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Date : 20050824

Dossier : IMM-8967-04

Référence : 2005 CF 1143

Toronto (Ontario), le 24 août 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

ENTRE :

GIL CABREJOS, YOVANA GENARA, ESPINOZA GIL, VALERIA IVONNE

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]         Mme Yovana Genara Gil Cabrejos est arrivée au Canada au printemps 2004 avec sa fille, Valeria, qui avait alors à peine cinq mois. Mme Cabrejos avait passé les 17 mois précédents aux États-Unis, pays où elle avait rencontré le père de Valeria. Elle s'était enfuie de son pays natal, le Pérou, pour fuir un conjoint de fait violent, Cesar.

[2]         Mme Cabrejos a demandé l'asile au Canada mais une formation de la Commission de l'immigration de la protection des réfugiés a rejeté sa demande. La Commission a conclu qu'il était peu probable que son ex-conjoint souhaite encore l'agresser. Mme Cabrejos soutient que la Commission n'a pas compris le fondement de sa demande et elle demande une nouvelle audience.

[3]         J'admets que la décision de la Commission n'est pas étayée par les éléments de preuve et je dois donc faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire.

I.     Les questions en litige

      1.    La Commission a-t-elle omis de tenir compte de l'essence de la demande de Mme Cabrejos?

      2.    La Commission a-t-elle omis de tenir compte de l'intérêt supérieur de Valeria?

II.    Analyse

A.    La Commission a-t-elle omis de tenir compte de l'essence de la demande de Mme Cabrejos?

[4]         La Commission a reconnu que Mme Cabrejos avait vécu une relation de violence avec Cesar au Pérou. Elle a présenté un rapport médical montrant qu'elle avait eu une fausse couche causée par les coups que lui avait portés Cesar. La Commission n'a toutefois pas ajouté foi à des parties importantes de la version des événements fournie par Mme Cabrejos et, en fin de compte, a conclu que Cesar ne représentait plus une menace pour elle.

[5]         La Cour a conclu ce qui suit :

(i)          Mme Cabrejos n'a pas établi que Cesar était un policier et, par conséquent, son omission de demander la protection de l'État au Pérou n'était pas justifiée;

(ii)         Il est invraisemblable que Mme Cabrejos ait été prisonnière dans sa propre résidence pendant deux ans;

(iii)        Mme Cabrejos n'a pas vu Cesar ou eu de ses nouvelles depuis septembre 2002;

(iv)        Si Mme Cabrejos craignait vraiment Cesar, elle aurait demandé l'asile aux États-Unis au moment où elle s'y trouvait.

[6]         La Commission s'est fondée sur ces conclusions pour juger que Mme Cabrejos ne s'était pas comportée d'une manière compatible avec l'existence d'une crainte subjective de retourner au Pérou et qu'elle n'avait pas démontré que Cesar représentait toujours une menace pour elle.

[7]         J'ai examiné le dossier et je n'ai rien découvert, dans la preuve, qui soit susceptible d'appuyer les conclusions auxquelles la Commission en est arrivée. Je vais traiter de chacune de ces affirmations :

            (i)          Cesar était-il un policier?

[8]         La Commission a écarté l'affirmation de Mme Cabrejos selon laquelle Cesar était un policier pour deux motifs : premièrement, elle a présenté une photographie montrant Cesar devant un poste de police à Huancavelica, alors qu'elle avait déclaré qu'il travaillait à Lima. Deuxièmement, elle n'a pas été en mesure de décrire en détail la nature de ses activités.

[9]         En fait, Mme Cabrejos a déclaré que la photographie avait été prise avant qu'ils se connaissent, avant son transfert à Lima. Elle a expliqué qu'elle n'avait pas d'autres photographies de lui parce qu'elle les avait déchirées dans un moment de colère pour mettre un terme à leur relation parce qu'il l'avait battue si gravement qu'elle avait fait une fausse couche et avait été forcée de s'enfuir chez ses parents.

[10]       Pour ce qui est de l'emploi qu'occupait Cesar, Mme Cabrejos a donné le nom du poste de police où il travaillait et son grade. Elle a également déclaré qu'il participait à des missions de lutte contre le terrorisme, ce qui expliquerait pourquoi il ne lui fournissait pas beaucoup de détails sur son travail.

            (ii)         Mme Cabrejos était-elle prisonnière dans sa propre résidence?

[11]       La Commission a mis en doute le fait que Mme Cabrejos ait vécu pratiquement comme une prisonnière chez elle pendant deux ans. Elle a estimé qu'il était peu probable que Cesar, un homme extrêmement « macho » , ait acheté lui-même la nourriture et sorti les poubelles.

[12]       En fait, Mme Cabrejos n'a jamais affirmé avoir été prisonnière, même si elle a déclaré qu'il arrivait à Cesar de l'enfermer dans leur appartement. Leur porte se fermait de l'extérieur. Dans son formulaire de renseignements personnels, Mme Cabrejos a relaté en détail les nombreux coups et agressions dont elle avait fait l'objet de la part de Cesar ainsi que les différentes façons dont il essayait de la contrôler, de l'empêcher de voir sa famille et ses amis et de la démoraliser. Elle a déclaré qu'il avait commencé à l'enfermer et qu'elle avait réussi à s'échapper après qu'un ami eut appelé un serrurier. Elle a confirmé cet exposé au cours de son témoignage et a ajouté d'autres détails. Par exemple, elle a déclaré qu'elle ne pouvait utiliser le téléphone parce qu'il était placé dans une boîte fermant à clé. Elle trouvait des excuses pour ne pas aller voir sa famille.

[13]       La Commission n'a jamais demandé à Mme Cabrejos qui s'occupait des tâches ménagères à l'extérieur de la maison.

            (iii)        Cesar représente-t-il toujours une menace?

[14]       La Commission a noté que Mme Cabrejos n'a pas revu Cesar après la violente confrontation qu'ils ont eue en septembre 2002. Sa famille ne l'a pas non plus revu. Ses parents ont bien déclaré qu'ils avaient entendu dire que Cesar était parti pour New York à la recherche de Mme Cabrejos, en novembre 2003, mais la Commission a jugé que cet élément de preuve était hypothétique ou fabriqué. Elle n'a pas expliqué cette conclusion.

[15]       Mme Cabrejos a déclaré qu'elle craignait que Cesar veuille encore l'agresser. Il l'avait déjà suivie chez ses parents et s'était battu avec son père. Elle s'est enfui à New York en ayant très peur parce qu'elle avait entendu dire qu'il pourrait s'y rendre également. Elle ne l'avait quitté que deux ans auparavant et elle pensait qu'il représentait un grave danger pour elle en raison de son caractère irascible et de ses tendances violentes.

            (iv)        Le comportement de Mme Cabrejos était-il incompatible avec l'existence d'une crainte véritable de retourner au Pérou?

[16]       Mme Cabrejos s'est rendue à New York pour fuir Cesar. Elle est demeurée chez des amis de sa famille, lesquels n'avaient pas de statut officiel aux États-Unis. Elle a commencé à fréquenter un collègue du restaurant péruvien où elle travaillait et celui-ci est devenu le père de sa fille Valeria. La Commission a estimé que Mme Cabrejos aurait demandé l'asile aux États-Unis si elle avait vraiment craint de retourner au Pérou.

[17]       Il était certes loisible à la Commission de tirer une inférence défavorable de l'omission de la demanderesse d'essayer d'obtenir l'asile à la première occasion. Il convient toutefois de tenir compte d'autres facteurs pertinents. En l'espèce, la Commission n'a pas tenu compte de tous les aspects de la situation de Mme Cabrejos. Au moment où elle se trouvait aux États-Unis, Mme Cabrejos n'avait aucune raison de craindre Cesar avant d'apprendre qu'il essayait peut-être de la retrouver à New York. De plus, elle vivait dans un environnement sécuritaire, travaillait pour subvenir à ses besoins, entretenait une nouvelle relation et s'occupait de son bébé, qui est citoyenne américaine. Ces facteurs, pris dans leur ensemble, pourraient fort bien donner à penser que Mme Cabrejos n'avait pas un besoin urgent d'officialiser son statut aux États-Unis.

[18]       J'estime, en examinant l'ensemble des expériences et des besoins de Mme Cabrejos, tels qu'ils ressortent du dossier, que la conclusion de la Commission selon laquelle elle ne craignait pas vraiment Cesar ou n'avait pas de bonnes raisons de le faire n'est pas étayée. Dans les circonstances, il aurait été souhaitable que la Commission examine les Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe établies par le président de la Commission. Ces directives offrent des conseils utiles aux membres de la Commission qui examinent les demandes présentées par des femmes qui se trouvent dans des situations comparables à celle dans laquelle se trouvait Mme Cabrejos.

B.    La Commission a-t-elle omis de tenir compte de l'intérêt supérieur de Valeria?

[19]       La Commission a estimé que Valeria aurait droit à la protection de l'État aux États-Unis. Elle n'a pas précisé davantage quel était son intérêt supérieur parce que cette question ne relevait pas de sa compétence.

[20]       J'estime que la Commission a eu raison sur ce point. L'intérêt de Valeria sera évalué, en cas de besoin, par d'autres instances. La Commission a pour rôle d'examiner les demandes d'asile, et non pas toutes les questions que peut soulever le droit d'un demandeur de demeurer au Canada : Alshynetsky c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1322; [2004] A.C.F. no 1621 (C.F.) (QL). La Commission ne disposait d'aucun élément donnant à penser que Valeria avait quelque raison de craindre de retourner aux États-Unis.

[21]       Je ferai droit à la présente demande de contrôle judiciaire. Les parties n'ont pas proposé que soit certifiée une question de portée générale et aucune question ne sera formulée.

JUGEMENT

LA COUR PRONONCE LE JUGEMENT SUIVANT :

                        1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

                        2.          Aucune question de portée générale n'est formulée.

« James W. O'Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-8967-04

INTITULÉ :                                                    YOVANA GENARA GIL CABREJOS et al.

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 17 AOÛT 2005

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                           LE JUGE O'REILLY

DATE DES MOTIFS :                                   LE 24 AOÛT 2005

COMPARUTIONS :

Paulina Wyrzykowski/

Patricia Wells

Toronto (Ontario)                                              POUR LES DEMANDERESSES

Mielka Visnic

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Patricia Wells

Toronto (Ontario)                                              POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DÉFENDEUR

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