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     IMM-1527-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 7 JUILLET 1997

DEVANT LE JUGE JOYAL

ENTRE

     NALINI KRISHNAKUMAR,

LAKSMAN KRISHNAKUMAR,

THINISHAN KRISHNAKUMAR,

     requérants,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est par les présentes rejetée.

     "L-Marcel Joyal"

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 7 juillet 1997

Traduction certifiée conforme     

                                     C. Delon, LL.L.

     IMM-1527-96

ENTRE

     NALINI KRISHNAKUMAR,

LAKSMAN KRISHNAKUMAR,

THINISHAN KRISHNAKUMAR,

     requérants,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE JOYAL

     Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié (la "SSR") de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu, le 2 avril 1996, que les requérants n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

     Les requérants sollicitent une ordonnance enjoignant à la SSR de reconnaître leur statut de réfugiés au sens de la Convention ou, subsidiairement, une ordonnance annulant la décision du tribunal et déférant l'affaire à un tribunal composé de membres différents pour réexamen.

I. LES FAITS

     Les requérants, Nalini Krishnakumar, et ses deux enfants mineurs, Laksman Krishnakumar et Thinishan Krishnakumar, sont citoyens sri-lankais. Ils sont arrivés au Canada le 28 juin 1995 en passant par Singapour. La requérante principale allègue être une réfugiée au sens de la Convention parce qu'elle craint avec raison d'être persécutée du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social (soit celui des jeunes femmes tamoules). Plus précisément, elle craint d'être persécutée par les rebelles tamouls dans le nord de Sri Lanka et par les autorités gouvernementales dans la capitale, Colombo.

     Les faits sur lesquels la requérante fonde sa revendication ont en général été retenus par la SSR1. Voici un résumé des événements tels qu'ils sont énoncés dans le Formulaire de renseignements personnels de la requérante et dans les motifs de la SSR.

     À Sri Lanka, la requérante habitait à Jaffna où son mari possédait et exploitait un restaurant. La requérante travaillait comme préposée à la tenue de livres dans un hôpital local. Elle affirme que, pendant qu'elle était à Jaffna, sa famille a été persécutée par les rebelles tamouls. En particulier, les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (les "LTTE") ont contraint le mari à donner de l'argent à l'organisation de guérilléros pour qu'il puisse continuer à exploiter son entreprise.

     En octobre 1994, on a accusé le frère du mari de la requérante d'espionner les LTTE. Le frère a été arrêté par les rebelles et condamné à mort. Le mari de la requérante a protesté contre la sentence de mort qui avait été prononcée contre son frère. Il a donc lui-même été arrêté par les rebelles tamouls et torturé. La requérante se rendait au camp des LTTE tous les jours pour demander à voir son mari. Elle a également été arrêtée le 14 novembre 1994 et elle a été détenue et harcelée pendant deux semaines. Elle a été mise en liberté le 28 novembre 1994 et son mari l'a été le 2 février 1995.

     Peu de temps après, les LTTE ont autorisé la requérante et sa famille à quitter Jaffna pour que le mari puisse se faire traiter par les médecins, sa santé s'étant gravement détériorée pendant son incarcération. On leur a délivré un laissez-passer à condition qu'ils retournent à Jaffna dans un délai de trois semaines.

     À Colombo, la famille a été harcelée par les autorités locales. Les membres de la famille ont été arrêtés à deux reprises et détenus par la police, qui les soupçonnait d'avoir des liens avec les LTTE. Le premier incident s'est produit le 21 avril 1995. La requérante et sa famille ont été arrêtées ainsi que les autres résidents de l'habitation où ils demeuraient, à la suite d'une attaque terroriste déclenchée par les LTTE à Trincomalee. Ils ont été détenus pendant deux jours et ils ont été mis en liberté en versant leur propre caution après avoir présenté une preuve de leur identité. La requérante a été obligée de verser 30 000 roupies pour que son mari soit mis en liberté.

     Le deuxième événement s'est produit le 3 juin 1995. La requérante a été arrêtée pendant que son mari et ses enfants étaient absents. Elle affirme avoir été détenue pendant deux semaines et avoir été mise en liberté à condition de se présenter à la police toutes les deux semaines. Une somme de 15 000 roupies a été versée à la police à titre de pot-de-vin.

     La famille a quitté Colombo le 28 juin 1995 pour se rendre à Singapour. Il n'a été possible de prendre des dispositions pour se rendre au Canada qu'à l'égard de la requérante principale et de ses enfants.

II. LA DÉCISION DE LA SSR

     La question dont la SSR était saisie était de savoir si Colombo offre une possibilité de refuge intérieur viable (la "PRI"). Le tribunal a conclu que la capitale satisfaisait au critère à deux volets que la Cour d'appel fédérale avait établi dans les arrêts Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)2 et Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)3.

     En premier lieu, le tribunal n'était pas convaincu de l'existence d'un fondement objectivement valable justifiant la crainte qu'avait la requérante d'être persécutée si elle retournait à Colombo. Plus précisément, le tribunal a conclu qu'une mère de deux enfants en bas âge âgée de 37 ans et possédant des pièces d'identité ne correspondait pas au profil des personnes que les autorités soupçonnent d'être des terroristes et des partisans des LTTE, soit les jeunes Tamouls venant du nord et n'ayant pas de pièces d'identité. Le témoignage de la requérante elle-même étayait cette conclusion :

a)      Le 21 avril 1995, la requérante a brièvement été détenue;
b)      La requérante a été arrêtée lors de l'arrestation en masse des Tamouls à Colombo, à la suite d'une attaque terroriste déclenchée par les LTTE;
c)      La requérante n'a jamais été maltraitée pendant qu'elle était détenue par la police;
d)      La police a uniquement interrogé la requérante au sujet de son identité;
e)      Aucune condition n'a été imposée à la requérante à l'égard de sa mise en liberté.

     Quant à la présumée détention qui a duré deux semaines, la SSR a conclu que la requérante avait inventé cette histoire. Le tribunal croyait qu'il était peu probable que la requérante eût été détenue pendant une période aussi longue à moins qu'on la soupçonne d'être affiliée aux LTTE. Toutefois, on ne la soupçonnait probablement pas d'être partisane des LTTE, puisque son mari n'a pas été détenu à ce moment-là, que la police n'a pas interrogée la requérante et qu'aucune condition n'a été imposée à l'égard de sa mise en liberté.

     La SSR a également conclu que la preuve documentaire n'étayait pas la prétention de la requérante, à savoir qu'elle risquait d'être persécutée à Colombo :

a)      De plus en plus de Tamouls sont arrêtés, mais ils ne sont détenus que brièvement (en moyenne pendant 48 heures) et ils sont mis en liberté une fois qu'on a vérifié leurs pièces d'identité.
b)      L'État sri-lankais tente de lutter contre les violations des droits de la personne dans le pays. Les autorités sri-lankaises ont établi un service des enquêtes spéciales pour examiner les allégations selon lesquelles la police est corrompue.

     Compte tenu des circonstances et de l'arrêt Arumugam4, la SSR a conclu que la requérante aurait dû s'efforcer de se réclamer de la protection de l'État sri-lankais avant de demander la protection internationale.

     En second lieu, la SSR a conclu que Colombo offrait une PRI raisonnable dans les circonstances. Voici les motifs qu'elle a donnés :

a)      Plus de 350 000 Tamouls résident à Colombo, dont environ 150 000 sont des réfugiés venant du nord du pays;
b)      Le fait que la requérante connaît l'anglais et le tamoul, et ses antécédents professionnels laissent entendre qu'une PRI à Colombo est raisonnable et viable.

III. LES QUESTIONS EN LITIGE

     La principale question soulevée par la demande est de savoir si la SSR a commis une erreur susceptible de révision en concluant que Colombo offrait une PRI viable.

IV. ANALYSE

     Les requérants énoncent un certain nombre d'erreurs commises par le tribunal, notamment des inférences déraisonnables, une mauvaise interprétation de la preuve et l'omission d'appliquer les éléments de preuve pertinents. À vrai dire, certaines remarques que le tribunal a faites sont peut-être ambiguës ou malencontreuses, mais je ne crois pas que la validité de la décision soit pour autant remise en question. En outre, il est depuis longtemps établi que les questions de vraisemblance ou de crédibilité relèvent de la compétence du tribunal et ne donnent habituellement pas lieu à une intervention dans le cadre d'un contrôle judiciaire.

     La SSR a acquis au fil des ans des connaissances spéciales étendues lorsqu'il s'agit de conclure que Colombo offre une PRI pour les revendicateurs sri-lankais. La SSR ne peut pas utiliser ces connaissances d'une façon futile ou irresponsable ; par ailleurs, ses conclusions en général et les jugements de valeur qu'elle porte en particulier doivent être examinés et interprétés dans ce contexte.

V. CONCLUSION

     L'avocat des requérants a débattu l'affaire d'une façon impressionnante, mais comme je l'ai dit, je ne vois aucun motif convaincant me permettant d'intervenir. La demande doit donc être rejetée.

     "L-Marcel Joyal"

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 7 juillet 1997

Traduction certifiée conforme     

                                     C. Delon, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  IMM-1527-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          NALINI KRISHNAKUMAR et autres c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :          le lundi 7 juillet 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE          du juge Joyal en date du 7 juillet 1997

ONT COMPARU :

     Manuel Jesudasan,                          pour la requérante

     David Tyndale,                          pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Manuel Jesudasan                          pour la requérante

     Scarborough (Ontario)

     George Thomson                          pour l'intimé

     Sous-procureur général du Canada


__________________

1      La SSR a rejeté certaines parties de l'histoire de la requérante. J'examinerai cette question lorsque je parlerai de la décision du tribunal.

2      1994 1 C.F. 589 (C.A.).

3      1994 1 C.F. 589 (C.A.).

4      (1994), 28 Imm. L.R. (2d) 185 (C.F. 1re inst.)

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