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     Date : 1997.11.25

     T-1058-96

OTTAWA (Ontario), le mardi 25 novembre 1997

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE B. REED

E n t r e :

     DELBERT WAPASS, ELDON OKANEE, JERRY OKANEE,

     JAMES SNAKESKIN et DWAYNE NOON,

     requérants,

     et

     CONSEIL DE LA BANDE DE THUNDERCHILD, WINSTON WEEKUSK PÈRE,

     JOSEPH JIMMY PÈRE, CHARLES PADDY PÈRE,

     GORDON THUNDERCHILD et MARIA LINKLATER,

     intimés.

     ORDONNANCE

     LA COUR, STATUANT SUR la présente demande en date du 7 mai 1996 qui a été entendue le jeudi 13 novembre 1997 à Winnipeg, au Manitoba;


     VU pour les motifs de l'ordonnance prononcés ce jour :

     REJETTE la demande.         

     B. Reed

                                         Juge

Traduction certifiée conforme     

                                     François Blais, LL.L.

     Date : 1997.11.25

     T-1058-96

E n t r e :

     DELBERT WAPASS, ELDON OKANEE, JERRY OKANEE,

     JAMES SNAKESKIN et DWAYNE NOON,

     requérants,

     et

     CONSEIL DE LA BANDE DE THUNDERCHILD, WINSTON WEEKUSK PÈRE,

     JOSEPH JIMMY PÈRE, CHARLES PADDY PÈRE,

     GORDON THUNDERCHILD et MARIA LINKLATER,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]      La Cour est saisie d'une demande par laquelle les requérants concluent au prononcé d'une ordonnance de la nature d'un bref de quo warranto déclarant que les charges occupées par les conseillers de la bande Joseph Jimmy père, Charles Paddy père et Maria Linklater et par le chef de la bande Winston Weekusk père sont vacantes. Ils concluent également au prononcé d'un jugement déclarant que la Thunderchild Band Election Act (l'Election Act) est la loi applicable qui régit les questions visées, et ordonnant la tenue d'une élection complémentaire en conformité avec la loi en question pour remplir ces vacances.

[2]      L'Election Act emploie deux termes pour désigner les conseillers : " headmen/councillors " (" représentants/conseillers "). Par souci de commodité, j'emploierai le second. L'un des intimés, Gordon Thunderchild, est maintenant décédé. La demande ne concerne donc que la charge des quatre intimés susmentionnés.

Genèse de l'instance

[3]      Les quatre intimés ont été élus le 8 décembre 1994. Les cinq requérants sont tous des candidats qui n'ont pas été élus lors de cette élection. Plusieurs membres de la bande ont interjeté appel des résultats du scrutin. Cet appel a été interjeté devant une commission d'appel choisie en vertu de l'alinéa 7g) de l'Election Act et du Thunderchild Band Election Regulations. Le 17 mars 1995, la commission a rejeté l'appel et a déclaré que les résultats du scrutin étaient valides.

[4]      L'adoption de l'Election Act par la bande ne remonte qu'à octobre 1994. Les questions soulevées par la présente demande s'expliquent par la nouveauté de cette loi. Il y a lieu de s'attendre à ce que la nécessité d'améliorer le texte de celle loi se manifeste avec le temps et à l'usage.

[5]      En juillet 1995, le chef et les conseillers qui avaient été élus le 8 décembre 1994 n'avaient pas encore convoqué d'assemblée des membres de la bande. Plusieurs membres de la bande ont écrit au chef et au conseil pour leur demander de convoquer une assemblée de la bande. Ils réclamaient la convocation de cette assemblée pour donner au chef et aux conseillers l'occasion d'informer les membres de la bande des questions d'actualité et pour s'assurer que le chef et les conseillers rendent compte de leurs actions devant les membres en question. Ils ont demandé que la réunion soit convoquée avant le 11 août 1995. Aucune suite n'a été donnée à cette demande.

[6]      En septembre, un des problèmes les plus urgents devant lequel se trouvait la bande était celui de la baisse du nombre d'inscriptions à l'école communautaire de Thunderchild. Une réunion des membres de la bande a été convoquée pour le 28 septembre 1995. Lors de cette réunion, une motion a été adoptée. Cette motion déclarait que l'on devait entreprendre l'examen du leadership du chef lors de la prochaine assemblée de la bande.

[7]      En plus de préciser la procédure à suivre lors des élections, l'Election Act établit un code de déontologie à l'intention des représentants élus, précise la durée de leur mandat et indique la procédure à suivre pour les destituer. Aux termes de cette loi, le chef et les conseillers doivent, après leur élection, constituer un tribunal disciplinaire (ci-après appelé " tribunal des anciens " ou " tribunal ") après leur élection. Les membres de ce tribunal sont nommés pour deux ans et ils entendent les plaintes portées au sujet des agissements du chef et des conseillers.

[8]      Les articles 10 et 11 de l'Election Act disposent :

     [TRADUCTION]         
     NORMES DE DÉONTOLOGIE RÉGISSANT LE CHEF ET LES CONSEILLERS         
     10.      Le chef et les conseillers élus sont, en tant que dépositaires des obligations sacrées qui leur sont confiées par le Créateur et en tant que représentants élus de tous les membres de la bande de Thunderchild, tenus de :         
         a)      rendre effectifs, appliquer, faire valoir et protéger nos droits, notamment nos droits issus de traités, nos droits territoriaux et nos droits sur les ressources;         
         b)      faire respecter la déclaration contenue dans la préambule de la présente loi (partie I);         
         c)      exercer un leadership fort et crédible que la majorité des membres de la bande respecteront et appuieront;         
         d)      communiquer avec les membres de la bande de Thunderchild, les consulter et écouter leurs préoccupations relativement aux questions ayant une incidence sur les intérêts collectifs ou individuels des membres de la bande;         
         e)      faire preuve d'équité, d'honnêteté, de courage, d'honneur, de respect, de justice et pratiquer ces vertus et avoir une conduite acceptable en tout temps;         
         f)      encourager l'honnêteté et contribuer à l'élimination des rumeurs, de la duperie, de la déformation des faits et des conflits pendant qu'ils occupent leur charge;         
         g)      améliorer et sauvegarder les lois qui relèvent de la compétence de la bande de la nation crie de Thunderchild.         
     DESTITUTION         
     11.      Une fois qu'ils sont dûment élus par les membres de la bande, le chef et les conseillers répondent de leurs décisions politiques et financières devant tous les membres de la bande de Thunderchild et peuvent être destitués dans l'un ou l'autre des cas suivants :         
         i)      ils ne respectent pas les normes de déontologie énumérées aux alinéas 10a) à 10g) de la présente loi;         
         ii)      ils sont absents de deux (2) assemblées consécutives de la bande ou réunions régulièrement convoquées du conseil sans raison valable;         
         iii)      ils attirent le mépris ou le déshonneur sur eux-mêmes, leur charge ou d'autres membres de la bande par des agissements qui ne siéent pas à un chef ou à un conseiller;         
         iv)      ils sont reconnus coupables d'une infraction grave;         
         v)      ils commettent des actes frauduleux ou criminels et en sont reconnus coupables;         
         vi)      ils sèment la discorde parmi les autres représentants élus ou membres de la bande par des calomnies, de la duperie ou des renseignements erronés.         
         vii)      ils n'exercent pas les attributions de leur portefeuille.         

[9]      Le 27 octobre 1995, une note de service signée par le requérant Jerry Okanee au nom de plusieurs membres concernés de la bande a été soumise au tribunal des anciens. On y réclamait un réexamen du leadership du chef. On y mentionnait la motion qui avait été adoptée lors de l'assemblée du 28 septembre 1995 de la bande. On y alléguait que le chef et les conseillers n'avaient pas encore convoqué de réunion des membres de la bande et que le chef avait un problème d'alcool. On alléguait, à titre d'exemple, qu'il s'était présenté en état d'ébriété à 11 h 30 à l'assemblée du 28 septembre et qu'il n'était resté que peu de temps. Un autre conseiller agissait comme président et a continué à présider l'assemblée. Le chef aurait dit qu'il n'avait pas d'heures de bureau régulières. On déclarait également dans la note de service que, par ses retards, ses absences et son défaut de s'occuper des affaires de la bande, le chef donnait le mauvais exemple aux employés de la bande et que sa consommation d'alcool et son éthique du travail médiocre constituaient un mauvais exemple pour les enfants de la bande.

[10]      Le 14 décembre 1995, une assemblée des membres de la bande a eu lieu. Au début de cette réunion, le chef a annoncé qu'il démissionnerait à la fin de mars 1996. Il a également annoncé qu'il tiendrait des réunions ordinaires de la bande à la fin de chaque mois. Un autre membre de la bande, Albert Angus, a été choisi pour présider la réunion du jour.

[11]      Le 19 décembre 1995, une lettre a été envoyée à tous les membres de la bande. Cette lettre, qui portait la signature du chef de la bande, informait notamment les membres que toute modification proposée à l'Election Act serait examinée lors de la réunion de la bande qui devait avoir lieu le 31 janvier 1996 :

     [TRADUCTION]         
     [...] toute proposition de modification à l'Election Act doit être soumise par écrit au chef et aux conseillers au plus tard le 24 janvier 1996, à minuit.         
         Toutes les propositions écrites seront présentées et feront l'objet d'un vote lors de l'assemblée générale prévue pour le mercredi 31 janvier 1996, à 10 h.         

[12]      Les 23 et 24 janvier 1996, le chef et les conseillers ont reçu des lettres provenant de deux des trois membres du tribunal des anciens. Le troisième membre du tribunal aurait exprimé verbalement le même avis que celui qui est formulé dans les lettres en question. Les auteurs de ces lettres se disaient d'avis que le chef devait terminer son mandat de quatre ans. Ils n'ont pas examiné le fond des allégations articulées dans la note de service du 27 octobre 1995, c'est-à-dire la question de savoir si le chef avait observé le code de déontologie que la bande avait établi à l'intention de ses dirigeants. L'interprétation des deux lettres sera discutée plus loin dans les présents motifs.

[13]      Lors de l'assemblée de la bande tenue le 31 janvier 1996, une motion a été adoptée pour désigner Delbert Wapass comme président de la réunion de ce jour-là. Une motion a ensuite été adoptée pour ajouter la question de l'examen du leadership du chef à l'ordre du jour. Les membres ont ensuite présenté et adopté une motion recommandant [TRADUCTION] " que le chef Winston Weekusk soit destitué immédiatement de sa charge de chef ". Le procès-verbal montre que 19 personnes ont voté en faveur de cette résolution et que 10 se sont prononcées contre; il y a eu une abstention. Lors de la même réunion, l'assemblée a également adopté une motion suivant laquelle les personnes âgées de plus de soixante-cinq ans ne seraient pas éligibles au poste de chef ou de conseiller et ne pourraient pas occuper cette charge. Il y a des divergences au sujet de la teneur de cette résolution. Nous y reviendrons plus loin.

[14]      Depuis le 31 janvier 1996, aucune réunion des membres de la bande n'a eu lieu et le chef n'a pas démissionné. Les conseillers nommément désignés comme défendeurs occupent toujours leur charge. Les requérants ont par conséquent introduit la présente instance.

Questions en litige

[15]      Les questions litigieuses soulevées par la présente instance sont au nombre de trois. La première est celle de savoir si le chef a cessé d'occuper sa charge, soit parce qu'il a remis sa démission le 14 décembre 1995, soit parce qu'il a été destitué de ses fonctions le 31 janvier 1996. La deuxième est celle de savoir si les conseillers qui sont âgés de plus de soixante-cinq ans, c'est-à-dire Joseph Jimmy père et Charles Paddy père, ont cessé d'occuper leur charge le 31 janvier 1996 en raison de la motion qui a été adoptée, à cette date, et par laquelle a été fixé un âge maximal pour l'éligibilité aux charges de chef et de conseiller. La troisième question ne découle pas des faits à l'origine du litige qui ont déjà été relatés. Elle porte sur la question de savoir si la conseillère Maria Linklater a cessé d'occuper sa charge parce qu'elle ne respecte pas les conditions de résidence prescrites par l'Election Act.

Démission ou destitution du chef

[16]      J'examinerai d'abord l'argument que la déclaration que le chef a faite le 14 décembre 1995 constituait une démission qui devait prendre effet le 31 mars 1996. L'avocat des requérants affirme que cette déclaration doit être examinée en tenant compte du contexte dans lequel elle a été faite. Le chef faisait l'objet de critiques en raison de ce qu'on estimait être sa conduite répréhensible. Il a décidé de réagir à ces critiques en annonçant sa démission. L'avocat fait valoir que ce geste a été perçu par les gens qui le critiquaient comme une décision ferme et ils ont modifié leur position en conséquence. L'avocat ajoute que la déclaration devrait être interprété comme une démission annoncée le 14 décembre 1995 qui devait prendre effet le 31 mars 1996.

[17]      L'Election Act ne renferme aucune disposition qui précise la procédure à suivre lorsqu'un chef ou un conseiller décide de démissionner. Suivant la preuve par affidavit, la coutume des membres de la bande, en pareil cas, consiste pour l'intéressé (le chef ou le conseiller) à offrir par écrit sa démission au conseil, qui décide ensuite d'accepter ou de refuser cette démission. Aucune offre écrite de résignation de ce genre n'aurait été faite par le chef et aucune démission valable n'aurait donc été donnée.

[18]      De plus, l'avocat des intimés fait remarquer que, si ceux qui cherchent à forcer le chef à démissionner avaient réellement cru que la déclaration que le chef a faite le 14 décembre 1995 constituait une démission, les démarches qu'ils ont par la suite entreprises le 31 janvier 1996 pour le destituer sont inexplicables. Dans sa lettre qui a été lue lors de la réunion du 31 janvier 1996, Jerry Okanee affirme que le chef devrait signer une lettre de démission et que, s'il refuse de la faire, il devrait être destitué de sa charge par un vote tenu à cette réunion. Cette affirmation s'accorde avec l'opinion que le chef n'avait pas démissionné à cette date. Elle s'accorde aussi avec les éléments de preuve suivant lesquels la coutume et l'usage voulaient que le chef et les conseillers remettent leur démission par écrit.

[19]      Je conclus que la déclaration que le chef a faite le 14 décembre 1995 constituait une déclaration de son intention de démissionner et qu'il n'y a pas donné suite. Ce n'était pas une démission.

[20]      Je passe maintenant à la motion qui a été adoptée le 31 janvier 1996 et qui était censée destituer le chef. Cette motion doit être examinée à la lumière des dispositions de l'Election Act. L'article 12 de l'Election Act dispose :

     [TRADUCTION]         
     12.      Un tribunal disciplinaire est constitué selon les règles suivantes :         
     i)      Le chef et les conseillers nomment trois anciens pour un mandat de deux (2) ans. Ces anciens forment le tribunal des anciens, à qui est conféré le pouvoir de recevoir la demande écrite de destitution d'un représentant élu.         
     ii)      Des particuliers ou des groupes peuvent soumettre au tribunal des anciens leurs allégations écrites fondées sur une présumée contravention à l'article 11 de la présente loi.         
     iii)      En cas de contravention à l'article 11 de la présente loi, le tribunal des anciens fait une recommandation au chef et aux conseillers.         
     iv)      Le chef et les conseillers convoquent ensuite une assemblée des membres de la bande de Thunderchild pour que les recommandations faites par le tribunal des anciens soient examinées dans les deux (2) semaines suivantes.         
     v)      Les membres de la bande présents à l'assemblée décident à la majorité des voix la question de savoir s'il existe ou non une raison valable de destituer un représentant élu.         

     (Non souligné dans l'original.)

[21]      Il est évident que l'objectif visé était de prévoir la procédure à suivre pour destituer le chef ou un conseiller. Cette procédure comportait les étapes suivantes : (1) présentation au tribunal des anciens d'allégations écrites énonçant avec précision les agissements reprochés et les dispositions précises du code de déontologie contenu à l'article 11 qui n'auraient pas été respectées; (2) décision sur le bien-fondé de ces allégations, c'est-à-dire sur la question de savoir si les faits articulés sont vrais, si les faits avérés correspondent aux agissements prohibés énoncés à l'article 11; (3) si le résultat des conclusions tirées est que, par sa conduite, le représentant élu a contrevenu à une des dispositions de l'article 11, des recommandations doivent alors être faites au chef et aux conseillers; (4) une fois qu'une recommandation (des recommandations) a été (ont été) faite(s), le chef et les conseillers sont tenus de convoquer une assemblée des membres de la bande pour qu'ils examinent ces recommandations.

[22]      Les recommandations du tribunal peuvent prendre de nombreuses formes. Ainsi, les anciens peuvent recommander que, même s'il a été démontré qu'il y a eu contravention à l'une des dispositions de l'article 11, cette contravention ne mérite qu'un avertissement de ne plus se livrer à la conduite reprochée. Ils peuvent également recommander que l'intéressé ou l'ensemble des membres du conseil modifient leur comportement ou leurs procédures d'une certaine façon. Ils peuvent recommander que le chef ou l'un ou plusieurs des conseillers démissionnent.

[23]      Il va sans dire que, pour être valable, l'avis qui est envoyé à tous les membres de la bande, comme l'exige l'Election Act, pour les convoquer à une assemblée où seront débattues les recommandations faites par le tribunal des anciens devrait prévoir un certain délai. On devrait y joindre une copie des allégations faites au tribunal des anciens et des recommandations adressées par celui-ci au chef et aux conseillers. L'avis ainsi envoyé à tous les membres de la bande peut servir à réfuter toute allégation subséquente suivant laquelle la réunion pertinente de la bande a été détournée par un petit groupe de membres de la bande dans le but de contrecarrer la volonté de la majorité.

[24]      Lors du scrutin du 8 décembre 1994, 367 personnes ont voté. Le chef Weesuk a recueilli 164 voix. Lors de l'assemblée du 31 janvier 1996, 29 suffrages ont été exprimés; de ce nombre, 19 étaient favorables à la destitution du chef. Même s'il semble que les personnes qui ont voté en faveur de la destitution du chef essayaient de s'assurer que celui-ci leur rende compte de ses actes, la procédure qui a été suivie est susceptible d'être considérée négativement comme une tentative faite par un petit groupe de membres lors d'une réunion où peu de membres étaient présents en vue de forcer un chef élu au suffrage universel à démissionner. Un préavis complet, qui est donné suffisamment longtemps avant la tenue d'une réunion pour être valable, peut dissiper une pareille impression négative.

[25]      Je passe donc aux lettres qui ont été envoyées au chef et aux conseillers par les deux membres du tribunal des anciens. Ainsi qu'il a déjà été souligné, les auteurs de ces lettres affirment simplement que le chef Weekusk devrait continuer à occuper sa charge jusqu'à la fin de son mandat de quatre ans. L'avocat du chef fait valoir qu'il n'a pas été conclu que le chef avait contrevenu à l'article 11 de l'Election Act. Par ailleurs, je constate que les dispositions applicables de l'Election Act exigent uniquement la formulation de recommandations lorsqu'une contravention a été constatée. On peut donc soutenir que la formulation de recommandations implique qu'il y a eu une constatation de contravention.

[26]      Ainsi qu'il a déjà été souligné, il découle implicitement de la procédure prévue à l'article 12 que les membres du tribunal des anciens sont tenus de se prononcer sur l'exactitude des allégations qui sont faites et de déterminer s'il y a eu un comportement inacceptable, au sens de la loi. S'il décide que les allégations sont mal fondées ou que la conduite reprochée est acceptable et qu'elle n'est pas interdite par l'article 11, le tribunal des anciens doit communiquer cette décision, par écrit, aux personnes qui ont soumis les allégations. Lorsqu'il décide qu'il y a eu contravention, le tribunal des anciens fait des recommandations au chef et au conseil.

[27]      Les lettres adressées au chef et aux conseillers qui ont été envoyées en l'espèce semblent reposer sur l'hypothèse que la conduite du chef ne satisfaisait pas aux normes prescrites par l'article 11. Si les allégations d'inconduite étaient mal fondées, je me serais attendue à ce que les anciens le disent. Suivant mon interprétation de l'avis formulé dans les deux lettres et de la seule opinion verbale qui a été exprimée, le tribunal des anciens recommandait que le chef continue à occuper sa charge, malgré le fait qu'il avait contrevenu à l'article 11.

[28]      Ainsi, selon la procédure prescrite par l'article 12, le chef et les conseillers devaient convoquer une assemblée dans les deux semaines de la date des recommandations en question pour que les membres de la bande puissent débattre la question de savoir si le chef devait ou non continuer à occuper sa charge. Une réunion a bel et bien eu lieu avant l'expiration de ce délai de deux semaines, mais elle n'a pas été convoquée dans le but d'examiner les recommandations formulées par le tribunal des anciens. La réunion avait été fixée avant la réception des lettres du 23 et du 24 janvier. Mais, ce qui est encore plus important, c'est que les membres de la bande n'ont pas tous été avisés que le leadership du chef serait examiné lors de cette réunion. La procédure prescrite à l'article 12 prévoit qu'un préavis suffisant doit être envoyé à tous les membres de la bande et que tous les renseignements pertinents doivent leur être communiqués pour qu'ils puissent prendre une décision éclairée.

Condition relative à l'âge maximal

[29]      Je passe maintenant à l'examen de l'argument suivant lequel la charge de Joseph Jimmy père et de Charles Paddy père est vacante en raison de la motion adoptée le 31 janvier 1996. Cette motion se rapporte à une modification apportée à l'Election Act en vue d'y insérer une condition fixant à soixante-cinq ans l'âge maximal des conseillers.

[30]      Ainsi qu'il a déjà été souligné, les parties sont en désaccord au sujet de cette requête, tant en ce qui concerne les faits que le droit. Leur différend factuel porte sur la teneur de la motion qui a été adoptée lors de la réunion de la bande. Leur différend juridique concerne la procédure qui a été suivie.

[31]      Pour ce qui est du différend factuel, voici un extrait du procès-verbal tapé à la machine de l'assemblée du 31 janvier 1996 :

     [TRADUCTION]         
     MOTION No 14 PRÉSENTÉE PAR FRED THUNDERCHILD AVEC L'APPUI DE DWAYNE NOON         
     - Que, d'ici 30 jours, tout membre de la bande qui a 65 ans ou plus démissionne de sa charge de chef ou de représentant/conseiller. Adoptée à l'unanimité.         

     (Non souligné dans l'original.)

Voici un autre extrait du même procès-verbal :

     [TRADUCTION]         
     MOTION No 14 PRÉSENTÉE PAR FRED THUNDERCHILD AVEC L'APPUI DE DWAYNE NOON         
     - Que la partie II de la lettre (ci-jointe) de Fred Thunderchild soit adoptée [sous forme de motion?] et que son libellé et sa transcription soient dûment corrigés. Adoptée à l'unanimité.         

     (Non souligné dans l'original.)

La partie de la lettre à laquelle la note manuscrite renvoie porte uniquement que toute personne âgée de plus de 65 ans ne peut se porter candidate à une charge.

[32]      Après avoir fait état de la motion qui a été proposée et de son adoption, les notes manuscrites prises lors de la réunion contiennent la déclaration que tout membre de la bande qui est âgé de plus de 65 ans devrait démissionner de sa charge de chef ou de conseiller dans les 30 jours suivants. Suivant la preuve par affidavit, après que la motion dont il est question dans les notes manuscrites eut été adoptée, un débat a suivi et s'est soldé par l'expression de l'avis que les membres du conseil qui étaient âgés de plus de 65 ans devaient démissionner. Aucune motion réclamant la démission de ces personnes n'a jamais été présentée.

[33]      Je conclus que la motion qui a été adoptée ne concernait que les élections à venir et l'éligibilité de ces personnes. Elle ne portait pas sur l'habilité des personnes de plus de 65 ans à continuer à occuper leur charge. Cette conclusion s'accorde avec le principe général que, sauf disposition expresse contraire, la loi ne dispose que pour l'avenir.

[34]      La procédure qui a été suivie pour modifier la loi au sujet de l'âge maximal soulève également des questions. La motion qui a été adoptée le 31 janvier 1996 participait davantage de la nature d'une intention de modifier la loi, ou d'une proposition en vue de modifier la loi, que d'une modification en soi. Il semble évident, à la lecture de la loi, que le législateur voulait que toute modification à ce texte fondamental, qui concernait le gouvernement d'une bande, s'opère par l'adoption du texte précis de la nouvelle disposition qui devait être insérée dans l'Election Act. Si cette formalité n'est pas suivie, la question de la teneur que ce texte devrait avoir risque de toujours se poser. L'adoption d'un texte précis est la procédure qui a été suivie lorsque l'Election Act a elle-même été adoptée. C'est également la procédure qui a été suivie le 31 janvier 1996 relativement à l'adoption des modifications au code d'adhésion à l'effectif de la bande. L'article 13 de l'Election Act porte que c'est la modification elle-même qui doit être débattue lors de l'assemblée de la bande qui a été convoquée à cette fin. Il s'ensuit, selon moi, que le texte de la modification proposée devrait être présenté lors de cette réunion.

[35]      L'article 13 de l'Election Act porte :

     [TRADUCTION]         
     MODIFICATIONS         
     13.      Des modifications peuvent être apportées à la présente loi sur résolution présentée au moyen d'une motion émanant d'un membre de la bande de Thunderchild et adoptée à la majorité des voix des membres présents après trois lectures des modifications lors d'une assemblée de la bande convoquée à cette fin par le chef et les conseillers.         

     (Non souligné dans l'original.)

[36]      L'article 13 prévoit l'envoi d'un avis préalable et la transmission d'une copie du texte effectif dont l'adoption est proposée. Or, cette procédure n'a pas été suivie en l'espèce. Je conclus que la motion n'a pas eu pour effet de modifier l'Election Act, étant donné qu'elle n'a pas été adoptée en conformité avec les exigences de l'article 13.

[37]      Une autre question litigieuse est celle de savoir si la condition contenue à l'article 13, qui exige que la modification proposée fasse l'objet de trois lectures, signifie que la modification proposée doit faire l'objet de trois lectures et de trois votes distincts, ou s'il suffit qu'elle soit lue trois fois. On ne m'a cité aucun débat documenté ou aucune disposition comparable qui aurait été adoptée par d'autres bandes et qui aurait fait l'objet d'une interprétation. Le seul parallèle que l'on peut faire se trouve dans les organes législatifs en général. Ainsi, tant devant le Sénat que devant la Chambre des communes, les projets de loi font l'objet de trois lectures et de trois votes avant d'être adoptées, habituellement, mais pas toujours, à trois dates différentes. Je répète que cette condition vise à s'assurer que ce qui est proposé est bien connu, que la possibilité d'y réfléchir soit donnée et que l'occasion d'en débattre le bien-fondé soit accordée avant qu'une décision ne soit finalement prise.

[38]      Je conclus que l'article 13 signifie que la modification doit être lue et faire l'objet d'un vote à trois reprises. Il ressort de cet article que ces formalités peuvent être accomplies lors d'une seule assemblée de la bande et qu'il n'est pas nécessaire qu'elles aient lieu à trois dates différentes. Il est évidemment loisible aux membres de la bande de décider qu'en pratique, ils désirent adopter une procédure prévoyant que la lecture des modifications proposées et le vote sur celles-ci auront lieu à trois dates distinctes avant l'adoption des modifications en question.

[39]      Je conclus donc que la charge de Joseph Jimmy père et de Charles Paddy père n'est pas vacante et qu'aucune modification à l'Election Act qui prévoirait un âge maximal pour le chef et les conseillers n'a encore été faite.

Condition relative à l'âge

[40]      À la suite de l'adoption qui a été apportée à l'Election Act le 17 novembre 1994, l'alinéa 3i) a été inséré dans cette loi. Cet alinéa exige que les conseillers deviennent des résidents de la réserve dans les 30 jours de leur élection. Cette disposition avait été omise par inadvertance lors de l'adoption de la loi, en octobre 1994.

[41]      Les dispositions pertinentes de la loi sont ainsi libellées :

     [TRADUCTION]         
     3.b)      Indépendamment de son lieu de résidence ou de son domicile, tout électeur admissible de la bande de Thunderchild qui satisfait aux conditions acceptables relatives à l'âge a le droit de vote.         

     [...]

     3.e) Indépendamment de son lieu de résidence ou de son domicile, tout électeur admissible de la bande de Thunderchild peut poser sa candidature au poste de chef ou de conseiller.         

     [...]

     3.i) Tout candidat élu à la charge de chef ou de conseiller conformément à la présente loi doit, dans les 30 jours de son élection, établir et maintenir une résidence véritable dans la réserve no 115B ou dans la réserve no 115C de la bande de Thunderchild.         

[42]      Maria Linklater a été élue lors du scrutin du 8 décembre 1994. Elle vivait à Saskatoon avec son mari et six personnes à charge (sa nièce et cinq petits-enfants selon la coutume indienne). Elle a présenté en janvier 1995 une demande en vue d'obtenir une habitation dans la réserve. Aucune n'était disponible. Le 20 mars 1995, elle a écrit au chef et aux conseillers pour leur demander de construire une nouvelle maison afin de pouvoir s'installer dans la réserve avec les membres de sa famille. Cette demande a été refusée. Les deux avocats m'ont expliqué que les habitations sont très rares dans cette réserve, comme dans la plupart des autres réserves.

[43]      L'intimée affirme qu'elle a participé à la grande majorité des assemblées du conseil de bande. Ces réunions ont habituellement lieu le premier et le troisième jeudi de chaque mois. Elle séjourne chaque fois dans la réserve pour une période de trois jours. Elle se rend également dans la réserve pour participer à d'autres activités telles que des ateliers de promotion du mieux-vivre et des cours d'enseignement culturel, qui sont donnés à l'école. Elle demeure chez son père (qui habite une petite maison de trois chambres) lorsqu'elle se trouve dans la réserve. Elle reçoit les mêmes honoraires que les autres conseillers et elle ne réclame pas et ne reçoit pas d'indemnité pour les débours qu'elle engage en raison de ses déplacements et de ses frais de séjour. Elle se dit toujours prête à s'installer dans la réserve avec les membres de sa famille dès qu'une habitation se libérera.

[44]      L'avocat des intimés soutient que la charge de Maria Linklater n'est pas vacante, et qu'elle ne devrait pas être déclarée vacante du fait de son incapacité de remplir la condition de résidence prévue à l'alinéa 3i). Il invoque plusieurs moyens au soutien de sa thèse : (1) la résidence n'est pas un concept exclusif; on peut avoir plus d'une résidence et Maria Linklater réside dans la maison de son père lorsqu'elle est dans la réserve; (2) elle a respecté l'alinéa 3i) dans la mesure où elle pouvait le faire; (3) interpréter dans ces conditions l'alinéa 3i) comme l'obligeant à quitter sa charge conduirait à un résultat absurde; (4) l'alinéa 3i) est de toute façon une disposition indicative, et non une disposition impérative; (5) les requérants ne devraient pas être autorisés à contester le poste qu'elle occupe, étant donné qu'ils ont attendu plus de treize mois après qu'elle eut contrevenu pour la première fois à cette condition avant d'introduire une demande en vue d'obtenir sa destitution; ce retard est excessif.

[45]      Je ne suis pas persuadée qu'il y a suffisamment d'éléments de preuve au dossier pour se prononcer sur le premier moyen. Il existe divers indices de résidence qui sont appliqués dans d'autres contextes et qui pourraient servir à interpréter l'alinéa 3i). L'alinéa 3i) n'exige pas que l'on ait sa résidence principale à l'intérieur de la réserve, bien qu'il semble clair que ce qui était visé, c'était que l'intéressé ait des liens importants avec la réserve. Le but visé par cette exigence est de faire en sorte que le représentant élu puisse participer aux réunions facilement et sans frais et qu'il soient ainsi mis directement et personnellement au courant des questions qui concernent les membres de la bande qui vivent dans la réserve. En tout état de cause, dans le cas qui nous occupe, ainsi qu'il a déjà été souligné, les éléments de preuve qui ont été présentés au sujet de la nature des séjours de Maria Linklater dans la réserve ne permettent pas de trancher cette question. Par exemple, suivant la preuve, elle demeure chez son père, mais la preuve ne précise pas si elle occupe une chambre qui lui est réservée en tout temps, ce qui constitue un des indices habituels de résidence.

[46]      En tout état de cause, pour ce qui est du troisième et du quatrième moyens, je suis persuadée que l'alinéa 3i) doit être interprété comme ayant un caractère indicatif, et non comme ayant un caractère impératif. La loi ne précise pas les conséquences du non-respect de la condition relative à la résidence. Il n'y a pas de disposition déclarant expressément que l'intéressé cesse de ce fait d'occuper sa charge. Il n'existe pas non plus de disposition qui porte sur la situation dans laquelle, sans faute de sa part, un membre élu n'est pas en mesure de respecter cette condition.

[47]      Dans l'arrêt Bande indienne de la rivière Blueberry et autres c. La Reine du chef du Canada, (1996), 130 D.L.R. (4th) 193, [1995] 4 R.C.S. 344, Mme le juge McLachlin était appelée à analyser la question de savoir si le paragraphe 51(3) de la Loi sur les Indiens avait un caractère impératif ou un caractère simplement indicatif ou supplétif. Cette disposition portait qu'une cession " devait " être certifiée. Au sujet de ce qui semblait à première vue être une disposition impérative, le juge McLachlin a déclaré, à la page 211 [aux pages 374 et 375 R.C.S.] :

     Depuis, notre Cour a jugé que l'objet de la loi ainsi que la conséquence d'une décision dans un sens ou dans l'autre sont les considérations les plus importantes pour déterminer si une directive a un caractère impératif ou directif : Colombie-Britannique (Procureur général) c. Canada (Procureur général), [1994] 2 R.C.S. 41 [...] L'objet véritable [du] par. 51(3) [...] de la Loi des Indiens était de faire en sorte que le consentement de la bande à la cession était valide [...] interpréter ces dispositions comme étant impératives entraînerait de graves inconvénients [...] Je suis donc d'accord [...] que le mot " shall " (" doit " ou l'indicatif présent, selon le cas, dans le texte français) utilisé dans les dispositions en cause ne devrait pas être considéré comme ayant un sens impératif.         

[48]      En l'espèce, il ressort du libellé de l'alinéa 3e) que l'un des objets de la Thunderchild Band Election Act est de permettre à tous les membres de la bande, indépendamment de leur lieu de résidence ou de leur domicile, de poser leur candidature et d'être élus au conseil, soit lors d'élections générales, soit lors d'élections complémentaires. En conséquence, si Maria Linklater devait être déclarée inhabile à exercer sa charge en raison de l'alinéa 3i), elle pourrait néanmoins briguer à nouveau les suffrages lors d'une élection complémentaire et être réélue en vertu de l'alinéa 3e), ramenant ainsi la bande à la situation actuelle.

[49]      Mais ce qui est encore plus important, c'est qu'il n'est pas logique d'interpréter la loi en pensant que, lorsqu'ils ont adopté la condition relative à la résidence, les membres de la bande voulaient que des personnes déjà élues perdent leur charge si elles n'étaient pas capables de se loger dans la réserve sans aucune faute de leur part. La disposition doit être interprétée comme ayant un caractère indicatif. Elle devrait être interprétée comme obligeant les personnes en question à tout faire en leur pouvoir pour respecter cette condition et, lorsqu'elles ne peuvent la respecter sans faute de leur part, à prendre les meilleures dispositions de rechange possibles. Or, il semble que c'est ce que Maria Linklater a fait en l'espèce.


Dispositif

[50]      En conséquence, par ces motifs, je conclus que les charges en question ne sont pas vacantes. Je dois donc rejeter la demande à l'examen.

     B. Reed

                                         Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 25 novembre 1997.

Traduction certifiée conforme     

                                     François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-1508-06
INTITULÉ DE LA CAUSE :      DELBERT WAPASS et autres c. CONSEIL DE LA BANDE DE THUNDERCHILD et autres
LIEU DE L'AUDIENCE :          Winnipeg (Manitoba)
DATE DE L'AUDIENCE :      13 novembre 1997

MOTIFS DU JUGEMENT prononcés par le juge Reed le 25 novembre 1997

ONT COMPARU :

     Me Merrilee Rasmussen              pour les requérants
     Me John C. Hill
     Me Dan Maddigan                  pour les intimés

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Wilson Rasmussen                  pour les requérants
     Regina (Saskatchewan)
     Griffin Toews Maddigan              pour les intimés
     Regina (Saskatechewan)
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