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Date : 20050106

Dossier : T-1017-03

Référence : 2005 CF 8

Ottawa (Ontario), ce 6ième jour de janvier 2005

Présent :          L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                          DONAT BIZIER, BENOÎT PATENAUDE, PAUL BOUCHER

JEAN-MARC COMEAU, DANIEL MORIN, GAÉTAN LOISEAU

                                                                                                                                       Demandeurs

                                                                             et

                                      LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

MARCEL HACHEZ

                                                                             

                                                                                                                                         Défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33 (la « Loi » ), à l'encontre d'une décision rendue le 20 mai 2003 par Janine Kean, présidente (la « présidente » ) du Comité d'appel (le « Comité d'appel » ) de la Commission de la fonction publique du Canada (la « Commission » ) , rejetant l'appel des demandeurs à l'effet que la nomination de Marcel Hachez ("M. Hachez") au poste de « chef de projets » de groupe et niveau EG-06 était conforme au principe du mérite. Les demandeurs réclament :


-           que la décision de la présidente soit annulée et que l'affaire soit renvoyée à la présidente avec la directive qu'elle accueille l'appel des appelants et qu'elle ordonne qu'un concours soit fait;

-           subsidiairement, que l'affaire soit renvoyé à la présidente avec la directive qu'elle étudie la question à savoir si le poste en question est un nouveau poste ou un poste reclassifié; et,

-           toute autre ordonnance que cette Cour estime appropriée.

QUESTIONS EN LITIGE

[2]                Il y a deux questions en litige dans l'instance :

-           Est-ce que la présidente a commis une erreur de droit ou de faits lorsqu'elle a conclu qu'elle n'avait pas la compétence de trancher la question à savoir si le poste en question était un nouveau poste ou un poste reclassifié?

-           Est-ce que la présidente a erré en droit ou en faits lorsqu'elle a conclu que le principe du mérite a été respecté lors de la nomination de M. Hachez au poste de « chef de projets » ?

CONCLUSION

[3]                Pour les motifs exposés ci-dessous, je réponds à ces deux questions par la négative.


LES FAITS

[4]                De 1995 à 1998, le Ministère de la Défense nationale (le « Ministère » ) a entrepris plusieurs changements organisationnels dans le but de réduire ses effectifs. Cette opération avait comme objectif d'examiner la fermeture de la base militaire à St-Jean-sur-le-Richelieu. Dans le contexte de cette opération, les postes de « concepteur » étaient susceptibles de coupures.

[5]                En même temps, au printemps 1996, M. Hachez, qui était à cette période « chef estimateur/concepteur » (EG-05), s'est vu confier de nouvelles fonctions pendant qu'il occupait un poste ayant pour titre « chef de projets » de groupe et niveau de EG-05. Avant que M. Hachez soit nommé à la position de chef de projets, une position semblable fut brièvement annoncée dans une note de service à tous les concepteurs de la région. M. Hachez fut nommé sans qu'il n'ait de concours pour cette position.

[6]                Au 1er avril 1997, tous les demandeurs ainsi que M. Hachez occupaient des postes de groupe et de niveau EG-05 même si leur titre différait, soit « coordinateur entretien préventif » , « concepteur » ou « chef de projets » . Le 1er juin 1998, la procédure de vérification de classification des postes par le Ministère a eu pour effet de modifier le titre de poste de « concepteur » pour celui de « gérant de projets » sans pour autant changer le groupe et le niveau des postes qui sont demeurés EG-05.


[7]                Le 23 décembre 1999, M. Hachez déposait un grief contestant la classification EG-05 de son poste de « chef de projets » . Cependant, il retira son grief puisque le Ministère lui avait promis que son poste ferait l'objet d'une reclassification. Le 16 octobre 2000, son poste fut reclassifié au niveau EG-06, et ce, rétroactivement au 1er avril 1997.

[8]                Le 14 novembre 2002, un avis de droit d'appel fut émis indiquant comme fondement de la nomination proposée le paragraphe 10(1) de la Loi mais fit l'objet d'une modification le 22 novembre 2002 afin d'indiquer le paragraphe 10(2). Suite à cet avis, les demandeurs ont déposé leur appel de la nomination de M. Hachez. L'audition a eu lieu le 10 avril 2003.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[9]                La présidente a décidé deux choses :

-           Qu'elle n'avait pas à trancher la question à savoir si le poste de M. Hachez était un poste reclassifié ou un nouveau poste; et,

-           Que le principe du mérite avait été respecté lors du processus de sélection, même si le Ministère n'avait pas évalué les qualifications de M. Hachez au moment de sa nomination.


[10]            Quant au premier élément, la présidente s'est fiée sur la décision de Madame la juge Tremblay-Lamer dans Larose c. Canada (Procureur général), [2002] A.C.F. no. 1467 (1ère inst.) (QL) :

Dans la cause Larose précitée, le juge Tremblay-Lamer procède à l'analyse des différentes décisions rendues par la Cour fédérale et en conclut au paragraphe 41 :

« De sorte qu'à défaut de remettre en question la légalité de la décision prise par l'agent de classification (question qui relève uniquement de la Section de première instance de la Cour fédérale en révision judiciaire, Viola, précité [Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.)], le comité d'appel n'a d'autre choix que de confirmer la décision de l'agent de classification, ce qu'il a fait en l'espèce. »

Ainsi, il n'y a pas lieu que je me prononce sur la partie de l'allégation qui remet en question le bien fondé de la décision de reclassification et soumet qu'il s'agit d'un nouveau poste.

[11]            Sur la deuxième partie, la présidente était d'avis qu'il existait un problème à la lumière du fait que les « gérants de projets » semblaient exercer les mêmes fonctions que M. Hachez, malgré le fait qu'ils étaient classifiés à un niveau inférieur. Elle a aussi exprimé le souhait que le Ministère prenne les mesures appropriées pour régulariser cette situation. Malgré cette opinion, la présidente a indiqué que même si le processus suivi par le Ministère dans la nomination de M. Hachez et ensuite dans la reclassification de son poste comportait des irrégularités, rien n'indiquait que le candidat ne répondait pas sur tous les points aux exigences du poste reclassifié et en conséquence qu'il n'y avait pas de raison d'accueillir l'appel.


LÉGISLATION CONCERNÉE

[12]            Cette décision concerne le processus par lequel un employé peut être nommé à un poste sans concours, ainsi que le droit d'appel d'une telle nomination. Les articles pertinents sont : l'article 10 de la Loi, ainsi que les paragraphes 21(1.1) et 13(1) de la Loi et l'alinéa 5(2)b) du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique, DORS/2000-80 (le « Règlement » ). Ces dispositions prévoient ce qui suit :



10. (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

(2) Pour l'application du paragraphe (1), la sélection au mérite peut, dans les circonstances déterminées par règlement de la Commission, être fondée sur des normes de compétence fixées par celle-ci plutôt que sur un examen comparatif des candidats.

[...]

13. (1) En vue des concours ou autres modes de sélection du personnel, la Commission peut fixer les critères géographique, organisationnel et professionnel auxquels les candidats doivent satisfaire pour pouvoir être nommés.

[...]

21. (1.1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à une sélection interne effectuée autrement que par concours, toute personne qui satisfait aux critères fixés en vertu du paragraphe 13(1) peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

***********

5. (2) La sélection au mérite visée au paragraphe 10(2) de la Loi peut se faire dans l'une ou l'autre des circonstances suivantes :

[...]

b) la nomination d'un fonctionnaire à son poste après reclassification, si l'une des situations suivantes existe :

(i) la reclassification résulte d'une vérification ou d'un grief en matière de classification,

(ii) le poste fait partie d'un groupe de postes semblables, qui sont pourvus, qui sont des mêmes groupe et niveau professionnels au sein du même secteur de l'organisation et qui ont tous été reclassifiés aux mêmes groupe et niveau professionnels,

(iii) il n'y a aucun autre poste semblable qui est pourvu et qui est des mêmes groupe et niveau professionnels au sein du même secteur de l'organisation;

10. (1) Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.

(2) For the purposes of subsection (1), selection according to merit may, in the circumstances prescribed by the regulations of the Commission, be based on the competence of a person being considered for appointment as measured by such standard of competence as the Commission may establish, rather than as measured against the competence of other persons.

[...]

13. (1) The Commission may establish, for competitions and other processes of personnel selection, geographic, organizational and occupational criteria that prospective candidates must meet in order to be eligible for appointment.

[...]

21. (1.1) Where a person is appointed or about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made from within the Public Service by a process of personnel selection, other than a competition, any person who, at the time of the selection, meets the criteria established pursuant to subsection 13(1) for the process may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.

***********

5. (2) A selection referred to in subsection 10(2) of the Act may be made in any of the following circumstances:

[...]

(b) when an employee is to be appointed to their reclassified position and

(i) the position has been reclassified as a result of a classification audit or grievance,

(ii) the position is one of a group of similar occupied positions in the same occupational group and level within the same part of an organization that have all been reclassified to the same occupational group and level, or

(iii) there are no other similar occupied positions in the same occupational group and level within the same part of the organization;


PRÉTENTIONS DES PARTIES

Les demandeurs

[13]            Les demandeurs soutiennent premièrement que la présidente a commis une erreur de droit en décidant qu'elle n'avait pas la compétence pour trancher la question à savoir si le poste maintenant occupé par M. Hachez était un nouveau poste ou un poste reclassifié.

[14]            Les demandeurs soumettent qu'afin de déterminer si le principe du mérite a bien été appliqué, qu'il faut d'abord déterminer si le poste en question était un nouveau poste ou une reclassification d'un poste déjà existant. En d'autres mots, une nomination à l'égard du paragraphe 10(2) de la Loi n'est justifiée que si les actions de l'employeur rencontrent les critères de l'alinéa 5(2)b) du Règlement. Les demandeurs prétendent ne pas comprendre la décision de la juge Lamer-Tremblay dans Larose, précité, sur laquelle la présidente a basé sa décision de non compétence, puisque la décision Larose est elle-même basée sur les arrêts Canada (Procureur général) c. Laidlaw, [1998] A.C.F. no. 615 (C.A.F.) (QL), et Beaudry c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no. 37 (1ère inst.) (QL), conf. par [2000] A.C.F. 1876 (C.A.F.) (QL), qui énoncent (selon les demandeurs) que le Comité d'appel a le pouvoir de déterminer une telle question :


Il est bien établi en droit ... que pour déterminer si le principe du mérite a été bien appliqué - et cela s'applique au principe du mérite individuel autant qu'au principe du mérite relatif - un comité d'appel doit examiner ce qu' « un ministère a objectivement fait et non ce qu'il a, en droit, eu l'intention de faire ou l'interprétation qu'il en avait ... » (Doré, précité [Doré c. Canada, [1987] 2 R.C.S. 503], page 510, le juge LeDain). [Laidlaw, précité, au par. 16.]

***

Dans ces deux arrêts [Canada (Procureur général) c. Landriault, [1983] 1 C.F. 636 (C.A.F.), et Laidlaw, précité], l'on a conclu qu'une personne était habilitée à porter une nomination en appel aux termes de l'article 21 en vue de contester la méthode relative à la nomination, plutôt que la nomination elle-même. Dans l'arrêt Landriault, la demanderesse avait contesté la détermination de la zone de sélection. Dans l'arrêt Laidlaw, le demandeur avait contesté la détermination selon laquelle le poste en cause ne constituait pas une reclassification. Il ressort clairement que ces déterminations relevaient de la compétence du comité d'appel, du fait qu'elles soulevaient des questions de fait ou des questions mixtes de droit et de fait. [Beaudry, précité, au par. 18.]

[15]            Les demandeurs allèguent qu'il serait très facile de contourner le principe du mérite en qualifiant une modification des fonctions d'un individu de « reclassification » , en l'absence de cette compétence. De plus, ils citent la Cour suprême du Canada dans Canada (Procureur général) c. Brault, [1987] 2 R.C.S. 489 à la page 501 :

Compte tenu de l'importance du principe de la sélection établie au mérite et du droit d'appel prévu à l'art. 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, je ne saurais, en toute déférence, souscrire à la prémisse qui sous-tend l'arrêt de la Cour d'appel fédérale à la majorité, qui porte, si je comprends bien, qu'un nouveau poste de la Fonction publique qui exige une nomination au sens de l'art. 21, ne saurait être créé par une modification des fonctions d'un poste déjà existant, à moins que l'administration ne choisisse de considérer que cette modification crée un nouveau poste au sens de la Loi. Une telle conception permettrait de contourner le principe du mérite et le droit d'appel.


[16]            Deuxièmement, même si la présidente avait raison de décider qu'elle n'avait pas la compétence requise pour décider de la question mentionnée ci-haut, les demandeurs prétendent qu'elle a erré en rejetant leur appel parce que le principe du mérite, dans la sélection de M. Hachez, n'a pas été respecté. Cet argument a deux volets : (1) que l'évaluation des compétences et des qualités de M. Hachez n'a été faite qu'après sa nomination dans le cadre du processus d'appel; et, (2) que le Ministère a fait preuve de négligence, de manque de transparence et d'équité dans l'administration du processus de nomination.

[17]            Les demandeurs prétendent que la jurisprudence est claire : les compétences et capacités doivent être évaluées avant la nomination. Ils citent Madame la juge Sharlow dans Beaudry, précité, où elle dit au par. 6 qu' « une nomination effectuée en l'absence de concours au sens du paragraphe 10(2) se fonde sur une évaluation des compétences de l'individu. » Ils soutiennent que le Ministère détient le fardeau de démontrer que M. Hachez a été évalué avant sa nomination en tenant compte des qualités requises pour le poste : voir Field c. Canada (Procureur général), [1995] A.C.F. no. 458 (1ère inst.) (QL), où la Cour a indiqué au par. 5 qu' « en raison de l'absence d'éléments de preuve constitués et pertinents, la Commission d'appel ne pouvait pas correctement déterminer que le principe du mérite avait été respecté dans l'évaluation des candidats. »


[18]            En plus du fait que le principe du mérite n'a pas été respecté lors de la nomination de M. Hachez, les demandeurs allèguent que le processus suivi par le Ministère fût entièrement vicié en raison de l'injuste et l'inéquitable procédure suivie par le Ministère. Aucun droit d'appel fut affiché au printemps 1996, après la nomination de M. Hachez, malgré le fait que deux des demandeurs avaient auparavant démontré de l'intérêt pour le poste. Par la suite, seul le poste de M. Hachez fut reclassifié suite à la vérification du Ministère et ce, malgré le fait que le poste de « gérant de projets » ressemblait beaucoup au poste de M. Hachez. Un droit d'appel a été émis seulement en novembre 2002, soit plus de deux ans après la reclassification. Finalement, les qualifications de M. Hachez ne furent pas évaluées avant l'été 2003, c'est-à-dire plus que cinq (5) ans après sa nomination. Dans les circonstances, les demandeurs prétendent qu'il est clair que le principe du mérite ne fut pas respecté. Cependant, malgré les commentaires de la présidente à l'effet que la situation ne soit pas juste, la situation des demandeurs demeure toujours la même.

Les défendeurs


[19]            Le défendeur principal, le Procureur général du Canada (le « défendeur » ), prétend qu'en vertu du paragraphe 21(1.1) de la Loi et de la jurisprudence récente de la Cour fédérale, le Comité d'appel n'a pas la compétence pour décider si le poste maintenant occupé par M. Hachez est un nouveau poste plutôt qu'un poste reclassifié. Selon le défendeur, la décision de reclassifier un poste fut celle d'un gestionnaire en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, telle que modifiée (la « L.G.F.P. » ), et que par conséquent elle n'est pas visée et ne peut faire l'objet d'un appel en vertu de l'article 21 de la Loi. Le défendeur soumet que le Comité d'appel n'a que la compétence pour déterminer si M. Hachez répondait aux exigences du poste et si sa nomination respecte le principe du mérite. Il allègue que la décision de la présidente est la bonne puisqu'elle disposait d'éléments de preuve non contredits pour appuyer sa conclusion à l'effet que M. Hachez satisfaisait aux critères et que le principe du mérite avait été respecté.

[20]            Le défendeur cite plusieurs arrêts de la Cour d'appel fédérale à l'effet que le Comité d'appel ne peut rien dire à propos d'une décision concernant la classification d'un poste. Il peut seulement se pencher sur la question de savoir si une nomination a été faite selon le principe du mérite : Ratelle c. Canada (Commission de la Fonction publique, Direction des appels), [1975] A.C.F. no. 910 (C.A.F.) (QL); Canada c. Ricketts, [1983] A.C.F. no. 944 (C.A.F.) (QL); Canada c. Henri, [1986] A.C.F. no. 153 (C.A.F.) (QL). Lors de l'audition, le procureur du défendeur a expliqué que la décision de reclassifier un poste existant ou de créer un nouveau poste fut celle du Ministère dans l'exercice d'une fonction de gestion telle que prévue par la L.G.F.P. La décision de reclassifier un poste n'est pas prise par un comité de sélection dans le cadre d'une évaluation au mérite mais par un délégué du Ministère. Par conséquent, il n'est pas possible de revenir au Comité d'appel afin d'exiger l'examen de cette question.

[21]            Le défendeur prétend que dans la décision Laidlaw, précité, cité par les demandeurs à l'effet que la présidente avait la compétence nécessaire pour décider si le poste était nouveau ou s'il s'agissait d'une reclassification, la Cour a simplement constaté que le Comité d'appel avait décidé que les postes étaient nouveaux, et non pas que le Comité d'appel avait la compétence de décider cette question. En bout de ligne, le défendeur prétend que la Cour devrait se pencher plutôt sur la décision Beaudry, précité. Le défendeur constate qu'il est important de faire une distinction entre ce qui est accessoire aux pouvoirs du Comité d'appel et l'exercice des pouvoirs de gestion qui ont été conférés exclusivement aux gestionnaires. La seule question pour le Comité d'appel à trancher fut celle de savoir si la nomination au poste (nouveau ou reclassifié) respecte le principe du mérite. Alors, selon le défendeur, la seule façon d'en appeler de la décision du Ministère de reclassifier un poste est par voie de contrôle judiciaire à la Cour fédérale, ce qui n'a pas été fait dans la présente instance.

[22]            Quant à la question du mérite, le défendeur note que la présidente s'est fiée sur les explications fournies par le Major Jean. Ce témoignage n'a pas été contredit devant la présidente et a été basé sur des observations faites entre 1987 et 1997. De plus, après la vérification de classification du poste de M. Hachez, le Ministère était au courant que M. Hachez remplissait les fonctions d'un EG-06, ce qui fut confirmé par Major Jean.


[23]            Le défendeur semble concéder que l'évaluation de M. Hachez aurait dû avoir lieu avant sa nomination, mais qu'à la lumière de tous les faits, le simple fait que l'évaluation ait eu lieu après sa nomination est sans importance, puisque M. Hachez rencontre toutes les exigences du poste. Les demandeurs n'ont pas réussi à rencontrer leur fardeau, soit de démontrer le contraire.

[24]            Le défendeur principal demande à la Cour fédérale de rejeter la demande de contrôle judiciaire avec dépens.

[25]            Pour sa part, le défendeur individuel, M. Hachez, a déposé un mémoire avec l'intention de démontrer que le principe du mérite a été respecté. Il soutient que ses compétences ont été bien évaluées selon les procédures. De plus, il prétend que toute modification par cette Cour entraînera des injustices graves à son endroit.

ANALYSE

La norme de contrôle


[26]            Les demandeurs soumettent que la norme de contrôle judiciaire applicable à la décision du Comité d'appel pour les questions de droit est celle de la décision correcte, tenant compte du langage utilisé à l'article 21 de la Loi : le fait que les comités d'appel sont nommés sur une base ad hoc, la disposition dans la Loi qui prévoit que la demande en révision judiciaire d'une décision du Comité d'appel peut être référée directement à la Cour d'appel fédérale (art. 21.1), ainsi que la jurisprudence de la Cour fédérale et la Cour d'appel fédérale à ce jour : e.g., Boucher c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no. 86 (C.A.) (QL) au par. 7; Mathuik c. Canada (Procureur-général), [2001] A.C.F. no. 4 (1ère inst.) (QL) au par. 11; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 aux pages 1003-1012.

[27]            Pour sa part, le défendeur est d'accord que la question de compétence du Comité d'appel est une question de droit et que la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de la décision correcte. Ceci étant dit, le défendeur note que la Cour de révision doit faire preuve d'une certaine retenue judiciaire, étant donné que le Comité d'appel possède une expertise comme tribunal administratif en ce qui concerne les conclusions de faits : Pushpanathan, précité.


[28]            Puisque la première question traite de la compétence du Comité d'appel de trancher une question de juridiction - c'est-à-dire, est-ce que le Comité d'appel a la compétence pour déterminer si le poste aurait dû être un nouveau poste au lieu d'un poste reclassifié? - je suis d'accord que ceci est une question de droit, et que la norme de contrôle judiciaire applicable doit être celle de la décision correcte. La deuxième question, par contre, à savoir si le principe du mérite fut respecté lors de la nomination de M. Hachez, est une question mixte de fait et de droit, alors la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter : voir Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, aux pages 256 et suivants.

Est-ce que la présidente a erré en droit ou en faits lorsqu'elle a conclu qu'elle n'avait pas la compétence de trancher la question à savoir si le poste en question était un nouveau poste ou un poste reclassifié?

[29]            La jurisprudence semble clairement indiquer que le Comité d'appel n'a pas la compétence pour trancher cette question. Contrairement à ce que les demandeurs prétendent , dans Beaudry, Madame la juge Sharlow dit que le Comité d'appel ne peut pas statuer sur de telles questions :

Je reconnais qu'une procédure de contrôle judiciaire puisse ne pas constituer la meilleure stratégie possible pour attaquer la validité du processus de nomination adopté en l'espèce. Le comité d'appel aurait fort bien pu être l'instance privilégiée pour chercher à déterminer si le poste était en fait un nouveau poste ou s'il constituait une reclassification, ou si la zone de sélection prévue aux fins de la nomination faite en vertu du paragraphe 10(2) avait validement été établie. Cependant, il ressort, à la lecture du paragraphe 21(1.1), que le législateur a choisi de ne pas permettre que ces questions soient soumises au comité d'appel sous le régime des nominations effectuées aux termes du paragraphe 10(2). [Mes soulignés.]

[30]            Enfin, je suis d'avis que la présidente a bien appliqué les principes énoncés dans la décision Larose. Dans cet arrêt, Madame la juge Tremblay-Lamer analyse l'ensemble de la jurisprudence sur la question de la compétence du Comité d'appel de trancher la question à savoir si un poste constitue un nouveau poste ou une reclassification, et elle conclut, à bon droit, que le Comité d'appel n'a pas la compétence requise. Aux paragraphes 38 et 40 de la décision Larose, Madame la juge Tremblay-Lamer souligne le problème avec l'approche utilisée par le Comité d'appel pour analyser la situation :


[38] Son [le comité d'appel] analyse repose essentiellement sur la recherche d'une modification substantielle de la nature des fonctions; le comité d'appel s'est donc employé à comparer les responsabilités des titulaires des postes de niveau PM-04 au regard des nouvelles responsabilités, tâche qui, à mon avis, relève essentiellement d'un agent de classification accrédité.

[...]

[40] Je constate que le comité d'appel a tenu compte de l'opinion de l'agent de classification qui est venu témoigner qu'il s'agissait des mêmes postes et non de postes nouveaux. Il serait étonnant à mon avis qu'il puisse substituer son opinion à celle de l'agent de classification puisque le comité d'appel n'a pas ce droit lorsqu'il s'agit du jury de sélection....

[31]            Un Comité d'appel n'a pas la compétence pour trancher la question quant à savoir si un poste reclassifié est plutôt un poste nouveau, ou vice-versa. Il ne peut que déterminer si le processus suivi pour nommé quelqu'un à un poste, reclassifié ou nouveau, a été fait selon le principe du mérite. De plus, comme Madame la juge Tremblay-Lamer indique dans la décision Larose, il faut être prudent avant de se fier sur les arrêts Brault et Laidlaw, précités, dans une telle situation. Dans Laidlaw, la Cour d'appel fédérale n'a pas, en effet, statué sur la compétence du Comité d'appel, mais a simplement constaté que le Comité d'appel avait décidé que les postes en question étaient nouveaux. Quant à l'affaire Brault, elle a été décidé avant l'entrée en vigueur du paragraphe 10(2) de la Loi et alors le processus de sélection entrepris par le Ministère n'est pas semblable : voir aussi Buttar c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 437 (C.A.F.) (QL).


Est-ce que la présidente a erré en droit ou en faits lorsqu'elle a conclu que le principe du mérite a été respecté lors de la nomination de M. Hachez au poste de « chef de projets » ?

[32]            Le défendeur ne conteste pas le fait que les qualifications de M. Hachez furent évaluées formellement que cinq (5) ans après sa nomination en tant que « chef de projets » . Néanmoins, le défendeur (ainsi que M. Hachez) soutient que M. Hachez était qualifié au moment de sa nomination, malgré le fait qu'une évaluation formelle n'a pas été faite que par la suite. La présidente aurait pu déterminer que la nomination était viciée puisqu'aucune évaluation n'avait été effectuée, mais elle n'a pas fait une telle détermination et ce, à bon droit.

[33]            La présidente a accepté le témoignage du Major Jean à l'effet que le candidat répondait, au 1er avril 1997, à toutes les exigences du poste de « chef de projet » , même si une évaluation formelle n'a jamais été complétée. Ce témoignage n'a pas été contredit devant le Comité d'appel. De plus, non seulement les demandeurs n'ont-ils pas réussi à démontrer que M. Hachez ne rencontrait pas les exigences du poste, mais ils ont même admis que M. Hachez aurait été le mieux qualifié pour le poste et aurait remporté la compétition si un tel concours avait eu lieu. La présidente avait assez de preuve pour être convaincue que, même si le processus de l'évaluation n'a pas été suivi, le candidat le mieux qualifié avait été choisi pour le poste. Il s'agit d'une situation inusitée, d'un cas d'espèce qui nécessite une application spéciale tenant compte des circonstances et il apparaît raisonnable pour la présidente d'avoir rendue cette décision, et je ne vois pas de raison pour intervenir.

[34]            Cependant, j'aimerais souligner l'importance du principe du mérite. Il est un principe fondamental dans le cadre de l'emploi dans la Fonction publique.    Il est important lors des compétitions et du processus de nomination, de respecter les démarches exigées afin d'assurer l'intégrité du processus. Ayant dit ceci, le présent dossier démontre une preuve constante et non contredite que M. Hachez était amplement qualifié pour le poste. Ainsi, le principe du mérite fut respecté même si la procédure suivie laissait à désirer. Il ne faudrait pas que le Ministère en prenne une habitude.

CONCLUSIONS

[35]            Comme le constate le défendeur au paragraphe 49 de son mémoire, je note qu'il existe des remèdes appropriés que les demandeurs peuvent utiliser s'ils se sentent lésés par le Ministère. Par exemple, s'ils sont d'avis que leurs postes sont semblables à celui de M. Hachez, ils peuvent toujours déposer un grief auprès des gestionnaires du Ministère, le tout dépendant des contraintes à ce sujet. Le but de l'article 21 est de s'assurer que les nominations respectent le principe du mérite et n'a aucun lien avec le processus de reclassification d'un poste déjà existant.    Étant donné les circonstances particulières de ce dossier, la demande de contrôle judiciaire est rejetée mais chaque partie devra assumer ses frais.

ORDONNANCE


LA COUR ORDONNE QUE:

-            Cette demande de contrôle judiciaire soit rejetée sans frais.

              "Simon Noël"               

         Juge


                                       COUR FÉDÉRALE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                      T-1017-03

INTITULÉ DE LA CAUSE :        DONAT BIZIER, BENOÎT PATENAUDE, PAUL BOUCHER

JEAN-MARC COMEAU, DANIEL MORIN,

GAÉTAN LOISEAU

c.

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

ET MARCEL HACHEZ

LIEU DE L'AUDITION:               OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDITION:             15 DÉCEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE

L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

EN DATE DU :                            6 janvier 2005

COMPARUTIONS:

ME JAMES CAMERON POUR LES DEMANDEURS

ME MARIE CROWLEY POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

MONSIEUR MARCEL HACHEZ POUR LE DÉFENDEUR,

MARCEL HACHEZ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:


RAVEN, ALLEN, CAMERON & BALLANTYNE POUR LES DEMANDEURS

& YAZBECK LLP/s.r.l.

OTTAWA (ONTARIO)

MONSIEUR MORRIS ROSENBERG POUR LE DÉFENDEUR,

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADALE PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

MONSIEUR MARCEL HACHEZ POUR LE DÉFENDEUR,

ST-JEAN-SUR-RICHELIEU (QUÉBEC)MARCEL HACHEZ

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