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Date : 20000928


Dossier : IMM-2158-99

Ottawa (Ontario), le 28 septembre 2000

EN PRÉSENCE DE :      MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :


SUBHASREE KRISHNAN KUTTY


demanderesse


- et -


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur




MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE O'KEEFE


[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 9 mars 1999 dans laquelle Ron Molsberry (l'agent des visas) a refusé la demande de résidence permanente au Canada.


[2]      La demanderesse, une citoyenne de l'Inde, a sollicité des visas d'immigrant pour son mari, leurs deux enfants en bas âge et elle-même dans la catégorie des immigrants indépendants le 21 avril 1997 et une évaluation dans la profession de secrétaire de direction (CCDP 4111-111) et/ou dans toute autre profession dans laquelle ses titres et qualités et son expérience pourraient indiquer qu'elle est qualifiée.


[3]      Le 16 février 1999, la demanderesse et son époux ont subi une entrevue personnelle à l'Ambassade du Canada à Abou Dhabi, ÉAU. L'agent des visas a interrogé la demanderesse sur ses antécédents, soit ses études, son expérience de travail et tout autre cours préparatoire qu'elle a pu suivre.


[4]      La demanderesse a indiqué qu'elle n'avait pas une très longue formation en secrétariat, si ce n'est qu'elle avait suivi un cours d'EXCEL. La demanderesse a indiqué que dans son emploi actuel, elle était responsable de rédiger des lettres, de classer et de faxer des documents, d'établir l'emploi du temps et d'effectuer d'autres tâches générales de secrétariat. La demanderesse a terminé ses études au collège en 1985 et, selon ce qu'elle affirme dans son affidavit, elle a étudié la dactylographie pendant plusieurs mois par la suite.


[5]      À l'entrevue, la demanderesse a passé un test de dactylographie. Elle a eu dix minutes pour s'exercer avant de passer le test. Corrigé en fonction du taux d'erreur, le test a indiqué qu'elle dactylographiait à une vitesse de 22 mots à la minute.


[6]      L'agent des visas était d'avis que la demanderesse ne pouvait pas avoir d'expérience dans la profession qu'elle envisageait d'exercer parce qu'une vitesse de 22 mots à la minute était trop lente et qu'une vitesse de 50 mots à la minute était considérée comme étant la vitesse minimale acceptable pour les employeurs. La norme minimale qu'a établie le bureau des visas est de 40 mots à la minute.


[7]      L'agent des visas a évalué la demanderesse dans les professions de secrétaire de direction et de secrétaire, mais ne lui a accordé aucun point d'appréciation pour le facteur de l'expérience dans ces professions. Il a conclu que la demanderesse n'avait pas suivi [TRADUCTION] « le large éventail de cours de secrétariat que suivent normalement les secrétaires et les secrétaires de direction au Canada, exception faite d'un cours du soir sur EXCEL » . La demanderesse a également été évaluée en tant que commis-dactylographe, ce qui lui a donné 54 points d'appréciation. Elle n'a obtenu aucun point d'appréciation pour le facteur de la demande dans la profession.

[8]      L'agent des visas a donc évalué la demanderesse en tant que commis-dactylographe. Son évaluation était la suivante :

         Âge                  10
         Demande dans la profession      00
         PPS                  03
         Expérience              02
         Emploi réservé              00
         Facteur démographique          08
         Études                  15
         Anglais                  09
         Français                  00
         Personnalité              07
         TOTAL                  54

[9]      Comme la demande dans la profession de commis-dactylographe était nulle, l'agent des visas ne pouvait pas délivrer de visa d'immigrant à la demanderesse.


[10]      L'agent des visas a évalué l'époux de la demanderesse en tant que technicien en transport de marchandises (voie navale), la profession la plus avantageuse aux termes de la CCDP. Toutefois, la demande dans cette profession est également nulle; on ne pouvait donc délivrer de visas.


Observations de la demanderesse

[11]      La demanderesse prétend que l'agent des visas ne s'est pas acquitté de son obligation d'équité en omettant de l'informer qu'elle passerait un test sur ses aptitudes en dactylographie.

[12]      La demanderesse soutient également que l'agent des visas a tenu compte d'une considération non pertinente pour statuer sur la demande, soit une vitesse « arbitraire » de frappe de 40 mots à la minute pour les secrétaires de direction.


[13]      La demanderesse fait également valoir que l'agent des visas n'a tenu aucun compte de la preuve selon laquelle elle aurait pu atteindre une beaucoup plus grande vitesse de frappe compte tenu de son expérience antérieure.


Observations du défendeur

[14]      Le défendeur prétend que l'agent des visas n'était aucunement tenu d'informer la demanderesse qu'elle passerait un test de dactylographie. Le test de dactylographie découlait directement des critères applicables à la profession de secrétaire de direction prévus dans la CCDP et l'agent des visas ne faisait que s'acquitter de son obligation d'examiner minutieusement les titres et qualités de la demanderesse. Il n'y a aucune exigence d'avis préalable. Et, selon la logique et le bon sens, toute personne qualifiée qui présente une demande d'emploi en tant que secrétaire ou secrétaire de direction devrait raisonnablement s'attendre à passer un test de dactylographie au cours d'une entrevue d'emploi.

[15]      Le défendeur fait valoir que la compétence de la demanderesse dans une habileté-clé prévue dans la CCDP (la dactylographie) n'est pas une considération non pertinente et que l'adoption d'une norme objective et raisonnable permettant de mesurer le niveau de compétence de la demanderesse n'est pas contraire au droit.


[16]      Le défendeur soutient finalement que l'agent des visas n'a pas pris aucunement en considération ou mal interprété certains éléments de preuve.


Les questions litigieuses

[17]      La demanderesse dans son mémoire a soulevé les questions suivantes :

     1.      L'agent des visas a-t-il commis une erreur de droit en refusant la demande de résidence permanente de la demanderesse parce qu'il ne s'est pas acquitté de son obligation d'équité?
     2.      L'agent des visas a-t-il commis une erreur de droit en tenant compte de considérations non pertinentes et extérieures?
     3.      L'agent des visas a-t-il mal interprété ou aucunement pris en considération certains éléments de preuve pertinents qui lui avaient été soumis?
[18]      Question 1

     L'agent des visas a-t-il commis une erreur de droit en refusant la demande de résidence permanente de la demanderesse parce qu'il ne s'est pas acquitté de son obligation d'équité?

     La demanderesse a soutenu que l'agent des visas avait manqué à son obligation d'équité en exigeant qu'elle passe un test de vitesse de frappe à l'entrevue sans l'avoir informée à l'avance de l'administration de ce test. Elle a prétendu que l'avis d'entrevue ne l'avait pas informée de l'administration du test de dactylographie. La demanderesse a eu 10 minutes pour s'exercer avant de passer le test.


[19]      Selon mon interprétation des fonctions d'une secrétaire de direction, d'une secrétaire et d'une commis-dactylographe prévues dans la Classification canadienne descriptive des professions de 1971, la capacité de dactylographier est une exigence de chacune de ces trois professions. Cela n'est pas surprenant parce cela fait partie des fonctions que requièrent ces professions. Autrement dit, il n'est pas anormal de s'attendre à ce qu'une secrétaire soit capable de dactylographier. Corollairement, il n'est pas déraisonnable de s'attendre à ce qu'une secrétaire soit capable de dactylographier de façon efficace. L'agent des visas, qui a de l'expérience en la matière, a affirmé que les employeurs exigent une vitesse de frappe de 50 mots à la minute et que, pour les besoins de l'évaluation du bureau des visas, le ministère a fixé la norme minimale à 40 mots à la minute.


[20]      La demanderesse a fait valoir que l'omission de l'informer à l'avance de l'administration du test de dactylographie constitue un manquement à l'obligation d'équité procédurale. Je ne puis accepter cet argument. Il est tout à fait raisonnable de s'attendre à ce qu'une secrétaire passe un test relativement à sa capacité de dactylographier. Il n'y a aucune exigence selon laquelle l'agent des visas doit informer la personne qui présente une demande dans la profession de secrétaire que ses habiletés en dactylographie peuvent faire l'objet d'une vérification dans le cadre de l'entrevue. C'est l'une des façons dont l'agent des visas s'acquitte de son obligation légale d'évaluer l'expérience du demandeur! Je conclus donc qu'on n'a pas manqué à l'obligation d'équité procédurale.


[21]      Question 2

     L'agent des visas a-t-il commis une erreur de droit en tenant compte de considérations non pertinentes et extérieures?

     La demanderesse a soutenu que l'agent des visas avait commis une erreur de droit en prenant en considération la norme de frappe du ministère de 40 mots à la minute parce qu'il s'agissait d'une considération non pertinente et extérieure. À mon avis, il est tout à fait raisonnable de s'attendre à ce qu'une personne qui veut être évaluée dans la profession de secrétaire soit capable d'atteindre une certaine vitesse de frappe. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une considération extérieure ou non pertinente. Le juge Reed dans la décision Wu c. Canada (1994) 164 F.T.R. 152, dans son analyse relative à l'aptitude en dactylographie, a déclaré aux pages 153 à 154 :

[3]      Le fait qu'il n'est pas nécessaire d'être en mesure d'exécuter toutes les tâches énumérées dans une description de la CCDP ne signifie pas que l'aptitude à exécuter certaines tâches n'est pas un élément essentiel d'un poste. Le chapitre de la CCDP (4111), dans lequel figure le poste de secrétaire de direction en tant que sous-groupe, s'intitule « Secrétaires et sténographes » . Le « travail accompli » par les titulaires des postes mentionnés dans ce chapitre est défini dans le paragraphe liminaire. Les postes en question sont occupés par des « employés qui écrivent sous la dictée, enregistrent, transcrivent et dactylographient les textes dictés ou rédigés et s'acquittent de tâches connexes » . La décision de l'agent des visas, savoir que la demanderesse ne possédait pas [Traduction] « les compétences les plus
fondamentales se rapportant au poste » de secrétaire de direction parce qu'elle ne tape pas à la machine (le résultat du test qu'elle a passé était de 18 mots à la minute) et ne sait pas prendre des notes en sténo ou n'a pas de compétences en sténographie, n'a pas entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire ni constitué une appréciation erronée de la preuve. La CCDP appuie la conclusion qu'il s'agit de compétences fondamentales nécessaires pour travailler comme secrétaire au Canada. L'agent des visas ne s'est pas contenté d'apprécier la preuve en fonction de ses opinions personnelles.

[22]      Les commentaires du juge McIntyre dans l'arrêt Maple Lodge Farms Limited c. Le Gouvernement du Canada et autres [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 à 8, me guident dans mes conclusions :

C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

[23]      Je conclus donc que l'agent des visas n'a pas commis d'erreur de droit sur ce point.


[24]      Question 3     

     L'agent des visas a-t-il mal interprété ou aucunement pris en considération certains éléments de preuve pertinents qui lui avaient été soumis?

     La demanderesse a prétendu que l'agent des visas avait mal interprété ou pris aucunement en considération des éléments de preuve pertinents qu'elle lui avait soumis relativement à ses compétences professionnelles et à son expérience et qu'il avait notamment omis de tenir compte de son affirmation selon laquelle elle avait déjà atteint une vitesse de frappe plus rapide et pouvait améliorer le résultat de 22 mots à la minute qu'elle avait obtenu à l'entrevue. À mon avis, l'entrevue est le moment approprié pour évaluer l'habileté de la partie demanderesse en dactylographie. Ce n'est pas la vitesse de frappe antérieure ou future de la demanderesse qui est pertinente, mais bien sa vitesse de frappe actuelle à la date de l'entrevue. À mon avis, aucune erreur susceptible de révision n'a été commise sur ce point.


[25]      En conclusion, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[26]      Aucune des parties ne souhaitait qu'une question soit certifiée conformément au paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.



ORDONNANCE

[27]      LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

     « John A. O'Keefe »

     J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 28 septembre 2000



Traduction certifiée conforme



Julie Boulanger, LL.M.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  IMM-2158-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          SUBHASREE KRISHNAN KUTTY
                                 - et -
                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :              LE MARDI 5 SEPTEMBRE 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :              LE JEUDI 28 SEPTEMBRE 2000

ONT COMPARU :

                         M. David Bruner
                             POUR LA DEMANDERESSSE
                         M. Stephen Gold
                             POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :      Hoppe Bruner
                         25, rue Isabella
                         Toronto (Ontario)
                         M4Y 1M7
                             POUR LA DEMANDERESSE
                         Ministère de la Justice
                         Bureau 3400, Tour Exchange
                         130, rue King Ouest
                         Toronto (Ontario)
                         M5X 1K6
                             POUR LE DÉFENDEUR
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