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Date : 20000825


Dossier : IMM-3988-99

Entre :

     VARDAN MELKONYAN,

     demandeur,


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     défendeur.




     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE DENAULT


[1]      La demande vise le contrôle judiciaire d"une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (la "Section du statut"), rendue le 23 juillet 1999, qui a conclu que le demandeur n"était pas un réfugié et qu"il y avait absence de minimum de fondement à sa revendication selon le paragraphe 69.1(9.1) de la Loi sur l"immigration, L.R.C. 185, c.I-2 (la "Loi").

[2]      Le demandeur est un citoyen arménien qui allègue craindre la persécution dans son pays par des groupes nationalistes extrémistes, en raison de sa nationalité, de ses opinions politiques et de son appartenance à la minorité azérie. Le père du demandeur, né de père arménien et de mère azérie, a été tué en 1988 par des nationalistes arméniens.

[3]      En 1992, le demandeur a fui en Russie afin d"éviter d"être enrôlé de force dans l"armée et de devoir aller combattre dans la guerre contre l"Azerbaïdjan. Arrêté à Moscou parce qu"en situation illégale, le demandeur a été expulsé vers l"Arménie en décembre 1992. En janvier 1993, il a été convoqué par l"armée mais s"est caché. Au mois d"avril suivant, il a été arrêté, puis condamné à une peine de trois ans de prison pour désertion, peine qu"il a purgée de juin 1993 à juin 1996.

[4]      Quelques jours après sa sortie de prison, le demandeur a été agressé par des nationalistes arméniens. Hospitalisé durant deux semaines, il a ensuite reçu des menaces de mort par téléphone, à son domicile d"Erevan. Après avoir fui vers une autre ville, le demandeur a écrit au Parquet de la République pour demander, sans succès, la protection des autorités.

[5]      En août 1996, le demandeur a de nouveau été attaqué par des nationalistes. Ayant appris que son épouse et ses enfants étaient en Belgique depuis son incarcération en juin 1993, le demandeur a décidé de se rendre dans ce pays où il a revendiqué le statut de réfugié. Sa demande fut rejetée en décembre 1997. Le 24 décembre 1997, le demandeur est arrivé à Montréal et a revendiqué le statut de réfugié le même jour.

[6]      Dans la décision dont on demande le contrôle judiciaire, la Section du statut a conclu à l"absence totale de crédibilité du demandeur et de la preuve qu"il a soumise. Selon le demandeur, le jugement du tribunal résulte d"une erreur d"appréciation des faits et de la preuve. Il soutient également qu"il a présenté des éléments crédibles et dignes de foi pour soutenir le bien-fondé de sa revendication.

[7]      J"estime qu"en l"espèce la Cour doit intervenir et casser cette décision de la Section du statut.

[8]      Le tribunal a jugé la demande non crédible parce que le demandeur s"était contredit à propos de ses liens avec son épouse depuis son emprisonnement en 1993 ". . . et qu"il n"a pas eu de liens avec les siens depuis. Il ajoute ne pas avoir réussi à les retrouver en Belgique".1 La preuve révèle en effet que le demandeur n"a pas vu sa famille en Belgique depuis qu"il y est arrivé après sa sortie de prison en juin 19962, mais elle démontre cependant que depuis octobre 1998 il communique avec son épouse, par téléphone, deux ou trois fois par mois3.

[9]      Le tribunal a par ailleurs estimé que le demandeur n"avait pas établi l"élément essentiel de sa filiation azérie, n"ayant accordé aucune valeur probante à un document visant à corroborer ce fait, à savoir le certificat de naissance de son père4 dont la mère était de nationalité azerbaïdjanaise. Le tribunal n"a accordé aucune crédibilité à ce document parce qu"il était daté du 10 janvier 1935 alors qu"il attestait d"une naissance survenue onze mois plus tard, le 28 décembre 1935. Ce faisant, j"estime que la Section du statut a accordé une portée démesurée à un "lapsus machinale [sic ]"5 fréquent en début d"année, lorsqu"il s"agit de dater un document relatif à un événement survenu en fin d"année précédente, d"autant que la preuve faisait largement état de son ascendance azérie. Il suffisait, pour s"en convaincre, de référer au formulaire de renseignements personnels de la mère du demandeur6 - elle fut acceptée comme réfugiée au Canada - dont le récit des événements7 faisait état de la persécution dont sa famille avait été victime en raison d"ascendances azerbaïdjanaises.

[10]      Enfin, la Section du statut a jugé:

". . . improbable et non sérieuse la prétention du revendicateur voulant que les autorités aient voulu l"enrôler de force dans la guerre contre l"Azerbaïdjan, alors qu"il aurait été Azéri. Il est en effet illogique de croire que les autorités militaires auraient pris le risque de forcer un Azéri à combattre ses frères du pays voisin."

En regard de la preuve documentaire au dossier à l"effet que les autorités arméniennes tentaient de recruter tous les jeunes de plus de 18 ans8, j"estime déraisonnable la conclusion à laquelle en est venu le tribunal. Rien dans la preuve n"autorisait le tribunal à juger illogique qu"un Azéri puisse être appelé à combattre ses frères d"Azerbaïdjan.

[11]      Bref, la Section du statut a rendu une décision fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire et sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[12]      Pour ces motifs, la décision doit être cassée. Il n"y a pas, en l"espèce, matière à certifier une question sérieuse de portée générale.

     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de la Commission de l"immigration et du statut du réfugié, en date du 23 juillet 1999, est annulée. En conséquence, le dossier doit être retourné à la Commission pour une nouvelle audition par une formation constituée d"autres membres.


                             _________________________

                                     Juge

Ottawa, (Ontario)

le 25 août 2000

__________________

1      Dossier du tribunal (D.T.) p. 5.

2      Dossier supplémentaire du tribunal (D.S.T.), p. 21.

3      D.S.T., pp. 24-25.

4      D.T., p. 377.

5      Voir la note du traducteur en marge du document - D.T., p. 377.

6      D.T., pp. 417-428.

7      D.T., pp. 425-426.

8      D.T., pp. 357, 367, 372, 384.

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