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Date : 20040615

Dossier : IMM-2264-03

Référence : 2004 CF 851

ENTRE :

                                              MOHAMED NISSAR LODHI

                                                                                                                              demandeur

et

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a tranché, en date du 10 mars 2003, que Mohamed Nissar Lodhi (le demandeur) n'était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Le demandeur prie la Cour de prononcer une ordonnance annulant cette décision et forçant le renvoi de l'affaire à la Commission pour qu'un tribunal différemment constitué procède à un nouvel examen.


[2]                Le demandeur est un citoyen de la Tanzanie âgé de 45 ans. Il est arrivé au Canada le 4 novembre 2001 et a demandé l'asile le 19 avril 2002. L'audition a eu lieu le 10 février 2003 et, le 10 mars 2003, la Commission a conclu que le demandeur n'avait qualité ni de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger.

[3]                Le demandeur prétend craindre avec raison d'être persécuté et avoir qualité de personne à protéger du fait de ses opinions politiques et de son appartenance au Front civique uni (le Front), ainsi que de son état de santé car il est porteur du VIH.

[4]                Le demandeur dit être devenu membre du Front en 1999 et avoir assisté à des réunions, recruté des membres et fait campagne pour le parti aux élections de 2000. Du fait de ses activités au sein du Front, il prétend avoir été pris pour cible par les autorités tanzaniennes puis avoir été arrêté le 20 octobre 2000 et détenu pendant trois jours. Il dit que sa carte d'électeur lui a été enlevée, qu'il a été privé de sommeil et de nourriture et qu'on lui a conseillé de ne pas s'approcher des bureaux de vote. Il prétend que, pendant qu'il a été détenu, son père et son frère ont été victimes de harcèlement et d'intimidation.


[5]                Le 14 juillet 2001, le demandeur aurait été arrêté après avoir offusqué les représentants du gouvernement en les accusant de corruption. De plus, le demandeur prétend avoir été détenu pendant une semaine au cours de laquelle il a été battu, privé de sommeil, menacé et giflé. Il dit également avoir été privé de médicaments et de traitements contre la malaria qu'il a contractée alors qu'il était détenu. Au dire du demandeur, avant d'être libéré, on l'aurait menacé sérieusement et prévenu qu'il pourrait perdre la citoyenneté tanzanienne.

[6]                En août 2001, il a demandé un visa canadien de visiteur. Il a continué d'occuper un poste de directeur au sein de la société Arkadia Mining Broker jusqu'en octobre 2001, alors qu'il a appris de son frère qu'il avait obtenu son visa. À la fin d'octobre 2001, il est retourné à Dar es Salaam et a fait le nécessaire pour s'enfuir au Canada.

[7]                Il est arrivé au Canada le 4 novembre 2001 et a demandé l'asile le 19 avril 2002. Ce n'est qu'après avoir présenté, le 21 mai 2002, son formulaire de renseignements personnels (FRP) que le demandeur a appris qu'il était porteur du VIH.

[8]                Le demandeur soutient que son état de santé a exacerbé sa crainte d'être persécuté, puisque les personnes séropositives pour le VIH sont rejetées par leurs amis et leur famille, font l'objet de discrimination dans tous les aspects de leur vie et ne peuvent obtenir des soins de santé de qualité.


[9]                La preuve produite à l'audience par le demandeur à l'appui de sa revendication comprenait son FRP initial, la version modifiée de son exposé des faits contenu dans le FRP et son témoignage. De plus, il a présenté à la Commission des documents portant sur la situation qui règne en Tanzanie.

[10]            La Commission a jugé que les questions déterminantes eu égard aux revendications du demandeur concernaient sa crédibilité, son identité, la discrimination par rapport à la persécution et le fondement objectif de sa crainte d'être persécuté.

Crainte subjective - crédibilité

[11]            La Commission a conclu que le demandeur n'était ni crédible ni digne de foi. Le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à sa crédibilité en dénaturant ou interprétant de façon erronée les éléments de preuve qui lui ont été présentés, en n'appréciant pas la preuve convenablement et en faisant abstraction de certains aspects de la preuve dont elle disposait.

[12]            Dans ses motifs, la Commission a soulevé un certain nombre de préoccupations en ce qui concerne la crédibilité du demandeur et elle a conclu que, suivant la prépondérance des probabilités, il n'était pas membre du Front et qu'il n'avait pas été pris à partie ni détenu en raison de sa participation aux activités du Front.


[13]            Premièrement, la Commission a souligné que le demandeur s'est contredit en ce qui concerne le moment où il a joint les rangs du Front et qu'il n'était pas au courant des activités de ce parti. Deuxièmement, la Commission a tiré une conclusion défavorable quant à la crainte du demandeur d'être persécuté compte tenu de la longueur du délai entre le moment ou il est arrivé au Canada et le moment où il a demandé l'asile. La Commission a estimé que les explications du demandeur à ce sujet étaient déraisonnables. Troisièmement, la Commission a estimé qu'il était peu plausible qu'une personne vraiment prise à partie par les autorités risque sa vie en continuant à travailler au même endroit pendant presque trois mois avant de s'enfuir du pays. De plus, la Commission n'était pas convaincue que le demandeur avait présenté une preuve cohérente concernant son emploi et le fait qu'il ait pu travailler après qu'il eut été prétendument détenu en juillet 2000.

[14]            Le défendeur soutient qu'il était raisonnablement loisible à la Commission de tirer de telles conclusions concernant la crédibilité et la vraisemblance des allégations du demandeur compte tenu des éléments de preuve au dossier et que la Cour devrait être réticente à modifier les conclusions de la Commission quant à la crédibilité du demandeur, lesquelles constituent l'essentiel de son pouvoir discrétionnaire en tant que juge des faits.


[15]            Le défendeur soulève quatre points particuliers qui, selon la Commission, ont eu une incidence défavorable sur la crédibilité du demandeur :

(1) Le demandeur s'est contredit en ce qui concerne le moment où il a joint les rangs du Front.

(2) Le témoignage du demandeur concernant les accords de paix signés par le Front ne concordait pas avec la preuve documentaire, ce qui révélait un manque de connaissance des activités du Front.

(3) Le demandeur a attendu cinq mois après son arrivée au Canada pour demander l'asile.

(4) Le demandeur a présenté une preuve incohérente concernant son emploi et le fait qu'il ait réussi à travailler pour la même société minière pendant trois mois alors que les autorités l'avait pris à partie.

[16]            Je suis d'accord avec le défendeur pour dire que rien ne permet à la Cour de modifier la conclusion défavorable que la Commission a tirée quant à la crédibilité du demandeur.

[17]            Premièrement, le demandeur a admis avoir présenté une preuve incohérente quant à la date à laquelle il est devenu membre du Front.


[18]            Deuxièmement, à mon avis, il était loisible à la Commission de conclure que le témoignage du demandeur relativement aux accords de paix entre le Front et le Chama Cha Mapinduzi (CCM), parti au pouvoir, ne concordait pas avec la preuve documentaire et révélait qu'il n'était pas au courant des activités du Front. Bien que le demandeur soutienne qu'il faisait référence à un accord de paix de 1999 et non à celui d'octobre 2001 intervenu entre le Front et le CCM, il a bel et bien déclaré dans son témoignage qu'aucun accord de paix n'avait été signé avant ou depuis par les deux parties. Les documents dont la Commission disposait faisaient référence à l'accord d'octobre 2001. L'avocat du demandeur, sans mentionner de date dans ses questions, a fait référence à la situation courante en Tanzanie, ce qui laissait entendre que l'accord de paix de 2001 était le sujet de la discussion. À mon avis, la Commission n'a pas agi de manière manifestement déraisonnable en adoptant le point de vue qu'elle a adopté, compte tenu de la preuve et du témoignage présentés.

[19]            J'estime également que l'argument voulant que la Commission ait injustement caractérisé la preuve suivant laquelle l'accord de paix actuellement en vigueur avait été signé grâce à l' « intervention » de la communauté internationale est sans fondement. Il n'appartient pas à la Cour, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, d'examiner en détails le langage particulier employé par la Commission ou sa manière de reformuler un témoignage. Il est, à mon sens, évident que la Commission a saisi l'essence de la preuve du demandeur et qu'elle n'a pas commis d'erreur à cet égard.


[20]            Troisièmement, je ne suis pas d'accord avec le demandeur pour dire que la Commission a commis une erreur capitale en ne faisant pas état de la preuve suivant laquelle la maladie l'avait empêché de présenter sa demande d'asile plus tôt. La Commission avait le droit de rejeter les explications du demandeur relativement au délai de cinq mois qui s'est écoulé entre son arrivée au Canada et le dépôt de sa demande d'asile parce qu'elle les jugeait déraisonnables et incompatibles avec une crainte subjective de persécution. D'après ce que je comprends de la décision de la Commission, sa conclusion était que si le demandeur s'était vraiment enfui de la Tanzanie en raison d'une crainte subjective d'être persécuté, il n'y aurait simplement pas eu le laps de temps observé en l'espèce. Adopter la position que le demandeur fait valoir relativement à cette question reviendrait à scruter à la loupe le raisonnement de la Commission. La Commission est présumée avoir considéré toute la preuve dont elle disposait, y compris les déclarations du demandeur concernant sa maladie. À mon avis, cette présomption n'a pas été réfutée dans les circonstances de l'espèce.


[21]            Quatrièmement, rien ne permet à la Cour d'intervenir en ce qui a trait aux conclusions défavorables quant à la vraisemblance et la crédibilité tirées par la Commission au sujet de l'emploi du demandeur et du fait qu'il ait été en mesure de travailler d'août à octobre 2001. Dans les notes prises au point d'entrée, il est précisé que le demandeur était un mécanicien d'automobile, ce qui contredisait l'autre preuve présentée à la Commission. La première version de l'exposé des faits contenu dans le FRP déposé par le demandeur était incomplète. Même si je n'étais pas peut-être parvenu aux mêmes conclusions si j'avais été l'auteur de la décision, j'estime que les conclusions de la Commission sont raisonnablement corroborées par la preuve. De plus, ces questions n'étaient pas au centre des conclusions ou du raisonnement de la Commission.

Fondement objectif de la revendication du demandeur

[22]            Le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en concluant que la situation avait beaucoup changé pour les membres du Front et que ces derniers n'avaient plus de raison objective de craindre d'être persécutés. Après avoir fait état de certains documents qui laissaient entendre que les membres du Front étaient mieux traités en Tanzanie, la Commission a déclaré ce qui suit :

[¼] parmi les éléments de preuve dont j'ai été saisi, rien ne montre que les partisans du CUF ou les membres de leur famille soient actuellement pris à partie en raison de leurs opinions politiques. Compte tenu de ce qui précède, le tribunal estime que les changements survenus dans le pays sont suffisamment significatifs pour l'amener à conclure que la crainte du demandeur d'être persécuté n'a pas de fondement objectif.


[23]            Le demandeur soutient que, même si la situation a un peu changé en Tanzanie, la police est encore corrompue et le gouvernement est toujours d'avis qu'il appartient à celle-ci de décider si une manifestation politique doit être autorisée. Essentiellement, le demandeur prie la Cour de reconsidérer la preuve concernant le changement survenu dans le pays et de tirer une conclusion différente de celle tirée par la Commission. Encore une fois, le demandeur ne m'a pas convaincu que la conclusion de fait de la Commission en ce qui a trait à l'amélioration de la situation qui règne dans le pays était d'une quelconque façon abusive ou avait été tirée sans qu'il ait été tenu compte de la preuve présentée. La conclusion de la Commission doit par conséquent être maintenue.    

Revendication fondée sur la séropositivité pour le VIH


[24]            Après son arrivée au Canada, le demandeur a appris qu'il était séropositif pour le VIH. Il a modifié sa demande d'asile en ajoutant l'allégation selon laquelle il répondait à la définition de réfugié au sens de la Convention parce que, s'il retournait en Tanzanie, il ne pourrait bénéficier des soins médicaux appropriés et qu'il serait rejeté et stigmatisé en raison du fait qu'il est porteur du VIH. La Commission a conclu qu'elle n'avait été saisie d'aucun élément de preuve convaincant pour démontrer que l'absence de traitement adéquat pour le VIH, par rapport aux soins offerts au Canada, constitue de la persécution suivant la définition de réfugié au sens de la Convention. De plus, la Commission n'était pas convaincue que le harcèlement et les stigmates dont a fait état le demandeur équivalaient à de la persécution comparativement au simple harcèlement. La Commission a conclu qu'elle n'avait été saisie « d'aucun élément de preuve crédible ou digne de foi que les gens chez qui on a diagnostiqué le VIH aient été spécifiquement visés et pris pour cible en Tanzanie » . La Commission a ensuite souligné que le demandeur n'avait pas qualité de « personne à protéger » même s'il était porteur du VIH, puisque les soins médicaux inadéquats constituaient une exception explicite à cette catégorie de personnes.

[25]            Le demandeur ne conteste pas la conclusion de la Commission suivant laquelle l'absence de traitement médical adéquat en Tanzanie ne constitue pas de la persécution suivant la définition de réfugié au sens de la Convention. Par ailleurs, le demandeur fait valoir que la Commission a fait erreur en concluant que la discrimination persistante à laquelle il devrait faire face à son retour en Tanzanie, particulièrement en tant que membre du Front, ne constituerait pas de la persécution. Le demandeur n'est pas d'accord avec la Commission lorsqu'elle a affirmé que son témoignage sur cette question était vague et inopportunément hypothétique. Il allègue que le stigmate dans la communauté musulmane, combiné à la méconnaissance et la superstition de la société tanzanienne en général en ce qui a trait à la séropositivité pour le VIH, l'amènerait à se voir refuser un emploi et la liberté de pratiquer sa religion et à subir d'autres effets qui se feront sentir un peu partout.


[26]            Encore une fois, je suis d'accord avec le défendeur pour dire que la Commission a considéré l'ensemble de la preuve dont elle disposait, notamment le témoignage du demandeur et la preuve documentaire, et qu'elle a conclu de manière raisonnable à l'inexistence d'une possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté s'il devait retourner en Tanzanie. La Commission a reconnu qu'il peut arriver qu'il y ait discrimination, mais elle a conclu qu'elle n'avait été saisie d'aucun élément de preuve digne de foi démontrant que ce comportement équivaudrait à de la persécution. En tirant cette conclusion, la Commission était réceptive à la possibilité que, dans certains cas, la discrimination puisse cumulativement constituer de la persécution et que la protection offerte par le statut de réfugié au sens de la Convention serait appropriée dans ces cas. Eu égard aux faits en l'espèce, toutefois, il était certainement raisonnable de tirer la conclusion à laquelle la Commission est parvenue. Si la ligne de démarcation entre la discrimination et la persécution peut parfois être difficile à tracer, je ne suis pas persuadé que la décision de la Commission sur cette question exige l'intervention de la Cour.

[27]            Qui plus est, je ne suis pas d'accord avec le demandeur pour dire que la Commission a fait erreur en ne considérant pas l'intersection potentielle de sa revendication fondée sur ses opinions politiques et de sa séropositivité pour le VIH. Même s'il est vrai que la Commission n'a pas analysé l'effet de la crainte d'être détenu sur quelqu'un dont le système immunitaire est perturbé par le VIH, je suis d'avis qu'elle n'était pas tenue de le faire. La Commission avait déjà rejeté les composantes subjective et objective de la revendication du demandeur fondée sur ses opinions politiques. Par conséquent, il n'y avait aucune intersection potentielle des motifs de la Convention à considérer puisque la Commission n'a pas cru que le demandeur était membre du Front ni qu'il était raisonnable de sa part de craindre qu'il soit persécuté pour cette raison.


[28]            Comme le demandeur n'a pas contesté qu'il n'a pas qualité de « personne à protéger » , je ne modifie pas la conclusion de la Commission sur cette question.

[29]            À ce titre, je suis d'avis que l'intervention de la Cour n'est pas justifiée. La présente demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée.

                                                                                                                       « Paul Rouleau »                      

                                                                                                                                         Juge                                

OTTAWA (Ontario)

Le 15 juin 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-2264-03

INTITULÉ :                                                    MOHAMED NISSAR LODHI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 2 JUIN 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                                   LE 15 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Mary E. E Boyce                                               POUR LE DEMANDEUR

Neeta Logsetty                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kumar S. Sriskanda                                          POUR LE DEMANDEUR

Avocat

69, rue Elm

Toronto (Ontario)

M5G 1H2

Neeta Logsetty                                      POUR LE DÉFENDEUR

Solliciteur général du Canada


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