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Date : 20010302

Dossier : T-2669-97

Référence neutre : 2001 CFPI 138

AFFAIRE INTÉRESSANT une révocation de la citoyenneté en vertu des articles 10

et 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, modifiée, et de l'article 19

de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. (1952), ch. 33, modifiée;

ET une demande de renvoi à la Cour fédérale

en vertu de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, modifiée;

ET un renvoi devant la Cour introduit en vertu de la règle 920

des anciennes Règles de la Cour fédérale et poursuivi en vertu de la règle 169a)

des Règles de la Cour fédérale (1998), ainsi que le prévoit la règle 501.

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

- et -

WASYL ODYNSKY

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE MacKAY

[1]                Il s'agit d'un renvoi par le demandeur, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, en vertu de l'alinéa 18(1)b) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, modifiée, (la Loi), du dossier du ministre concernant l'acquisition de la citoyenneté par le défendeur, Wasyl Odynsky. Le ministre demande une déclaration que le défendeur a été admis au Canada à titre de résident permanent et a acquis la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[2]                Pour les motifs qui suivent, je prononce la déclaration demandée, puisque je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que M. Odynsky a été admis au Canada à titre de résident permanent en 1949 et a acquis la citoyenneté en vertu de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. (1952), ch. 33 (la Loi de 1952) au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[3]                Ces motifs sont longs et, par souci de commodité, ils sont organisés en chapitres, commençant aux paragraphes indiqués.

[4]         Introduction

[13]       Les questions soumises à la Cour

[20]       L'historique

[20]                   L'odyssée de M. Odynsky, de la Seconde Guerre mondiale jusqu'à 1955

[49]                   La politique et la pratique canadiennes en matière d'immigration, 1945-1949

[61]                   Le témoignage de M. Odynsky sur son admission au Canada

[75]                   Les circonstances dans lesquelles M. Odynsky a acquis la citoyenneté


[91]       Questions de droit importantes

[92]                   La portée de l'avis de révocation

[113]                 L'application de l'article 10 de la Loi

[125]                 Le pouvoir de rejeter des candidats à l'immigration pour des motifs de sécurité

[154]                 L'interprétation de la formule « dissimulation intentionnelle de faits essentiels » aux paragraphes 10(1) et 18(1) de la Loi

[163 ]    Les activités de M. Odynsky pendant la guerre et le contrôle de sécurité des candidats à l'immigration en 1949

[192]     Sommaire des constatations et conclusions

[225]     Conclusion

Introduction

[4]                Le ministre a avisé M. Odynsky de son intention de faire rapport au gouverneur en conseil, en vertu de l'article 10 de la Loi, que le défendeur avait acquis la citoyenneté par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Après réception de cet avis, M. Odynsky a demandé au ministre de renvoyer l'affaire devant la Cour.

[5]                Ces démarches étaient conformes aux articles 10 et 18 de la Loi, ainsi conçus :



10. (1) Sous réserve du seul article 18, le gouverneur en conseil peut, lorsqu'il est convaincu, sur rapport du ministre, que l'acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la présente loi par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l'intéressé, à compter de la date qui y est fixée:

a) soit perd sa citoyenneté;

b) soit est réputé ne pas avoir répudié sa citoyenneté.

(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l'a acquise à raison d'une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l'un de ces trois moyens.

10. (1) Subject to section 18 but notwithstanding any other section of this Act, where the Governor in Council, on a report from the Minister, is satisfied that any person has obtained, retained, renounced or resumed citizenship under this Act by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances,

(a) the person ceases to be a citizen, or

(b) the renunciation of citizenship by the person shall be deemed to have had no effect, as of such date as may be fixed by order of the Governor in Council with respect thereto.

(2) A person shall be deemed to have obtained citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances if the person was lawfully admitted to Canada for permanent residence by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances and, because of that admission, the person subsequently obtained citizenship.




18. (1) Le ministre ne peut procéder à l'établissement du rapport mentionné à l'article 10 sans avoir auparavant avisé l'intéressé de son intention en ce sens et sans que l'une ou l'autre des conditions suivantes ne soit réalisée:

a) l'intéressé n'a pas, dans les trente jours suivant la date d'expédition de l'avis, demandé le renvoi de l'affaire devant la Cour;

b) La Cour, saisie de l'affaire, a décidé qu'il y avait eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

(2) L'avis prévu au paragraphe (1) doit spécifier la faculté qu'a l'intéressé, dans les trente jours suivant sa date d'expédition, de demander au ministre le renvoi de l'affaire devant la Cour. La communication de l'avis peut se faire par courrier recommandé envoyé à la dernière adresse connue de l'intéressé.

(3) La décision de la Cour visée au paragraphe (1) est définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel.     

18. (1) The Minister shall not make a report under section 10 unless the Minister has given notice of his intention to do so to the person in respect of whom the report is to be made and

(a) that person does not, within thirty days after the day on which the notice is sent, request that the Minister refer the case to the Court; or

(b) that person does so request and the Court decides that the person has obtained, retained, renounced or resumed citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances.

(2) The notice referred to in subsection (1) shall state that the person in respect of whom the report is to be made may, within thirty days after the day on which the notice is sent to him, request that the Minister refer the case to the Court, and such notice is sufficient if it is sent by registered mail to the person at his latest known address.

(3) A decision of the Court made under subsection (1) is final and, notwithstanding any other Act of Parliament, no appeal lies therefrom.

                                   


[6]                L'avis de révocation de citoyenneté donné à M. Odynsky par le ministre, daté du 24 septembre 1997, fait référence tant à la Loi qu'au texte antérieur, la Loi de 1952. Il indique que le ministre se propose de faire rapport au gouverneur en conseil en vertu des articles 10 et 18 de la Loi et de l'article 19 de la Loi de 1952 :

[TRADUCTION] ... pour le motif que vous (le défendeur) avez été admis au Canada à titre de résident permanent et avez acquis la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, en ce que vous avez omis de révéler aux fonctionnaires de Citoyenneté et Immigration Canada votre collaboration avec les autorités allemandes et votre participation à des activités se rapportant à des camps de travail forcé et à des camps de concentration entre 1943 et 1944, comme garde au camp d'instruction de Trawniki et plus tard au camp de travail de Poniatowa, en Pologne.

[7]                L'article 19 de la Loi de 1952, auquel renvoie l'avis, constituait essentiellement une combinaison de la substance des articles 10 et 18 de la Loi, qui l'ont remplacé. Cet article prévoyait que le gouverneur en conseil pouvait ordonner qu'une personne, autre qu'un citoyen canadien de naissance, cesse d'être un citoyen canadien si un rapport du ministre établit qu'elle a obtenu un certificat de citoyenneté par fausse déclaration, fraude ou dissimulation de faits importants, sous réserve de la confirmation de cette conclusion par une commission d'enquête.


[8]                L'avis à M. Odynsky indiquait également que celui-ci pouvait demander au ministre, comme il l'a fait par la suite, le renvoi de l'affaire à la Cour, ce que le ministre a fait par avis de renvoi daté du 11 décembre 1997. Il indiquait également qu'un rapport ne serait pas présenté au gouverneur en conseil à moins que la Cour décide qu'il y avait fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[9]                Aux fins du dossier, je note qu'après le renvoi et le dépôt à la Cour d'un exposé des faits par le ministre, les Règles de la Cour fédérale (1998) sont entrées en vigueur le 25 avril 1998, par le décret DORS/98-106. Conformément à ces Règles, l'affaire a été instruite comme une action conformément à la Règle 169, et les actes de procédure, les préparatifs précédant l'instruction et l'instruction ont été conformes à la partie 4 des Règles, concernant les actions.

[10]            Aux fins du dossier également, je note que la Cour et les avocats ont entendu le témoignage de témoins cités par le défendeur et par le ministre, à Beleluja, en Ukraine, village natal de M. Odynsky, pendant quatre jours en novembre 1998, et que l'audience à Toronto a duré 25 jours, étalés de janvier à août 1999. La Cour exprime sa gratitude pour la contribution des témoins d'Ukraine, en particulier Ivan Andriyovich Timchuk de Beleluja, Ivan Wasylovich Lukaniuk du village de Khimchin, et Mykola Teodorovich Kishkan du village de Vidiniv, qui ont tous trois été conscrits en 1943, puis ont suivi l'instruction et ont fait leur service comme gardes avec M. Odynsky. J'exprime aussi ma gratitude pour la courtoisie et la bienveillance de la directrice de l'école de Beleluja où les auditions ont eu lieu et de ses amies de Beleluja qui ont préparé le déjeuner chaque jour pour le groupe formé des avocats, du sténographe et des interprètes et pour le personnel de la Cour. Aux nombreux habitants du village qui ont assisté aux auditions avec un intérêt considérable et avec un sérieux et un respect manifestes, j'exprime ma gratitude.


[11]            Je tiens également à remercier pour leur collaboration les autorités ukrainiennes qui ont facilité les arrangements en vue de l'audition de témoins en Ukraine, en vertu du protocole d'entente conclu en septembre 1992 entre le Bureau du procureur général d'Ukraine et le ministère de la Justice du Canada.

[12]            J'exprime aussi ma gratitude pour la contribution importante des autres témoins, entendus au Canada, les anciens fonctionnaires, les témoins experts et de nombreux autres, y compris le défendeur, M. Odynsky, et les témoins cités par lui.

Les questions soumises à la Cour

[13]            Il est maintenant bien établi que la question que doit trancher la Cour dans un renvoi comme celui-ci fait par le ministre en vertu de la Loi en vue d'obtenir une déclaration est une question de fait[1]. La décision de cette question se fait selon la norme de preuve civile, c'est-à-dire selon la probabilité la plus forte[2], mais la Cour va « examiner la preuve attentivement en raison des allégations graves qui doivent être établies par la preuve présentée » , comme le juge McKeown l'a fait observer dans l'affaire Bogutin[3]. Selon l'alinéa 18(1)b) de la Loi, une décision favorable, accordant la déclaration demandée, constitue une condition préalable essentielle en vue de l'exercice par le ministre du pouvoir discrétionnaire de présenter un rapport au gouverneur en conseil. La décision de la Cour n'est pas susceptible d'appel, en vertu du paragraphe 18(3) de la Loi.


[14]            Si la question à trancher semble relativement simple, sa solution est compliquée par l'absence de dossiers tenus par le ministre concernant l'admission au Canada de M. Odynsky et son acquisition, par la suite, de la citoyenneté. Sa solution est en outre compliquée par la qualité de la preuve concernant des événements survenus il y a plus de 50 ans et par la difficulté des témoins à se rappeler les événements et les formalités auxquels ils ont pu participer il y a plus de 50 ans.

[15]            M. Odynsky est né en janvier 1924, dans le village de Beleluja, en Ukraine, qui faisait alors partie de la Pologne; il est arrivé au Canada en 1949, débarquant à Halifax le 3 juillet. Il est venu au pays en provenance d'un camp pour personnes déplacées, administré par l'Organisation internationale pour les réfugiés (OIR), qui se trouvait dans ce qui formait alors l'Allemagne de l'Ouest, où il avait migré vers la fin de la Seconde Guerre mondiale. On lui a accordé un visa d'immigrant et on l'a aidé à venir au Canada comme ouvrier agricole. Il fait partie des milliers de personnes déplacées en Europe qui sont venues au Canada après 1945. La plupart d'entre elles ont acquis la citoyenneté par la suite et ont contribué à l'évolution du Canada moderne. En juillet 1955, M. Odynsky a demandé la citoyenneté canadienne, qui lui a été accordée le 5 décembre 1955. Depuis 1950, lui et sa femme, qui s'étaient mariés en 1948 dans un camp de personnes déplacées, vivent à Toronto. C'est là que sont nés leurs trois enfants, que s'est établie leur famille et qu'il a travaillé jusqu'à la retraite.

[16]            Avant d'aborder la solution des points de fait et de droit sur lesquels se fonde ma conclusion, je passe en revue l'historique, notamment l'histoire de M. Odynsky dans la mesure où elle est pertinente jusqu'en 1955, date où il est devenu citoyen canadien, la politique et la pratique canadiennes en matière d'immigration dans les années 1945 à 1949, le témoignage de M. Odysnky sur son admission au Canada, et les circonstances dans lesquelles il a acquis la citoyenneté.


[17]            Puis je passe aux principales questions de droit importantes pour ma décision, la portée de l'avis de révocation, l'application du paragraphe 10(2) de la Loi, le pouvoir de rejeter des candidats à l'immigration pour des motifs de sécurité en 1949 et l'interprétation de la formule « dissimulation intentionnelle de faits essentiels » aux paragraphes 10(1) et 18(1) de la Loi.

[18]            J'en viens ensuite aux questions de fait plus difficiles, pour apprécier si, à l'occasion de son admission au Canada en 1949, M. Odynsky a fait une fausse déclaration ou a dissimulé intentionnellement des faits essentiels, à savoir son service dans les forces allemandes au cours de la Seconde Guerre mondiale.

[19]            Finalement, je présente un sommaire des constatations et conclusions sur lesquelles se fonde ma décision ultime et je termine en prononçant cette décision et en accordant la déclaration demandée par le ministre.

L'historique

L'odyssée de M. Odynsky, de la Seconde Guerre mondiale jusqu'à 1955


[20]            Beleluja, où est né M. Odynsky en 1924, se trouve dans l'ouest de l'Ukraine, dans le district (raion) de Snyatyn faisant partie de la région administrative (oblast) de Stanislav à l'époque et d'Ivano-Frankivsk aujourd'hui. Cette région faisait alors partie de la Pologne par suite de la délimitation des frontières après la Première Guerre mondiale. En 1939, après l'attaque allemande contre la Pologne, conformément au pacte conclu entre l'Allemagne et l'Union soviétique, la région passa sous l'occupation des Russes. À la suite de l'attaque allemande contre l'Union soviétique en juin 1941, elle est tombée sous la domination de l'Allemagne, faisant partie d'un ensemble de pays occupés administrés par les conquérants allemands dans le cadre du Gouvernement général, contrôlé par les autorités policières et militaires allemandes. Cette situation s'est maintenue jusqu'en 1944, au moment où la contre-offensive soviétique a chassé les Allemands de l'Ukraine. Par la suite, jusqu'à l'indépendance de l'Ukraine en août 1991, la région a fait partie de la République soviétique d'Ukraine, au sein de l'U.R.S.S.

[21]            La famille de M. Odynsky vivait à Beleluja, où son père avait une exploitation agricole plus importante que de nombreux autres habitants du village. Il y vivait avec ses père et mère, deux frères, l'aîné et un cadet et une soeur cadette. M. Odynsky a fait cinq années à l'école du village, avant de quitter à l'âge de 11 ans pour travailler sur l'exploitation familiale. Il avait 15 ans lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté, le 1er septembre 1939 et il est resté au village à travailler sur l'exploitation familiale, d'abord sous le contrôle soviétique pendant près de deux ans, puis, à compter de juin 1941, sous le contrôle allemand. En 1943, il a été pris par les Allemands pour servir dans leurs services militaires et policiers.


[22]            Son père s'était opposé à la collectivisation des fermes sous la domination russe dans la période 1939-1941 et à nouveau après 1944 lorsque les Russes sont revenus après avoir chassé les Allemands d'Ukraine. Lorsque les Russes sont revenus, le frère aîné de M. Odynsky a été tué par les troupes russes alors qu'il cherchait à cacher des armes pour le mouvement nationaliste ukrainien. Son père a été arrêté et emprisonné plus d'un ans, puis on lui a permis de retourner à Beleluja pour retrouver ses deux enfants cadets et on l'a forcé à s'installer avec eux au Kazakhstan après la fin de la guerre. La mère de M. Odynsky a été prise par les Russes et envoyée au travail forcé en Union soviétique; elle n'a pu rejoindre son mari au Kazakhstan que 10 ans plus tard. Finalement sa mère est décédée au Kazakhstan, son frère et sa soeur y sont restés, tandis que son père est retourné à Beleluja après une absence de quelque 20 ans.

[23]            Les espoirs formés par certains Ukrainiens en 1941, que l'attaque allemande contre l'Union soviétique conduirait finalement à l'indépendance de l'Ukraine, ont été vite anéantis. Les forces allemandes ont rapidement éliminé tout mouvement en faveur de l'indépendance et le peuple ukrainien n'a pas mis longtemps à refuser le contrôle allemand sur les territoires occupés de l'Est et les politiques allemandes pour ces territoires. Les Ukrainiens ont enduré beaucoup de privations et de souffrances pendant la guerre et dans les années d'après-guerre.

[24]            M. Odynsky a témoigné qu'à la suite de l'occupation allemande, son frère aîné avait découvert des dossiers secrets du village, remontant à l'occupation russe, selon lesquels sa famille faisait partie d'un groupe de dix familles qui devaient être déportées vers l'Est par les Russes, vraisemblablement à cause de leur opposition à la collectivisation agricole. La déportation a été empêchée par l'occupation allemande.

[25]            À l'époque de l'occupation allemande, quelques familles juives qui vivaient parmi la population ukrainienne du village de Beleluja depuis de nombreuses années et qui étaient acceptées sur un pied d'égalité ont été emmenées par les Allemands et on ne les a pas revues.


[26]            Vers la fin de 1942 ou le début de 1943, de jeunes Ukrainiens, dont un grand nombre dans la région de Frankivsk, ont été emmenés en Allemagne au travail forcé. Mme Maria Odynsky, épouse du défendeur, également née en Ukraine, au village de Rothovytsia, a été ainsi emmenée en Allemagne en 1943, alors qu'elle était encore adolescente. Deux de ses frères ont aussi été emmenés en Allemagne au travail forcé. De nombreux autres jeunes ont été pris pour servir dans les forces militaires et policières auxiliaires à l'appui des forces allemandes, pour assurer la police et la sécurité dans les territoires occupés de l'Est. Au départ, cet appui avait été fourni par des Volksdeutsche, des Allemands de souche vivant dans les pays occupés, et par des hommes choisis dans les rangs des prisonniers de guerre (PG) capturés des forces russes. Au début de 1943, des jeunes des pays occupés, particulièrement de l'Ukraine, ont été intégrés dans les services auxiliaires par l'occupant allemand.

[27]            M. Odynsky s'est fait attraper dans la campagne allemande visant à ramasser des jeunes pour aider les forces allemandes. Au début de février 1943, on a ordonné au maire de son village de fournir une liste de jeunes hommes nés dans les années 1920 à 1924 et d'envoyer ces jeunes à Snyatyn, ce qu'il a fait. Parmi ceux qui ont été envoyés à Snyatyn se trouvait M. Odynsky. À cet endroit, lui et quatre autres jeunes de Beleluja ont été choisis parmi un grand nombre d'autres et on leur a dit qu'ils devaient servir dans les forces armées allemandes. On leur a permis de retourner chez eux, mais avec l'ordre de se présenter quelques jours plus tard, le 10 février, à Kolomyja. S'ils ne revenaient pas comme on leur en donnait l'ordre, ils seraient arrêtés.


[28]            Les cinq jeunes hommes de Beleluja qui avaient été choisis sont retournés à leur village. Ils ne se sont pas présentés le 10 février, contrairement à l'ordre qu'on leur avait donné. Ils se sont cachés dans les champs environnants et dans le village. En avril, la Gestapo, avec la police locale, est venue au village à la recherche de ceux qui ne s'étaient pas présentés en février comme ils en avaient reçu l'ordre. La Gestapo a annoncé que, si les jeunes hommes ne se présentaient pas au village dans un court délai, leurs familles seraient déportées.

[29]            M. Odynsky et les autres se sont rendus. Ils ont été emmenés à Snyatyn en chariot et menacés de mort au cas où ils tenteraient encore de s'échapper. Après deux semaines dans la prison locale, ils ont été emmenés à Kolomyja où ils ont été emprisonnés deux autres semaines. On les a menacés de mort pour avoir déserté en ne se présentant pas comme ils en avaient reçu l'ordre, mais un avocat local, intervenant en leur faveur, a réussi à faire lever cette menace. Ils ont été épargnés, mais on les a avertis que toute tentative d'évasion serait punie de mort s'ils étaient pris, ou, s'ils n'étaient pas pris, que leurs familles seraient envoyées dans des camps de concentration.


[30]            Ils ont été transportés par chemin de fer à Trawniki, en Pologne orientale, dans le district de Lublin, administré par le Gouvernement général. À Trawniki, la Schutzstaffel (la SS), supervisait l'instruction des auxiliaires. La SS était l'organisation formée à l'origine au sein du Parti national socialiste (nazi) allemand en vue de promouvoir les objectifs politiques, ethniques et sociaux du parti. Sous Himmler, la SS avait la responsabilité ultime des opérations de police dans les territoires occupés de l'Est par les Allemands, notamment forcer les Juifs dans les ghettos et les exterminer au moyen d'unités d'exécution et dans les camps de la mort. Les camps de la mort et les camps de travail forcé étaient administrés par la SS dans le territoire du Gouvernement général et celle-ci s'en remettait en partie à la police auxiliaire. Les jeunes dont l'instruction avait lieu à Trawniki ont été d'abord recrutés parmi les soldats russes prisonniers dans les camps de PG et plus tard, en 1943, parmi les jeunes hommes des territoires occupés. En plus du camp d'instruction, la SS dirigeait également à Trawniki un camp de travail forcé où des Juifs étaient en détention et forcés de travailler à produire des vêtements et d'autres produits pour les forces allemandes[4].

[31]            M. Odynsky et ses compagnons stagiaires ont reçu des uniformes, subi des examens médicaux, puis reçu une instruction de base, couvrant la marche, le travail de garde et l'utilisation et l'entretien des armes. Sauf pour les besoins limités de l'instruction, on ne leur a pas distribué d'armes. Un formulaire d'identité était établi, que chacun devait signer, comportant sa photographie et l'empreinte du pouce. Des copies d'un formulaire établi pour un dénommé Wasyl Odynskj, de nationalité ukrainienne, né en 1924 à Beleluja, faisaient partie des documents produits à l'instruction[5]. Ce formulaire porte la désignation « Personalbogen Nr. 3337 » (fiche d'identité n ° 3337) et est daté du 7.4.43 à Trawniki. Il comporte une photographie et une empreinte du pouce, mais la signature n'est pas lisible. Pour ce qu'on peut lire, M. Odynsky a dénié qu'il s'agissait de sa signature à l'instruction et il n'était pas convaincu que la photographie était de lui. Il a témoigné qu'il n'avait pas vu le document avant sa production dans l'instance. Le document avait été récupéré des archives russes. Il fait état d'un transfert à Poniatowa le « 25.v.43 » . Des éléments de preuve indiquent qu'un autre Wasyl Odynsky ou Odynski, de Beleluja, a également été emmené par les Allemands à Trawniki parmi les cinq jeunes hommes pris en avril 1943.


[32]            Après quelques semaines d'instruction de base à Trawniki, M. Odynsky, avec d'autres stagiaires, a été incorporé dans une compagnie, envoyée pour fournir des gardes à un autre camp de travail forcé de la SS, à Poniatowa. Ce camp, comme celui de Trawniki, se trouvait dans le district de Lublin, qui, en 1943, comprenait un certain nombre de camps de la mort et de camps de travail dirigés par la SS.

[33]            Tant à Trawniki qu'à Poniatowa, les fabriques à l'intérieur de chaque camp étaient exploitées par des entreprises commerciales allemandes qui avaient été déplacées des ghettos de Varsovie et d'autres villes. De nombreux anciens travailleurs avaient été déplacés avec les fabriques, emmenant leurs familles avec eux; avec d'autres travailleurs, ils étaient détenus par la force et obligés de travailler à la production pour les forces allemandes. Le fonctionnement de ces camps n'était que l'une des phases de l' « Opération Reinhardt » , la « solution finale » des Allemands pour les Juifs dans les territoires occupés de l'Est.


[34]            À Poniatowa, la plupart des prisonniers-travailleurs étaient logés à l'emplacement principal du camp, où se trouvaient le quartier général allemand et le quartier des forces allemandes. À environ un kilomètre, le camp de Poniatowa comprenait également des bâtiments destinés au logement, appelés Siedlung ou la cité ouvrière; il s'agissait d'immeubles à appartements pour les prisonniers-travailleurs qui avaient été relativement à l'aise et pour les civils allemands contremaîtres des fabriques. Il y avait également un immeuble pour les hommes de « Trawniki » , selon l'appellation donnée aux auxiliaires ukrainiens, dont M. Odynsky. Son témoignage à l'instruction a été conforme à celui de ses compatriotes, entendus à Beleluja en 1998, plus de 50 ans après ce qu'ils avaient vécu à Poniatowa. Leur tâche était de faire la patrouille et d'assurer la garde du périmètre de la Siedlung, officiellement pour assurer la protection contre une attaque des partisans et pour contrôler les déplacements des prisonniers-travailleurs, qui quittaient le matin et revenaient le soir. Il semble que les Ukrainiens de Trawniki, à tout le moins ceux de la Siedlung, n'étaient pas directement responsables de garder les prisonniers-travailleurs. Les prisonniers étaient sous la surveillance directe de « kapos » juifs, chargés de maintenir l'ordre et la discipline dans leurs rangs, et à l'intérieur des fabriques, un personnel civil allemand dirigeait leur travail. D'autres hommes de Trawniki servaient de gardes au camp principal et ils vivaient au camp central, avec les officiers SS allemands.

[35]            Selon son témoignage, au cours des cinq ou six mois de service à Poniatowa, M. Odynsky n'a guère eu de contacts personnels avec les prisonniers, si ce n'est avec ceux qui fournissaient des services médicaux et dentaires aux gardes de même qu'aux prisonniers.


[36]            À l'automne de 1943, le camp de travail forcé de Poniatowa a cessé de fonctionner de manière soudaine. Le 3 ou le 4 novembre 1943, les hommes de Trawniki ont été consignés en soirée et on ne leur a permis de sortir que tard le lendemain. En moins d'une journée, la police allemande et les forces SS, y compris, semble-t-il, quelques membres des Einsatzgruppen ou unités d'exécution commandées par la SS, ont fait marcher les prisonniers, hommes, femmes et enfants, jusqu'à de grandes tranchées à l'extérieur du camp principal. Les prisonniers avaient été forcés auparavant de creuser ces tranchées, qui devaient servir d'ouvrages défensifs pour le camp. Lorsque les prisonniers étaient rendus aux tranchées, on leur ordonnait de se déshabiller et de descendre nus dans les tranchées, où ils étaient ensuite abattus.

[37]            La tuerie de Poniatowa a eu lieu en même temps que d'autres opérations d'exécution semblables à Trawniki et à un autre camp, à Majdanek. L'Opération Erntefest ou « Fête de la moisson » , selon la désignation en allemand, a été un jour d'infamie. On estime qu'à Poniatowa seulement, 15 000 personnes ont été exécutées ce jour-là. Selon son témoignage, M. Odynsky avait vu les prisonniers rassemblés et emmenés à pied de la Siedlung, il avait entendu des coups de feu toute la journée et un officier ukrainien lui avait dit que les Allemands exécutaient des Juifs. Lorsque lui et ses compagnons ont été autorisés à sortir de leur quartier, il n'y avait plus de travailleurs juifs à Poniatowa, que ce soit à la Siedlung ou au camp principal. À l'instruction, M. Yitshak Arad a témoigné au sujet de ces faits; il a vécu en Pologne pendant toute la durée de la guerre et il est maintenant un historien israélien, expert au sujet de l'Holocauste, particulièrement en Europe de l'Est et à Trawniki. Il a estimé que plus de 25 000 autres personnes ont également été massacrées dans l'Opération Erntefest dans les autres camps de travail forcé et de la mort dans le district de Lublin. Sur la base de ses études approfondies, il a témoigné que certains prisonniers juifs, qu'on avait exclus du massacre du premier jour pour les forcer à brûler les cadavres des personnes exécutées, avaient refusé d'accomplir cette tâche et qu'ils avaient été fusillés par les Allemands et les Ukrainiens de Trawniki, mais, en contre-interrogatoire, il a admis qu'il n'y avait pas de preuve étayant sa conclusion au sujet de la participation des auxiliaires de Trawniki.


[38]            Il n'y a pas de preuve que M. Odynsky ait eu des contacts prolongés avec des prisonniers-travailleurs juifs à Poniatowa ou qu'il ait assuré leur garde, si ce n'est pour la garde du périmètre de la Siedlung. Il n'y a pas de preuve que lui ou l'un de ses compagnons ukrainiens de la Siedlung ait eu une participation quelconque dans l'Opération Erntefest, ou dans le massacre ultérieur de ceux qui avaient été épargnés en vue de brûler les cadavres. Après ce terrible jour de novembre, les hommes de Trawniki à Poniatowa ont continué de garder la Siedlung, le camp principal et leurs installations contre une attaque éventuelle des partisans, même si les camps ne logeaient plus de travailleurs forcés ou d'autres prisonniers.

[39]            Vers la fin de novembre 1943, M. Odynsky a obtenu un congé en vue de retourner à Beleluja où sa mère était gravement malade. Une fois à son village, il est tombé malade à son tour et il est resté plus longtemps que ne le prévoyait son congé initial, mais après deux semaines de prolongation, on lui a ordonné de retourner à Poniatowa, ce qu'il a fait. À son retour, il n'y avait plus de prisonniers détenus au camp et il n'y en pas eu non plus par la suite.


[40]            À compter de janvier 1944, puis tout le printemps jusqu'en juin ou juillet, M. Odynsky et ses compagnons ont continué de garder les installations à Poniatowa et à Trawniki. Quelques-uns des hommes ont été envoyés pour remplir d'autres fonctions. Puis avec l'avance de l'armée russe, M. Odynsky et d'autres ont été transférés à Trawniki; ils ont été regroupés dans une compagnie au sein d'un bataillon SS, appelé le Bataillon Streibel, d'après le chef SS qui avait commandé le camp de Poniatowa et commandait maintenant le bataillon des troupes auxiliaires de Trawniki. À l'été de 1944, le bataillon, y compris M. Odynsky, s'est déplacé vers l'ouest, devant l'avance des forces russes; il a servi principalement de bataillon de travail. En février 1945, le bataillon se trouvait dans la région de Dresde, en Allemagne, au moment où les bombardiers alliés ont ravagé la ville. Le bataillon y a passé environ six semaines à rechercher les morts, puis à les enterrer ou à brûler les cadavres, à nettoyer la ville et à rétablir les services de base.

[41]            Le Bataillon Streibel a continué à se replier de Dresde jusqu'à une région située à l'ouest de Prague, en Tchécoslovaquie, au printemps de 1945. C'est là qu'il s'est dispersé lorsque l'Allemagne s'est rendue en mai. Certains de ses membres sont restés dans cette région, au sein de la future zone d'occupation soviétique, et un certain nombre ont été conscrits dans l'armée soviétique. D'autres, dont M. Odynsky, se sont dirigés vers l'ouest, jusqu'à Eger, dans une partie de l'Allemagne occupée par les forces américaines. C'est là qu'ils se sont rendus, portant des uniformes de l'armée allemande, et ils ont été cantonnés dans des tentes, dans un camp de l'armée américaine pour PG.

[42]            Les personnes se trouvant au camp ont été inscrites par les autorités américaines et on leur a établi un document d'identité en échange de leurs papiers militaires allemands. M. Odynsky ne parlait pas anglais à cette époque et, selon son témoignage, on ne lui a pas posé de questions et il n'a pas fourni de renseignements au sujet de son service de guerre. Après 6 semaines environ au camp, un grand nombre ont été libérés, dont M. Odynsky et cinq autres membres de sa compagnie. On leur a délivré un certificat de libération, on leur a permis de quitter le camp de PG, ainsi que d'aller à Augsbourg et d'y demeurer.


[43]            À Augsbourg, ils ont eu des contacts avec un comité ukrainien qui travaillait en vue d'établir un camp pour les Ukrainiens. Selon les estimations, il y aurait eu plus de 7 millions de personnes déplacées en Europe de l'Ouest à la fin de la guerre et plus du tiers d'entre elles provenaient d'Ukraine, soit qu'elles aient été amenées en Allemagne durant la guerre comme travailleurs forcés, soit qu'elles soient arrivées avec les troupes allemandes battant en retraite à la fin de la guerre[6]. Un camp à l'intention de ceux qui ne souhaitaient pas retourner en Ukraine, qui était sous l'occupation soviétique, a été établi à Gegengen. M. Odynsky s'y est inscrit, en présentant son extrait de naissance, son certificat de libération du camp de PG et un document, établi par le comité ukrainien d'Augsbourg, certifiant sa nationalité ukrainienne.

[44]            Vers la fin de l'automne de 1945, la population en croissance rapide de Gegengen a été transféré à un autre camp appelé la Somme Kaserne. Au départ, ce camp était administré par l'Administration des Nations Unies pour les secours et la reconstruction (UNRRA), qui cherchait à favoriser le retour des personnes déplacées dans leur pays d'origine. En 1947, une nouvelle organisation, l'Organisation internationale pour les réfugiés, était chargée de l'administration du camp de la Somme Kaserne et elle visait à aider les personnes déplacées à se rétablir dans des pays autres que leur pays d'origine.


[45]            À la Somme Kaserne, M. Odynsky a fait la connaissance de Maria, qu'il a épousée par la suite. Elle était également une personne déplacée s'étant trouvée en Allemagne à la fin de la guerre, après avoir obtenu sa libération du travail forcé comme ouvrière agricole pendant plus de deux ans. Pendant leur séjour à la Somme Kaserne, en 1948, M. et Mme Odynsky ont appris que l'OIR cherchait à établir les Ukrainiens déplacés dans divers pays, dont le Canada, qui recherchait, à ce qu'on disait, des ouvriers pour les mines et le travail agricole. M. et Mme Odynsky ont discuté des possibilités et ont décidé d'essayer d'aller au Canada, où les grands-parents maternels de M. Odynsky et quelques autres membres de sa famille vivaient en Colombie-Britannique.

[46]            Je traiterai le témoignage de M. Odynsky au sujet de son admission au Canada à titre d'immigrant débarqué en 1949 et de son acquisition de la citoyenneté canadienne en 1955, plus loin dans les présents motifs. Pour l'instant, il suffit de noter que M. et Mme Odynsky ont présenté une demande en vue d'immigrer au Canada et qu'ils ont été acceptés. M. Odynsky a débarqué à Halifax en juillet 1949 et il s'est rendu à Toronto.

[47]            À Toronto, on l'a affecté au travail sur une exploitation agricole dans la région de Listowel (Ontario), où il est resté six mois. Il est ensuite passé à une autre exploitation agricole, près de Stouffville (Ontario), où on a fourni un logement non seulement pour lui, mais également pour Mme Odynsky, venue le rejoindre au Canada en janvier 1950.

[48]            À la fin de l'année de travail agricole qu'il s'était engagé à fournir, M. Odynsky et sa femme se sont établis à Toronto. C'est là que sont nés leurs trois enfants; ils ont établi leur foyer et leur vie familiale à Toronto, au sein de la communauté ukrainienne. Ils y sont demeurés et, comme nous avons vu, ils sont devenus citoyens canadiens en 1955.


La politique et la pratique canadiennes en matière d'immigration, 1945-1949

[49]            M. Nicholas D'Ombrain, ancien haut fonctionnaire, a fourni un affidavit et a témoigné en qualité de témoin expert sur le fonctionnement du Cabinet et du gouvernement fédéral, ainsi que de la politique fédérale, surtout en matière de politique de l'immigration et de contrôle de sécurité dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale[7].

[50]            À la fin de la guerre, l'immigration au Canada était limitée en vertu d'un règlement pris en 1931[8], en vertu de la Loi de l'immigration de 1927[9]. Au cours des années 30, seulement 7 000 immigrants par année en moyenne étaient admis au Canada et ils provenaient surtout du Royaume-Uni, de l'Irlande, des Dominions faisant partie de l'Empire britannique et des États-Unis, les ressortissants de ces pays étant les seuls qui étaient normalement considérés comme admissibles en vertu du règlement en vigueur.


[51]            À la fin de la guerre en 1945, il se manifeste un regain d'intérêt pour une expansion de l'immigration au Canada, appuyé par la politique officielle, en partie pour répondre aux besoins de main-d'oeuvre, particulièrement dans le domaine de l'agriculture et des industries du secteur primaire. À la suite d'un aperçu de la politique gouvernementale présenté à la Chambre des communes par le premier ministre Mackenzie King en mai 1947, les restrictions à l'immigration ont également été assouplies en vue d'aider à résoudre le grave problème international que posait le rétablissement des milliers de personnes déplacées de leur pays d'origine et se trouvant dans des camps en Europe de l'Ouest. La première disposition prise pour l'admission des personnes déplacées, dans le C.P. 2180 de juin 1947, prévoyait l'admission de 5 000 personnes. À l'automne de 1948, ce nombre avait été porté à 40 000 par une suite de décrets. Par la suite, les chiffres ont continué d'augmenter et les restrictions à l'entrée d'immigrants ont été assouplies vers la fin des années 40 et dans les années 50. C'est la politique et la pratique en matière d'immigration dans les années précédant 1949 qui sont pertinentes, puisque M. Odynsky est arrivé au Canada en 1949.

[52]            Avec le regain d'intérêt pour faciliter l'immigration au Canada dans les années suivant immédiatement la fin de la guerre, on se préoccupait que de telles mesures soient prises sans compromettre la sécurité intérieure ou internationale du Canada, préoccupation renforcée par la situation de guerre froide et par ce qu'on avait appris de l'affaire Gouzenko en 1946. À compter de 1946, la G.R.C. a continué à exercer ses responsabilités générales pour l'appréciation des affaires intéressant la sécurité, notamment le risque de sécurité présenté par les candidats à l'immigration. Les recommandations d'un conseil de sécurité, formé de hauts fonctionnaires intéressés aux questions de sécurité, ont été approuvées par les ministres compétents. Elles ont conduit à l'affectation d'agents de la G.R.C. à divers postes dans toute l'Europe de l'Ouest en vue de travailler avec les agents d'immigration et les médecins dans la sélection des candidats à l'immigration au Canada.


[53]            Au départ, les agents de sécurité de la G.R.C. en Europe travaillaient conformément aux instructions orales données par leurs supérieurs. Le premier document officiellement adopté qui expose les critères pour le contrôle de sécurité des candidats à l'immigration est une note de service provenant des dossiers de la G.R.C., datée du 20 novembre 1948 à Ottawa et intitulée [TRADUCTION] « Sélection des personnes sollicitant l'admission au Canada[10] » . Elle était ainsi conçue :

[TRADUCTION] Sélection des personnes sollicitant l'admission au Canada

Un ou plusieurs faits suivants révélés au cours de l'interrogatoire ou de l'enquête rendront le candidat inadmissible :

a)              Communiste, ...

b)             Membre des SS ou de la Wehrmacht allemande. Personne dont on découvre qu'elle porte des marques du groupe sanguin des SS (NON-Allemands)

c)              Membre du parti nazi

d)             Criminel (connu ou soupçonné de l'être)

e)              Joueur professionnel

f)              Prostituée

g)             Trafiquant du marché noir

h)             Personne évasive ou qui ne dit pas la vérité lors de son interrogatoire

i)               Défaut de produire des documents reconnaissables et acceptables au sujet de la date de son arrivée et de la durée de son séjour en Allemagne

j)               Déclarations inexactes; usage d'un nom faux ou fictif

k)              Collaborateurs résidant présentement dans un territoire antérieurement occupé

l)               Membre du parti fasciste italien ou de la mafia

m)             Trotskyste ou membre d'un autre mouvement révolutionnaire

[54]            En 1947, le Cabinet avait décidé que le contrôle de sécurité en Europe devait être laissé à la G.R.C. et celle-ci avait décidé qu'il fallait soumettre au contrôle toutes les personnes déplacées et tous les immigrants provenant de certains pays, dont l'Allemagne qui était encore un pays ennemi. Un rapport ultérieur[11] au conseil de sécurité indiquait que la G.R.C. avait mis en oeuvre une politique prévoyant une entrevue avec les personnes déplacées dans leur camp, l'examen de leurs papiers et une recherche dans les dossiers pertinents accessibles à la G.R.C. par des sources de renseignement. Ce rapport notait également :

[TRADUCTION] Les personnes déplacées portant des marques du groupe sanguin d'un combattant d'une unité de choc nazie sont refoulées pour des raisons de sécurité. De la même manière, les personnes originaires des pays occupés par les Allemands dont on sait qu'elles ont collaboré avec la machine nazie ou ont servi volontairement dans les forces allemandes sont refoulées[12].


[55]            Un rapport au Cabinet postérieur, daté du 22 août 1949, indique que les personnes déplacées sont contrôlées au moyen d'une entrevue personnelle et ne sont pas admises à entrer au Canada avant d'avoir fait l'objet d'un contrôle de sécurité[13].

[56]            La procédure de contrôle telle qu'elle se déroulait sur le terrain a été décrite à la Cour par d'anciens agents d'immigration et par un ancien agent de la G.R.C. qui ont témoigné. Il s'agit de Roger Martineau, Roger St-Vincent et Andrew Kaarsberg, tous des anciens du service de l'immigration, et de Donald Cliffe, anciennement de la G.R.C. M. Martineau a été initié à la procédure à son arrivée en Allemagne en mai 1948, puis il a été en poste à Munich, travaillant pendant cinq semaines à trois camps de personnes déplacées dans la région, dont la Funk Kaserne. Il a ensuite été en poste en Autriche de juin 1948 à août 1949, date de son transfert à Stockholm. M. St-Vincent a été agent d'immigration, chef d'équipe, à Karlsruhe, bureau principal de l'immigration canadienne dans la zone américaine de l'Allemagne occupée, et par la suite en Autriche. M. Kaarsberg est allé en Allemagne en décembre 1948, à Karlsruhe d'abord, puis à Munich en janvier 1949, où il était en poste lorsque M. Odynsky a présenté sa demande pour venir au Canada et est venu au Canada. Sa signature figure sur le titre d'identité et de voyage délivré à M. Odynsky par l'OIR, autorisant le timbre de visa d'immigrant, daté du 13 mai 1947, qui est apposé.


[57]            Dans leur témoignage, ils ont décrit la procédure suivie par chacun, procédure qui, à leur connaissance, était normale pour le traitement des candidats à l'immigration au Canada en Europe de l'Ouest. Le candidat à l'immigration, après avoir rempli les formulaires de demande, était invité à une entrevue et à un examen. Dans le cas des personnes déplacées vivant dans un camp, l'équipe d'immigration, composée de l'agent d'immigration, chef de l'équipe, de l'agent de contrôle de la G.R.C. et d'un médecin de Santé nationale et Bien-être Canada prenait des arrangements avec l'OIR, qui administrait les camps, pour aller rencontrer et examiner les candidats dans les camps. À son arrivée pour l'entrevue, l'agent de la G.R.C. interrogeait le candidat et décidait si le candidat était « accepté » ou « rejeté » au contrôle de sécurité, parfois appelé par la suite « l'étape B » . Le candidat était ensuite examiné par le médecin et des radiographies, fournies par le candidat ou prises selon des arrangements convenus par le médecin, étaient examinées, avant que le candidat ne rencontre l'agent d'immigration pour une entrevue. Seul l'agent d'immigration pouvait approuver le candidat en vue de l'immigration au Canada, en apposant et en signant le timbre de visa sur le passeport ou le titre de voyage du candidat.

[58]            Les trois agents d'immigration qui ont témoigné devant la Cour ont tous déclaré ne pas avoir de connaissance directe du travail de l'agent de contrôle, mais ils comprenaient tous que son rôle général consistait à veiller à ce qu'il n'y ait pas de motif de préoccupation dans le passé du candidat au sujet de son engagement dans les forces allemandes ou de son implication dans des infractions criminelles importantes ou dans des activités politiques suspectes. MM. Martineau, St-Vincent et Kaarsberg ont chacun indiqué qu'ils ne délivraient pas de visa si le candidat n'avait pas été accepté aux étapes antérieures du contrôle de sécurité ou de l'évaluation médicale.


[59]            Le travail de l'agent de contrôle de la G.R.C. a été décrit par M. Cliffe, agent de contrôle affecté en Italie en 1951 et par la suite en Allemagne et en Suède. Il avait commencé son travail sur la base de directives orales et de la liste de critères de 1948. Il avait été formé en vue de son travail par un agent d'expérience qui avait commencé à effectuer le contrôle de candidats à l'immigration en 1948. Avant son entrevue avec un candidat à l'immigration, l'agent de la G.R.C., désigné comme agent de contrôle des visas, cherchait à obtenir des renseignements au sujet du candidat auprès des services de police et de sécurité. Au moment de l'entrevue, le candidat était d'abord rencontré par l'agent de contrôle des visas de la G.R.C., puis par les autres membres de l'équipe. Selon son témoignage, M. Cliffe considérait toujours comme les plus pertinents par rapport à ses besoins les renseignements portant sur ce que le candidat avait fait et les endroits où il avait vécu au cours des dix dernières années, particulièrement au cours des années de guerre. Il cherchait à obtenir des éléments des organismes de renseignement et de sécurité et il questionnait les candidats sur les points qui avaient été portés à son attention ou sur lesquels il s'interrogeait. Si l'agent de sécurité n'était pas convaincu que le candidat ne présentait pas de risque pour la sécurité, celui-ci n'était pas accepté à l'étape du contrôle de sécurité. Il a confirmé que, selon ce qu'il comprenait, l'agent d'immigration n'accordait pas le visa au candidat qui n'était pas accepté à « l'étape B » , ou l'autorisation de sécurité.


[60]            Je reviens, brièvement pour le moment, au témoignage de M. Kaarsberg. Il a identifié sa signature autorisant le timbre de visa, datée du 13 mai 1949, dans le coin inférieur droit du titre d'identité et de transport délivré par l'OIR à M. Odynsky. En réponse à une question lui demandant s'il fallait en déduire qu'il avait vu M. Odynsky à cette date, M. Kaarsberg a indiqué qu'il n'en était pas sûr, mais qu'il était certain par contre qu'ou bien il l'avait vu lui-même et avait accepté sa demande ou qu'un autre agent d'immigration l'avait vu et avait approuvé l'octroi du visa. En outre, M. Kaarsberg a témoigné que, dans un cas comme dans l'autre, M. Odynsky avait obtenu l'autorisation de sécurité. S'il n'avait pas obtenu cette autorisation, M. Kaarsberg n'aurait pas apposé et signé le timbre de visa en qualité d'agent d'immigration responsable.

Le témoignage de M. Odynsky sur son arrivée au Canada

[61]            Le témoignage de M. Odynsky au sujet de son souvenir du traitement de sa demande pour venir au Canada ne comprend pas ou ne reflète pas la procédure de contrôle de sécurité décrite par les témoins du demandeur. Selon son témoignage à l'instruction, avant de présenter sa demande pour venir au Canada, il n'avait pas rempli de formulaires et on ne lui avait pas non plus posé de questions au sujet de sa vie pendant la guerre, au moment où il s'est rendu au camp de l'armée américaine pour PG à Eger en mai 1945. De même, on ne lui avait pas posé de questions au sujet de ses activités pendant la guerre lorsqu'il a été admis aux camps de personnes déplacées, à Gegengen, ou à la Somme Kaserne. À Eger, il a remis son livret militaire allemand et au moment de son admission au camp de Gegengen, il a produit son certificat de libération du camp de PG, son certificat du comité ukrainien d'Augsbourg et son extrait de naissance. À Gegengen, on lui a délivré une carte de personne déplacée, essentiellement une carte établissant sa qualité de personne déplacée. Il a témoigné qu'on ne lui a posé aucune question, si ce n'est sur sa nationalité ukrainienne, dont il a pu justifier avec un extrait de naissance de son église à Beleluja et le certificat du comité ukrainien d'Augsbourg. Il n'y a pas eu de formalités d'admission à la Somme Kaserne au moment où il y a été transféré en provenance de Gegengen.


[62]            À une occasion vers la fin de 1946 ou le début de 1947, l'organisme administrant la Somme Kaserne, soit l'UNRRA soit l'OIR, a établi une procédure de contrôle visant à déterminer pourquoi certains des résidents ne voulaient pas retourner dans leur pays d'origine. À cette occasion, M. Odynsky a passé une entrevue avec une équipe composée d'un agent américain, d'une femme civile et d'un interprète. Il a alors produit son extrait de naissance et sa carte de personne déplacée et a indiqué qu'il ne voulait pas retourner à Beleluja, en Ukraine, parce que la région était sous domination soviétique. Il a témoigné qu'on ne lui a pas posé de questions sinon sur ses projets compte tenu qu'il ne voulait pas retourner dans son pays.

[63]            C'est pendant son séjour à la Somme Kaserne, en 1947, qu'il a appris que sa famille avait été déportée par les Soviétiques de Beleluja vers l'est. En 1948, à la Somme Kaserne, M. Odynsky a été arrêté et détenu par la suite deux ou trois mois, pour avoir acheté des aliments pour d'autres, ce qui a peut-être été considéré par les autorités comme des activités de marché noir. Il a alors été détenu dans un camp de travail où il a reçu, de temps à autre, la visite de sa future femme. Après sa libération et son retour à la Somme Kaserne, ils se sont mariés. Plus tard au cours de l'année 1948, pendant qu'ils se trouvaient encore à la Somme Kaserne, on a annoncé que le Canada, l'Australie et la Grande-Bretagne accepteraient des personnes déplacées en vue de leur réinstallation. Après avoir discuté de la chose, ils sont allés au bureau du camp et ont demandé à s'inscrire pour aller au Canada.


[64]            Le personnel du bureau se composait d'Ukrainiens et l'un d'entre eux a rempli le formulaire de demande ou d'inscription, qui était, pensent-ils, imprimé en anglais, langue que M. et Mme Odynsky ne parlaient ni ne lisaient à l'époque. À l'instruction, M. Odynsky a dit se souvenir d'avoir présenté leur carte de personne déplacée, mais il ne se rappelle pas avoir présenté d'autres documents et il ne se souvient pas s'il a signé ou non un formulaire. Lorsqu'on lui a demandé quel travail il chercherait au Canada, il a indiqué le travail agricole et a expliqué qu'il était préparé à ce travail du fait d'avoir été élevé sur une exploitation agricole. Il a témoigné qu'on ne lui a pas posé de questions, à cette occasion, au sujet de ce qu'il avait fait ou des endroits où il avait vécu pendant les années de guerre. Il a indiqué spontanément qu'il avait des parents au Canada. Le préposé qui a rempli les formulaires n'a pas récapitulé les formulaires remplis avec M. Odynsky. On a informé M. et Mme Odynsky que les formulaires seraient envoyés à Munich et qu'on les préviendrait lorsque la réponse arriverait.


[65]            M. Odynsky a ensuite témoigné qu'ils ont attendu environ un mois, période pendant laquelle ils ont été transférés avec d'autres à un camp situé à Leipheim. Ils s'y trouvaient lorsque la réponse à leur demande est arrivée. On leur demandait de se présenter à Munich au début de mai. Lui et Mme Odynsky se sont rendus à Munich. Les seuls documents que M. Odynsky a emportés étaient son extrait de naissance et sa carte de personne déplacée. Ils se sont présentés au bureau d'un autre camp, la Funk Kaserne, destiné aux personnes ayant présenté une demande pour s'établir à l'étranger. Ils étaient logés à la Funk Kaserne pendant la durée des examens médicaux. Ils sont retournés au bureau, comme on le leur avait dit; un membre du personnel parlant ukrainien, qu'ils avaient rencontré à leur arrivée, les a informés des rendez-vous en vue des examens médicaux. Après des examens médicaux séparés par un médecin anglophone accompagné d'un interprète parlant couramment l'ukrainien, on leur a donné des rendez-vous pour des radiographies, qu'il a fallu reprendre dans le cas de M. Odynsky, et ils ont rapporté les rapports de ces examens au bureau du camp. On leur a dit de rester à la Funk Kaserne en attendant de savoir s'ils étaient acceptés au Canada. Les formulaires remplis à la Funk Kaserne l'ont été pour eux par les préposés du bureau parlant couramment l'ukrainien et l'anglais. À cette époque, M. et Mme Odynsky ne connaissaient pas l'anglais.

[66]            M. Odynsky a témoigné qu'au cours de la procédure d'entrevue et d'examen à la Funk Kaserne on ne lui a, à aucun moment, posé de questions au sujet de son service pendant la guerre. En outre, il a témoigné qu'aucun fonctionnaire canadien, si ce n'est le médecin dont il pense qu'il était canadien, ne lui a fait passer d'entrevue.

[67]            Après quelques jours, on les a avisés qu'ils étaient acceptés et on leur a dit de retourner à Leipheim en attendant d'autres instructions sur les arrangements pris pour leur voyage au Canada. Peu de temps après, on a informé M. Odynsky qu'il devait se présenter à nouveau à Munich, prêt à partir pour le Canada, tandis que Mme Odynsky devait rester à Leipheim jusqu'à ce que son mari ait fait une demi-année de son contrat d'un an comme ouvrier agricole au Canada.

[68]            Lorsqu'il s'est présenté à la Funk Kaserne à Munich, comme on le lui avait indiqué, M. Odynsky dit qu'il est allé au bureau, qui était bondé. Il a remis sa carte de personne déplacée et on lui a délivré un titre d'identité et de voyage. Au moment de lui délivrer ce titre, un agent d'immigration y a apposé un timbre de visa, puis l'a daté et signé. Selon le témoignage de M. Odynsky, il n'a pas rempli de formulaire à ce moment-là et on ne lui a pas non plus posé de question au sujet de ses activités pendant la guerre ou des endroits où il avait vécu pendant la guerre.


[69]            Après quelques jours à Munich, M. Odynsky a pris le train pour Wildflecken, à destination de Bremerhaven. Le groupe dont il faisait partie a attendu quelques semaines à Wildflecken, avant de poursuivre jusqu'à Bremerhaven. Rendu à Bremerhaven, il est embarqué à bord d'un navire, le Général G.H. McRae, à destination d'Halifax. Selon son témoignage, il n'a pas eu de contacts avec des fonctionnaires canadiens ni à la Funk Kaserne lors de sa seconde visite, ni à l'embarquement, ni en cours de route vers le Canada. À l'arrivée du navire à Halifax, les passagers sont restés à bord deux jours, pendant qu'une personne en civil traitait les papiers des passagers. Selon son témoignage, M. Odynsky a remis ses papiers au fonctionnaire qui les a estampillés et lui a demandé où il voulait aller. Il dit qu'on ne lui a posé aucune question au sujet de sa vie pendant la guerre. Il a indiqué qu'il préférerait aller dans la région de Toronto et, après être débarqué à Halifax le 3 juillet 1949, il a pris le train pour Toronto.


[70]            C'est une autre version de son histoire que M. Odynsky a racontée aux agents de la G.R.C. et du ministère de la Justice, qui se sont présentés chez lui et ont demandé à s'entretenir avec lui le 26 août 1997, un peu moins d'un mois avant la date où lui a été envoyé l'avis de révocation du ministre. Les agents s'étaient amenés sans préavis et lorsqu'ils sont arrivés, ils se sont présentés à Mme Odynsky, à la porte, et ils ont indiqué qu'il voulait interroger M. Odynsky au sujet de son immigration au Canada près de 50 ans auparavant. M. Odynsky a accepté de répondre à leurs questions et a consenti à ce que l'entrevue soit enregistrée sur bande magnétique. La bande, une transcription qui en avait été faite et les copies de documents produits à cette occasion par l'agent de la G.R.C. faisaient tous partie de la preuve présentée à l'instruction, avec les documents produits à cette occasion par l'agent de la G.R.C., le caporal Fnukal, ou par M. Odynsky. En outre, les agents en cause ont témoigné à l'instruction.

[71]            Au cours de l'entrevue d'août 1997, en réponse à des questions au sujet des arrangements pris par l'OIR pour l'aider à venir au Canada, M. Odynsky a déclaré spontanément qu'il avait donné des renseignements à l'OIR au sujet de ses activités pendant la guerre, disant qu'il avait travaillé sur des exploitations agricoles, se déplaçant de l'une à l'autre, en se dirigeant graduellement vers l'ouest. C'est ainsi, a-t-il dit, qu'il a traversé la Pologne, puis la Tchécoslovaquie et qu'il est entré en Allemagne, où il se trouvait au moment où la guerre a pris fin. Il était resté quatre ans en Allemagne dans les camps de personnes déplacées. Il a également reconnu, lors de cette entrevue, qu'il s'attendait à ce que les renseignements fournis soient transmis aux autorités canadiennes lorsqu'il a demandé de venir au Canada.


[72]            De plus, lorsque l'agent de la G.R.C. lui a montré une liste de membres du Bataillon Streibel, comprenant le nom « Odynskyj, Wasyl » , M. Odynsky a nié avoir entendu parler du bataillon et a nié que ce soit son nom. Lors de l'entrevue d'août 1997, il a nié avoir été à Trawniki ou à Poniatowa. Il a dit n'avoir entendu parler de Trawniki que dans les actualités au sujet du rapport Deschênes quelques années auparavant et n'avoir jamais entendu parler de Poniatowa. Lorsqu'on lui a présenté une copie du document Personalbogen Nr. 3337, provenant de Trawniki, il n'a pas admis que ce document le concernait ou que cette photographie était la sienne. Lorsqu'on lui a présenté une copie d'une fiche intitulée « A.E.F.D.P. » concernant un dénommé « Wasyl Odynskyj » , contenant l'annotation [TRADUCTION] « Arrêté ....48 » , il a nié avoir déjà vu ce document et a nié avoir été arrêté en 1948.

[73]            En contre-interrogatoire avant l'instruction et en interrogatoire principal à l'instruction, M. Odynsky a admis très franchement que la version de sa vie pendant les années de guerre qu'il avait donnée lors de l'entrevue d'août 1997 était fausse. Il prétend qu'il était mû par la crainte et qu'il ne savait pas quoi faire à cette occasion. Je note que les réponses aux questions posées lors de cette entrevue avec l'agent de la G.R.C. n'ont pas été données sous la foi du serment. Par contre, à l'enquête préalable et à l'instruction, il déposait sous serment. En août 1997, on ne l'a pas prévenu que ses déclarations pourraient être utilisées en preuve dans une procédure visant à révoquer sa citoyenneté.

[74]            J'en viens à l'examen des circonstances dans lesquelles M. Odynsky a acquis la citoyenneté canadienne.

Les circonstances dans lesquelles M. Odynsky a acquis la citoyenneté

[75]            En juillet 1955, après plus de cinq ans au pays, M. et Mme Odynsky ont demandé la citoyenneté canadienne. Ni l'un ni l'autre ne s'en rappelle avec certitude, mais ils pensent qu'ils se sont rendus à l'ancien hôtel de ville de Toronto pour obtenir les formulaires de demande. Ni l'un ni l'autre ne lisait encore l'anglais et ils se sont fait aider pour remplir les formulaires. Cette aide leur a-t-elle été fournie à l'hôtel de ville ou par des amis une fois qu'ils sont retournés chez eux, c'est là un autre point dont ils ne se souviennent plus.


[76]            Pour M. Odynsky, il est plaidé que le demandeur doit établir, à propos de l'acquisition de la citoyenneté, que M. Odynsky a menti ou qu'il a sciemment dissimulé ses activités du temps de guerre aux fonctionnaires canadiens, que ces activités étaient des « faits essentiels » par rapport à l'acquisition de la citoyenneté et qu'il savait qu'il s'agissait de faits essentiels.

[77]            On fait de plus valoir que le ministre demandeur n'a présenté aucune preuve de la procédure suivie en 1955, en ce qui concerne soit la procédure d'acquisition de la citoyenneté en général soit le traitement de la demande de M. Odynsky en particulier, et que la Cour ne dispose d'aucune preuve lui permettant de conclure que le défendeur a menti ou qu'il a fait une fausse déclaration sur des faits essentiels.

[78]            Il existe cependant une preuve au sujet de la procédure, qu'invoque le demandeur, outre les dispositions de la loi applicables. Cette preuve consiste dans les copies des documents concernant la demande de citoyenneté de M. Odynsky. La preuve présentée à la Cour comprend également le témoignage de M. Odynsky, tant à l'enquête préalable qu'à l'instruction, et celui de Mme Odynsky à l'instruction.


[79]            Ces documents[14] comprenaient la demande de citoyenneté présentée par M. Odynsky, et la décision de la Cour, signée par un juge de la citoyenneté, avec un certificat du greffier daté du 28 octobre 1955 établissant que le candidat avait été jugé apte à la citoyenneté canadienne. Cette date d'octobre était apparemment la date à laquelle M. et Mme Odynsky, sur convocation, avaient comparu devant le juge et répondu aux questions au sujet du Canada, puisque c'est la date du certificat du greffier attestant que le juge de la citoyenneté avait jugé le candidat apte à la citoyenneté. Le formulaire Décision de la Cour, sur la même page que le certificat du greffier, comporte des marques indiquant, notamment, que M. Odynsky [TRADUCTION] « a ....acquis le domicile canadien » et qu'il « a ... une bonne moralité » . Les autres documents produits, tous datés du 5 décembre 1955, comprennent une copie de son certificat de citoyenneté, un serment d'allégeance écrit et une déclaration de renonciation à l'allégeance à un État étranger, tous deux signés par M. Odynsky, ainsi que sa demande d'un certificat de citoyenneté petit format.

[80]            Je note que, parmi ces documents, seules les demandes de certificat et de certificat petit format prescrivent de fournir des renseignements spécifiques, et ni l'une ni l'autre ne comporte de questions au sujet de ses activités en temps de guerre, de son domicile, si ce n'est en ce qui concerne son intention pour l'avenir, ou de sa moralité. Lors de l'examen préalable, le représentant du ministre a reconnu qu'il n'était pas prétendu qu'un élément quelconque attesté par le défendeur dans sa demande était faux et que, dans cette demande, aucune question n'était posée à M. Odynsky et que celui-ci n'avait fait aucune déclaration touchant sa moralité. Cette reconnaissance n'impliquait pas que le ministre concédait que M. Odynsky avait une bonne moralité et cela devait plutôt s'apprécier en fonction des circonstances de son admission au Canada.


[81]            Selon le témoignage de M. Odynsky, à l'occasion de sa demande de citoyenneté et du traitement de celle-ci, on ne lui a posé aucune question au sujet de ses activités pendant la guerre. Aucune question du genre ne figure sur les formulaires; M. Odynsky et sa femme ont tous deux témoigné qu'on ne leur a pas posé de telles questions lorsqu'ils sont comparus devant le juge de la citoyenneté. Ils se souviennent tous deux qu'on leur a posé des questions au sujet du Canada et Mme Odynsky se rappelle que le juge avait bavardé avec son aînée, une fillette à l'époque, qui avait accompagné ses parents à la Cour.

[82]            La Loi de 1952, applicable en 1955, exposait les conditions à remplir pour acquérir la citoyenneté au paragraphe 10(1) et donnait une définition du domicile. Dans la partie qui est pertinente, ces dispositions étaient ainsi conçues :


10. (1) Le Ministre peut, à sa discrétion, accorder un certificat de citoyenneté à toute personne qui n'est pas un citoyen canadien, qui en fait la demande et démontre à la satisfaction du tribunal,

...

b) qu'elle a été licitement admise au Canada pour y résider en permanence;

c) qu'elle a résidé continûment au Canada pendant un an immédiatement avant la date de sa demande et qu'en outre, sauf si la personne qui présente la demande a servi hors du Canada dans les forces armées du Canada en temps de guerre, ou si elle est l'épouse d'un citoyen canadien et réside avec lui au Canada, elle a résidé au Canada durant une période supplémentaire d'au moins quatre ans au cours des six années qui ont immédiatement précédé la date de la demande;

...

10. (1) The Minister may in his discretion, grant a certificate of citizenship to any person who is not a Canadian citizen and who makes application for the purpose and satisfies the Court that,

...

(b) he has been lawfully admitted to Canada for permanent residence therein;

(c) he has resided continuously in Canada for a period of one year

immediately preceding the date of the application and, in addition, except where the applicant has served outside of Canada in the armed forced of Canada during time of war or where the applicant is the wife of and resides in Canada with a Canadian citizen, has also resided in Canada for a further period of not less than four years during the six years immediately preceding the date of the application;

...


2j) "domicile", aux fins de la présente loi, signifie l'endroit où une personne a son logis ou dans lequel elle réside et auquel elle retourne à titre de demeure permanente, mais ne signifie pas l'endroit où elle réside pour une simple fin spéciale ou temporaire; et l'expression "domicile canadien" désigne un tel domicile maintenu au Canada durant au moins cinq ans;

2(j) "domicile" to the purposes of this Act, means the place in which a person has his home or in which he resides and to which he returns as his place of permanent abode and does not mean the place where he resides for a mere special or temporary purpose, and "Canadian domicile" means such domicile maintained in Canada for at least five years;


[83]            Selon la Loi sur l'immigration applicable en 1955[15], lorsque M. Odynsky a acquis la citoyenneté canadienne, la définition du terme « domicile » était ainsi conçue :         


2f) "domicile" signifie l'endroit où une personne a sa demeure, ou dans lequel elle réside, ou auquel elle retourne comme au lieu de son habitation permanente, et ne signifie pas l'endroit où elle réside pour un objet particulier ou temporaire;

(i) Le domicile au Canada ne peut s'acquérir, pour les fins de la présente loi, que par un séjour d'au moins cinq ans au Canada par une personne qui y est débarquée aux termes de la présente loi...

2(e) "domicile" means the place in which a person has his home, or in which he resides or to which he returns as his place of permanent abode, and does not mean the place where he remains for a mere special or temporary purpose:

(i) Canadian domicile can only be acquired, for the purposes of this Act, by a person having his domicile for at least five years in Canada after having been landed therein within the meaning of this Act ...


[84]            En 1949, lorsque le défendeur a obtenu le statut d'immigrant débarqué à Halifax le 3 juillet, la Loi de l'immigration alors applicable[16] donnait la définition suivante du terme « débarqué » :


2e) "débarquer", "débarqué" ou "débarquant", appliquée à des voyageurs ou passagers ou à des immigrants, signifie leur admission légale au Canada par un fonctionnaire, sous le régime de la présente loi, autrement que pour subir l'examen ou un traitement ou pour autre fin temporaire prévue par la présente loi;

2(l) "land", "landed" or "landing", as applied to passengers or immigrants means their lawful admission into Canada by an officer under this Act, otherwise than for inspection or treatment or other temporary purpose provided by this Act.



[85]            Le demandeur conteste que le défendeur avait acquis le domicile canadien lorsqu'il a demandé la citoyenneté en 1955, sur le fondement que son admission au Canada en 1949 n'était pas légale, conforme à la Loi de l'immigration applicable à l'époque, de sorte que son arrivée n'a pu marquer le point de départ de la période de cinq ans qui était alors exigée pour le domicile canadien selon cette Loi. Je reviendrai sur la valeur de cet argument à propos de l'examen des circonstances de l'admission de M. Odynsky au Canada en 1949. Pour l'instant, je reprends l'examen des observations des parties sur le point de savoir si M. Odynsky a fait des déclarations fausses ou a intentionnellement omis de révéler des faits pertinents au cours de la procédure d'acquisition de la citoyenneté, abstraction faite de toute question se rattachant à son admission antérieure au Canada.

[86]            La procédure de traitement des demandes de citoyenneté applicable en 1955 était exposée dans la partie IV de la Loi de 1952, modifiée[17]. Le défendeur prétend qu'il n'existe pas de preuve permettant de conclure qu'il ait fait une fausse déclaration ou qu'il ait intentionnellement dissimulé ses activités du temps de guerre dans le cours de la procédure visant l'acquisition de la citoyenneté. Conformément à l'article 29 de la Loi de 1952, il lui incombait de « présenter au tribunal la preuve que celui-ci peut exiger sur son habileté et son aptitude à obtenir un certificat prévu par la présente loi ... » À moins que la Cour ne lui demande de révéler ses activités du temps de guerre, il n'avait pas d'obligation de le faire[18]. Il n'est pas établi qu'en 1955 les Cours de la citoyenneté demandaient ces renseignements et M. Odynsky témoigne qu'on ne lui a pas posé de questions au sujet de ses activités du temps de guerre au moment où il a comparu.


[87]            Le demandeur fait valoir que la Cour devrait appliquer l'adage omnia praesumuntur rite esse acta, c'est-à-dire que les actes d'un agent public sont présumés accomplis régulièrement sauf preuve contraire. Selon ce principe, la Cour devrait déduire, à partir de la consignation de la décision du juge de la citoyenneté, dont c'était le devoir de s'enquérir, que le juge aurait posé des questions au sujet des activités du défendeur pendant la guerre, de son domicile canadien et de sa moralité. On plaide que ces activités pendant la guerre et le fait qu'il ne les ait pas révélées en cherchant à venir au Canada et, par la suite, en cherchant à acquérir la citoyenneté canadienne font qu'il n'avait pas une bonne moralité.

[88]            M. Odynsky a déposé qu'il ne pouvait se souvenir si le juge de la citoyenneté lui avait demandé s'il avait une bonne moralité. Il a également témoigné que le juge ne lui avait pas posé de question en 1955 sur ses années de guerre. Bien que la bonne moralité ne soit pas définie par la loi ou par règlement, le demandeur soutient que M. Odynsky doit avoir été au courant de cette condition à remplir, malgré sa difficulté à comprendre l'anglais, à partir de la documentation à sa disposition lorsqu'il a demandé la citoyenneté. En outre, le demandeur fait valoir que le juge qui a noté qu'il avait une bonne moralité a dû lui poser des questions et qu'il ne pouvait être vrai qu'il avait une bonne moralité compte tenu des activités de M. Odynsky pendant les années de guerre. Cette conclusion, fondée sur des déductions du demandeur, n'est pas justifiée à mon avis sur le fondement de la preuve présentée à la Cour. Il n'y a pas eu de preuve au sujet de la procédure suivie par les Cours de la citoyenneté en général en 1955 ni au sujet de la cour particulière qui a approuvé la demande de citoyenneté de M. Odynsky.


[89]            Lors de l'audience sur le présent renvoi, des témoignages ont été présentés par des représentants de la communauté ukrainienne et par le prêtre de M. Odynsky au sujet de la contribution du défendeur à sa communauté et à son église et de sa bonne moralité générale comme les témoins la percevaient, lorsqu'il a acquis la citoyenneté et par la suite; cette preuve n'a pas été contestée par l'avocat du ministre.

[90]            À mon avis, sur le fondement de la preuve dont je suis saisi, sauf en ce qui concerne les questions rattachées à l'admission du défendeur au Canada en 1949, je conclus qu'il n'y a pas de preuve qu'il ait fait une fausse déclaration ou intentionnellement dissimulé des faits sur lesquels on lui a posé des questions et qui étaient essentiels dans la procédure visant l'acquisition de la citoyenneté canadienne en 1955.

Les questions de droit importantes

[91]            Quatre questions de droit importantes soulevées dans la présente affaire doivent être tranchées. Il semble indiqué de traiter ces questions avant d'examiner de façon plus approfondie les circonstances de l'admission de M. Odynsky au Canada et leur pertinence par rapport à l'acquisition de citoyenneté. Ces questions sont les suivantes :

1)       La portée de l'avis de révocation,

2)       L'application de l'article 10 de la Loi,

3)       Le pouvoir de rejeter des candidats à l'immigration pour des motifs de sécurité,

iv) L'interprétation de la formulation « dissimulation intentionnelle de faits essentiels » aux         articles 10 et 18 de la Loi.


La portée de l'avis de révocation

[92]       Pour le défendeur, on fait valoir que l'avis de révocation doit s'interpréter comme alléguant qu'il a dit des mensonges ou dissimulé intentionnellement des faits importants sur trois points :

1.       sa collaboration avec les autorités allemandes,

2.       sa participation à des activités se rapportant à des camps de travail forcé et à des camps de concentration au cours de 1943-1944 comme garde au camp d'instruction de Trawniki et au camp de travail de Poniatowa en Pologne,

3.       il l'a fait tant auprès des fonctionnaires de l'immigration que des fonctionnaires de la citoyenneté canadiens.

[93]       Selon le défendeur, le demandeur n'a prouvé aucune de ces allégations, alors qu'elles devraient, prétend-il, être toutes établies pour que sa conduite soit visée par l'avis. En particulier, le défendeur plaide que le demandeur doit prouver que le défendeur a dit des mensonges et intentionnellement dissimulé des faits essentiels tant auprès des fonctionnaires de l'immigration qu'auprès des fonctionnaires de la citoyenneté canadiens.

[94]       Il peut être utile de rappeler les allégations de l'avis de révocation. Après avoir renvoyé aux dispositions législatives en vertu desquelles l'avis est délivré, il expose les motifs de la mesure envisagée par le ministre en ces termes :


[TRADUCTION] ... pour le motif que vous (le défendeur) avez été admis au Canada à titre de résident permanent et avez acquis la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, en ce que vous avez omis de révéler aux fonctionnaires de Citoyenneté et Immigration Canada votre collaboration avec les autorités allemandes et votre participation à des activités se rapportant à des camps de travail forcé et à des camps de concentration entre 1943 et 1944, comme garde au camp d'instruction de Trawniki et plus tard au camp de travail de Poniatowa, en Pologne.

[95]       Dans une décision prononcée au cours de l'audience, la Cour a statué que les deux membres de phrase « ... votre collaboration avec les autorités allemandes » et « ... votre participation à des activités se rapportant à des camps de travaux forcés et à des camps de concentration entre 1943 et 1944, comme gardien ... » « doivent être lus séparément. Chacun peut être lu indépendamment de l'autre[19] » . La Cour a également statué que l'avis de révocation « sert de cadre à la Cour pour l'appréciation de la demande de renvoi du ministre » et qu' « il faut accorder de l'importance à l'avis de révocation puisqu'il sert à décrire, bien que brièvement, les motifs pour lesquels le ministre demande la révocation ... » , sous réserve de l'amplification quant aux précisions, dans les limites de l'avis, présentée dans l'exposé des faits et de la preuve du ministre, formant maintenant la déclaration selon les Règles de la Cour.


[96]       Pour le défendeur, il est plaidé que l'avis de révocation doit s'interpréter strictement et que la Cour, par ses décisions antérieures, l'a indiqué. Sur le fondement d'une telle interprétation, le défendeur soutient que le demandeur n'est arrivé à prouver aucune des allégations contenues dans l'avis. De son côté, le demandeur fait valoir que l'avis ne doit pas s'interpréter littéralement de sorte qu'il faudrait prouver toutes les allégations qui y sont contenues. Selon l'argument du demandeur, tout comme dans le cas d'une poursuite pénale, il suffit que l'un des chefs de l'accusation, ou en l'espèce l'un des motifs de l'avis, soit établi. Je conviens avec le défendeur que les principes du droit pénal ne sont pas applicables en l'espèce, mais je ne suis pas persuadé que l'avis de révocation doive s'interpréter aussi littéralement que le soutient le défendeur ou que, dans le cadre du présent renvoi, le ministre demandeur doive établir chaque fait particulier allégué dans l'avis.

[97]       L'avis n'est pas une loi particulière. À mon sens, il faut l'interpréter de façon raisonnable, compte tenu du but de l'avis, prévu à l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté, soit de définir en termes très brefs et concis le fondement de la décision du ministre de rechercher la révocation de la citoyenneté. L'avis doit être approprié pour donner au destinataire un avertissement suffisant des allégations auxquelles il doit répondre, ensuite précisées dans l'exposé des faits et de la preuve, ou selon les Règles actuelles, la déclaration, et ces faits peuvent être davantage précisés ou élucidés par l'enquête préliminaire selon les Règles applicables aux actions.

[98]       Donc, je ne suis pas persuadé que le ministre doit en l'espèce prouver que le défendeur a menti ou dissimulé intentionnellement des faits essentiels aux fonctionnaires canadiens tant de l'Immigration que de la Citoyenneté canadiens ou que le fait d'établir que ces agissements ont eu lieu à l'égard de l'un de ces fonctionnaires, mais non des deux, constituerait une modification des termes de l'avis. S'il était prouvé que le défendeur a eu les agissements allégués à l'endroit de l'un des deux fonctionnaires, mais non des deux, la Loi de l'immigration ou la Loi sur la citoyenneté pourrait être applicable pour déterminer les sanctions et ces lois ne dépendent pas de la formulation de l'avis de révocation. De même, je ne suis pas persuadé qu'en l'espèce le ministre doive établir que le défendeur a participé à des activités se rapportant à la fois à des camps de travail forcé et à des camps de concentration au cours de la période 1943-1944. S'il existe une distinction entre ces camps dirigés par la SS en Europe de l'Est, elle n'est pas pertinente en l'espèce.


[99]       À mon avis, en l'espèce, il n'y a aucun doute que l'avis fournissait un avertissement suffisant et raisonnable de la question fondamentale sur laquelle la mesure envisagée par le ministre était fondée. Depuis le début, les parties ont adopté des positions différentes au sujet de l'importance de l'avis et de son interprétation. Ces divergences étaient évidentes dans l'argumentation des parties sur la demande présentée par le défendeur, après la publication de la décision dans l'affaire Dueck, pour obtenir une décision préliminaire sur un point de droit avant l'instruction, requête que j'ai rejetée pour les motifs indiqués[20]. Ces divergences étaient également claires dans les exposés introductifs de chacune des parties lorsqu'elles ont présenté leur position à l'ouverture de l'instruction et se reflètent dans leur argumentation respective.

[100]     Selon l'interprétation que j'adopte de l'avis, moins littérale que celle que préconise le défendeur, dans tous les cas où l'on trouve la conjonction « et » employée dans l'avis, les membres de phrase ou les termes qu'elle relie doivent être lus séparément. Donc, non seulement, ainsi qu'il a déjà été décidé, les membres de phrase « ... votre collaboration avec les autorités allemandes » et « ... votre participation à des activités se rapportant à des camps de travaux forcés et à des camps de concentration entre 1943 et 1944, comme gardien... » doivent être lus séparément. Il en va de même des termes « fonctionnaires de Citoyenneté » et « Immigration Canada » , ainsi que des termes avant et après la conjonction « et » dans le membre de phrase « à des camps de travaux forcés et à des camps de concentration... » et dans le membre de phrase « au camp d'instruction de Trawniki et plus tard au camp de travail de Poniatowa... » .


[101]     Il ne s'agit pas d'une procédure pénale et comme dans toute autre procédure civile où la fonction première de la Cour est d'établir une conclusion de fait, le demandeur, en l'occurrence le ministre, doit établir ces faits selon la prépondérance des probabilités. Il appartient à la Cour de déterminer si ces faits sont établis et s'ils sont suffisants, aux termes de l'avis, pour justifier la déclaration que le ministre demande. Cette déclaration peut être justifiée sans qu'il soit nécessaire que tous les moyens de fait invoqués dans l'avis de révocation soient établis.

[102]     Je passe maintenant aux questions soulevées de façon particulière par le défendeur en ce qui touche la portée de l'avis de révocation. En premier lieu, le demandeur n'aurait pas établi que le défendeur était un collaborateur. On fait valoir que le demandeur doit prouver qu'il y avait une définition du terme qui était acceptée, comprise et appliquée uniformément par les fonctionnaires de l'immigration canadienne à l'époque où le défendeur est venu au Canada et par les fonctionnaires de la citoyenneté canadienne à l'époque où il a acquis la citoyenneté. On soutient également que le demandeur doit prouver que le défendeur s'est livré à des activités constitutives de collaboration de façon que ces activités entrent dans la définition du terme. Le représentant du demandeur a avoué, en interrogatoire préalable, qu'il n'y avait pas de définition connue du terme collaborateur qui ait été adoptée dans la politique ou la pratique canadienne dans les années suivant immédiatement la fin de la guerre et qu'on ne sait pas comment le terme était interprété et appliqué à Munich au moment où le visa du défendeur a été délivré en 1949. Au cours de l'audience, j'ai décidé que, compte tenu de ces aveux, le demandeur ne pouvait pas présenter de preuve contraire par l'entremise de M. Donald Cliffe, agent de contrôle des visas de la G.R.C. qui a été en poste en Europe un peu plus tard, à compter de 1951.


[103]     Cependant, d'autres éléments de preuve ont été présentés à la Cour sur la façon dont le terme était utilisé, largement semble-t-il, dans les années suivant immédiatement la fin de la guerre et sur la signification du « service involontaire » . On trouve un emploi de ce terme par des fonctionnaires canadiens et étrangers dans les années suivant la fin de la guerre dans un certain nombre de documents présentés à la Cour, notamment dans les documents suivants à titre d'exemples.

1.    Un compte rendu, daté du 14 février 1946, d'une réunion ministérielle non officielle sur les questions d'immigration, qui mentionne sous l'intitulé « Sécurité » des points touchant l'immigration dans les termes suivants :

[TRADUCTION]

1.      L'assemblée a considéré que les activités suivantes seraient l'indication d'antécédents insatisfaisants du point de vue de la sécurité ;

a)                      collaboration avec l'ennemi durant la guerre de 1939-1945[21]

                                                                               ...

2.    Administration des Nations Unies pour les secours et la reconstruction, 4e session du Conseil, 2e Rapport du Comité ad hoc sur la politique (adopté le 28 mars 1946); ce rapport fait mention d'un résolution n ° 71 modifiée, dont l'alinéa 2a) se lit (en partie) :

[TRADUCTION]

... en coopération avec les autorités d'occupation ... l'administration prendra immédiatement des mesures pour retirer son assistance aux personnes déplacées dont les autorités militaires auront jugé qu'elles ont collaboré avec l'ennemi ou qu'elles ont commis des crimes contre les intérêts des nationaux des Nations Unies, que ces personnes soient détenues ou non[22].

3.    La Directive n ° 1, intitulée [TRADUCTION] « Procédure à suivre pour le traitement des demandes d'immigration présentées par des étrangers » , datée du 15 avril 1947, Ministère des Mines et des Ressources, Direction générale de l'Immigration [Canada] comporte les passages suivants :

[TRADUCTION]

1.      Procédure générale

Les personnes qui ont servi l'ennemi à un titre quelconque ne sont pas admissibles...

                                                                                                       ...

11.    Procédure particulière

                                                                                                       ...

A.                     Personnes déplacées en Allemagne, en Autriche, en Italie


                                                                                                       ...

Le Comité intergouvernemental sur les réfugiés a accepté de réunir des personnes déplacées visées par son mandat afin qu'elles soient interrogées par les équipes d'immigration envoyées dans les territoires occupés à cette fin et de prendre les mesures nécessaires pour assurer le transport des personnes ayant obtenu un visa. Le mandat du C.I.R. ne couvre pas les nationaux des pays ennemis... les prisonniers de guerre aux mains des alliés quelle que soit leur nationalité, les criminels de guerre, les quislings ou traîtres ou les personnes qui ont aidé les forces ennemies ou qui se sont enfuies d'Allemagne ou de leurs lieux de résidence vers l'Allemagne pour éviter de tomber aux mains d'armées alliées, etc.[23]

4.    La note de service au Conseil de sécurité, [TRADUCTION] « Contrôle de sécurité des immigrants » , de la G.R.C. au Conseil privé, contient le passage suivant :

[TRADUCTION]

Combattants d'unités de chocs et collaborateurs, Les personnes déplacées portant des marques du groupe sanguin d'un combattant d'une unité de choc nazie sont refoulées pour des raisons de sécurité. De la même manière, les personnes originaires des pays occupés par les Allemands dont on sait qu'elles ont collaboré avec la machine nazie ou ont servi volontairement dans les forces allemandes sont refoulées[24].

5.    Lettre datée du 26 avril 1948, du commissaire, Service à l'étranger (Immigration) au commissaire par intérim de l'immigration européenne pour le Canada à Londres, Angleterre, ayant pour objet les « Ukrainiens qui ont servi les forces ennemies » :

[TRADUCTION]

En ce qui concerne les Ukrainiens sur le continent, nous devons suivre la politique en place, à savoir que, lorsque ces personnes ont servi dans les forces ennemies, on leur refusera le visa si le service était volontaire mais si elles ont servi dans les forces ennemies sous la contrainte, ce service ne sera pas considéré un motif de rejet... C'est la procédure que nous avons suivie[25].

[Note : L'extrait de cette lettre suit étroitement le texte d'une note au dossier de M. A. L. Joliffe, directeur de l'Immigration, datée du 15 avril 1948. À l'interrogatoire préalable, le représentant du ministre a avoué que, à compter au moins du 15 avril 1948 jusqu'à la fin de 1949, le service d'Ukrainiens dans les forces ennemies sous la contrainte n'était pas considéré comme un motif de rejet. L'aveu notait que la G.R.C. trouvait la politique difficile à administrer sur le terrain[26]].

6.     La note de service de la G.R.C. datée du 20 novembre 1948 définissant les critères pour éliminer les candidats à l'immigration inaptes, comme nous l'avons vu, mentionnait, à l'alinéa k), les « collaborateurs résidant présentement dans un territoire antérieurement occupé[27] » .


[104]     En outre, la Cour a entendu le témoignage de témoins experts, des historiens, au sujet de l'emploi du terme collaborateur dans les années suivant immédiatement la fin de la guerre. Selon M. Golezewski, le terme « collaborer » en était venu à signifier coopérer avec l'ennemi, que l'on excuse ou non ses actes, parce que c'est dans l'intérêt du groupe ou de la nation dont on fait partie. Il a convenu que la collaboration était un acte volontaire[28].

[105]     M. Arad a convenu que la collaboration serait un acte volontaire ou voulu[29] et M. Subtelny a déposé que la collaboration signifiait la « coopération volontaire d'individus ou d'organisations avec l'ennemi à l'encontre des intérêts de leur collectivité, de leur nation, de leur État[30] » . Sur le fondement de ces témoignages, le défendeur soutient que le demandeur doit établir que le service du défendeur dans les forces allemandes était volontaire, sans quoi le demandeur n'aura pas réussi à prouver que le défendeur pourrait avoir été considéré comme un collaborateur.

[106]     Au cours de l'enquête préliminaire, le représentant du demandeur a avoué que le recrutement initial du défendeur au service des Allemands n'était pas volontaire et, en outre, qu'il n'était pas allé à Trawniki ou à Poniatowa volontairement. Cette conclusion est appuyée par les dépositions de témoins entendus à Beleluja et du défendeur lui-même.


[107]     Selon l'argumentation du demandeur, le fait que le défendeur ne se soit pas évadé pendant son service comme garde ou, plus tard, pendant son service dans le Bataillon Streibel, surtout après que les Russes avaient réoccupé l'Ukraine occidentale, notamment la région de Beleluja, signifiait que son service était volontaire à compter de ce moment. Je n'en suis pas persuadé. Selon le témoignage du défendeur, s'il ne s'est jamais évadé, c'est qu'il savait que des tentatives d'évasion infructueuses entraîneraient sa mort ou un châtiment sévère et que, s'il parvenait à s'évader sans être repris, sa famille serait envoyée dans un camp de concentration ou connaîtrait un sort plus terrible encore. En outre, on n'a pas présenté de preuve à la Cour au sujet du moment où il pourrait avoir su, dans les derniers mois de la guerre, que les Russes avaient réoccupé la région de l'Ukraine où se trouve Beleluja.

[108]     Au soutien de son argumentation, le ministre demandeur a produit un certain nombre de documents, présentés comme des fiches d'identité des forces allemandes, indiquant que d'autres Ukrainiens s'étaient échappés au cours de la période suivant le massacre de la « Fête de la moisson » . Comme une bonne partie de la preuve documentaire, ces documents proviennent d'archives se trouvant en Europe et même si les originaux étaient des documents allemands produits dans le cours ordinaire de la tenue des dossiers, on n'a pas présenté de preuve au sujet de leur signification. On n'a pas présenté de preuve non plus au sujet du sort de ceux qui, d'après les dossiers, se sont évadés. Le défendeur a témoigné qu'il ne connaissait aucune des personnes mentionnées dans ces documents et qu'il n'avait pas eu connaissance qu'un garde se soit jamais évadé. À mon avis, la preuve présentée par le demandeur ne justifie pas de déduire que les craintes du défendeur au sujet de son propre sort ou de celui de sa famille dans le cas où il s'évaderait étaient déraisonnables ou que son service continu, auquel il avait été conscrit involontairement, était devenu un service volontaire à un moment indéterminé pendant la guerre.


[109]     Enfin, le défendeur fait valoir qu'il n'existe pas de preuve d'activités spécifiques qu'il aurait eues comme garde dans un camp ou dans le Bataillon Streibel qui correspondraient aux termes de l'avis de révocation. Il plaide que le demandeur ne peut se contenter de prouver simplement que le défendeur a été présent dans ces camps de travail, ni qu'il était simplement un garde, ni qu'il était simplement un membre d'une unité auxiliaire sous le commandement des autorités de police allemandes, car l'avis n'allègue expressément aucune de ces choses. De son côté, l'avocat du demandeur plaide que celui-ci s'appuie sur l'ensemble des fonctions, attributions ou activités que M. Odynsky a exercées pendant son service comme garde dans les camps ou pendant son service dans le Bataillon Streibel, sous la direction de la SS dans les deux cas, ce qui est visé dans l'avis.

[110]     Je conviens qu'il n'existe pas de preuve d'une activité spécifique exercée par le défendeur pendant son service comme garde ou autrement, si ce n'est son propre témoignage, corroboré par celui de ses anciens compagnons à Trawniki et à Poniatowa qui ont témoigné à Beleluja. Ses activités comprenaient l'instruction à Trawniki, son service comme garde armé autour du périmètre de la Siedlung à Poniatowa et à l'entrée sur le chemin conduisant au camp principal et il a également servi comme garde armé pour les installations et les approvisionnements de ce camp et à Trawniki. À mon avis, il en résulte que l'activité du défendeur est clairement visée par l'avis de révocation concernant ses « activités se rapportant à des camps de travail forcé » auxquelles il a participé dans la période de 1943 à 1944 comme garde à Trawniki et à Poniatowa.


[111]     Il faut noter qu'il n'a pas été présenté de preuve à la Cour concernant une activité particulière de M. Odynsky que l'on pourrait qualifier de brutale ou criminelle, ou constituant une menace directe pour quiconque. Le service dans le Bataillon Streibel ne constitue pas un motif distinct de révocation, sinon qu'on peut le considérer comme constitutif de service comme « membre de la SS » ou de « collaboration » , ainsi qu'il est allégué dans l'avis de révocation. À moins qu'on ne le considère comme un service des types indiqués, le service dans ce bataillon n'est pas visé par l'avis. Je note qu'on n'a guère présenté de preuve au sujet de l'activité de ce bataillon et qu'on n'en a présenté aucune portant sur des opérations auxquelles le Bataillon Streibel aurait participé contre des partisans ou des forces des Nations Unies.

[112]     Je reviendrai plus loin à l'appréciation du service de M. Odynsky pendant la guerre par rapport à l'avis de révocation et aux critères de contrôle de sécurité de la G.R.C. appliqués en 1949, après l'examen des autres questions de droit importantes.

L'application de l'article 10 de la Loi

[113]     L'avocat du défendeur soutient que l'article 10 de la Loi est sans application pour diverses raisons.

[114]     D'abord, il plaide que la Loi a refondu complètement le droit de la citoyenneté lorsqu'elle a été édictée (S.C. 1974-75-76, ch. 108); ce texte aurait introduit pour la première fois la disposition en cause, l'article 9 à l'époque, devenu maintenant l'article 10 de la Loi actuelle. Sur le fondement de cette position, on dit que le paragraphe 10(1), selon ses termes exprès, ne s'applique que dans les cas où « l'acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la présente loi » (non souligné dans l'original). Donc, le défendeur ayant acquis la citoyenneté avant 1976, l'article 10 ne lui est pas applicable et la présomption du paragraphe 10(2) ne peut être appliquée à son cas, puisqu'il a acquis la citoyenneté au Canada avant l'entrée en vigueur de cette loi.


[115]     En deuxième lieu, le défendeur soutient que, de toute façon, le paragraphe 10(2) ne s'applique pas à son cas. Les droits substantiels du défendeur en tant que citoyen en ce qui concerne l'acquisition ou la conservation de la citoyenneté sont régis, fait-on valoir, par la loi applicable au moment où elle a été acquise. L'avocat cite à l'appui de sa position l'affaire Luitjens[31] et invoque le principe que l'existence et le contenu des défenses sont considérés comme des droits substantiels et ne sont pas touchés par les modifications législatives qui viendraient changer la signification juridique des faits d'une affaire. Ainsi, l'édiction du paragraphe 10(2) au milieu des années 70 ne peut porter atteinte aux droits substantiels du défendeur. Dans les observations écrites, on fait valoir que la présomption du paragraphe 10(2) enlève effectivement au ministre le fardeau de prouver la fausse déclaration, la fraude ou la dissimulation intentionnelle au stade de la demande de citoyenneté ce qui « effectivement (prive) le défendeur de cette défense » et diminue « les droits substantiels du citoyen en remettant en question la citoyenneté et en la rendant susceptible de révocation sur preuve de fausse déclaration, de fraude ou de dissimulation intentionnelle au moment de la décision[32] » .

[116]     Je ne suis pas persuadé que l'application de l'article 10 soit fonction des facteurs préconisés par le défendeur. L'édiction du texte contenu dans les S.C. 1974-75-76 faisait simplement entrer en vigueur une version révisée de la Loi sur la citoyenneté, remplaçant la Loi sur la citoyenneté canadienne édictée par S.R.C. (1970), ch. C-19. Ce dernier texte remonte à une version antérieure de la Loi sur la citoyenneté, S.R.C. (1952), ch. 33, et à la Loi sur la citoyenneté originale, S.C. 1946, ch. 15. Dans la Loi de 1952, applicable en 1955, l'alinéa(1)b) de l'article 19 disposait :



19.(1) Le gouverneur en conseil peut, à sa discrétion, ordonner qu'une personne, autre qu'un citoyen canadien de naissance, cesse d'être un citoyen canadien si, sur un rapport du Ministre, il est convaincu que ladite personne

...

b) a obtenu un certificat de naturalisation ou de citoyenneté canadienne par fausse déclaration, fraude, ou dissimulation de faits importants;

19. (1) The Governor in Council may, in his discretion, order that any person other than a natural-born Canadian citizen shall cease to be a Canadian citizen if, upon a report from the Minister, he is satisfied that the said person either

...

(b) has obtained a certificate of naturalization or of Canadian citizenship by false representation or fraud or by concealment of material circumstances.


La Loi de 1952 exposait ensuite une procédure prévoyant un avis à la personne intéressée, la possibilité pour cette personne de demander une enquête pour considérer l'affaire et une enquête menée par une commission nommée par le gouverneur en conseil, ou par la cour supérieure de la province dans laquelle la personne intéressée résidait, selon le choix du gouverneur en conseil, au lieu de la procédure devant notre Cour. On trouve une disposition semblable dans les Lois de 1970[33] et de 1946[34].

[117]     L'alinéa 19(1)b) de la Loi de 1952, en vigueur au moment où M. Odynsky a acquis la citoyenneté, constitue manifestement une version antérieure des paragraphes 10(1) et 18(1) de la Loi actuelle, les seules modifications ultérieures consistant à prévoir, pour la première fois dans la Loi édictée en 1974-75-76, que la dissimulation des faits essentiels soit intentionnelle et que l'affaire soit renvoyée à notre Cour, sur demande de la personne intéressée. Je ne partage pas la position du défendeur que le paragraphe 10(1) comportait une procédure fondamentalement nouvelle, introduite par la révision du milieu des années 70. Cette loi reprenait plutôt la procédure prévue dans les Lois de 1970, 1952 et 1946, en y apportant des modifications légères, mais significatives.


[118]     Donc, à mon sens, les termes « sous le régime de la présente loi » au paragraphe 10(1) renvoient à la Loi sur la citoyenneté dans un sens général, c'est-à-dire à la fois aux lois antérieures et à la Loi actuelle. Ils ne renvoient pas simplement à la Loi actuelle[35]. L'application du paragraphe 10(1), à mon avis, ne se limite pas aux personnes qui ont acquis la citoyenneté après 1976 et le Parlement n'a pu vouloir que la procédure de révocation ne s'applique qu'à ceux qui acquièrent la citoyenneté après l'entrée en vigueur de la Loi en 1976. En fait, à compter de la premièreLoi sur la citoyenneté, adoptée en 1946, toutes les lois qui se sont succédé ont prévu le pouvoir discrétionnaire pour le gouverneur en conseil de révoquer la citoyenneté sur recommandation du ministre lorsque l'acquisition de la citoyenneté est intervenue par fraude, au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[119]     En outre, selon l'alinéa 44d) de la Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, les dispositions de l'article 10 doivent être appliquées dans la mesure où elles concernent la procédure établie pour le traitement d'affaires qui sont survenues avant l'entrée en vigueur de la Loi modificative.


[120]     On plaide pour le défendeur que le paragraphe 10(2) n'est pas applicable à la présente affaire puisque cette disposition porterait atteinte à ses droits substantiels. Les parties ont convenues que, si la disposition est considérée comme d'ordre procédural, elle serait applicable au cas du défendeur. Elle a été jugée applicable dans des circonstances généralement similaires dans les affaires Bogutin et Katriuk, mais l'avocat du défendeur soutient que cela a été décidé per incuriam, sans bénéficier d'une argumentation ou d'un débat au sujet de l'applicabilité du paragraphe 10(1) de la Loi. Comme, à mon avis, le paragraphe 10(1) est applicable au cas du défendeur, ne faisant que reprendre pour l'essentiel la procédure de base de révocation de la citoyenneté telle qu'elle était prévue globalement dans les Lois antérieures, cet argument du défendeur n'est pas persuasif.

[121]     De plus, je note que, dans l'affaire Oberlander[36], la Cour a traité cette question et jugé que le paragraphe 10(2) constituait un texte d'ordre procédural, introduisant une présomption comme règle de preuve dans les affaires touchant la révocation de la citoyenneté. Selon la façon dont j'interprète l'affaire Luitjens, par opposition à l'interprétation du défendeur, le juge Collier y a statué que les dispositions de la Loi actuelle relatives à la révocation sont d'ordre procédural et, donc, sont applicables à toute procédure de révocation introduite après l'édiction du paragraphe 10(2) au milieu des années 70, peu importe le moment où la citoyenneté a été acquise.

[122]     Il y deux autres motifs pour lesquels je conclus que l'argument du défendeur sur l'application du paragraphe 10(2) n'est pas persuasif. D'abord, l'acquisition de la citoyenneté par celui qui n'est pas né au Canada constitue un privilège[37], non un droit, et le Parlement, ayant établi le fondement sur lequel le privilège est acquis, peut également prévoir un fondement et une procédure pour retirer ce privilège, du moins dans les limites prévues par la Charte des droits et libertés, limites qui ne sont pas en cause dans la présente affaire.


[123]     En outre, il est clair, selon moi, que le paragraphe 10(2) ne prive pas le défendeur d'un moyen de défense au fond qui lui aurait été ouvert avant que le paragraphe 10(2) ne soit édicté. Selon l'alinéa 19(1)b) de la Loi de 1952, la personne admise au Canada qui avait obtenu un certificat de naturalisation ou de citoyenneté canadienne par fausse déclaration, fraude ou dissimulation de faits importants était exposée à la perte de la citoyenneté, sous réserve d'une enquête si elle en demandait une. À mon avis, l'application du paragraphe 10(2) ne porte pas atteinte à un moyen de défense ouvert selon la Loi de 1952, qui s'appliquait au moment où M. Odynsky est devenu citoyen. La fausse déclaration ou la dissimulation de faits essentiels constitue depuis longtemps un motif d'expulsion d'un non-citoyen et de révocation de la citoyenneté de ceux qui ne sont pas citoyens de naissance. L'attribution de la citoyenneté était fondée en partie sur le domicile au milieu des années 50 et le domicile ne pouvait être acquis à moins que l'immigrant soit débarqué, conformément aux règles de la Loi sur l'immigration.

[124]     Dans les affaires Bogutin, Katriuk, Kisluk, Luitjens et Oberlander, portant toutes sur l'application de l'article 10 de la Loi, il a été jugé que le paragraphe 10(2) était applicable dans une situation du genre de la situation dont il s'agit en l'espèce. Je ne suis pas convaincu, sur le fondement de l'argumentation du défendeur, qu'il y a lieu de s'écarter de cette jurisprudence. Comme dans l'affaire Oberlander, et pour des motifs semblables, je juge que ce texte est applicable au défendeur dans la présente affaire. Cette disposition est d'ordre procédural. Si le ministre établit que M. Odynsky a été admis au Canada en 1949 par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels, il bénéficie de la présomption légale, c'est-à-dire que la citoyenneté acquise par la suite à raison de cette admission est réputée acquise par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.


Le pouvoir de rejeter des candidats à l'immigration pour des motifs de sécurité

[125]     Les parties ne s'accordent pas sur l'incidence des autres décisions rendues dans les affaires récentes de révocation qui traitaient de la source du pouvoir du gouvernement, s'il existe, d'imposer un contrôle de sécurité pour l'admission des immigrants dans la période suivant immédiatement la guerre, jusqu'en 1950.

[126]     La première de ces questions porte sur l'existence de règlements pris en vertu de la Loi de l'immigration en 1949[38] autorisant le contrôle de sécurité. Dans l'affaire Dueck[39], le juge Noël a conclu que le premier règlement pris en vertu de cette Loi pour autoriser le contrôle de sécurité, qui aurait été en place depuis au moins 1946, était le décret C.P. 2856, pris le 9 juin 1950, en vertu de l'alinéa 38c) de la Loi de l'immigration. Ce règlement conférait au ministre le pouvoir discrétionnaire de refuser le débarquement d'un immigrant apparemment convenable qui est « indésirable en raison de ses coutumes ou de ses habitudes particulières, ou de son mode d'existence ou de son régime de propriété particulier, ou à cause de son incapacité probable ... de s'y [dans la vie d'une collectivité canadienne] intégrer... » .


[127]     Pour arriver à cette conclusion, le juge Noël cite le juge McKeown qui, dans l'affaire Bogutin, a conclu, sur le fondement de la preuve dont il était saisi, que le gouvernement de l'époque, par décision expresse du Cabinet, avait décidé de ne pas adopter de loi ou de règlement pour autoriser le contrôle de sécurité et avait choisi d'assurer plutôt ce contrôle dans le cadre d'une structure administrative du ministère[40]. Selon le juge Noël, les décrets antérieurs n'étaient pas considérés par le Cabinet comme donnant le pouvoir nécessaire en vue du contrôle de sécurité. Dans l'affaire Dueck, le juge Noël ne doutait pas que le décret C.P. 2856 a été adopté en 1950, à tout le moins en partie, dans le but d'assurer un fondement légal par règlement au rejet de candidats à l'immigration pour des motifs de sécurité[41].

[128]     Cette conclusion, que le décret C.P. 2856 a constitué la première autorisation par règlement, en vertu de la Loi de l'immigration de 1927 et des décrets d'application, du refus de candidats à l'immigration pour des motifs de sécurité, a été acceptée par le juge Nadon dans l'affaire Katriuk[42].


[129]     Dans l'affaire Kisluk[43], le juge Lutfy (tel était alors son titre) a conclu que le pouvoir de refuser l'admission au Canada pour des motifs de sécurité pouvait être trouvé dans certains décrets, notamment le décret C.P. 695 du 21 mars 1931 et le décret C.P.    4849 du 26 novembre 1947, l'un et l'autre interdisant le débarquement au Canada d'immigrants de toutes catégories et professions, sauf les personnes visées par des exceptions précises auxquelles un agent d'immigration pouvait permettre de débarquer au Canada en vue d'y résider de façon permanente. Le premier de ces décrets a manifestement été pris pour empêcher l'immigration au cours de la grande crise des années 30. Le second décret a regroupé les changements qui avaient été apportés jusqu'en 1947 aux catégories exceptionnelles relativement peu nombreuses qui étaient alors admissibles. Ces exceptions comprenaient les étrangers ayant servi dans les forces armées canadiennes, ceux qui étaient arrivés au Canada comme réfugiés pendant la guerre, les personnes (sauf les étrangers de nationalité ennemie) ayant des proches parents au Canada qui les parrainaient et des catégories de travailleur ayant un emploi assuré. D'autres décrets, pris en juin, juillet et octobre 1947 et en avril, septembre et octobre 1948 se rapportaient spécifiquement aux personnes déplacées qui se trouvaient alors dans les camps de l'OIR en Europe. Ces décrets ont autorisé l'admission de quelque 40 000 personnes déplacées au total.

[130]     Dans l'affaire Kisluk, le juge Lutfy a cité les premiers alinéas des décrets C.P. 695 et C.P. 4849 (et de deux autres décrets pris après 1949), disposant :

... tant qu'il n'en aura pas été ordonné autrement, le débarquement au Canada d'immigrants de toutes catégories et professions est interdit, sauf dans les cas suivants :

Le préposé de l'immigration peut permettre à un immigrant, qui par ailleurs se conforme aux dispositions de la Loi de l'Immigration, de débarquer au Canada, s'il est démontré à la satisfaction dudit préposé que cet immigrant est ... [une personne entrant dans une catégorie autorisée][44].

[131]     Selon le juge Lutfy, ces décrets, vu l'interdiction générale dans le premier alinéa et le pouvoir discrétionnaire attribué aux agents d'immigration d'admettre des catégories autorisées, prévoyait implicitement le pouvoir discrétionnaire de refuser l'entrée. Le fait d'appartenir à une catégorie autorisée ne créait pas de droit de débarquer au Canada. À son avis, le pouvoir discrétionnaire de l'agent d'immigration d'admettre des candidats comprenait le pouvoir de refuser l'entrée pour des motifs de sécurité[45].

[132]     Dans l'affaire Kisluk, la Cour a également cité une seconde série de décrets, pris en vertu de l'article 37 de la Loi, qui prévoyait le pouvoir d'établir des règlements concernant le visa, par ex. le décret C.P. 4851 du 26 novembre 1947 qui disposait : « Le passeport de tout étranger partant directement ou indirectement d'Europe doit porter le visa d'un fonctionnaire d'immigration canadien posté en Europe » . Le juge Lutfy a estimé que ces règlements conféraient un pouvoir discrétionnaire de restreindre le débarquement au Canada pour des motifs de sécurité et il a conclu :


... des renseignements fournis par un agent de sécurité disant d'un immigrant éventuel, qui s'est par ailleurs conformé aux exigences de la Loi sur l'immigration et de son règlement, qu'il présentait un danger pour le Canada en 1948, constituaient une raison valable pour que l'agent d'immigration puisse exercer négativement le pouvoir discrétionnaire établi par les décrets du conseil C.P. 4849 et 4851[46].

[133]     Le défendeur oppose que cette conclusion serait erronée en l'espèce, la preuve établissant que les agents d'immigration n'avaient pas de pouvoir discrétionnaire en ce qui touche la sécurité. Il s'agissait de questions qui étaient laissées entièrement à la G.R.C., et en ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas, son exercice était entravé par la décision de la G.R.C., que l'agent des visas pouvait seulement accepter et ne pouvait ne pas respecter.

[134]     Je conviens que l'appréciation positive de l'agent de la G.R.C., tout comme l'appréciation positive du médecin, était une condition préalable pour l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'agent d'immigration. Il en était de même de l'appréciation positive de l'agent d'immigration sur la conformité aux autres règles fixées par la Loi, le règlement ou d'autres textes (par exemple les catégories de travail/emploi établies pour les immigrants). C'est seulement lorsque toutes ces appréciations étaient positives que l'agent d'immigration pouvait exercer son pouvoir discrétionnaire de délivrer un visa. Aucun candidat étranger n'avait de droit d'entrer au Canada. À mon avis, la non-délivrance d'un visa ne résultait pas, à strictement parler, de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire de l'agent d'immigration. Tous les candidats étaient exclus à moins que l'agent d'immigration n'exerce son pouvoir discrétionnaire pour admettre un candidat comme personne admissible dans une catégorie autorisée.


[135]     Le juge Noël, dans l'affaire Dueck, ne partage pas cette conclusion du juge Lutfy que l'agent d'immigration avait, en vertu du règlement, le pouvoir discrétionnaire d'admettre ou de rejeter des personnes faisant partie de catégories de candidats. Selon le juge Noël, aucun des décrets pris en vertu de la Loi de l'immigration avant le décret C.P. 2856 du 9 juin 1950 n'était considéré par le Cabinet comme autorisant le pouvoir discrétionnaire de refuser l'admission pour des motifs de sécurité[47]. Dans un projet de mémoire adressé au premier ministre, daté du 16 septembre 1949, le secrétaire du Cabinet, N.A. Robertson, a noté que le comité du Cabinet sur l'immigration avait examiné à quelques reprises les problèmes de sécurité liés à l'immigration et que l'on avait longuement discuté de la question de savoir si la Loi devait être modifiée pour exclure certaines catégories de personnes indésirables, telles les nazis, les fascistes et les criminels de guerre. De façon répétée, on avait décidé que le problème devrait être traité par voie administrative[48].

[136]     Je note que, dans le cas de M. Odynsky, l'avocat du ministre fait valoir que le pouvoir discrétionnaire d'admettre 5 000 personnes déplacées en vertu du décret C.P. 2180 de juin 1947 incluait le pouvoir discrétionnaire de refuser l'admission pour des motifs de sécurité. Ainsi que le relève l'avocat de M. Odynsky, cette suggestion n'a pas été considérée par le juge Lutfy dans l'affaire Kisluk, mais le juge Noël en a traité expressément dans l'affaire Dueck, disant que ce décret :

... n'autorise pas le refoulement des immigrants pour des raisons de sécurité. À sa face même, ce décret vise la sélection des personnes qui cherchaient à venir ici en se prévalant des dispositions concernant les besoins en main-d'oeuvre. Cette question relevait directement du Comité interministériel Immigration-Travail formé en mars 1947... Le décret prévoit expressément la participation de ces deux ministères dans la sélection des personnes déplacées; il ne prévoit pas la participation du ministère de la Justice ni de la G.R.C[49].


[137]    Dans la présente affaire, l'avocat du ministre, s'appuyant sur l'affaire Kisluk, fait valoir que le pouvoir discrétionnaire attribué à l'agent d'immigration d'approuver l'admission au Canada et de délivrer un visa, comprenait le pouvoir de refuser l'admission pour des motifs de sécurité. Il fait également valoir que la directive administrative prévoyant une autorisation de sécurité avant la délivrance du visa n'était pas contraire à la loi, que c'était plutôt une directive légale, conforme à l'article 74 de la Loi de l'immigration de 1927, autorisant le sous-ministre à établir :

... les règles, les avis, les formules de rapports et de manifestes, et autres ... accessoirement aux règlements établis sous l'empire de la présente loi, ou à l'usage et pour la gouverne des fonctionnaires visés par la présente loi[50].

[138]    Il est clair, d'après la preuve dont je suis saisi, que, par directive administrative, et non en vertu de la loi ou d'un règlement, l'acceptation au contrôle de sécurité était une condition préalable vers la fin des années 40 pour quiconque était admis au Canada en vue du débarquement en provenance d'Europe, particulièrement d'Allemagne, qui était encore un pays ennemi. Cette exigence s'appliquait aux personnes déplacées admises en 1949 pour répondre à des besoins en main-d'oeuvre au Canada identifiés de façon particulière.


[139]    Dès octobre 1945, au moment où le décret C.P. 6687 a apporté un premier assouplissement aux catégories restrictives d'admission au Canada dans le cadre du règlement de 1931 (décret C.P. 695 du 31 mars 1931), pour permettre le débarquement de réfugiés qui étaient arrivés au Canada pendant les années de guerre, cet assouplissement visait les personnes qui avaient reçu une autorisation de sécurité, même si le règlement ne faisait pas mention de cette condition préalable. Le contrôle de sécurité était traité dans une recommandation au Cabinet, indiquant [TRADUCTION] « ... sous réserve de la condition restrictive que seules les personnes ayant obtenu une autorisation de la Gendarmerie royale du Canada soient admissibles à débarquer au Canada au sens de la Loi de l'immigration, les personnes ne remplissant pas les conditions requises pour obtenir une telle autorisation conservant leur statut actuel jusqu'à ce que leur cas soit finalement tranché[51] » . Un an plus tard, en septembre 1946, le secrétaire du Cabinet, passant en revue l'examen qui avait été fait de l'augmentation de l'immigration après la guerre, écrivait [TRADUCTION] « Il est très clair que le Cabinet ... voulait que les préposés compétents n'autorisent à débarquer que les personnes qui avaient obtenu une autorisation de la G.R.C.[52] » . Dans son affidavit présenté à l'occasion de la présente procédure, M. D'Ombrain, passant en revue l'évolution de la politique et des pratiques en matière d'immigration dans l'après-guerre, écrit :

[TRADUCTION] La préoccupation au sujet du contrôle de sécurité était constante... Il faut aussi noter que, de temps à autre, le Cabinet se mêlait des questions opérationnelles relatives au contrôle de sécurité des candidats à l'immigration, confirmant l'importance qu'il fallait attacher au respect des règles de sécurité... En même temps, il faut noter une certaine tension entre le besoin d'un contrôle efficace et le besoin de ne pas empêcher l'afflux d'immigrants. Toutefois, chaque fois qu'on a demandé au Cabinet de fournir des orientations, il a décidé que le contrôle devait être effectué dans la mesure jugée nécessaire et possible en pratique par la G.R.C.[53].

[140]    Ainsi que nous l'avons vu, la question de savoir si le contrôle de sécurité devait être explicitement autorisé par modification de la Loi de l'immigration ou par un règlement pris en vertu de la Loi a été soulevée directement au Cabinet en août 1946 et le Cabinet avait alors décidé que le problème [TRADUCTION] « pouvait être réglé par une autre voie[54] » .


[141]    À mon sens, il n'y a aucun doute que, au plus haut niveau du gouvernement, le Cabinet voulait qu'il y ait un contrôle de sécurité des candidats à l'immigration qui voulaient venir au Canada d'Allemagne, y compris des personnes déplacées, dans les années 1945 à 1950, et même par la suite. Cette volonté était mise en oeuvre sur le terrain par le moyen d'arrangements intervenus entre les autorités d'immigration et la G.R.C. sous la direction du Cabinet. D'après le témoignage d'anciens agents d'immigration, MM. Martineau, St-Vincent et Kaarsberg, des arrangements étaient en place pour le contrôle de sécurité des candidats à l'immigration en Allemagne en 1949. Ils comportaient une entrevue effectuée par un agent de la G.R.C., qui s'occupait du contrôle de sécurité, comme première étape dans le traitement d'une demande d'un candidat à l'immigration, y compris une personne déplacée.

[142]    Je conviens que le fondement légal du contrôle de sécurité n'était pas spécifiquement prévu par la Loi ou le règlement avant 1950. Que l'on accepte que le pouvoir discrétionnaire attribué à l'agent d'immigration comportait implicitement le pouvoir de rejeter des candidats pour des motifs de sécurité, ainsi que l'a conclu le juge Lutfy dans l'affaire Kisluk, ou que l'on rejette cette conclusion comme l'a fait le juge Noël dans l'affaire Dueck, cela n'est pas essentiel pour trancher le point litigieux. À mon avis, en 1949, le pouvoir du gouvernement du Canada d'exiger un contrôle de sécurité pour les candidats à l'immigration et de rejeter ceux qui ne satisfaisaient pas aux règles de sécurité avait sa source dans la prérogative royale.

[143]    Je conviens que cette opinion a été explicitement rejetée par le juge Noël dans l'affaire Dueck. Il a examiné la question sur le fondement de l'argumentation qu'on lui avait présentée et il a conclu :

À l'appui de son argument que la prérogative de la Couronne de refouler les étrangers n'avait pas été supprimée, le demandeur a invoqué l'article 17 de la Loi d'interprétation (L.R.C. (1985), ch. I-2) qui prévoit ce qui suit:


17. Sauf indication contraire y figurant, nul texte ne lie Sa Majesté ni n'a d'effet sur ses droits et prérogatives.

Le demandeur a soutenu qu'une prérogative de la Couronne peut coexister avec un texte législatif qui traite du même sujet à condition que le texte législatif n'ait pas préséance sur la prérogative, expressément ou par déduction nécessaire. Le demandeur soutient que la Loi sur l'immigration n'a pas un tel effet.

À mon avis toutefois, la Loi sur l'immigration vise l'ensemble de la prérogative que le demandeur invoque comme source du pouvoir de refouler des candidats à l'immigration pour des raisons de sécurité. La Loi de l'immigration en vigueur en 1948 habilitait le ministre des Mines et des Ressources à déterminer qui pouvait débarquer au Canada et qui, par définition, ne le pouvait pas. Lorsque l'on examine l'esprit de la Loi, on constate qu'il n'y avait apparemment aucune limite aux motifs que pouvait invoquer le ministre pour refuser l'admission au pays. Comme nous l'avons vu, l'article 38 de la Loi habilitait le ministre à interdire, par proclamation ou par arrêté, le débarquement au Canada en raison des « conditions ou exigences climatériques, industrielles, sociales, éducationnelles, ouvrières ou autres du Canada » ou en raison des « coutumes, habitudes, modes de vie et méthodes particulières de posséder des biens, et vu leur probable inaptitude à s'assimiler facilement [etc.] » de ces immigrants. C'est en vertu de cette disposition que le décret C.P. 1950-2856 a finalement été pris, et il est indubitable que cette disposition réglementaire a conféré au ministre concerné le pouvoir de refouler des immigrants pour des raisons de sécurité[55].

[144]    Le décret visé par le juge Noël, C.P. 1950-2856, a été pris en vertu de l'alinéa 38c) de la Loi de l'immigration[56]. Ce règlement attribuait au ministre le pouvoir de rejeter des candidats à l'immigration pour des motifs de sécurité. Il était pris en vertu de l'alinéa 38c), qui disposait :



38. Le gouverneur en son conseil peut, par proclamation ou arrêté, lorsqu'il le juge nécessaire ou à propos,

...

c)Interdire, pendant une période de temps déterminée ou d'une manière permanente, le débarquement au Canada ou le débarquement à tous les ports d'entrée désignés, au Canada, ou limiter le nombre d'immigrants appartenant à quelque nationalité ou race, ou d'immigrants d'une catégorie ou occupation particulière, à cause d'une situation économique, industrielle ou autre régnant temporairement au Canada, ou parce que ces immigrants sont jugés impropres, eu égard aux conditions ou exigences climatériques, industrielles, sociales, éducationnelles, ouvrières ou autres du Canada, ou parce que ces immigrants sont considérés comme non désirables par suite de leurs coutumes, habitudes, modes de vie et méthodes particulières de posséder des biens et vu leur probable inaptitude à s'assimiler facilement ou à assumer les devoirs et les responsabilités du citoyen canadien dans un temps raisonnable après leur arrivée au pays.

38. The Governor in Council may, by proclamation or order whenever he deems it necessary or expedient,

...

(c) prohibit or limit in number for a stated period or permanently the landing in Canada, or the landing at any specified port or ports of entry in Canada, of immigrants belonging to any nationality or race or of immigrants of any specified class or occupation, by reason of any economic, industrial or other condition temporarily existing in Canada or because such immigrants are deemed unsuitable having regard to the climatic, industrial, social, educational, labour or other conditions or requirements of Canada or because such immigrants are deemed undesirable owing to their peculiar customs, habits, modes of life and methods of holding property, and because of their probable inability to become readily assimilated or to assume the duties and responsibilities of Canadian citizenship within a reasonable time after their entry.


[145]    Dans l'affaire Kisluk, le juge Lutfy a également traité de la prérogative comme source possible du pouvoir de la Couronne à l'égard des règles sur le contrôle de sécurité. Il a fait mention de la reconnaissance, dès 1820[57], de la prérogative de la Couronne à l'égard du contrôle de l'admission des étrangers dans le pays. Il a également cité l'article 17 de la Loi d'interprétation, et l'examen de l'article antérieur dans la version précédente des lois refondues par le juge Dickson qui, au nom de la majorité de la Cour suprême dans l'arrêt Alberta Government Telephones c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), a dit :

Il me semble que les termes « mentionnée ou prévue » contenus à l'art. 16 [semblable à l'art. 17 de la Loi d'interprétation actuelle] peuvent comprendre : (1) des termes qui lient expressément la Couronne ("Sa Majesté est liée"); (2) une intention claire de lier qui ... « ressort du texte même de la loi » , en d'autres termes, une intention qui ressorte lorsque les dispositions sont interprétées dans le contexte d'autres dispositions... et (3) une intention de lier lorsque l'objet de la loi serait "privé [...] de toute efficacité" si l'État n'était pas lié ou, en d'autres termes, s'il donnait lieu à une absurdité (par opposition à un simple résultat non souhaité). Ces trois éléments devraient servir de guide lorsqu'une loi comporte clairement une intention de lier la Couronne[58].


[146]    Dans l'affaire Kisluk, le juge Lutfy, considérant la situation de 1948, a conclu :

Le contexte historique entourant l'adoption de la Loi sur l'immigration, la teneur incertaine du paragraphe 38c) et l'absence du droit des immigrants éventuels de s'établir au Canada, soulèvent, à mon humble avis, la question de savoir si la loi

a pleinement supplanté la prérogative royale relative à l'exclusion des étrangers pour des raisons de sécurité nationale. Cependant, je ne suis pas tenu de décider si le pouvoir d'interdire légalement l'entrée pour des raisons de sécurité reposait

uniquement sur la doctrine de la prérogative royale étant donné mes conclusions quant à l'effet des décrets du conseil qui étaient en vigueur en 1948[59].

[147]    En l'espèce, le défendeur fait valoir que le Parlement avait légiféré pour la première fois en matière de règles d'autorisation de sécurité en 1872, en modifiant la Loi de l'immigration de l'époque pour prévoir :

Le gouverneur en conseil pourra, par proclamation, lorsqu'il le juge nécessaire, défendre le débarquement au Canada de toute classe criminelle ou vicieuse d'immigrants désignés dans cette proclamation... [60].

En outre, le défendeur rappelle que, par la Loi de l'immigration de 1910, le Parlement avait également empêché l'admission de ceux qui prêchent le renversement, par la force ou par la violence, du gouvernement ou des lois et de l'autorité constituées, ajoutant ainsi à la catégorie de ceux qui constituent une menace pour la sécurité. Ces dispositions, fait-on valoir, démontrent la mise à l'écart par le Parlement de toute prérogative à l'égard de la restriction de l'admission au Canada pour des motifs de sécurité.


148]      Il ne fait pas de doute que le Parlement peut mettre à l'écart l'exercice d'un pouvoir fondé sur la prérogative, en principe et en vertu de l'article 17 de la Loi d'interprétation. Néanmoins, je ne suis pas persuadé que la prérogative de la Couronne est limitée par une disposition adoptée par le Parlement prévoyant un pouvoir discrétionnaire qui doit être exercé par la voie d'un règlement pris par le gouverneur en conseil, le texte législatif ou réglementaire ne liant pas la Couronne ou ne la liant pas par déduction nécessaire, du moins jusqu'à ce que soit édicté un règlement qui entre en conflit avec l'exercice de la prérogative ou prévoit sa mise à l'écart.

[149]    Donc, à mon avis, les modifications de 1872 et de 1910 citées par le défendeur et la modification ultérieure apportée par l'alinéa 38c) de la Loi, déléguant un pouvoir discrétionnaire au gouverneur en conseil n'ont pas, à elles seules, éliminé ou mis à l'écart la prérogative générale de la Couronne à l'égard de l'exclusion des étrangers de l'immigration au Canada pour des motifs de sécurité. Chacune des exclusions prévues en vertu de la Loi de l'immigration ou du règlement limitait la prérogative, sans entrer en conflit avec la prérogative d'exclure des personnes qui entraient dans les catégories de personnes autorisées pour des motifs de sécurité générale. C'est seulement lorsque le gouverneur en conseil a pris un règlement autorisant le ministre, notamment, à exclure des personnes pour des motifs de sécurité que l'on peut dire que la prérogative du gouvernement du Canada relativement au contrôle de sécurité des candidats à l'immigration a été limitée.


[150]    L'alinéa 38c) de la Loi de l'immigration, dans la forme qu'il avait en 1948 (et en 1949), constituait le fondement sur lequel le juge Noël a conclu que la prérogative de la Couronne relativement à tous les aspects de l'immigration avait été complètement retirée par le Parlement. À propos de cette conclusion, je note que le juge Noël a également conclu que le contrôle de sécurité n'a pas été autorisé par règlement avant 1950, au moment où le règlement a attribué au ministre le pouvoir complet de refuser l'admission de candidats à l'immigration. À mon avis, il est clair que ce n'est qu'à ce moment-là, en 1950, que l'on peut dire : « il n'y avait apparemment aucune limite aux motifs que pouvait invoquer le ministre pour refuser l'admission au pays » . Jusque là, le fait que le pouvoir discrétionnaire avait été attribué au gouverneur en conseil de prendre un tel règlement, ne portait pas atteinte à l'exercice de la prérogative de la Couronne, le pouvoir discrétionnaire prévu par la Loi n'ayant pas été exercé. Donc, l'alinéa 38c) n'a pas empêché, ni expressément ni implicitement, l'exercice de la prérogative de prévoir le contrôle de sécurité pour les candidats à l'immigration et il n'en résultait pas une absurdité si la prérogative était exercée61.

[151]    Pour le défendeur, on plaide que la Cour suprême, dans l'arrêt Espaillat-Rodriguez c. Canada62 a reconnu que le pouvoir d'exclure des étrangers pour des motifs de sécurité se fonde sur la Loi sur l'immigration et sur les règlements d'application. À mon avis, cet arrêt prononcé en 1963 ne traite pas de la situation existant en 1949, avant que ne soit pris le décret C. P. 1950-2856, qui a conféré au ministre le pouvoir de déterminer des motifs d'acceptation de personnes faisant partie de catégories admissibles, y compris des motifs de sécurité. À mon avis, l'arrêt Rodriguez n'est pas pertinent pour l'examen du pouvoir, en 1949, d'interdire l'admission de candidats à l'immigration pour des motifs de sécurité.


[152]    Pour le ministre, on plaide que le pouvoir d'imposer le contrôle de sécurité était un aspect de la prérogative de la Couronne d'agir pour la défense du royaume, c'est-à-dire en matière de défense, de sécurité nationale et d'affaires internationales. À mon avis, il n'est pas nécessaire de décider cette question; il suffit de conclure qu'il faisait partie de la prérogative reconnue de la Couronne de régir l'admission des étrangers, y compris par le contrôle de sécurité des candidats à l'immigration vers la fin des années 40. À mon avis, ce pouvoir a continué d'exister jusqu'au moment où a été pris le décret C.P. 2856 du 9 juin 1950, qui a autorisé le ministre à régir l'admission au Canada, à l'intérieur de catégories permises par la Loi, pour des motifs jugés satisfaisants par le ministre, notamment, de manière implicite, des motifs de sécurité.

[153]    En résumé, en 1949, lorsque la demande présentée par M. Odynsky pour immigrer au Canada a été approuvée, les arrangements en place pour le contrôle de sécurité des candidats à l'immigration étaient autorisés, de manière implicite, en vertu du règlement qui conférait à l'agent d'immigration le pouvoir discrétionnaire d'approuver les personnes choisies dans les catégories de personnes approuvées par le règlement ou de leur délivrer un visa. En outre, le rejet de ceux qui étaient refusés au contrôle de sécurité effectué par les agents de la G.R.C. entrait dans la prérogative du gouvernement du Canada à l'égard des étrangers demandant l'admission au pays dans les catégories de personnes admissibles selon le règlement ou la loi.

L'interprétation de la formule « dissimulation intentionnelle de faits essentiels »

aux articles 10 et 18 de la Loi

[154]    Le défendeur plaide qu'il n'est pas prouvé qu'il ait dissimulé intentionnellement ses activités pendant la guerre au cours de la procédure de son admission au Canada, que ces activités aient été essentielles par rapport à son admission ou qu'il ait su qu'elles étaient essentielles. Il faut donc examiner la signification de la formule « dissimulation intentionnelle de faits essentiels » aux articles 10 et 18 de la Loi.


[155]    On a débattu le point de savoir s'il avait été interrogé par un agent de sécurité de nationalité canadienne, si des questions lui avaient été posées et en vertu de quel pouvoir, ce dont je traite ailleurs. Quant aux questions concernant le devoir de candeur et l'obligation de révéler des faits en l'absence de questions, j'accepte la position du juge Collier dans l'affaire Luitjens que, en l'absence de questions pertinentes, lorsqu'on ne peut présumer qu'une personne connaît des points particuliers de préoccupation, il n'existe pas d'obligation de candeur.

[156]    À part ces questions, le défendeur plaide qu'il n'y a pas de preuve que ses activités pendant la guerre aient été essentielles par rapport à son admission, parce qu'il n'est pas établi que la révélation de ces activités aurait entraîné le refus d'admission. Toutefois, on peut raisonnablement déduire qu'il aurait été rejeté, selon la prépondérance des probabilités, compte tenu de la preuve de l'ensemble des circonstances, et que la révélation, qui n'a pas été faite, aurait sûrement conduit à d'autres questions et à une appréciation attentive des activités de M. Odynsky en fonction des critères de rejet appliqués par les agents de contrôle. Je ne suis pas d'avis que le critère du caractère essentiel consiste à déterminer si ses activités, si elles avaient été connues, auraient entraîné le rejet de sa demande. À mon avis, le caractère essentiel doit s'apprécier en fonction de l'importance des renseignements non révélés pour les besoins de la décision en cause. En l'occurrence, les activités du temps de guerre de M. Odynsky étaient pertinentes et importantes pour l'apprécier en fonction de plusieurs des critères de rejet.


[157]    En outre, ces activités constituaient des faits essentiels, peu importe que M. Odynsky ait su ou non qu'elles étaient essentielles. Le mot « intentionnelle » est un adjectif qui qualifie le mot « dissimulation » . Il ne se rapporte d'aucune façon aux « faits essentiels » . Je n'accepte pas l'argument que les termes employés aux articles 10 et 18 ne s'appliquent qu'une fois établi que la personne dissimulant les renseignements a conscience que les renseignements portent sur des faits essentiels.

[158]    L'adverbe « knowingly » modifiant le verbe « concealing » , qui est employé dans la version anglaise, signifie [TRADUCTION] dissimuler « sciemment, en connaissance de cause, consciemment, intentionnellement63 » . Dans l'affaire Canada (Ministre du Multiculturalisme et de la Citoyenneté) c. Minhas64, le juge en chef adjoint Jerome (tel était alors son titre), à propos de la formulation « par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels » au paragraphe 10(1), a dit :Pour avoir gain de cause, le ministre doit faire mieux que de démontrer que l'intimé a matériellement enfreint la Loi. Les termes du paragraphe 10(1) ne désignent pas une infraction mettant en jeu la norme rigoureuse de la preuve « sans l'ombre d'un doute raisonnable » du droit pénal, mais ont plutôt pour effet d'épargner les fausses déclarations innocentes de la sanction sévère qu'est la perte de citoyenneté. Une déclaration innocente, même si elle est fausse ou trompeuse, ne suffit pas pour déclencher ou justifier cette sanction. Un autre élément de preuve, concernant l'état d'esprit de l'intimé, est requis et il incombe au ministre de le faire valoir. Ce qui est nécessaire, donc, c'est de prouver que l'intimé a déformé les faits pertinents dans l'intention d'induire en erreur et d'obtenir la citoyenneté sur la foi de ces fausses déclarations.

[159]    En somme, je suis d'avis que la formulation « dissimulation intentionnelle de faits essentiels » employée aux articles 10 et 18 exige que la Cour conclue sur le fondement de la preuve ou par déduction raisonnable à partir de la preuve, que la personne intéressée a dissimulé des faits essentiels à la décision, qu'elle ait su ou non que ces faits étaient essentiels, avec l'intention d'induire en erreur le décideur.


[160]    Deux autres décisions de la Cour ont cité l'affaire Minhas et se sont appuyées en partie sur celle-ci, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Malik65 et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Coomar66.

[161]    Dans toutes ces affaires, comme dans l'arrêt Brooks67, la personne intéressée avait répondu aux questions de façon mensongère, dissimulant ainsi des faits essentiels. Par rapport à l'arrêt Brooks, on fait valoir, comme on pourrait le faire aussi par rapport à l'affaire Minhas et aux autres affaires qui l'ont suivie, que les faits sont différents en l'espèce, puisque, selon le témoignage du défendeur, on ne lui a pas posé de questions et il n'a pas répondu à des questions au sujet de ses activités pendant la guerre. Ce n'est pas là l'ensemble de la preuve à mon avis.

[162]    Je passe maintenant à l'examen du témoignage de M. Odynsky et d'autres personnes au sujet du contrôle de sécurité en 1949.

Les activités de M. Odynsky pendant la guerre

et le contrôle de sécurité des candidats à l'immigration en 1949


[163]    Il reste trois questions principales à résoudre dans l'examen des activités de M. Odynsky pendant la guerre et des critères du contrôle de sécurité pour les candidats provenant des camps de personnes déplacées en Allemagne qui voulaient entrer au Canada en 1949. Premièrement, M. Odynsky a-t-il été soumis à un interrogatoire en vue de l'autorisation de sécurité dans le cours du traitement de sa demande pour venir au Canada? Deuxièmement, sa demande aurait-elle été refusée s'il avait révélé ses activités pendant la guerre? Troisièmement, M. Odynsky a-t-il fait une fausse déclaration ou a-t-il dissimulé intentionnellement des faits essentiels, c'est-à-dire ses activités pendant la guerre, à l'occasion de son admission au Canada? J'examine maintenant ces questions l'une après l'autre.

[164]    À l'instruction, M. Odynsky a témoigné qu'on ne lui avait demandé ce qu'il avait fait ou bien où il avait vécu pendant les années de guerre en aucune occasion dont on pourrait penser qu'elle est rattachée à son admission au Canada. En particulier, on ne lui a pas posé de questions au sujet de ses activités pendant la guerre à l'occasion de sa demande de venir au Canada, lorsqu'il a fait sa demande initiale à la Somme Kaserne à Augsbourg, lorsque lui et Mme Odynsky ont été interrogés à la Funk Kaserne à Munich où ils se souviennent s'être inscrits et avoir passé des examens médicaux, ou par la suite lorsque M. Odynsky est retourné à Munich en vue des formalités pour son voyage au Canada.

[165]    Je note que Mme Odynsky, témoignant à l'instruction, ne se souvenait pas qu'on lui ait posé de questions au sujet de ses activités ou des endroits où elle avait vécu pendant la guerre à l'un quelconque des camps administrés par l'UNRRA ou par l'OIR où elle a vécu après la guerre. Elle se trouvait dans une situation quelque peu différente, puisque, au moment où elle a été inscrite dans son premier camp de personnes déplacées, à Bayreuth, elle a produit son Arbeitsbuch, un livret de travail, avec son identité, qui lui avait été délivré par les Allemands lorsqu'elle a été déportée en Allemagne pour le travail forcé. Ce document peut avoir expliqué sa présence en Allemagne et son activité pendant la guerre pour les besoins des dossiers de l'UNRRA et, par la suite, de l'OIR.


[166]    Sur le fondement pour une part du récit de M. Odynsky au sujet de ce qu'il avait dit aux fonctionnaires de l'OIR lorsque la G.R.C. l'a interrogé en août 1997 et pour une part sur des documents de l'OIR qui ne se rapportaient pas spécifiquement au défendeur, documents qui avaient été produits en preuve par le demandeur, on plaide pour le ministre que le défendeur doit avoir fait une fausse déclaration au sujet de ses activités pendant la guerre aux fonctionnaires de l'OIR. On plaide encore que toute fausse déclaration au sujet de son passé aurait été à la disposition de tout agent de sécurité des visas de la G.R.C. qui aurait été intéressé, à la Somme Kaserne, ainsi que M. Odynsky lui-même a supposé que ce serait le cas lorsqu'il a parlé à un agent de la G.R.C. en 1997. Normalement, tout renseignement que l'OIR possédait au sujet de M. Odynsky aurait été fourni sur demande à l'équipe de sélection d'immigration qui examinait sa demande, selon le témoignage des anciens agents d'immigration et de M. Cliffe, entendus à l'instruction.


[167]    Pourtant, à mon avis, la conclusion proposée par le ministre, que M. Odynsky a fait une fausse déclaration au sujet de son passé aux fonctionnaires de l'OIR, est basée sur des suppositions et n'est pas étayée par la preuve. M. Odynsky a reconnu en interrogatoire préalable et à l'instruction que le récit raconté dans l'entrevue de 1997 était faux. Les documents de l'OIR produits comprennent un formulaire de renseignements au sujet d'une personne qui comporte une section pour les renseignements portant sur les endroits où la personne avait vécu et sur les activités qu'elle avait eues au cours des 12 années précédentes. Les instructions données pour remplir les formulaires et les directives données aux agents de l'OIR, les résolutions au sujet de l'objet de l'organisation et les documents concernant sa constitution indiquent que les personnes qui avaient servi dans les forces ennemies des Nations Unies ou qui avaient collaboré avec ces forces n'avaient pas droit à la protection et au soutien de l'organisation. Les documents sont intéressants, mais on n'a pas présenté de preuve qu'ils étaient utilisés en pratique dans les années qui importent pour la présente affaire. La Cour refuse de conclure que M. Odynsky ait fait une fausse déclaration au sujet de ses activités pendant la guerre aux fonctionnaires de l'OIR ou que les renseignements de l'OIR à son sujet, le cas échéant, auraient constitué l'élément central pour le contrôle de sécurité par les personnes examinant sa demande d'admission au Canada.

[168]    On fait valoir pour le défendeur que la seule preuve directe du traitement de sa demande d'admission au Canada consiste dans le témoignage de M. et Mme Odynsky. Il existe néanmoins d'autres éléments de preuve au sujet de la procédure qui était normalement suivie. Il y a le témoignage de trois anciens agents d'immigration canadiens, MM. Martineau, St-Vincent et Kaarsberg, que, selon la procédure uniformément suivie en Allemagne vers la fin des années 40 dans le cas des personnes déplacées, les candidats étaient interrogés ou examinés, à tour de rôle, par l'agent du contrôle de sécurité, par le médecin et finalement par l'agent d'immigration. Il y a également le témoignage de M. Cliffe, ancien agent de contrôle de la G.R.C., au sujet de sa pratique au début des années 50, conforme, selon lui, à celle de ses homologues en Europe à ce moment-là et antérieurement. Il se préoccupait surtout des endroits où le candidat à l'immigration avait vécu et travaillé et de ce qu'il avait fait, particulièrement durant les années de la Seconde Guerre mondiale. Ces renseignements étaient considérés comme pertinents en vue des vérifications auprès des autorités policières locales et auprès du Centre documentaire de Berlin, alors géré par les autorités américaines en vue de conserver les archives allemandes portant notamment sur les anciens nazis et les anciens membres des Waffen SS.


[169]    Il existe une preuve documentaire abondante dans la présente affaire au soutien de l'opinion de M. D'Ombrain que le Cabinet et son conseil de sécurité consultatif appuyaient énergiquement le contrôle de sécurité, à l'étranger, des candidats à l'immigration et la prise en charge de cette tâche par la G.R.C., travaillant avec les agents d'immigration. À mon avis, la preuve établit clairement que la G.R.C. a décidé que toutes les personnes déplacées et toutes les autres personnes admissibles provenant d'Allemagne vers la fin des années 40 devaient être soumises à un contrôle de sécurité, à une époque où les nationaux Allemands n'étaient pas encore admissibles au Canada du fait qu'ils étaient des étrangers de nationalité ennemie. Il est également clair que le contrôle exigeait une entrevue personnelle avec le candidat effectuée par l'agent de sécurité.

[170]    Si l'on acceptait le témoignage de M. et Mme Odynsky, le résultat serait qu'ils n'ont pas rempli de formulaires de demande eux-mêmes et que les formulaires nécessaires ont été remplis par le personnel de l'OIR à la Somme Kaserne. En outre, selon leur témoignage, ils n'ont pas passé d'entrevue à la Funk Kaserne, si ce n'est qu'ils ont subi un examen médical effectué par un médecin qui travaillait avec un interprète et ce médecin était le seul fonctionnaire canadien qu'ils ont rencontré, pour autant qu'ils sachent ou peuvent se rappeler. Ils n'ont pas été vus par un agent de contrôle ou un agent d'immigration et n'ont pas non plus passé d'entrevue. Un agent d'immigration a apposé un visa sur le titre de voyage délivré par l'OIR à M. Odynsky afin de lui permettre de débarquer au Canada, mais à un moment où le défendeur n'était pas présent. Je conclus que leurs souvenirs des détails de la procédure suivie lorsqu'ils se trouvaient à la Somme Kaserne en mai 1949 ne sont pas complets, ce qui n'est pas étonnant puisque ces événements sont survenus il y a plus de 50 ans.


[171]    Il y a finalement le témoignage de M. Kaarsberg, entendu à l'instruction, qu'il n'aurait pas délivré de visa à M. Odynsky, ce qu'il a fait en apposant le visa sur le titre de voyage délivré par l'OIR au défendeur et en le signant, s'il ne s'était pas assuré que M. Odynsky avait été accepté au contrôle de sécurité effectué par l'agent de contrôle ou l'agent de contrôle des visas avec qui il travaillait en mai 1949. En outre, il n'aurait délivré le visa qu'après s'être assuré au moyen d'une entrevue personnelle, ou si un autre agent d'immigration s'était assuré, que M. Odynsky devrait être admis au Canada. C'est seulement dans ces conditions que M. Kaarsberg aurait délivré le visa, en l'apposant sur le titre de voyage délivré par l'OIR à M. Odynsky et en le signant.

[172]    Je note que le document comporte un timbre de Santé nationale et Bien-être Canada, daté également du 13 mai 1949 comme l'était le timbre apposé par M. Kaarsberg, et que le médecin qui a apposé sa signature, à côté du timbre, a également noté « accepté » . Les agents de sécurité n'avaient pas coutume d'inscrire « accepté » ou « rejeté » sur un titre de voyage de l'OIR et on ne trouve pas une telle annotation sur le titre de M. Odynsky.


[173]    Compte tenu de l'ensemble de la preuve dont je suis saisi, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, qu'au moment où sa demande d'admission au Canada à été examinée à Munich, alors qu'il se trouvait à la Funk Kaserne, lorsque M. Kaarsberg, qui était alors agent d'immigration canadien, a approuvé son visa, l'a apposé et signé, M. Odynsky avait passé une entrevue avec un agent de contrôle, qui l'avait accepté du point de vue de la sécurité. Je conclus également que, s'il n'en avait pas été ainsi, le visa en vue du débarquement au Canada ne lui aurait pas été délivré par M. Kaarsberg, qui s'était assuré ou qui avait vérifié qu'un autre agent d'immigration s'était assuré que M. Odynsky avait rempli toutes les conditions, y compris le contrôle de sécurité, en vue de l'admission au Canada.

[174]    Pour le ministre, on a fait valoir que je devrais conclure que le témoignage de M. Odynsky n'était pas crédible. Sans tirer de conclusion générale sur sa crédibilité, je conclus que son témoignage au sujet de l'examen subi à la Funk Kaserne ne donne pas une description complète de la procédure à laquelle il a été soumis. Je n'accepte pas son témoignage comme description complète, parce qu'il ne correspond pas à la procédure qui, d'après le témoignage des autres, était en place pour l'examen des personnes déplacées à Munich, au moment où il a présenté sa demande pour venir au Canada en 1949.

[175]    Je conclus qu'un agent de sécurité de la G.R.C. l'a interrogé. Il va de soi que, dans toute entrevue, M. Odynsky, en qualité de candidat à l'immigration, avait l'obligation, en vertu de la Loi de l'immigration en vigueur en 1949, de donner des réponses véridiques aux questions qu'on lui posait.


[176]    J'en viens au point de savoir si la révélation, au moment du traitement de sa demande d'admission au Canada, des activités du défendeur pendant la guerre aurait entraîné le rejet de sa demande. Pour M. Odynsky, on plaide que ce fait n'est pas établi par la preuve dont la Cour est saisie, en particulier en ce qui concerne les critères du contrôle de sécurité invoqués par le ministre. Le demandeur oppose qu'il n'est pas nécessaire d'établir ce fait, dans la mesure où il est établi que les renseignements au sujet de ses activités pendant la guerre étaient essentiels pour l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas et que M. Odynsky les a dissimulés intentionnellement, empêchant ainsi d'autres enquêtes.

[177]    La position du ministre est fondée sur l'arrêt de la Cour suprême Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Brooks68. À l'occasion de l'examen du paragraphe 19(1) de la Loi sur l'immigration de 1952, la Cour y a conclu que la fausse déclaration d'un fait essentiel comprend une déclaration contraire à la vérité, la non-révélation de renseignements véridiques ou la réponse trompeuse qui a pour effet d'exclure ou d'écarter d'autres enquêtes même si aucun motif indépendant d'exclusion, ou en l'espèce de refus, n'eût été découvert par suite de ces enquêtes.

[178]     Malgré cette position du ministre, son avocat plaide que, si les activités de M. Odynsky pendant la guerre avaient été révélées, il aurait été refusé par les agents de contrôle de la G.R.C. selon les critères b) et/ou k) établis en novembre 1948 pour le rejet de candidats à l'immigration, c'est-à-dire en tant que membre des SS ou que collaborateur. Comme nous l'avons vu, cette liste des personnes rejetées comprenait notamment 69 :

[TRADUCTION]

b)            Membre des SS ou de la Wehrmacht allemande. Personne dont on découvre qu'elle porte des marques du groupe sanguin des SS (NON-Allemands).

k)             Collaborateurs résidant présentement dans un territoire antérieurement occupé.


[179]     Aucun de ces critères, en particulier les termes « membre des SS » ou « collaborateurs » , n'a fait l'objet d'une définition plus précise, ainsi que le relève le défendeur et que le reconnaît le demandeur, et il n'existe pas de preuve directe de la façon dont ces termes étaient appliqués par les agents de la G.R.C. sur le terrain. À l'occasion de son témoignage sur la façon dont il comprenait le terme « collaborateur » , M. Cliffe n'a pu se rappeler un cas où il avait rejeté un candidat pour ce motif. Il ne se rappelait pas non plus avoir eu à traiter un cas comme celui de M. Odynsky, qui prétendait être de nationalité ukrainienne alors que l'Ukraine ne faisait pas alors partie de la communauté internationale et n'avait pas été une nation indépendante avant la guerre.


[180]     Malgré l'absence de preuve sur leur signification en 1949, ces termes n'étaient pas dépourvus de signification. Pour le défendeur, on fait valoir que le terme « membre des SS » dans le cas des non-Allemands ne désignait que ceux qui portaient la marque du groupe sanguin des SS, marque que M. Odynsky n'a jamais eue. En outre, d'après le témoignage de M. Ornest Subtelny, historien cité comme témoin par le défendeur, pour les raisons qu'il a exposées, M. Odynsky n'aurait pas été considéré comme un membre des SS. Je note que M. Yitshak Arad, historien cité comme témoin par le demandeur, a témoigné du contraire, pour les raisons qu'il a invoquées. Avec égard pour leurs opinions, je note que ni l'un ni l'autre n'a fait mention de la nationalité de M. Odynsky, facteur important d'après la preuve présentée devant moi dans une autre affaire, l'affaire Oberlander70. Je prends connaissance d'office de ma conclusion dans cette affaire, fondée sur le témoignage présenté dans cette affaire par M. Manfred Messerschmidt, historien militaire allemand possédant une expertise en ce qui concerne le fonctionnement de l'armée et de la police allemandes dans les territoires occupés de l'Est pendant la guerre, qui a été cité à témoigner dans l'affaire Oberlander par le ministre. J'ai conclu, dans cette affaire, que l'appartenance aux SS, officiellement, était limitée aux citoyens allemands. Ceux qui avaient une autre nationalité ne pouvaient appartenir aux SS, même s'ils étaient conscrits pour servir dans les unités de la SS, dans ses unités militaires les Waffen SS ou dans ses unités de police subordonnées.

[181]     Si je ne conclus pas que M. Odynsky était « membre des SS » au sens officiel ou technique, je ne conviens pas que le terme tel qu'il est employé au point b) des motifs de rejet était entendu dans un sens limité à ceux qui étaient officiellement acceptés comme membres des SS. Il était généralement connu que de nombreux non-Allemands avaient servi dans les unités SS, particulièrement les Waffen SS travaillant avec l'armée allemande et dans les unités de service policier de la SS. Cela doit avoir été connu de ceux qui s'occupaient de la sécurité nationale et de la sélection des candidats à l'immigration demandant l'admission au Canada à la fin des années 40. Je prends connaissance d'office de l'attention portée au cours de ces années à l'évolution du droit pénal international, par suite de la décision du Tribunal militaire international qui, en vertu de la Loi n ° 10, de 1946, du Conseil de contrôle, avait déclaré, dans l'Allemagne occupée à l'époque, que la SS et un certain nombre de ses organisations constituaient des organisations criminelles. En outre, les procès des criminels de guerre devant les tribunaux militaires de Nuremberg tenus d'octobre 1946 à avril 1949, rapportés de temps à autre jusqu'en 194971, ont attiré l'attention, notamment, sur les activités atroces des dirigeants nazis, de certaines forces allemandes et particulièrement de la SS et de ses unités en Europe de l'Est.


[182]     Dans ces circonstances, à mon avis, tout agent de sécurité faisant passer une entrevue à M. Odynsky en 1949 et qui aurait été informé de son service en temps de guerre dans des unités auxiliaires, comme Wachmann ou garde SS à Trawniki et à Poniatowa, deux camps de travail forcé administrés par la SS, et de son service, par la suite, dans le Bataillon Streibel de la SS, ainsi que du fait qu'il avait toujours servi sous le commandement d'officiers SS, aurait à tout le moins posé des questions au sujet de ce service, pour apprécier si le candidat devait être considéré comme admissible selon les critères de sécurité. Selon toute probabilité, il aurait décidé que M. Odynsky devait être refusé en tant que membre des SS. Même s'il n'avait pas été refusé à ce moment là, tout agent de sécurité qui aurait été informé de son service pendant la guerre l'aurait interrogé de manière assez approfondie pour apprécier son service en fonction des critères de refus. Si M. Odynsky avait alors été accepté au contrôle de sécurité, il est fort improbable qu'il aurait oublié qu'on lui avait posé des questions au sujet de ses activités pendant la guerre. Pourtant, il témoigne qu'on ne lui a pas posé de telles questions.


[183]     Le point de savoir si ses activités pendant la guerre auraient entraîné que M. Odynsky soit refusé en tant que « collaborateur » n'est pas établi, à mon avis. D'après les documents présentés à la Cour, le terme était communément employé, mais son application, particulièrement lorsque le service n'était pas volontaire, faisait l'objet de discussions et de débats constants entre les agents supérieurs de l'immigration et la G.R.C. Ainsi, alors qu'en 1947, la [TRADUCTION] Directive n ° 1 de la Direction de l'Immigration, « Procédure à suivre pour le traitement des demandes d'immigration présentées par des étrangers72 » indique notamment : « Les personnes qui ont servi l'ennemi à un titre quelconque ne sont pas admissibles » , il semble que les agents supérieurs d'immigration ont eu un souci constant que cette directive ne soit pas appliquée lorsqu'une personne pouvait établir que le service de l'ennemi avait été fait sous la contrainte. Cela ressort clairement de la directive donnée à l'immigration à Londres en avril 1948 reconnaissant la pratique d'admettre des Ukrainiens qui avaient antérieurement servi, mais non volontairement, dans les forces allemandes73.

[184]     L'amélioration de l'application de la directive générale, dans le cas de ceux qui avaient servi sous la contrainte, n'était pas, semble-t-il, une question qui intéressait beaucoup la G.R.C. dans les années 40. On fait valoir qu'aux yeux des agents de la G.R.C., il était presque impossible de fournir une preuve satisfaisante de la contrainte, bien que cela soit déduit principalement de documents postérieurs, des années 50. Des modifications ont alors été apportés au critère concernant les collaborateurs, d'abord pour restreindre l'appréciation du service involontaire à ceux dont le service dans les forces allemandes avait commencé après le 1er janvier 1944, puis pour limiter les « collaborateurs » aux « collaborateurs importants » , notamment ceux qui ont servi comme gardes dans les camps de concentration ou dans les camps de travail forcé. La preuve documentaire remontant aux années 50 indique une certaine répugnance de la part des responsables du contrôle de sécurité des candidats à l'immigration à la G.R.C. à restreindre le terme général « collaborateurs » pour le cas du service sous la contrainte dans les forces allemandes.

[185]     Néanmoins, à mon avis, il n'y a pas de preuve permettant de conclure que M. Odynsky aurait été considéré comme un « collaborateur » en 1949. Il n'existe pas actuellement de preuve de la définition de ce terme ou de son application en 1949, et en particulier des mots « résidant présentement dans un territoire antérieurement occupé » qu'on trouve dans le k) de la liste des critères de rejet de la G.R.C., ainsi que le représentant du ministre l'a reconnu à l'interrogatoire préalable.


[186]     Pour le défendeur, on plaide que toute conclusion que M. Odynsky aurait été rejeté est fondée sur des suppositions et dépourvue de fondement dans la preuve. Si on ne partage pas ma conclusion en ce qui touche la probabilité qu'il aurait été exclu comme membre des SS, je souscris aux observations du ministre, fondées sur l'arrêt Brooks, qu'il n'est pas nécessaire de conclure que M. Odynsky aurait été rejeté selon le point b) de la liste de critères de rejet. Il me suffit de conclure que, en dissimulant intentionnellement des faits essentiels par rapport à son admission, M. Odynsky a prévenu la possibilité d'autres enquêtes de la part des agents de sécurité. J'en viens à ce point.

[187]     Pour le défendeur, on invite la Cour à conclure, sur le fondement de la preuve, qu'il n'y a eu ni fausse déclaration ni dissimulation intentionnelle de faits essentiels pour diverses raisons, notamment les suivantes, à la suite desquelles je donne rapidement mon appréciation.

a) On invite la Cour à déduire que la libération du camp américain de PG à Eger en 1945, sur le fondement des renseignements qui avaient alors été fournis par M. Odynsky ou pour son compte, n'aurait été permise que si les autorités de l'armée américaine avaient jugé qu'il n'était pas un collaborateur, un criminel de guerre ou un volontaire de l'armée allemande, et qu'il n'était pas Volksdeutscher, c'est-à-dire d'origine ethnique allemande, mais né en pays occupé.


b) En outre, on fait valoir qu'il faudrait déduire que les renseignements fournis à l'armée américaine au camp de PG d'Eger, l'évaluation de ces renseignements et la libération de M. Odynsky auraient été obtenus de sources de renseignement américaines en Allemagne par tout agent du contrôle de sécurité de la G.R.C. Un tel agent en possession de ces renseignements, y compris les renseignements au sujet de ses activités pendant la guerre, aurait posé des questions au défendeur, qui aurait donné des réponses véridiques, et l'agent aurait déterminé qu'il n'était pas inadmissible et l'aurait accepté à l' « étape B » .

À mon avis, ces déductions ne sont pas justifiées. Il n'existe pas de preuve que des renseignements aient été fournis aux agents de l'armée américaine au camp de PG d'Eger, si ce n'est le témoignage de M. Odynsky qu'il a remis son document d'identité de base de l'armée qui lui avait été délivré par les Allemands. En outre, il témoigne lui-même qu'on ne lui a pas posé de questions à ce moment-là au sujet de ses activités pendant la guerre et qu'il n'a non plus fourni aucun renseignement de ce genre, bien qu'il ne soit pas au courant des renseignements qui auraient pu être donnés par les officiers de son unité qui se sont rendus à Eger.

c) Si la Cour devait conclure que M. Odynsky a fait une fausse déclaration sur ses antécédents aux préposés de l'OIR, ainsi que l'indiquait le récit fait au caporal Fnukal en août 1997, cela ne constitue pas une preuve qu'il ait fait une fausse déclaration aux agents canadiens par rapport à son admission au Canada.


On a beaucoup discuté, oralement et par écrit, de la déclaration faite au caporal Fnukal en août 1997 ainsi que de son utilisation et du poids à lui accorder. On a également discuté du pouvoir de la G.R.C. de mener une enquête ou une entrevue en août 1997. Je ne traite pas ces questions, puisque j'accepte le témoignage donné sous serment par M. Odysnky à l'instruction, que le récit raconté en 1997 au caporal Fnukal n'était pas véridique. Je ne m'appuie pas sur cette déclaration et ne lui accorde aucun poids. Je note cependant que c'est une occasion, admise par le défendeur, où il a fait une fausse déclaration sur ses antécédents et ses activités pendant la guerre.

d) Comme il a été établi qu'à la fin des années 40 d'autres personnes que les agents de la G.R.C. participaient au contrôle de sécurité des immigrants au Canada, si la Cour devait conclure que le défendeur a fait une fausse déclaration sur ses antécédents à un agent de contrôle, il n'existe pas de preuve d'une fausse déclaration faite à un fonctionnaire du Canada ainsi que l'allègue l'avis de révocation.


L'argument n'est pas persuasif, puisqu'il n'y a pas de preuve ou de fondement pour conclure que ceux qui agissaient pour le compte de la G.R.C. dans le contrôle de sécurité, que ce soit les agents canadiens de la G.R.C. ou d'autres nationaux ayant une formation en sécurité et recrutés par la G.R.C. pour son programme, devraient être considérés comme agissant en dehors de la prérogative de la Couronne ou comme n'étant pas des fonctionnaires du Canada au sens où ces termes sont employés dans l'avis de révocation. Que le contrôle ait été effectué par un agent canadien de la G.R.C. ou par une personne engagée en vue du programme de contrôle de sécurité de la G.R.C. en Europe, il était effectué pour le compte et au nom de la G.R.C., à moins de preuve du contraire; or, il n'y a aucun élément de preuve du contraire.

e) On fait valoir qu'il n'y a pas de preuve d'une fausse déclaration de M. Odynsky, et aucune preuve qu'il ait dissimulé intentionnellement des faits essentiels ou qu'il ait su que les faits dont on allègue qu'ils sont essentiels, c'est-à-dire ses activités pendant la guerre, étaient essentiels par rapport à la décision sur son admission au Canada.

J'ai interprété la formulation « dissimulation intentionnelle de faits essentiels » , employée aux paragraphes 10(1) and 18(1), d'une manière exigeant que la dissimulation soit faite délibérément, en vue de cacher la vérité, à propos de faits qui sont objectivement essentiels dans les circonstances par rapport à la décision à prendre, que la personne procédant à la dissimulation sache ou non que les faits sont essentiels.

J'accepte le fait qu'il n'y a pas de preuve directe sur ces points, si ce n'est le témoignage de M. Odynsky. Selon son témoignage, il n'a pas passé d'entrevue avec un agent de contrôle ou un agent d'immigration, on ne lui a pas posé de questions au sujet de ses activités pendant la guerre et il a donné des réponses véridiques aux questions qu'on lui a posées dans le traitement de sa demande en vue de venir au Canada.


Il est possible que son récit soit vrai. J'accepte que c'est ce qu'il se rappelle. Néanmoins, en fonction de la prépondérance des probabilités, j'ai conclu qu'il a été interrogé par un agent de contrôle et, toujours selon la prépondérance des probabilités, qu'on lui aurait posé des questions au sujet de ses activités pendant la guerre. S'il avait révélé ses activités pendant la guerre, selon la prépondérance des probabilités, je conclus que sa demande aurait été rejetée ou, à tout le moins, qu'il aurait été admis après un interrogatoire et une appréciation circonspects et minutieux. Il serait alors peu probable que M. Odynsky ne se rappelle pas son entrevue.


[188]     En d'autres termes, j'estime que le fait que M. Odynsky ait subi une entrevue est plus probable que le fait qu'il n'en ait pas subi. Que l'agent de contrôle lui faisant subir l'entrevue, intéressé particulièrement à ses activités pendant la guerre, d'autant que vers la fin de la guerre M. Odynsky était d'âge pour le service militaire, une fois informé de ses activités aurait rejeté sa demande est plus probable qu'il ne l'aurait accepté comme ayant réussi l' « étape B » . Je conclus également que le fait que M. Odynsky n'ait pas donné une réponse véridique aux questions soulevées par l'agent de contrôle est plus probable que le contraire. Il témoigne qu'il n'a répondu à aucune question sur sa vie et ses activités pendant la guerre parce qu'on ne lui en a posé aucune. Comme je déduis de l'ensemble de la preuve qu'un agent de contrôle, chargé d'apprécier en fonction de ses antécédents si M. Odynsky devait être accepté du point de vue de la sécurité, l'a interrogé, je conclus qu'il a fait une fausse déclaration au sujet de ses activités pendant la guerre ou qu'il les a dissimulées. C'est la conclusion à laquelle j'en viens et je m'appuie sur son témoignage qu'il n'a pas répondu à des questions sur sa vie pendant la guerre.

[189]     Ces conclusions décisives sont fondées non sur une preuve directe, mais sur des déductions raisonnables fondées sur l'ensemble de la preuve au sujet de la situation à l'époque. C'est la façon dont j'interprète mon obligation d'établir les faits selon la prépondérance des probabilités, compte tenu de la preuve dont je suis saisi et des déductions raisonnables en découlant.

[190]     Ainsi que nous l'avons vu, selon le paragraphe 10(1) de la Loi, le ministre, pour établir un rapport recommandant la révocation de la citoyenneté de M. Odynsky, doit être convaincu que « l'acquisition ... de la citoyenneté ... est intervenue ... par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels » et, à cette fin, il demande dans le présent renvoi une déclaration en ce sens.

[191]     J'en viens au sommaire des principales constatations et des conclusions tirées du droit applicable qui me conduisent à conclure que la déclaration demandée par le ministre doit être accordée.

Sommaire des constatations et conclusions


[192]     Wasyl Odynsky, le défendeur, est né en janvier 1924 dans le village de Beleluja, dans la région de Snyatyn, district de Stanislav, maintenant Ivano-Frankivsk, dans l'Ukraine occidentale, faisant alors partie de la Pologne. Son père avait l'une des plus grandes exploitations agricoles près du village et il a vécu au village avec ses parents et ses frères et soeurs. C'est là qu'il est allé à l'école jusqu'à l'âge de 11 ans, au moment où il a quitté l'école pour travailler sur l'exploitation familiale.

[193]     Après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en septembre 1939, par accord entre l'Allemagne et la Russie, cette partie de l'Ukraine occidentale est passée sous l'occupation de l'U.R.S.S. Le processus de soviétisation et les pressions exercées pour établir les fermes collectives ont été interrompues lorsque l'Allemagne a attaqué l'Union soviétique en juin 1941 et que les forces allemandes ont rapidement occupé l'Ukraine occidentale, notamment Beleluja et les environs.

[194]     En 1942 et dans les premiers mois de 1943, les Allemands ont ordonné la déportation en Allemagne de nombreux jeunes d'Ukraine en vue du travail forcé et ils ont ordonné à de nombreux jeunes hommes de se présenter en vue de servir comme auxiliaires dans les services de l'armée et de la police allemande. Au début de février 1943, M. Odynsky s'est trouvé à faire partie d'un groupe de jeunes hommes nés dans les années 1920 à 1924 à qui on a ordonné de se présenter à Snyatyn. À cet endroit, il a été choisi avec quatre autres jeunes hommes de Beleluja et on leur a ordonné de se présenter à Kolomyja quelques jours plus tard pour servir dans les forces allemandes.

[195]     M. Odynsky et ses quatre compagnons ne se sont pas présentés enfreignant l'ordre qu'on leur avait donné. Ils se sont cachés à Beleluja et dans les champs environnants jusqu'à la fin mars ou avril, au moment où des officiers allemands et la police ukrainienne sont venus au village et ont annoncé que, s'ils ne se présentaient pas sans délai, ils seraient punis sévèrement lorsqu'ils seraient capturés ou leurs familles pourraient souffrir.


[196]     Les cinq jeunes hommes de Kolomyja se sont tous livrés; ils ont été emmenés à Snyatyn et emprisonnés un certain temps à cet endroit, avant d'être transférés à Kolomyja. Ils y ont été détenus un certain temps; on a commencé par les menacer de mort, puis on leur a dit que leur peine avait été commuée et qu'on les enverrait subir leur instruction, mais que toute tentative de se soustraire au service entraînerait leur exécution lorsqu'ils seraient capturés et que, s'ils parvenaient à s'échapper sans être capturés, leurs familles seraient envoyées dans des camps de concentration.

[197]     Puis ils ont été envoyés à Trawniki dans le district de Lublin sous le Gouvernement général imposé par les Allemands. À Trawniki, la SS administrait un camp de travail forcé et un camp de formation pour l'instruction des forces auxiliaires de la SS comme gardes. Après environ un mois d'instruction à Trawniki, M. Odynsky et quelque 120 autres hommes ont été constitués en une compagnie de Wachmänner ou gardes de la SS et transférés à Poniatowa. La SS y administrait un autre camp de travail forcé, regroupant surtout des Juifs du ghetto de Varsovie, produisant sous la direction d'entreprises civiles allemandes des uniformes et d'autres fournitures pour les forces de l'armée et de la SS.


[198]     La compagnie auxiliaire dont faisait partie M. Odynsky a cantonné une courte période dans une caserne au camp principal, à Poniatowa. Puis ils ont été transférés dans une autre partie du camp, la Siedlung ou cité ouvrière, un ensemble de logements pour quelques familles juives qui avaient autrefois été relativement à l'aise et pour les civils allemands. La tâche des hommes de Trawniki, comme on appelait les gardes ukrainiens, consistait à garder la Siedlung, surtout le long d'une clôture entourant le périmètre, contre une attaque éventuelle des partisans, et le long de la clôture et de la route reliant la Siedlung au camp principal, auquel les travailleurs forcés étaient convoyés chaque jour pour le travail.

[199]     Les conditions pour la plupart des travailleurs forcés à Poniatowa n'étaient guère agréables, surtout pour ceux qui étaient logés dans des baraques surpeuplées au camp principal. La nourriture était rare et la discipline était sévère. Dans la zone des fabriques, des civils allemands étaient chargés de la direction du travail et des travailleurs. À l'extérieur de la zone des fabriques, des Kapos, choisis parmi les travailleurs forcés, étaient principalement chargés de la discipline, appuyés par certains hommes de Trawniki. L'ensemble du camp était sous le commandement de troupes allemandes de la SS, apparemment en petit nombre, formées à l'utilisation des armes et de la force. Le seul témoignage de ceux qui étaient engagés comme gardes à la Siedlung, provenant de M. Odynsky et de trois hommes qui ont servi avec lui à Poniatowa et qui ont témoigné à Beleluja, a porté sur leur travail de garde du périmètre de la Siedlung et des installations rattachées au camp. Pour l'essentiel, ils ont nié avoir eu des rapports directs avec les détenus qui y travaillaient.

[200]     Après une période de moins de six mois de ce travail de garde et d'instruction de base, les activités de travail forcé à Poniatowa, ainsi qu'à Trawniki et à un autre camp de travail de la mort, à Majdanek, ont pris fin de manière subite. Le 3 ou le 4 novembre 1943, des forces allemandes des Waffen SS et de la police SS ont encerclé les trois camps et dans une opération bien organisée, l'Erntefest ou Fête de la moisson, ont massacré par fusillade, en moins de 24 heures, les milliers de Juifs et d'autres travailleurs forcés ainsi que leurs familles dans les trois camps.


[201]     Pendant cette opération, M. Odynsky et ses compagnons de Trawniki ont été confinés dans leurs baraques par les SS. Il a vu certains des détenus et des membres de leurs familles convoyés à l'extérieur de la Siedlung, et lui et ses compagnons ont entendu des fusillades toute la journée. Lorsqu'on leur a permis de sortir de leurs baraques, une fois que 15 000 personnes ont été fusillées à Poniatowa seulement pendant cette journée, il n'y avait plus trace des prisonniers ou de leurs familles au camp. Quelques-uns avaient été épargnés et on leur a ordonné de brûler les cadavres; par suite de leur refus, ils ont été également exécutés.

[202]     Un témoin expert, historien, a suggéré que les hommes de Trawniki avaient fini par fusiller les survivants qui avaient refusé, puis les avaient brûlés avec les corps des autres détenus, mais, en contre-interrogatoire, il a avoué qu'il n'y avait pas de preuve à l'appui de cette suggestion.

[203]     Peu de temps après l'opération Erntefest, M. Odynsky a obtenu la permission de retourner à Beleluja où sa mère était malade. Pendant son séjour, il est tombé malade lui aussi et on lui a permis de prolonger son congé, mais après quelque cinq ou six semaines, on lui a ordonné de revenir à Poniatowa, ce qu'il a fait. À son retour, il n'y avait plus de travailleurs forcés ou d'autres détenus qui s'y trouvaient. Sa compagnie y est restée pour assurer la garde de l'ensemble des installations et, à l'occasion, lui et les autres membres de la compagnie ont servi de gardes à d'autres endroits.


[204]     En juin 1944, la compagnie de M. Odynsky et d'autres compagnies ont été retournées à Trawniki. Les unités de Wachmänner de la SS ont été réunies pour former le Bataillon Streibel de la SS, nommé d'après le commandant SS du camp de travail qui était devenu commandant du bataillon. Ce bataillon, devenu bataillon de travail, a pris la direction de l'ouest, précédant l'avance des forces russes, aidant à la construction d'ouvrages de défense et à nettoyer les débris, comme il l'a fait quelques semaines dans la région de Dresde au printemps de 1945.

[205]     De là, le bataillon s'est dirigé vers l'Ouest de la Tchécoslovaquie et il se trouvait juste à l'ouest de Prague au moment de la capitulation de l'Allemagne. Les membres du bataillant cherchant à éviter de se faire prendre par les forces russes qui avançaient, dont M. Odynsky, se sont dirigés vers l'ouest pour se rendre aux forces américaines à Eger, en Allemagne.

[206]     À mon avis, il n'y a pas de doute que le service de M. Odynsky à Trawniki et à Poniatowa, et même dans le Bataillon Streibel de la SS, n'était pas volontaire. On a fait valoir pour le demandeur qu'à un certain moment en 1944 ou en 1945, avec l'avance des forces russes, il n'a pas fait d'efforts pour s'échapper ou simplement pour rester absent sans permission, de sorte que son service continu devrait être considéré comme volontaire. Il croit qu'il aurait été fusillé s'il avait été capturé après s'être enfui et qu'il aurait mis sa famille en péril, du moins aussi longtemps que les forces allemandes occupaient l'Ukraine occidentale. On n'a pas présenté de preuve au sujet du moment précis à partir duquel son service pourrait être considéré comme volontaire et je suis persuadé qu'il a continué à être involontaire jusqu'à la fin de la guerre.


[207]     Il n'y a pas eu de preuve, à l'instruction, que M. Odynsky ait participé personnellement à un incident à l'occasion duquel des prisonniers ou d'autres personnes auraient fait l'objet de mauvais traitements, pendant la durée de son service dans les unités de gardes SS ou dans le Bataillon Streibel, ainsi que l'a concédé le représentant du ministre dans l'enquête préalable.

[208]     Après quelques semaines dans le camp de PG américain d'Eger, M. Odynsky et ses compagnons ont été libérés et on leur a permis d'aller à Augsbourg. Un certain nombre d'Ukrainiens s'y étaient rassemblés et un camp de personnes déplacées d'Ukraine a été établi à Gegengen, puis un camp plus important a été établi à la Somme Kaserne, toujours dans la région d'Augsbourg. M. Odynsky a vécu dans ces deux camps jusqu'au début de 1949, période à laquelle il a fait un bref séjour à Leipheim, peu de temps avant de venir au Canada.

[209]     À la Somme Kaserne, il a rencontré, puis épousé Maria, également d'Ukraine, d'où elle avait été déportée par les Allemands au début de 1943 pour faire du travail forcé sur une exploitation agricole allemande. Ils se sont mariés en 1948, peu de temps après que M. Odynsky a été libéré d'un camp de détention où il avait purgé une peine après avoir été arrêté pour une activité de marché noir en matière d'alimentation, apparemment considérée comme mineure.


[210]     À la Somme Kaserne, au début de 1949, M. et Mme Odynsky ont présenté une demande pour venir au Canada, lui à titre d'ouvrier agricole ou d'agriculteur. Ils ont choisi le Canada en bonne partie parce que M. Odynsky y avait déjà des membres de sa famille, notamment une grand-mère et des oncles qui vivaient avant la guerre en Colombie-Britannique. À l'époque, les Odynsky ne parlaient ni ne lisaient l'anglais et la demande a été remplie pour leur compte par des préposés de l'OIR qui parlaient couramment l'anglais et l'ukrainien. Quelque temps plus tard, ils ont été convoqués à Munich en vue d'un examen relatif à leur demande.

[211]     Ils se sont présentés à la Funk Kaserne, autre camp de l'OIR à Munich, ainsi qu'on le leur avait indiqué. C'est là qu'ils étaient logés pendant que les examens médicaux, ainsi qu'ils s'en souviennent, étaient effectués, dont les radiographies qui étaient essentielles, ce qui a pris quelques jours. La seule personne qu'ils y ont rencontrée dont ils pensent qu'elle était canadienne était le médecin qui les a examinés à tour de rôle, qui parlait anglais, croient-ils, et qui était assisté par un interprète.

[212]     Selon le témoignage de M. Odynsky, il n'a alors été interrogé par aucune autre personne qu'il croyait être un Canadien et on ne lui a pas posé de questions à ce moment-là au sujet de ses activités pendant la guerre ou des endroits où il avait vécu pendant la guerre. Ce témoignage est confirmé par celui de Mme Odynsky. En outre, M. Odynsky a témoigné qu'on ne lui avait pas posé de questions au sujet de ses années de guerre lorsqu'il était au camp de PG américain d'Eger ni à un autre des camps de l'OIR où il avait séjourné, ni en 1949 au moment de son embarquement, ni pendant son voyage vers le Canada ou au moment où il a débarqué à Halifax.

[213]     Il est possible que le souvenir de M. Odynsky au sujet de sa demande pour venir au Canada soit une description exacte de ce qui s'est passé, du moins en partie, il y a plus de 50 ans avant le moment où il a déposé, mais je ne suis pas persuadé que ce souvenir donne une description complète de l'ensemble de la procédure.


[214]     La preuve documentaire ainsi que l'affidavit et le témoignage de M. Nicholas D'Ombrain établissent la préoccupation qu'avait le gouvernement du Canada de soumettre au contrôle de sécurité par la G.R.C. les candidats à l'immigration au Canada, particulièrement ceux qui résidaient dans les anciens pays ennemis, y compris les personnes déplacées, vers la fin des années 40. À mon avis, en 1949, le contrôle de sécurité, s'il n'était pas été prévu par la loi ou par règlement, était mis en oeuvre en vertu de la prérogative de la Couronne d'empêcher l'admission d'étrangers au Canada.

[215]     Le système de contrôle de sécurité établi, tel qu'il était en place à la Funk Kaserne à Munich, d'après le témoignage de trois anciens agents d'immigration qui ont été en poste en Allemagne et en Autriche à l'époque, prévoyait que les candidats soient interrogés et acceptés ou approuvés par un agent de contrôle de la G.R.C., puis par un médecin et ensuite par un agent d'immigration. L'agent d'immigration n'accordait son visa à un candidat en vue du débarquement au Canada que s'il était convaincu que celui-ci avait été accepté par l'agent de contrôle et par le médecin et qu'il avait satisfait aux autres exigences de la Loi.

[216]     M. Andrew Kaarsberg, l'agent d'immigration qui a apposé le visa canadien et sa signature sur le titre de voyage délivré à M. Odynsky par l'OIR, a témoigné qu'il n'aurait pas accompli ces formalités sans d'abord s'assurer que celui-ci avait été accepté au contrôle de sécurité et au contrôle médical et sans s'assurer au moyen d'une entrevue personnelle, ou si un autre agent d'immigration s'était assuré de cette façon, que M. Odynsky avait satisfait à toutes les exigences de la Loi et du règlement, et de la catégorie de travail pour laquelle il avait fait une demande.


[217]     En fonction de la prépondérance des probabilités, je conclus qu'outre son examen par un médecin canadien, M. Odynsky a été interrogé et accepté par un agent de contrôle de la G.R.C., et par un agent d'immigration canadien, avant que le visa et la signature de M. Kaarsberg ne soient apposés sur le titre d'identité et de voyage qui lui avait été délivré par l'OIR.

[218]     Compte tenu de la preuve documentaire, notamment du texte de novembre 1948 dans lequel la G.R.C. expose les critères de rejet au contrôle de sécurité, des objectifs du contrôle et du témoignage d'un ancien agent de contrôle de la G.R.C., je conclus également, d'après la prépondérance des probabilités, qu'un agent de contrôle a posé à M. Odynsky, à la Funk Kaserne en mai 1949, des questions concernant ce qu'il avait fait et où il avait vécu, particulièrement durant la dernière décennie, notamment les années de la guerre.


[219]     En vertu de la Loi de l'immigration, M. Odynsky avait l'obligation de donner une réponse véridique aux questions posées par ceux qui étaient chargés de l'examen de sa demande pour venir au Canada. Au moment où on lui a posé des questions sur sa vie pendant la guerre, si M. Odynsky avait répondu qu'il avait servi, mais involontairement, comme Wachmann de la SS, comme stagiaire à Trawniki puis comme garde à Poniatowa, deux camps de travail forcé SS connus, et qu'il avait servi par la suite dans le Bataillon Streibel de la SS, toujours sous le commandement d'officiers SS, je suis d'avis, en fonction de la prépondérance des probabilités, qu'un agent de contrôle de la sécurité ne l'aurait pas accepté du point de vue de la sécurité. Il aurait été vu comme un membre de la SS, même s'il n'était pas techniquement qualifié du fait de sa nationalité. Ou alors, si ses antécédents pendant la guerre avaient été connus de l'agent de contrôle, il n'aurait été accepté du point de vue de la sécurité qu'après un interrogatoire approfondi, dont il est peu probable que M. Odynsky l'aurait oublié même après 50 ans.

[220]     Les faits concernant la vie de M. Odynsky pendant la guerre étaient essentiels, compte tenu des critères de sécurité et de leurs objectifs, par rapport à la décision concernant son admission au Canada, pour le débarquement, qu'il l'ait su ou non. Par contre, il n'était aucunement nécessaire qu'il soit personnellement au courant que ses activités pendant la guerre constituaient des faits essentiels par rapport à cette décision.

[221]     À mon avis, après un examen attentif de la preuve présentée, en fonction de la prépondérance des probabilités, le fait que M. Odynsky n'ait pas donné de réponses véridiques aux questions qu'on lui a posées sur sa vie pendant la guerre est plus probable que le fait contraire. Je conclus qu'il a été approuvé en vue de l'admission au Canada en raison d'une fausse déclaration qu'il a faite ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, c'est-à-dire ses activités pendant la guerre, avant que ne lui soit délivré le visa lui permettant de venir au Canada.


[222]     J'arrive à cette conclusion sans exiger que tous les faits allégués dans l'avis de révocation notifié à M. Odynsky en septembre 1997 soient établis par le ministre demandeur. Le ministre demande une déclaration, conformément à l'article 18 de la Loi. Il existe une base factuelle suffisante pour cette demande dans les allégations exposées dans l'avis de révocation pour donner au défendeur un avertissement suffisant du motif de la mesure projetée du ministre. Le ministre doit établir, selon la prépondérance des probabilités, un fondement factuel pour justifier le prononcé de la déclaration demandée, un fondement factuel allégué selon les termes de l'avis de révocation, que je juge établi.

[223]     M. Odynsky a été admis au débarquement au Canada le 3 juillet 1949, sur la base d'un visa qui lui avait été délivré, selon ce que je conclus, en raison d'une fausse déclaration ou de dissimulation intentionnelle de faits essentiels, au sujet de sa vie et de ses activités pendant la guerre. Si l'admission sur cette base n'était pas considérée comme légale74, elle ne répondrait pas aux prescriptions de la Loi sur la citoyenneté en vigueur en 1955, qui exigeait qu'il soit admis légalement au Canada en vue de la résidence permanente. Puisqu'il n'a pas été admis légalement, il ne réunissait pas les conditions prescrites et il ne pouvait obtenir la citoyenneté en vertu de la Loi. La citoyenneté accordée dans ces circonstances ne peut être considérée que comme ayant été acquise par une fausse déclaration, expresse ou implicite, à l'égard d'une condition préalable essentielle.

[224]     Par contre, si l'admission de M. Odynsky à Halifax était légale, compte tenu de la décision du juge Létourneau de la Cour d'appel dans l'affaire Jaber c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)75, son admission au Canada fondée sur la fausse déclaration ou la dissimulation intentionnelle de faits essentiels a fourni la base pour son acquisition de la citoyenneté. En vertu du paragraphe 10(2) de la Loi, M. Odynsky est réputé avoir acquis la citoyenneté par fausse déclaration ou par dissimulation intentionnelle de faits essentiels.


Conclusion

[225]     Dans l'examen de tout rapport qu'il peut établir à l'intention du gouverneur en conseil au sujet de M. Odynsky en vertu du paragraphe 10(1) de la Loi, le ministre pourra juger utile de prendre en compte les facteurs suivants :

1)    sur le fondement de la preuve dont je suis saisi, je conclus que M. Odynsky ne s'est pas joint volontairement aux forces auxiliaires de la SS ni n'a servi volontairement dans ces forces à Trawniki ou à Poniatowa, ou par la suite dans le Bataillon Streibel;

2)    il n'y a pas eu de preuve que M. Odynsky ait participé à un incident où l'on pourrait voir une faute de sa part à l'endroit de détenus-travailleurs forcés ou de toute autre personne;

3)    on n'a présenté aucune preuve d'une faute quelconque de M. Odynsky depuis son arrivée au Canada, il y a plus de 50 ans;

4)    les témoignages quant à sa moralité présentés par certaines personnes qui l'ont connu au Canada, non contestés à l'instruction, ont fait l'éloge de sa bonne moralité et ont reflété sa position dans son église et dans la communauté ukrainienne à Toronto.

[226]     Ces facteurs, s'ils peuvent être pertinents par rapport au pouvoir discrétionnaire que peuvent exercer le ministre ou le gouverneur en conseil, ne sont pas pertinents par rapport à la présente procédure.


[227]     La Cour juge, en fonction de la prépondérance des probabilités dans l'examen de certaines questions de fait importantes, que le défendeur, Wasyl Odynsky, a été admis au Canada en vue de la résidence permanente en juillet 1949 sur le fondement d'un visa obtenu au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels. Par la suite, il a acquis la citoyenneté en 1955; or, ayant été admis au Canada sur ce fondement, il est réputé, par le paragraphe 10(2) de la Loi, avoir acquis la citoyenneté par fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels.

[228]     Par conséquent, la Cour prononce la déclaration demandée par le ministre dans la présente affaire, à savoir :

Le défendeur, Wasyl Odynsky, a acquis la citoyenneté au Canada par fausse déclaration ou par dissimulation intentionnelle de faits essentiels au sens de l'alinéa 18(1)b) de la Loi sur la citoyenneté.

[229]     Les dépens seront fixés par accord entre les parties. À défaut d'accord, les avocats pourront au besoin débattre la question ou présenter des observations écrites à la Cour.

                                                                                                                          W. Andrew MacKay

                                                                                                                                                   JUGE

OTTAWA (Ontario)

Le 2 mars 2001.

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


Date : 20010302

Dossier : T-2669-97

Ottawa (Ontario), le 2 mars 2001

EN PRÉSENCE DE :             MONSIEUR LE JUGE MacKAY

AFFAIRE INTÉRESSANT une révocation de la citoyenneté en vertu des articles 10

et 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, modifiée, et l'article 19

de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. (1952), ch. 33, modifiée;

ET une demande de renvoi à la Cour fédérale

en vertu de l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, modifiée;

ET un renvoi devant la Cour introduit en vertu de la règle 920

des anciennes Règles de la Cour fédérale et poursuivi en vertu de la règle 169a)

des Règles de la Cour fédérale (1998), ainsi que le prévoit la règle 501.

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

- et -

WASYL ODYNSKY

défendeur


                                                                   JUGEMENT

VU le renvoi présenté par le demandeur en vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur la citoyenneté, daté du 11 décembre 1997, visant une déclaration que le défendeur, Wasyl Odynsky, a acquis la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels;

APRÈS avoir entendu la preuve et l'argumentation des avocats des parties, et après avoir examiné attentivement la preuve et l'argumentation, et par application de la prépondérance des probabilités,

IL EST DÉCLARÉ :

Le défendeur, Wasyl Odynsky, a acquis la citoyenneté canadienne au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels au sens de l'alinéa 18(1)b) de la Loi sur la citoyenneté.

____________________________________

Juge

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-2669-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :            Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

c. Wasyl Odynsky

LIEUX DE L'AUDIENCE : Beleluja (Ukraine)

Toronto (Ontario)

DATES DES AUDIENCES :            du 23 au 26 novembre 1998

les 1er, 2, 3, 9, 10, 11,19 et 22 février 1999

du 8 au 10 mars 1999

du 19 au 23, et les 26, 27, 29 et 30 avril 1999

les 10, 11 et 12 août 1999

MOTIFS DU JUGEMENT DE M. LE JUGE MACKAY

EN DATE DU :                                  2 mars 2001

ONT COMPARU :

David Littlefield                                                             Pour le demandeur

Peter Hajecek

Lynn Lovett

Frank Marrocco                                                            Pour le défendeur

Brian Armstrong

Boyd Balogh

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                                          Pour le demandeur

Sous-procureur général du Canada

Smith Lyons                                                                  Pour le défendeur

Toronto (Ontario)


[1].              Canada (Secrétaire d'État) c.Luitjens (1993), 142 N.R. 173 (C.A.F.) (Luitjens-C.A.) cité avec approbation dans l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass et al., [1997] 3 R.C.S. 391 à la p. 413, 151 D.L.R. (4th) 119 aux p. 136 et 137, 218 N.R. 81 aux p. 106 et 107 (Tobiass cité d'après les R.C.S.).

[2].              Tobiass, ibid.; Luitjens-C.A.,ibid.; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Dueck, [1999] 3 C.F. 203 (1re inst.) (Dueck).

[3].              Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Bogutin (1998), 144 F.T.R. 1 au par. 113 (1re inst.) (Bogutin).

[4].              La preuve sur le fonctionnement des camps de travail forcé à Trawniki et Poniatowa et des forces auxiliaires qui y ont fait leur service a été fournie par le défendeur, M. Odynsky, par les témoins, Ivan Andriyovich Timchuk, Ivan Wasylovich Lukaniuk et Mykola Teodorovich Kishkar, entendus à Beleluja, en Ukraine, et par les témoins experts entendus à l'instruction, notamment M. Yitshak Arad et M. Orest Subtelny.

[5].              Pièce P19 à l'onglet 8; pièce P36-6.

[6].              M. Orest Subtelny, Transcription, vol. XXIII, 29 avril 1999.

[7].              Pièce P32, affidavit de Nicholas D'Ombrain, souscrit le 2 février 1999 (D'Ombrain). L'histoire de la politique d'immigration et du contrôle de sécurité au Canada est passée en revue de manière approfondie par le juge Noël dans l'affaire Dueck, précitée note 2, par le juge Nadon dans l'affaire Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Katriuk (1999), 156 F.T.R. 161 (1re inst.) (Katriuk) et par le juge Lutfy (tel était alors son titre), dans l'affaire Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Kisluk (1999), 169 F.T.R. 161 (1re inst.) (Kisluk). Dans chaque affaire, la principale source de la preuve historique était un rapport et le témoignage en qualité d'expert de M. D'Ombrain, ainsi que les documents sur lesquels son rapport était fondé dans chaque cas.

[8].              C.P. 695, 25 mars 1931.

[9].              S.R.C. (1927), ch. 93, modifié.                                                                                             

[10].            Pièce P17 à l'onglet 39; pièce P6 à l'onglet 194.

[11].            Document du conseil de sécurité SP 24, Note de service au conseil de sécurité, le 30 mars 1948 : pièce P6 à l'onglet 173, Annexe A (SP 24); pièce P17 à l'onglet 33, p. 6.

[12].            SP 24, ibid. à la p. 6.

[13].            Note de service au Cabinet : Contrôle de sécurité des candidats à l'immigration, le 22 août 1949 : pièce P6 à l'onglet 203, par. 5.

[14].            Ces documents comprennent la pièce P21; la pièce P7 aux onglets 258, 259, 260, 261, 262, 263 et 264.

[15].            Supra, note 9.

[16].            Ibid.

[17].            S.R.C. (1952), ch. 33, art. 26 à 33.

[18].            Canada (Secrétaire d'État) c. Luitjens, [1989] 2 C.F. 125 (1re inst.) (Luitjens).

[19].            Motifs des décisions relatives à certains aspects de la preuve offerte par un historien en qualité de témoin expert : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c.Odynsky (1999), 166 F.T.R. 255 au par. 23 (1re inst.) (Odynsky).

[20].            Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Odynsky, 20 janvier 1999, T-2669-97.

[21].            Pièce P17 à l'onglet 21, p. 1; pièce P9 à l'onglet 231.

[22].            Pièce P17 à l'onglet 22, par. 5; pièce P9 à l'onglet 234.

[23].            Pièce P17 à l'onglet 9, p. 1, 2; pièce P5 à l'onglet 154.

[24].            SP 24, supra, note 10 à la p. 6.

[25].            Pièce P6 à l'onglet 179.

[26].            Transcription de l'interrogatoire préalable, pièce D20-4 à l'onglet 8, questions 2609 à 2611.

[27].            Supra, note 10.

[28].            Transcription, vol. XII, 22 février 1999, aux p. 1324 à 1326.

[29].            Transcription, volume XIII, 8 mars 1999, aux p. 1498 à 1515.

[30].            Transcription, vol. XXIII, 29 avril 1999, à la p. 2669.

[31].            Supra, note 18.

[32].            Observations écrites du défendeur à la page 56, points 11) et 12).

[33].            S.R.C. 1970, ch. C-19, alinéa 18(1)a).

[34].            S.C. 1946, ch. 15, par. 21(1).

[35].            Voir Tewelde c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2000] A.C.F. n ° 1873 (C.A.F.), en ligne: QL (ACF).

[36].            Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Oberlander, [2000] A.C.F. n ° 229 (1re inst.), en ligne : QL (ACF) (Oberlander).

[37].            Voir Tobiass, supra, note 1.

[38].            Supra, note 9.

[39].            Dueck, supra, note 2.

[40].            Bogutin, supra, note 3.                       

[41].            Dueck, supra, note 2.

[42].            Katriuk, supra, note 7.

[43].            Kisluk, supra, note 7.

[44].            Ibid., au par. 165.

[45].            Ibid.

[46].            Ibid., au par. 179.

[47].            Dueck, supra, note 2.

[48].            Projet de mémoire au premier ministre, [TRADUCTION] « Rejet de candidats à l'immigration pour des motifs de sécurité » , 16 septembre 1949 : pièce P6 à l'onglet 206.

[49].            Dueck, supra, note 2, au par. 294.

[50].            Supra, note 9.

[51].            D'Ombrain, supra, note 7, au par. 16.

[52].            Ibid., au par. 58.

[53].            Ibid., au par. 59.

[54].            Ibid., au par. 68; pièce P5, à l'onglet 143, p. 2.

[55].            Dueck, supra, note 2, aux par. 302 et 303.

[56].            Supra, note 9.

[57].            Voir Chitty, A Treatise of the Law of the Prerogative of the Crown and the Relative Duties of the Subject, (London: Butterworth & Son, 1820) à la p. 49, cité dans l'affaire Kisluk, supra, note 6.

[58].            [1989] 2 R.C.S. 225 à la p. 281.

[59].            Kisluk, supra, note 7, au par. 164.

[60].            Supra, note 32, au par. 299.

61.            Voir également Vancouver Island Peace Society c. Canada, [1994] 1 C.F. 102 aux p. 140 à 146 (1re inst.); confirmé par (1995), 89 F.T.R. 136 (C.A.); autorisation d'appel refusée sans motifs [1995], S.C.C.A. n ° 103 (C.S.C.), en ligne : QL (SCCA).

62.            [1964] R.C.S. 3.

63.            Oxford English Dictionary, 2nd Ed., Vol. VIII.

64.            (1993), 66 F.T.R. 155 à la p. 157 (1re inst.).

65.            (1997) 128 F.T.R. 309 (1re inst.), juge Gibson.

66.            (1998) 159 F.T.R. 37 (1re inst.), juge McKeown.

67.            Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration c. Brooks, [1974] R.C.S. 850 à la p. 873 (Brooks).

68.            Ibid.

69.            Supra, note 10.

70.            Oberlander, supra, note 36.

71.            Voir, par ex., Procès des criminels de guerre par les tribunaux militaires de Nuremberg, tenus conformément à la Loi n ° 10 du Conseil de contrôle, Nuremberg, octobre 1946 - avril 1949.

72.            Pièce P5 à l'onglet 154, p. 1.

73.            Supra, note 26.

74.            Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Nemsila, (1997), 214 N.R. 383 (C.A.F.), confirmant (1996) 120 F.T.R. 132 (1re inst.), juge Jerome; Katriuk, supra, note 7, à la p. 222.

75.            Jaber c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [2000] 1 C.F. 603 (C.A.F.). Voir aussi Tran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 124 F.T.R. 186 (1re inst.).

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