gain and his declared intended re-registration of marriage to obtain admission to Canada for his (ex)spouse in verbal statements sworn at interview, the written record of the former actions as stated above (registration of a false divorce in order to obtain financial gain) indicated in the consultant's letter of April 17, 1998 recorded in the Family Census Register and Resident Register dated June 16, 1998, the glaring omissions and unexplained additions in the translations of the aforementioned registers, the significant omissions or discrepancies of their explanations/actions in the solemn affirmations of the Applicant and consultant company employee respectively, it was my conclusion that there was reasonable grounds to believe that the Applicant had committed an offence.



[11]      Je souligne que la partie demanderesse n'a pas démontré l'absence de corrélation entre les actes qui lui sont reprochés et les articles 228 et 347 du Code criminel coréen. Tout comme le partie demanderesse n'a pas plaidé le manque d'équivalence de la loi canadienne par rapport à la loi coréenne, ni en quoi tous ou certains des articles du Code criminel canadien ne couvrent pas les frais soulevés dans la présente affaire.

[12]      J'estime qu'à la lumière de la preuve, il n'était pas déraisonnable pour l'agent des visas de conclure que le demandeur faisait partie d'une catégorie inadmissible d'immigrants dans la mesure où, selon l'aveu même du demandeur, il avait commis des actes visant à permettre à son épouse d'obtenir un avantage financier.

[13]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[14]      Le procureur du demandeur a suggéré que la question suivante soit certifiée par la Cour, aux termes de l'article 83 de la Loi sur l'immigration, aux fins d'un appel devant la Cour d'appel fédérale:

Est-ce à tort, sur la seule base des explications du demandeur transmises à l'agent des visas quant aux raisons qui l'ont motivé à obtenir le divorce et sans référence à la loi coréenne sur le divorce, au jugement de divorce, à l'état du droit pénal en la matière ou à tout autre élément matériel, que l'agent des visas a conclu qu'il avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur avait commis, à l'étranger, des actes ou omissions qui constitueraient en Corée une infraction au sens du sous-alinéa 19(1)c.1(ii) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985) Ch.I-2?


[15]      J'estime qu'il n'y a pas lieu de certifier cette question. D'abord la demande de visa n'a pas été refusée sur la base du sous-alinéa 19(1)c.1(ii) mais plutôt du sous-alinéa 19(2)a.1)(ii) de la Loi. De plus, non seulement cette question ne transcende-t-elle pas l'intérêt immédiat des parties5 mais elle ne pourrait permettre à la Cour d'appel de disposer de ce litige6 dans la mesure où le dossier ne contient aucune référence à la loi coréenne sur le divorce ni même de jugement de divorce que la Cour pourrait apprécier.


                             _________________________

                                     Juge

Ottawa (Ontario)

le 8 mai 2000

__________________

     1      Des informations, incluant des dates dans le texte original, n'apparaissaient pas dans la traduction du FCR; de plus, une liste de six (6) individus incluant l'ex-épouse apparaissait dans la traduction du RR alors que l'ex-épouse était absente du texte original lequel ne contenait qu'une liste de cinq (5) individus.

     2      Voir les paragraphes 18 à 23 de l'affidavit de l'agent des visas Susan Dragan.

     3      [1996] J.C.F. No. 1060, dossier no. A-329-95 (C.A.F.) paragraphe 25.

     4      (1998) 2 C.F. 642, paragraphe 27.

     5      Liyanagamage c. M.C.I. (1994) 176 N.R. 4, A-703-93, ler nov. 1997 (C.A.F.).

     6      Samoylenko et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996) 116 F.T.R. 144.

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