Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050218

Dossier : IMM-434-05

Référence : 2005 CF 267

Vancouver (Colombie-Britannique), le vendredi 18 février 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX                           

ENTRE :

                                                 MICHAEL GEORGE LAMPROS

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]         Michael George Lampros (le demandeur) est un citoyen américain, un étranger et un détenu fédéral à l'établissement de Mission, en Colombie-Britannique. La Cour provinciale de Colombie-Britannique l'a reconnu coupable, le 23 août 2004, d'usurpation d'identité avec l'intention d'obtenir un avantage, infraction prévue au paragraphe 403a) du Code criminel, et l'a condamné à une peine de 34 mois d'emprisonnement.


[2]         Dans cette instance, monsieur Lampros, qui comparaît sans être représenté, demande à la Cour de prononcer, en vertu de l'article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, un sursis à l'exécution d'une mesure d'expulsion prise contre lui le 8 décembre 2004 par un représentant du ministre, alors que le demandeur était en prison. La mesure d'expulsion prise contre le demandeur est fondée sur le fait que ce dernier doit être interdit de territoire pour grande criminalité, tel que prévu à l'alinéa 36(1)a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).

[3]         J'ajoute que le 8 décembre 2004, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a ordonné au directeur de l'établissement de Mission, conformément à l'article 59 de la LIPR, de remettre monsieur Lampros à un agent d'immigration, à la fin de sa période de détention, sans doute parce que CIC avait été informé par le FBI que la Circuit Court du compté de Fairfax, en Virginie, avait délivré un mandat d'amener contre monsieur Lampros, le 14 janvier 1999.

[4]         L'alinéa 50b) de la LIPR prévoit une ordonnance de sursis de la mesure de renvoi « tant que n'est pas purgée la peine d'emprisonnement infligée au Canada à l'étranger » [non souligné dans l'original].

[5]         Monsieur Lampros souhaite obtenir un sursis en raison de l'incidence de la mesure d'expulsion sur son admissibilité à une semi-liberté ou à une permission de sortir sans escorte.

[6]         En vertu du paragraphe 128(4) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la LSCMLC), promulgué à titre de modification corrélative de la LIPR, un détenu fédéral visé par une mesure de renvoi n'est pas habilité à bénéficier du régime de semi-liberté ou d'une permission de sortir sans escorte tant et aussi longtemps qu'il n'est pas admissible à une libération conditionnelle totale. Cette restriction a pour effet de retarder le moment où la peine du détenu est réputée avoir été purgée; en effet, lorsque le détenu obtient une semi-liberté ou une permission de sortir sans escorte, sa peine est réputée avoir été purgée, tel que prévu au paragraphe 128(3).


[7]         Monsieur Lampros affirme que le 8 mars 2005, il deviendra admissible à la semi-liberté ou à une permission de sortir sans escorte mais qu'il ne sera admissible à la liberté conditionnelle totale qu'à compter du 11 août 2005. S'il obtient un sursis, il redeviendra admissible à la semi-liberté ou à une permission de sortir sans escorte en vertu du paragraphe 128(6) de la LSCMLC.

[8]         L'article 128 de la LSCMLC est libellé ainsi :

128. (1) Le délinquant qui bénéficie d'une libération conditionnelle ou d'office ou d'une permission de sortir sans escorte continue, tant qu'il a le droit d'être en liberté, de purger sa peine d'emprisonnement jusqu'à l'expiration légale de celle-ci.

(2) Sauf dans la mesure permise par les modalités du régime de semi-liberté, il a le droit, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, d'être en liberté aux conditions fixées et ne peut être réincarcéré au motif de la peine infligée à moins qu'il ne soit mis fin à la libération conditionnelle ou d'office ou à la permission de sortir ou que, le cas échéant, celle-ci ne soit suspendue, annulée ou révoquée.

(3) Pour l'application de l'alinéa 50b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et de l'article 40 de la Loi sur l'extradition, la peine d'emprisonnement du délinquant qui bénéficie d'une libération conditionnelle d'office ou d'une permission de sortir sans escorte est, par dérogation au paragraphe (1), réputée être purgée sauf s'il y a eu révocation, suspension ou cessation de la libération ou de la permission de sortir sans escorte ou si le délinquant est revenu au Canada avant son expiration légale.

128. (1) An offender who is released on parole, statutory release or unescorted temporary absence continues, while entitled to be at large, to serve the sentence until its expiration according to law.

(2) Except to the extent required by the conditions of any day parole, an offender who is released on parole, statutory release or unescorted temporary absence is entitled, subject to this Part, to remain at large in accordance with the conditions of the parole, statutory release or unescorted temporary absence and is not liable to be returned to custody by reason of the sentence unless the parole, statutory release or unescorted temporary absence is suspended, cancelled, terminated or revoked.

(3) Despite subsection (1), for the purposes of paragraph 50(b) of the Immigration and Refugee Protection Act and section 40 of the Extradition Act, the sentence of an offender who has been released on parole, statutory release or an unescorted temporary absence is deemed to be completed unless the parole or statutory release has been suspended, terminated or revoked or the unescorted temporary absence is suspended or cancelled or the offender has returned to Canada before the expiration of the sentence according to law.


(4) Malgré la présente loi ou la Loi sur les prisons et les maisons de correction, l'admissibilité à la libération conditionnelle totale de quiconque est visé par une mesure de renvoi au titre de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés est préalable à l'admissibilité à la semi-liberté ou à l'absence temporaire sans escorte.

(5) La libération conditionnelle du délinquant en semi-liberté ou en absence temporaire sans escorte devient ineffective s'il est visé, avant l'admissibilité à la libération conditionnelle totale, par une mesure de renvoi au titre de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés; il doit alors être réincarcéré.

(6) Toutefois, le paragraphe (4) ne s'applique pas si l'intéressé est visé par un sursis au titre des alinéas 50a) ou 66b) ou du paragraphe 114(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

(7) La semi-liberté ou la permission de sortir sans escorte redevient effective à la date du sursis de la mesure de renvoi visant le délinquant pris, avant son admissibilité à la libération conditionnelle totale, au titre des alinéas 50a) ou 66b) ou du paragraphe 114(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

(4) Despite this Act or the Prisons and Reformatories Act, an offender against whom a removal order has been made under the Immigration and Refugee Protection Act is ineligible for day parole or an unescorted temporary absence until the offender is eligible for full parole.

(5) If, before the full parole eligibility date, a removal order is made under the Immigration and Refugee Protection Act against an offender who has received day parole or an unescorted temporary absence, on the day that the removal order is made, the day parole or unescorted temporary absence becomes inoperative and the offender shall be reincarcerated.

(6) An offender referred to in subsection (4) is eligible for day parole or an unescorted temporary absence if the removal order is stayed under paragraph 50(a), 66(b) or 114(1)(b) of the Immigration and Refugee Protection Act.

(7) Where the removal order of an offender referred to in subsection (5) is stayed under paragraph 50(a), 66(b) or 114(1)(b) of the Immigration and Refugee Protection Act on a day prior to the full parole eligibility of the offender, the unescorted temporary absence or day parole of that offender is resumed as of the day of the stay.                      

                                                [Non souligné dans l'original.]

[9]         Le 25 janvier 2005, monsieur Lampros a signifié et déposé une demande de sursis et de contrôle judiciaire, accompagnée d'une demande de prorogation de délai. Dans sa demande de contrôle judiciaire, il conteste la validité de la mesure d'expulsion du 8 décembre 2004 et demande à la Cour de l'annuler.

[10]       Au soutien de sa demande de sursis, le demandeur a déposé une déclaration assermentée et un exposé de ses arguments. Dans son exposé, il indique que dans sa demande de sursis, [traduction] « le demandeur demande à la Cour d'annuler et/ou de déclarer sans effet et/ou inconstitutionnel le paragraphe 128(4) de la LSCMLC au motif qu'il contrevient à l'article 15 de la Charte » .


[11]       Le demandeur soutient que sa demande soulève les questions sérieuses suivantes :

a)          le fait qu'une partie seulement de la LSCMLC soit en vigueur (absence de processus d'appel pour les réfugiés) contrevient à l'article 7 de la Charte;

b)          le paragraphe 128(4) de la LSCMLC contrevient à l'article 15 de la Charte;

c)          le paragraphe 128(4) est contraire à l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Chaudry c. Canada, (1999) 168 F.T.R. 318 (CA);

d)          ses droits garantis à l'article 7 de la Charte n'ont pas été respectés en raison de [traduction] « l'entrevue de cinq minutes avec un agent d'exécution venu avec la mesure d'expulsion déjà rédigée et prête à recevoir la signature du demandeur (...) et prise par une personne qui n'est pas un tribunal indépendant et impartial » ;

e)          le demandeur est privé de son droit de se faire entendre par la Cour et de présenter ses contestations fondées sur la Charte.

[12]       En ce qui concerne la prépondérance des inconvénients, il affirme que le défendeur ne subit aucun préjudice, que [traduction] « le demandeur souhaite obtenir un sursis afin de pouvoir exercer son droit de quitter volontairement le pays, tel que prévu à l'article 238 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, vers un lieu de son choix aux États-Unis, à ses propres frais et le plus tôt possible, à savoir le 8 mars 2005 » . Il affirme qu'il accepte de quitter volontairement le pays et que [traduction] « la seule chose qui retarde le départ du demandeur, ce sont les démarches administratives du défendeur » .

[13]       Le demandeur conclut ainsi : [traduction] « s'il est autorisé à quitter volontairement le pays, il renoncera à ses droits à l'examen des risques avant renvoi » .

[14]       Dans un premier temps, la demande de sursis du demandeur a été entendue par téléconférence à Vancouver, le lundi 7 février 2005.


[15]       Lors de l'audience, la question suivante a été soulevée : dans sa demande de sursis, monsieur Lampros conteste-t-il la validité de la mesure d'expulsion du 8 décembre 2004, prise par le représentant du ministre en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR et de l'alinéa 228(1)a) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés?

[16]       Monsieur Lampros, sans faire mention de l'attaque contenue dans son exposé des arguments, a indiqué pour la première fois qu'il contestait la validité de la mesure d'expulsion parce qu'elle était fondée sur un chef d'accusation, sur une déclaration de culpabilité et sur un mandat d'incarcération entachés d'erreur puisque libellés au nom de Michael Gregory Lampros et non à son véritable nom, Michael George Lampros.

[17]       J'ai autorisé les parties à déposer un mémoire complémentaire et j'ai entendu les arguments des parties par téléconférence, à partir de Vancouver, le 14 février 2005.

[18]       Soulignons que dans son mémoire complémentaire, le demandeur s'attarde à contester la validité du paragraphe 128(4) de la LSCMLC et demande une ordonnance de mandamus obligeant la Commission nationale des libérations conditionnelles à réaliser un examen accéléré de sa demande de libération conditionnelle.

[19]       Il est bien établi que pour obtenir une ordonnance de sursis en vertu de l'article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, une partie doit satisfaire au critère en trois volets défini dans RJR-MacDonald Inc. c. Le procureur général du Canada [1994] 1 R.C.S. 311, à savoir : (1) une question sérieuse à juger; (2) un préjudice irréparable; (3) la prépondérance des inconvénients.


Question sérieuse

[20]       À mon avis, le demandeur n'a soulevé aucune question sérieuse susceptible de remettre en cause la validité de la mesure d'expulsion au motif que son infraction criminelle a été traitée sous le nom de Michael Gregory Lampros. Il a déposé un plaidoyer de culpabilité à l'égard de cette accusation, il a précisé au juge de la Cour provinciale qu'il ne s'appelait pas Michael Gregory Lampros mais bien Michael George Lampros et la mesure d'expulsion porte son véritable nom. Lorsqu'il s'est adressé au juge de la Cour provinciale, à ce qu'il appert des documents que monsieur Lampros a remis à la Cour, il n'a présenté aucune objection concernant le nom sous lequel il a été accusé mais il a posé cette question au juge : [traduction] « avez-vous créé un autre pseudonyme pour moi? » .

[21]       Je retiens les décisions citées par l'avocat du défendeur, selon lesquelles l'identité d'une personne est corporelle et une personne peut être condamnée sous un nom erroné ou en l'absence de tout nom. Il ne fait aucun doute que Michael George Lampros a été reconnu coupable de l'infraction reprochée.

[22]       N'eût été la contestation, par monsieur Lampros, de la mesure d'expulsion prise par le représentant du ministre le 8 décembre 2004, pour des motifs liés à la procédure et à la Charte, j'aurais conclu que le demandeur n'a soulevé aucune question sérieuse quant à la validité de la mesure d'expulsion [non souligné dans l'original].

[23]       Après avoir lu l'intégralité du dossier déposé à la Cour, je constate que la principale objection que soulève monsieur Lampros se rapporte à l'application du paragraphe 128(4) de la LSCMLC, qu'il cherche à faire déclarer invalide.


[24]       Cependant, le demandeur ne peut pas se servir de son recours en contestation de la validité du paragraphe 128(4) de la LSCMLC pour contester la validité de la mesure de renvoi prononcée en vertu de la LIPR car cela constituerait une contestation accessoire inacceptable de la mesure de renvoi.

[25]       Je pense que le demandeur a effectivement soulevé une question sérieuse, dans sa contestation fondée sur l'article 7 de la Charte, en remettant en cause l'impartialité du représentant du ministre en ce qui concerne la prise d'une mesure d'expulsion.

[26]       Je ne suis pas d'accord avec le procureur du ministre, lorsqu'il affirme que la décision Sogi c. Canada (M.C.I.), 2004 CAF 212 (ou la décision de première instance) règle la question. Cette affaire ne portait pas sur la question soulevée par le demandeur.

[27]       Selon moi, le demandeur n'a pas satisfait aux deux autres volets du critère applicable. Il n'a pas prouvé l'existence d'un préjudice irréparable - un préjudice qui ne peut être réparé par des dommages-intérêts. Le préjudice dont il parle est l'obstacle que dresse la mesure d'expulsion, et plus particulièrement le paragraphe 128(4) de la LSCMLC, contre son admissibilité au régime de semi-liberté ou à une permission de sortir sans escorte, c'est-à-dire qu'il est obligé de rester en prison plus longtemps qu'il ne le devrait.


[28]       Premièrement, il n'existe aucun lien entre la mesure de renvoi et la raison pour laquelle sa détention est prolongée. Ce préjudice découle de la LSCMLC. Deuxièmement, même s'il y avait un lien, le préjudice - les jours de détention supplémentaires - demeure conjectural puisqu'il dépend de la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles de lui accorder ou non une libération anticipée ou une permission de sortir sans escorte et en tout état de cause, même si les jours de détention supplémentaires étaient illicites, ils pourraient faire l'objet d'une indemnisation en dommages-intérêts. Voir Linden, La responsabilité civile délictuelle, 6e éd., Butterworths, pages 50 et 51.

[29]       En ce qui concerne la prépondérance des inconvénients, elle est en faveur du ministre. Le recours du demandeur est une contestation fondée sur la Charte. L'arrêt de la Cour suprême du Canada Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, à la page 129, nous indique que lorsque la validité constitutionnelle d'une disposition est contestée, il faut prendre en compte l'intérêt public. À la page 135 de cet arrêt, le juge Beetz précise qu'il « semble bien évident qu'une injonction interlocutoire dans la plupart des cas de suspension (...), dans un bon nombre de cas d'exemption, risque de contrecarrer temporairement la poursuite du bien commun » .

[30]       À mon avis, la validité du régime établi par la loi à l'égard de l'article 44 de la LIPR ne doit pas être contestée dans le cadre d'une injonction interlocutoire, en l'espèce. Rappelons que le demandeur conteste la validité de la mesure de renvoi en raison de l'obstacle que constitue la LSCMLC contre une éventuelle libération anticipée ou permission de sortir sans escorte.

[31]       Je ne formulerai aucune remarque concernant la discussion qui a eu lieu lors de la dernière audience, quant à la manière dont le demandeur pourrait contester directement la validité du paragraphe 128(4) de la LSCMLC.

                                        ORDONNANCE

Pour ces motifs, la demande de sursis est rejetée.


« F. Lemieux »

Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-434-05

INTITULÉ :               MICHAEL GEORGE LAMPROS

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Vancouver (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                            Le 14 février 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE LEMIEUX

DATE DES MOTIFS :                                   Le 18 février 2005

COMPARUTIONS :

Michael George Lampros                                              en son propre nom

Esta Resnick                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.